J’ai eu la chance de pouvoir discuter une bonne demi-heure avec Miguel de Icaza qui intervenait à la conférence Microsoft MIX de Paris destinée aux développeurs et designers Web jeudi 21 juin 2007.
Miguel avait créé Ximian en 1999, une distribution Linux rachetée par Novell en 2003. Il est à l’origine du projet Gnome, l’une des interfaces graphiques de Linux, que l’on retrouve notamment dans Ubuntu. Et plus récemment, du projet Mono, de portage de .NET sous Linux. Le gars est sympa et très ouvert.
Je vais retranscrire ici un bout de nos échanges, et de mémoire.
Moonlight
Miguel était là pour présenter Moonlight, son projet de mise en oeuvre de Silverlight de Microsoft sur Linux, qui reposera bien entendu sur Mono. Il avait démarré le projet 20 jours avant et avait pu dans ce temps record démontrer une première mouture de son logiciel. Et cela commence à fonctionner. Une partie des démonstrations Silverlight de Microsoft sont opérantes. Ce sont celles qui reposent sur l’alpha 1.1 qui supporte la CLR et les langages compilés comme le C#. Voir son blog pour en savoir plus.
La relation de Microsoft avec Mono comme avec ce projet est ambiguë. Miguel a appris l’existence de Silverlight dans la presse. Il y a une relation de respect de la part de Microsoft pour ce que fait Miguel, mais sans plus. Microsoft ne l’aide pas particulièrement. Il ne bénéficie pas du programme Shared Source et donc des sources complets de Microsoft. Il en est réduit à faire du reverse engineering où à s’appuyer sur ce qui est publié comme la CLR.
Miguel était présent au MIX de Las Vegas en avril dernier (cf une interview réalisée par Didier Girard où il explique où il en est autour de Mono et de Silverlight). J’ai surtout noté à Paris que les équipes de Microsoft France dialoguaient plus facilement avec lui que les représentants de Microsoft Corp présents (notamment Sanjay Partasarathy, Corporate VP de la Division DPE). Alors que Miguel et son équipe semblent être d’excellents avocats de la plate-forme .NET de Microsoft dans la communauté open source et Linux.
Recrutements
J’ai un peu questionné Miguel sur son mode de travail chez Novell. Lors de son rachat par Novell, l’équipe de Ximian qui faisait une cinquantaine de personnes a été distribuées sur plusieurs équipes, notamment celle qui a en charge la version de Linux Novell pour postes de travail.
Miguel a une très grande liberté d’action chez Novell, où il est un simple centre de coût. Il gère autour de Mono une équipe d’une trentaine de développeurs polyvalents. Comme c’est souvent le cas dans les projets open source, il n’y a pas de rôle spécialisés avec chefs de projets, architectes, développeurs et testeurs. C’est le fameux “bazar” par oppositions aux “cathédrales” du développement logiciel organisé chez les grands éditeurs.
Miguel est basé à Boston et à part un collaborateur qui est auprès de lui, tous les autres sont dans les quatre coins du monde. Il a effectué ces recrutements de “top guns” avant tout sur leurs capacités de développement. Le reste se fait au “gut feeling”. La plupart ont été recrutés à distance et n’ont jamais rencontré Miguel. Pour les sélectionner, il leur a envoyé un paquet de code de Mono et demandé d’ajouter quelques fonctions pendant une à deux semaines. Une fois le code réalisé, il leur a demandé le pourquoi du comment du code réalisé et des choix effectués. C’est une méthode fort intéressante et très exigeante. Elle n’est évidemment pas facilement applicable telle que aux éditeurs de logiciels commerciaux car ils ne font pas circuler leur code source comme cela.
Fragmentation du monde de l’open source
Malgré le côté sympathique du développement communautaire, le monde des logiciels libres n’est pas exempt des travers humains avec ses rivalités, ses projets redondants, le “not invented here” et tout ce qui en découle.
J’ai surtout noté chez Miguel un certain recul par rapport au succès d’Ubuntu, qui l’interloque un peu. Mais c’est normal puisque Novell édite sa propre distribution Linux.
Il n’apprécie pas non plus Richard Stallmann, le pape de la FSF et père de la licence GPL. Pourquoi donc? Du fait de son comportement personnel assez grossier en privé (je passe sur les exemples donnés…). Est-ce le lot commun des “luminaries”? Comme quoi en tout cas, lorsqu’un idéologue de la liberté se comporte ainsi, il faut s’en méfier, comme de son idéologie d’ailleurs.
