De retour en France, voici donc mon compte-rendu aussi détaillé que possible de mon voyage en Corée et au Japon en compagnie de notre Secrétaire d’Etat à la Prospective et à l’Economie Numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet.
Dans cette série d’articles, je vais commencer par décrire la délégation, quelques mots sur NKM, puis les Ambassades de France, et vous fournir tous les pointeurs sur les contenus captés. Je tenterai aussi de répondre aux commentaires du post précédent : à quoi peut servir un tel voyage, est-ce vraiment utile et comment cela peut impacter la politique numérique du pays ? Nous passerons ensuite à une couverture du voyage regroupée par thématique. On y parlera plus de numérique, patience !
La délégation
La délégation officielle de ce voyage au départ de Paris comprenait en plus de NKM :
- Le Député du Loir et Cher, Patrice Martin-Lalande, très impliqué depuis de nombreuses années dans l’économie numérique. Il est notamment co-président avec Patrice Bloche (Député PS de Paris) du groupe d’études de l’Assemblée Nationale sur Internet, les technologies de l’information et de la communication et le commerce électronique, ce depuis 1997. Patrice Bloche ainsi que Christian Paul, aussi du PS, avaient été invités à participer au voyage mais n’avais pas pu le faire en raison de leur emploi du temps. Patrice Martin-Lalande a aussi été Vice-Président de la commission chargée d’examiner les projets de loi sur la nomination des présidents des sociétés de l’audiovisuel public et sur le service public de la télévision. Le député est quelque peu réservé mais il s’est tout de même déridé pendant le voyage. Vous mettez un Sénateur et un Député au même endroit, et les blagues fusent sur les attributs et compétences respectives des deux assemblées ! Comme le Député appréciant en blaguant le régime “mono-caméral” de la Corée !
- Le Sénateur de la Manche, Jean-François Le Grand (ci-dessous). Il est connu que pour sa défense d’un moratoire sur la culture des OGM au moment d’un débat houleux à l’Assemblée qui avait valu une sortie remarquée de NKM dénonçant le manque de support de son ministre de tutelle, Jean-Louis Borloo. Il était présent dans ce voyage du fait de son engagement dans l’équipement numérique de son département où il est aussi Président du Conseil Général. C’est un ardent défenseur de l’utilisation du numérique comme outil de désenclavement et de développement économique. Il est à l’origine en 2003 de l’article 1425-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) qui permet aux collectivités locales de devenir opérateur de télécommunications. Il a lancé la création en 1995 du syndicat mixte Manche Numérique qui pilote le déploiement du numérique dans ce Département long de plus de 160 km et qui comprend Cherbourg, le Mont Saint-Michel et Saint-Lô. Un département intéressant avec une industrie locale relativement protégée de la crise car ne travaillant pas pour les donneurs d’ordre en difficulté comme dans l’automobile. Le Sénateur qui est vétérinaire de métier est entré en politique un peu par hasard, pour contribuer localement. Il était le plus jeune Sénateur lors de son premier mandat en 1982 (à 40 ans). C’est un élu UMP d’une ville de gauche qui a voté à 57% pour Ségolène Royal à la présidentielle de 2007. Autre fonction officieuse pour le Sénateur : être une sorte de mentor de NKM. Elle n’y perd pas au change !
- Pierre Joo, un consultant du cabinet Giacometti-Perron qui travaille pour Matignon. Coréen francophone, spécialiste des télécommunications et des médias, il travaille notamment sur la communication du plan France Numérique 2012.
