Le Consumer Electronics Show 2010 s’est terminé hier, dimanche 10 janvier 2010. De retour sur Paris après 10 jours aux USA comprenant quelques jours à New York, il est temps pour moi de m’attaquer à la création du rapport de visite de ce salon. Rapport attendu par ceux d’entre vous qui ont eu l’occasion de profiter des éditions précédentes depuis 2006.
Alors quoi de neuf docteur ? A boire et à manger ! L’analyse d’un tel salon est multidimensionnelle.
Bien entendu, on y voyait de la TV en relief et connectée à Internet, des ebooks, des netbooks, de nouvelles interfaces utilisateurs, des produits connectés dans tous les sens, des applications triple-écran faisant le pont entre les mobiles, les micro-ordinateurs et l’écran de télévision.
L’autre analyse concerne les stratégies industrielles des acteurs. Quels paris font-ils ? Comment développent-ils leurs écosystèmes ? Quels partenariats nouent-ils ? Quelles sont les réelles chaînes de valeur du matériel et du logiciel. A savoir, qui fait quoi exactement dans un monde de dupes où chacun exploite des technologies créées par d’autres sociétés. Et puis, comment les constructeurs intègrent-ils les logiciels dans leur stratégie ? Comment font-ils leur marketing ? Tous ces aspects sont des plus intéressants pour décrypter les tendances au delà des effets de suivisme tels que la pléthore d’offres de télévision en relief. Et au passage, que font les (quelques) français sur ce salon ?
Quelques exemples illustratifs dans les tendances générales :
- La bataille des smartphones suit son cours. Elle est devenue une bataille d’application stores qui voit activer les éditeurs d’OS mobiles, les constructeurs et les opérateurs télécoms, tous envieux de la position de leader d’Apple avec son iPhone et son AppStore. On trouve sinon toujours autant de gadgets et d’add-ons pour l’iPhone et l’Ipod Touch. Apple reste le roi de ce marché, et sans stand ni intervenant au CES.
- Les grands usages de l’Internet qui s’infiltrent petit à petit dans les produits d’électronique de loisir : les réseaux sociaux Facebook et Twitter, la géolocalisation, l’Internet temps réel, le rôle de plus en plus structurant de Google et YouTube. Mais les constructeurs ne rivalisent pas d’imagination pour cette intégration, faute de s’investir sérieusement dans les logiciels. Ce que j’ai vu de meilleur dans le domaine était chez l’éditeur de middleware TV NDS, dont une partie des équipes sont en France.
- Le push industriel sur le cinéma et la vidéo en relief renforcé par de nombreuses sorties de films en relief en 2009. Tous les constructeurs s’y mettent et c’était le message central de leaders comme Samsung ou Panasonic sur le salon. La grande question au delà d’un certain scepticisme ambiant est de savoir quand et à quel niveau ce marché se développera. Et aussi, de creuser les aspects technologiques, moins évidents qu’il n’y parait. En tout cas, après la mode des écrans noirs, on est passé à celle des lunettes noires !
- Des guerres de positions complexes entre constructeurs de TV, les éditeurs de logiciels pour TV, les Yahoo Widgets et autres Adobe Flash, les boites de composants (Intel, Broadcom, STM, Sigma Design), les sites web de contenus, les producteurs d’Hollywood, les grands réseaux de TV américains.
- Des boitiers médias en pagaille pour visualiser divers contenus sur sa TV, tous équipés de logiciels plus que moyens. On passe du “Crap Gadget” au “Crap Software”.
- Une pléthore d’ebooks, tous ou presque basés sur la même technologie d’écans e-ink, mais avec une interface utilisateur encore décevante. Avec un marché certes en forte croissance, poussée par Amazon et son Kindle, mais qui se contente d’une certaine forme de médiocrité en attendant d’être secoué par l’arrivée de la tablette d’Apple qui fera probablement aux ebooks ce qu’il a fait aux smartphones : redéfinir la norme de qualité attendue par les consommateurs.
- Quelques évolutions sur les interfaces utilisateur et les télécommandes dont je vous parlerai dans mon rapport. Des télécommandes gestuelles, gyroscopiques, basées sur le souffle, des interfaces 3D animées dans les set-top-boxes, etc.
