Le 29 mai prochain à l’Université de Paris Dauphine aura lieu le lancement officiel des Assises du Numérique, un processus de consultation des acteurs publics et privés permettant à Eric Besson de présenter un “plan de développement de l’économique numérique” à Nicolas Sarkozy et François Fillon avant la fin juillet.
Cela n’a pas l’air, mais c’est un véritable marathon politique qui se prépare. Une habitude dans la conduite des réformes avec Nicolas Sarkozy, menée tambours battants quel que soit le sujet. Nous allons ici voir ce qu’il en est.
Les points clés du “plan numérique” selon Eric Besson sont “accélérer le déploiement des réseaux numériques sur l’ensemble des territoires ; libérer la création de valeur et favoriser la diffusion des contenus ; promouvoir la diversification et l’appropriation des usages pour une approche renouvelée de la citoyenneté“.
Plus de 1000 personnes sont attendues le 29 mai. Plusieurs Ministres interviennent en plus d’Eric Besson: Valérie Pécresse, Jean-Louis Borloo, André Santini, et Ahmed Chami, Ministre de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies du Royaume du Maroc. Sans compter Viviane Redding de la Commission Européenne.
Pendant tout le mois de juin auront lieu une cinquantaine d’ateliers dans le cadre de ces Assises, et sur plein de sujets (la liste est maintenant publique). Avec un inventaire à la Prévert, les thèmes ayant été proposés en partie “par la base” : commerce électronique, équipement des TPE et PME, haut débit, web 2.0, cybercriminalité, télévision mobile, administration électronique, télétravail et développement durable. Il y a même un Atelier sur l’impact des TIC sur la filière vitivinicole à Bordeaux. Ca rappelle un peu la diversité des pôles de compétitivité…
De ces ateliers jailliront de nombreuses propositions dans lesquelles le politique devra faire le tri. Sans compter ensuite le lobbying d’associations diverses : industrielles (comme “Alliance TICS” qui regroupe les grands fournisseurs et qui copilote les Assises du 29 mai), la FEVAD, Renaissance Numérique, “Le Club de l’Economie Numérique” qui rencontrait Eric Besson ce lundi 26 mai et proposait des mesures pour encourager l’usage des TIC dans les TPE françaises, et aussi toutes les associations du logiciel libre, les adversaires et partisans de la copie privée, et j’en passe. J’imagine l’enfer pour Besson : rencontrer toutes ces associations diverses et prendre note de leurs revendications. Puis essayer d’y mettre de l’ordre, de hiérarchiser, et d’en sortir une stratégie compréhensible. Mais c’est comme cela que se lancent la plupart des réformes au départ, sauf peut-être celle du financement des chaînes de télévision publiques (!). Les gouvernants n’ont pas la vie si facile !
Sauf qu’ici, on est face à un sujet qui concerne plein de domaines, et autant de zones de responsabilités ministérielles. Curieusement, l’éducation et l’enseignement supérieur ne sont d’ailleurs pas à l’agenda des Ateliers alors que les TIC y jouent un rôle majeur. A la fois comme outil, comme thème de formation (on manque d’ingénieurs informaticiens en France), et comme problématique pédagogique (comment la faire évoluer à l’heure des moteurs de recherche?).
De cet agenda bien rempli d’Ateliers ressortait le risque de ne traiter que de la “demande” intérieure du marché français au détriment de “l’offre”, à savoir l’entrepreneuriat et les startups high-tech. Heureusement, une initiative dans ce domaine est venue du “Pôle Normand” avec l’organisation d’un Atelier à Rouen dont le thème est : “l’Environnement favorable au développement des jeunes pousses de l’Internet en France“. On m’a gentiment invité à animer cet atelier et j’ai accepté. Il est prévu le 25 juin et est ouvert à tous. Mais étant à Rouen, on peut espérer qu’il sera possible d’y participer d’une manière ou d’une autre à distance.