- Deux membres du cabinet de NKM: un Conseiller Technique, Pierre Bonis, qui présente la double originalité de n’être ni X-Télécom (il est de formation littéraire) ni issu de l’administration (ci-dessous avec NKM). Il est en charge notamment de l’international et des contenus dans le Cabinet, d’où sa présence. Un gars assez branché, qui a entre autres équipé la Ministre d’un netbook équipé de la bêta de Windows 7. Et puis, la responsable de la communication, Anne Dorsemaine, qui était présente en raison des nombreuses rencontres presse prévues pendant le voyage. Dans un tel voyage, on a le temps de discuter et j’ai pu mieux comprendre le mode de travail d’un Cabinet Ministériel. Celui-ci fonctionne un peu comme une startup : quinze personnes au grand maximum, pas d’administration associée au Secrétariat d’Etat, des rapports de force complexes avec les autres Ministères. Sans compter les enjeux politiques, NKM étant Secrétaire Générale Adjointe de l’UMP. Bref, beaucoup de travail et de stress. Une équipe qui met en place des process pour suivre son activité, avec notamment un tableau de suivi sous Excel de l’application des 154 mesures du Plan Numérique 2012. Ce “bleu” sous Excel est une première.
- Sur la visite au Japon, Anne-Sophie Le Chevalier et Thierry Esch, une journaliste et un photographe de Paris Match qui avaient une exclusivité de la couverture presse de cette visite. Ce qui m’a fait louper quelques passages mais sans impact sur l’ensemble. Le résultat devrait paraitre dans le numéro du jeudi 26 février 2009. Thierry Esch était particulièrement intéressant, ayant suivi la classe politique depuis plus de 30 ans.
- L’officier de sécurité de NKM qui l’accompagne dans tous ses déplacements.
Et puis moi-même, observateur indépendant polyvalent, scribe, photographe, caméraman et ingénieur du son. Avec une position double : la volonté de partager avec vous ce que j’ai pu observer, mais aussi de servir de relai vis à vis de NKM et de son Cabinet sur un certain nombre de sujet, surtout autour de l’entreprenariat. Sur ce dernier point, j’ai encore du pain sur la planche !
Un mot au passage sur la liberté d’expression. Plus on est proche des gens, plus l’on a de clients, moins l’on peut exercer un esprit critique public à leur encontre. C’est humain. La connivence entre journalistes et politiques est bien connue, notamment dans l’audio-visuel. Elle peut affecter les bloggeurs dans certaines conditions. Notamment lorsque le thème de leur blog couvre celui de leur activité professionnelle, ce qui est mon cas. Plus divers seront mes clients et rencontres comme celles de cette semaine, plus ma liberté d’expression s’amenuisera pas effet d’autocensure.
Il y avait bien entendu beaucoup de "off" dans les discussions hors des sujets numériques et de quoi remplir quelques pages du Canard Enchainé. Pages qui semblent finalement être bien en dessous de la réalité dans sa description des turpitudes du pouvoir. C’est une donnée de contexte pour ce compte-rendu ! Ceci étant, pour ce qui est du sujet du numérique, ne vous inquiétez pas, cette retenue n’aura aucun impact.
NKM
Au moment du départ en Corée le lundi 16 février au soir, NKM était de retour de Barcelone où elle avait visité le Mobile World Congress. Elle était intervenue dans une table ronde, rencontré le patron de Nokia et visité le pavillon français d’Ubifrance avec ses 90 stands en boxes.
Ce voyage était ma première occasion de la rencontrer. Tout de go, un contact et un relationnel très faciles. Elle pédale vite, pose les bonnes questions à ses interlocuteurs (qui n’y répondaient pas forcément), a une excellente mémoire et un bon esprit de synthèse. Elle parle vite, même trop vite (cf conférence de presse). Comme souvent avec les politiques, on pouvait remarquer la grande flexibilité dans le discours : avec un mot général aux expatriés français de Corée, un discours pour la remise d’une Légion d’Honneur à un japonais francophile de la finance, celle de l’Ordre National du Mérite à un pâtissier établi au Japon, le tout complétant toutes les visites ayant trait au numérique. Vous l’avez vu dans les photos, elle est bien élégante, presque trop. En tout cas, elle faisait grande impression à ses interlocuteurs Coréen et Japonais, peu habitués à rencontrer des femmes à ce genre de responsabilité.