- Curieusement, peu d’innovations dans les greentechs. On assiste plutôt à une continuité : multiplication des offres d’éclairage LED présentées par les exposants asiatiques, des panneaux solaires pour recharger ses mobiles et une grande variété de solutions de domotique pour maitriser sa consommation d’énergie.
- Enfin, de nombreuses offres de produits et accessoires divers pour personnaliser son matériel côté design, look and feel. Tout comme des tendances sociétalement intéressantes à exploiter la géolocalisation pour retrouver les objets (voire personnes) que l’on peut perdre ou à proposer de plus en plus de produits waterproof.
Côté grands acteurs, quelques autres tendances marquées où l’on distingue assez facilement les “winners” et les “losers” :
- Samsung, toujours avec le plus beau et le plus grand stand, qui semble avoir compris le rôle du logiciel dans son métier et lance un portail d’application “triple écrans” (mobile, TV, PC). Reste à voir si derrière cette vision, ils peuvent “exécuter”.
- Son compère coréen LG qui rattrape son retard par rapport à Samsung dans les écrans de TV LCD rétroéclairés par LED de faible épaisseur, mais chez qui le logiciel est encore trop en arrière plan de son offre et de son discours marketing.
- Sharp qui mise tout son marketing sur la “quatrième couleur”, le jaune. A savoir des écrans LCD à quatre couleurs primaires, le rouge, le vert, le bleu complété par le jaune pour améliorer le rendu des couleurs. Une amélioration sujette à caution dans ses démonstrations. Un pari complètement décalé, qui ne sert à rien et qui n’est pas près de redorer le blason de ce constructeur japonais sur le déclin. La tagline de Sharp sur le salon était “Hello Yellow”. J’ai peur que cela se traduise par “Goodbye Sharp”.
- Toshiba qui fait un pari tout aussi curieux, en misant tout son marketing sur l’intégration du processeur Cell dans ses télévisions. Mais qui est incapable de montrer quelque logiciel que ce soit qui l’exploite au delà d’une intrigante fonctionnalité qui convertit automatiquement et en temps réel des images vidéo 2D en 3D relief. Un constructeur qui par ailleurs ne sait pas fabriquer de TV de moins de 8 cm d’épaisseur alors que ses principaux concurrents sont en dessous de 3 cm.
- Panasonic qui mise comme tous les autres sur la 3D mais continue pathétiquement de s’accrocher à la technologie d’écrans plasma.
- Microsoft qui n’avait pas grand chose à raconter sur le salon et dans le keynote animé par Steve Ballmer. Le seul point différentiant de son offre étant l’interface gestuelle Natal de la XBOX qui devrait être commercialisée avant Noël.
Il y avait aussi plein d’à côtés intéressants sur le salon : l’annonce du AR-Drone de Parrot déjà couverte dans ce blog, la présence d’Orange dans le keynote d’Intel avec la démonstration de l’interface utilisateur de sa future set-top-box, des rencontres avec quelques entrepreneurs français (Loic Lemeur de Seesmic, Tariq Krim de Jolicloud, Jonathan Benassaya de Deezer, Pierre Bonnat de Zyxio), avec Orange, Broadcom et NDS, l’impact encore marqué de la récession sur la taille du salon et le format de la présence des exposants.
Bref, de quoi m’occuper une bonne dizaine de jours pour créer le rapport 2010 du CES… :). Et il me faut aussi trier et traiter les quelques 4000 photos prises pendant le salon.
Aller, il faut que j’embarque dans mon premier vol de retour…
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Bonjour et félicitation pour la qualité de ce blog,
Un petit commentaire par rapport au choix de Panasonic qui “continue pathétiquement de s’accrocher à la technologie d’écrans plasma.”
Je pense que le Plasma reste un segment à ne pas négliger:
C’est certes une technologie qui est en retrait pour ce qui concerne par exemple la consommation electrique ou encore sa polyvalence, mais ça reste je pense la technologie privilégiée des “cinéphiles” avec, pour cette usage, une qualité indiscutable.
J’avais lu quelque part que LG, contrairement à toute attente, n’était également pas près d’abandonner le Plasma.
En somme, je ne pense pas que le plasma soit encore condamné; et si des constructeurs comme Panasonic peuvent faire évoluer cette technologie, c’est tant mieux!