Autant je suis très intéressé de contribuer sur ce thème, autant je suis interrogatif sur la méthode de travail des Assises. C’est un sacré défi que ces ateliers : ils se réunissent une fois (voire plus pour quelques uns), doivent se mettre d’accord sur des propositions, qui seront ensuite compilées par le Cabinet d’Eric Besson pendant le mois de juillet. Quelle concertation aura lieu pour bâtir le plan gouvernemental, arbitrer, hiérarchiser, budgétiser ? On l’apprendra peut-être dans l’intervention d’Eric Besson jeudi prochain. J’espère notamment trouver jeudi quelques recommandations sur les livrables attendus de ces ateliers.
Sinon, j’aurais bien quelques suggestions à faire sur la méthode de travail (au risque de me répéter) :
- Commencer par faire un bon diagnostic partagé sur les raisons de nos différents retards. Et notamment celles qui sont d’ordre culturelles et liées à notre système de valeur.
- Etablir une stratégie claire et lisible, en évitant surtout le saupoudrage de mesures difficiles à appliquer ou mal financées. Et demander aux ateliers d’appliquer une méthode classique de gestion de projet : définir une mission, des objectifs (quantitatifs et mesurables), des stratégies (les choix) et des tactiques (avec délais, budgets, responsabilités). En évitant comme on le fait souvent de commencer par la fin.
- Bien délimiter le rôle de l’Etat, des collectivités locales, des associations et des entreprises privées. Et ne pas chercher à tout faire faire par la puissance publique. Eviter tant que possible au passage de politiser le débat (droite-gauche).
- Créer un tableau de bord du plan suivi dans la durée avec des objectifs quantitatifs clairs.
- Bien travailler sur l’offre et pas seulement sur la demande. D’autant plus que l’économie des TIC est fondamentalement une économie où l’offre créé encore la demande. Pas le contraire.
- Eviter de consacrer trop d’énergie à nos angoisses bien françaises : sur protection des contenus, sur la vie privée, la sécurité, etc. C’est utile, mais trop mis en avant, cela contribue à créer un climat anxiogène. Cela fait déjà bien trop l’objet de la “Loi sur la confiance de l’économie numérique” votée il y a deux ans et qui va être visiblement mise à jour. Ce mot “Confiance” dans la loi est révélateur de la peur à la française sur les nouvelles technologies. Un peu comme sur les OGM.
- Au passage, mieux travailler la symbolique, et notamment l’exemplarité de nos instances gouvernantes dont on ne peut pas dire qu’elles brillent par l’usage des TIC “intuitu personae”.
Il me reste à vous donner rendez-vous pendant les Assises pour ceux qui s’y rendent et après, sur ce blog, pour vous tous. Je vais à la fois y “relever les compteurs” et essayer de contribuer.
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Olivier
on attend avec impatience ton commentaire factuel et toujours pertinent sur cette première journée…
Juste pour rire.
Les Assises du numérique, cela n’est pas très dynamique comme intitulé. Ce que j’attends comme livrable de ce genre de réflexion c’est comment la France peut elle créer le Google / Facebook / Paypal du futur ?
Have fun Eric, t’as du boulot 😉
/Olivier
“Panthère’s Club”
“Plusieurs Ministres interviennent en plus d’Eric Besson: Valérie Pécresse, Jean-Louis Borloo, André Santini, et Ahmed Chami”
Aux Etats Unis, on aurait sûrement fait une large place à quelques entrepreneurs avec un “proven track record” pour partager leur vision du marché, et à quelques analystes de premier plan pour y jouer un rôle de poil à gratter.
Mais en France, les vieux démons politiques sont toujours présents et l’on sent que la danse des intervenants a du être difficile à orchestrer: Miroir, mon beau miroir suis-je toujours le plus beau !
Bon, on ne vas pas décourager une initiative méritoire que nous aurions du avoir 5 ou 10 ans plus tôt, mais convenez que le démarrage ne s’effectue pas sous les meilleurs auspices!
Il y avait aussi des entrepreneurs comme Tariq Krim (NetVibes) ou Pierre Bellanger (SkyRock). Mais c’est vrai qu’aux US, ce genre de colloque n’a pas besoin des politiques…