Netbook, smartphone, site Facebook, lecteur MP3 aux oreilles et parlant l’anglais très correctement, du haut de ses 35 ans, NKM vit avec son temps. Ce qui nous change de pas mal de politiques ! C’est déjà un bon point. Beaucoup ont critiqué sa nomination car elle n’était pas “spécialiste du numérique”. Le peu que j’en ai vu montre qu’elle connaissait déjà pas mal le sujet et qu’elle a joué en un mois le rôle d’une éponge très efficace pour s’en imprégner. Dans le sérail politique, je dirais même qu’est est déjà largement une spécialiste du sujet. Bon et puis, vous croyez que les membres des gouvernements étaient tous des spécialistes des sujets dont ils ont la charge ? C’est plutôt une exception lorsqu’ils le sont !
NKM cherche à éviter le conformisme, on l’a vu sur les OGM (cf ci-dessous, avec des artistes Manga). Elle aime surprendre voire choquer. Les membres du gouvernement ont besoin de cultiver leur différence alors que l’Elysée contrôle tout. Comme Nicolas Sarkozy ne s’intéresse pas au numérique, elle a la chance de pouvoir faire la différence dans un domaine où l’Elysée interviendra peu. NKM a certainement du potentiel politique personnel. Le numérique et la prospective sont des moyens pour elle d’avancer. Il faudra qu’elle donne une impulsion forte, donne une vision, qu’elle fasse un peu rêver et aussi délivre du concret. Et que ce cela survive à son passage dans ce Secrétariat d’Etat qui ne sera pas éternel (le passage).
Pendant le voyage, elle était préoccupée par trois principaux thèmes sur lesquels elle revenait systématiquement avec tous ses interlocuteurs :
- Les modèles économiques, notamment de la télévision mobile. Préoccupation presque surprenante pour un membre du gouvernement. Avec la perception que l’enjeu se situe au niveau des contenus, enjeu que je nuancerai plus tard.
- Le rôle du numérique pour sortir de la crise et comment les acteurs du numérique se préparent à sortir de la crise. C’est une mission qui lui a été confiée par François Fillon.
- Et enfin, la compréhension des moteurs sociétaux de l’innovation dans les TICs, le respect de la vie privée, la robotique au Japon, etc. Nous en reparlerons longuement.
Les Ambassades de France
Les Ambassades sont aux petits oignons pour organiser ce genre de visite. Ils reçoivent entre une demi douzaine (pour la Corée) et une douzaine (pour le Japon) de membres du gouvernement chaque année, sans compter les missions d’études parlementaires. Missions dont l’utilité pourrait être parfois contestée par la Cour des Comptes. Juste avant notre passage au Japon, quatre sénateurs sortaient d’un voyage d’étude de quatre jours sur les maisons de retraite. Etude qui aurait très bien pu être réalisée par l’équipe de l’Ambassade avec une note envoyée à Paris à son issue.
Nombreux sont les intervenants dans la préparation du voyage. Ils fournissent à la délégation un brief très détaillé sur les personnes rencontrées et aussi sur le marché du pays visité. Des notes que j’ai précieusement conservées pour préparer la seconde partie de ce compte-rendu. Cela me rappelle un peu les préparations des visites de Bill Gates en France du temps où j’étais chez Microsoft.
Les principaux membres des ambassades mis à contribution sont ceux de la Mission Economique. Il faut noter qu’elles peuvent aider les startups dans leurs démarches dans ces pays que ce soit pour les relations avec les médias ou la mise en relation avec certaines grandes entreprises. Les effectifs sont plus jeunes en Corée qu’au Japon, témoin de la progression de carrière du Quai d’Orsay entre ambassades d’importance différente.
La préparation d’une telle visite répond à différents objectifs : ceux qui ont été donnés par le membre du gouvernement en visite. Mais aussi, ceux de la diplomatie française qui doit cultiver ses contacts locaux. Ainsi, au Japon, nous avions souvent des repas avec des experts de très haut niveau. L’efficacité des discussions aurait du amener à limiter le nombre d’interlocuteurs. Mais la diplomatie exige qu’ils soient plus nombreux pour gérer le relationnel. Un équilibre délicat pour l’Ambassade !