D’un point de vue commercial, le plasma est condamné. Ses ventes représentent environ le huitième des ventes d’écrans LCD, même si dans les grands format, l’équilibre est moins défavorable. Par ailleurs, la différence de qualité d’image entre plasma et LCD (rétroéclairés par LED) s’est sérieusement amenuisée. Et comme la préoccupation environnementale augmente, le différentiel de consommation d’électricité enfonce le clou en défaveur du plasma.
Panasonic devrait peut-être creuser la filière OLED, peut-être à même de remplacer le plasma comme référence en termes et de qualité d’image et de consommation d’énergie.
Mais en effet, Samsung et LG continuent de proposer des écrans plasma. Avec un différentiel de prix tel que l’on trouve des plasma à des prix défiant toute concurrence. Mais ils n’investissent plus dessus. Samsung présentait sa nouvelle gamme plasma au CES, mais LG l’avais mise à l’écart. Il faut bien rentabiliser les usines…
Après, il faut prendre en considération le marché professionnel où le plasma se vend encore. Notamment dans les très grands formats (65 pouces et au dessus).
1000 merçis
Les mots me manquent pour vous témoigner toute ma gratitude. Que Dieu, le panthéon Vodoun et les mânes des immigrés béninois du numérique vous bénissent et vous accompagnent dans votre vie et dans toutes vos oeuvres ! C’est grâce à vos Rapports que je vis les salons CES. Et qui fait mieux que vous ? Personne !
Je voudrais savoir l’utilité de la ”quatrième couleur”, le jaune, que développe la firme Sharp sur ses écrans LCD, car le mélange additif des trois primaires R, V et B permet déjà de reproduire le jaune au niveau des écrans TV.
Ca augmente légèrement le spectre des couleurs générées par l’écran. En langage technique, on dit que cela élargit le Gamut (la représentation du spectre des couleurs en 2D). Je l’expliquerai visuellement dans mon rapport CES 2010. L’oeil humain est capable de voir plus de fréquences de lumières que la combinaison RGB. On peut augmenter le spectre couvert en ajoutant des couleurs primaires au RGB. Il y a déjà eu d’autres tentatives, notamment dans les projecteurs vidéos. Mais encore faut-il que le signal soit capté et encodé avec le même nombre de couleurs et/ou avec un spectre plus large. Ce qui n’est évidemment pas possible sans changer toute la chaine de production et de diffusion des contenus en amont.
Je vous en remercie infiniment.
Dans l’attente dudit Rapport,je vous prie d’accepter, Monsieur Ezratty, l’expression de mes sentiments distingués.
Mais Il y a que moi que ça étonne ?
On dirait que vous connaissez tout sur tout (du gamut aux drones en passant par les biotech…).
C’est énervant à la fin !
😉
Fabrice
J’en apprend tous les jours !
– En lisant beaucoup (flux RSS, presse écrite, etc).
– En rencontrant des sociétés diverses, comme Parrot, des startups, des grands groupes, ce qui me permet d’en savoir plus sur de nouveaux sujets.
– Pour le Gamut, c’est lié à ma passion pour la photo…
Pour les biotechs (vous faites sans doutes allusion à mon article sur la grippe A), toutes les informations que j’évoque ont été récupérées sur Internet pendant la rédaction de mon article.
Il y a une différence entre “tout connaitre”, “savoir où chercher”, “être curieux sur un tas de sujets”… et en partager le résultat 🙂
Ceci étant, j’ai aussi été un peu (gentiment) agacé par le passé par des gens qui me donnaient cette impression de tout savoir. Puis, je me me suis un peu inspiré de leurs méthodes de travail.
Olivier,
J’attends également avec impatience le rapport CES. Un petit mot pour dire que je partage votre point de vue sur la médiocrité des ebooks présentés. Ayant testé ceux qui étaient “testables”, je ne trouve que peu d’évolutions (rapidité, ergonomie,design) par rapport au Kindle, qui est pourtant sorti il y a plus de 2 ans aux US ! Effectivement, on sent une forme d’attentisme envers ce que devrait annoncer Cupertino, et il ya de quoi, car l’expérience utilisateur ne donne vraiment pas envie pour le moment.