J’ai eu des discussions très intéressantes avec les Ambassadeurs, et notamment avec Philippe Tiebaud, en poste à Séoul (ci-dessus), très au fait de la culture locale dans le système de gouvernance et de management des grandes entreprises.
Lors de la visite, les ambassadeurs suivent la Ministre pendant presque tous ses déplacements. Le groupe français était ainsi composé de presque vingt personnes : la dizaine de la délégation (plus nombreuse au Japon), et les équipes de l’ambassade, traducteur compris. D’où des convois de quatre voire cinq véhicules (ci-dessus), dont la voiture de l’Ambassadeur avec son petit drapeau français, pour lui-même et NKM. Et chez nos hôtes, il n’était pas rare d’avoir autant de monde pour guider notre visite (ci-dessous, chez Samsung).
Une partie des rencontres, notamment pour les remises de médailles et les réunions avec les experts français avaient lieu dans la résidence de l’Ambassade. Celle du Japon (ci-dessous) est particulièrement bien dimensionnée avec un grand salon et une grande salle à manger dans un bâtiment au milieu d’un grand parc boisé.
Et on mange très bien à la résidence de Tokyo, prestige de la France oblige. Je n’ai pas résisté à l’envie de vous faire partager ce beau dessert au chocolat…
Sur ces entrefaits culinaires, le post suivant parlera du voyage lui-même.
A lire également au sujet du voyage de Nathalie Kosciusko-Morizet en Corée et au Japon :
Jusqu’où peut aller la Politique 2.0 ?
Avec NKM en Corée et au Japon
Le voyage et le séjour
Culture et innovations
Télévision mobile et autres contenus
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A te lire, on sent que si NKM se présentait à une présidentielle – type 2012 ou 2017 – tu signerais des deux mains. On est d’accord?
Car finalement, la politique la plus proche d’un Obama, ne serait-ce pas elle, plutôt que Segolène ROyal?
– elle incarne un vrai changement (quasi inconnue avant 2007, alors que Sego a un passé non nul au PS)
– elle comprend les enjeux technologiques et leur utilisation à des fins politiques
– elle en impose par sa présence physique, élément dont on ne parle pas assez, à mon goût, au sujet d’Obama: il y a un vrai “jeu de scène” aussi bien chez NKM que chez le président américain
Merci de ce compte-rendu Olivier, hyper intéressant. Et rafraichissant de voir le gouvernement en action.
Hervé, il est encore trop tôt pour juger. En trois ans (ou huit ans), il peut s’en passer des choses !
NKM a effectivement beaucoup de potentiel et une opportunité “à la Obama” sous le coude comme tu le soulignes en détail.
Mais aussi :
1) Des étapes à franchir : un corpus politique qui reste à construire (des convictions sur la manière de faire évoluer le pays, un “rêve” à construire), un réseau et une véritable équipe à bâtir
2) Des obstacles : quelques crocodiles à éviter ou museler dans son propre parti.
3) Des éléments de contexte : son origine familiale “très bonne famille”, un mandat local limité (une ville de 22000 habitants), et le bilan du ou des quinquennats Sarkozy. Réussir deux fois de suite le coup de la “rupture” pour un même parti serait une belle performance !
4) Des éléments de posture : un débit de parole à ralentir (le défaut de certains qui pédalent trop vite et ne se mettent pas à la vitesse de leurs interlocuteurs, un pb en politique).
En tout cas, cela serait très intéressant de la voir un jour en face de Ségolène Royal qui paraitrait ainsi quelque peu usée.
Sur le fait que NKM ne soit pas une spécialiste du numérique : bof.
Elle est quand même la soeur de Pierre, pdg de Price Minister et président de l’Acsel (Association de l’économie numérique). Ils ont dû en discuter un peu quand même.
Intéressant et merci je trouve des éléments de réponse dans ce billet à ma précédente question.
C’est vrai que faire la rupture de la rupture, cela va etre difficile. Et puis Obama a su “croquer” la favorite Hilary. NKM a-t-elle la stature pour se demarquer des aparatchiks de l’UMP? Face à Borloo, elle a montré que si elle parlait un peu vite, elle savait aussi montrer les crocs…