Le beans de la propriété intellectuelle
Il n’est pas bien facile de faire cohabiter les logiciels libres et les logiciels commerciaux. Et Miguel est en plein milieu de cette bataille. D’un côté, nous avons la viralité de la GPL qui pose problème à Microsoft et les pousse à avoir une relation distante avec les projets de Miguel. De l’autre, le “patent pool” MPEG qui s’applique visiblement aux codecs VC1/WMV de Microsoft dans Silverlight empêche une diffusion non commerciale de Moonlight. Résultat, Miguel ne sait pas trop dans quel cadre juridique il pourra diffuser sa dernière création. Suspens.
Les photos sont de Jeremy Fain, actuellement en stage chez Microsoft France avec Julien Codorniou sur le programme IDEES.
Et MIX dans tout cela?
Autres infos glanées sur MIX Paris dont les présentations seront webcastées par Brainsonic d’ici début juillet: beaucoup de démos de startups ayant adopté ou Silverlight ou d’autres composantes de la plate-forme Microsoft.
Et surtout une très bonne présentation sur le marché de la publicité et les business models du Web 2.0 de Jakob Harttung (“Profitez du prochain web”), de la Division Dévelopeurs, Plate-Forme et Ecostème de Microsoft France. Avec un contenu rare pour une filiale d’une boite américaine et pour un tel sujet: Jakob avait créé lui même le contenu. Et oui, ce n’était pas une traduction de slides américains comme c’est trop souvent le cas dans ces boites! Jakob a notamment expliqué avec d’autres intervenants invités comment évoluait la publicité intégrée dans les jeux vidéos. Notamment dans cette campagne de Coca Cola avec “Ray le positiveur”, un personnage intégré dans un jeu vidéo et discutant avec les internautes en mode chat/IM (exemples ici), via la technologie de robot de chat de Virtuoz qui est intégrée à MSN.
Je note au travers de la présentation de Jakob comme de celle des autres intervenants une insistance à démontrer les nouveaux formats de publicité permis par Silverlight. C’est assez bien vu car ce monde est en pleine évolution, notamment du fait de la numérisation galopante de la télévision.
Est-ce que pour autant l’opération de séduction de Microsoft à destination des créateurs et designers de sites web a fonctionné? Il faudra attendre un peu pour le voir. Silverlight est encore en bêta…
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RMS, tout en étant le pape de la GPL a tendance à confondre logiciel libre et Morale. Il fait de bonnes choses, mais il est un poil extrémiste.
Je ne veux pas lancer un troll sur RMS, qui est quelqu’un de très gentil, et c’est grâce à ces envolés que la communauté avance…
A propos de Ubuntu, je suis d’accord avec Miguel, car c’est une bonne distribution solide (grâce à l’architecture debian) et simple à installer, mais Fedora est très bien aussi et OpenSuse et Mandriva sont bien placés aussi. De plus, Ubuntu a souvent tendance à mettre les dernières versions de tous les softs sans sufisamment les tester, un peu comme d’autres grands noms propriétaires… (Cf le fiasco de GTK dans edgy, le fiasco du wifi dans feisty).
Bref, c’est très bien, mais pas la seule solution.
A propos du NIH, je dirais que le monde linux utilise plus les librairies partagées que le monde Windows, grâce au système ingénieux des dépendances, donc, je ne suis pas trop d’accord sur ce point.
Est-ce que il a parlé du nombre de brevet enfreints par Mono, vs .Net hors VC1 ? Y en a t il valables en Europe ?
Non, nous n’avons pas parlé d’histoires de brevets.
Pour le NIH, je le constate indirectement par le fait que trop de projets open source, notamment tournés vers les utilisateurs, soient redondants sans pour autant aller très loin d’un point de vue fonctionnel comme ergonomie. Si les développeurs de ces projets travaillaient plus ensembles, on aurait de meilleures solutions.
Les éditeurs commerciaux ont tendance à structurer un peu mieux cette mutualisation du développement. Même si le monde du logiciel commercial est fait avec d’un côté de grands acteurs, et de l’autres, d’une myriade de développeurs de sharewares. Ces sharewares présentent les mêmes redondances que les logiciels libres équivalents. Et d’ailleurs, très peu de développeurs de shareware gagnent bien leur vie.
Mon point, que je mettais souvent en avant lorsque j’étais chez Microsoft, est que le modèle de développement des logiciels open source ne présente pas systématiquement les avantages qu’on lui attribue et que la qualité et l’organisation des équipes de développement compte autant si ce n’est plus que le modèle (commercial ou open source, ou un mix des deux). Pour la simple raison que les organisations humaines sont imparfaites et pas toujours organisées optimalement. C’est aussi une affaire de volume et de “long tail”. Le millième projet de SourceForge n’a souvent pas plus de développeurs contributeurs que le millionnième blog de SkyBlog n’a de lecteurs!
Roohhh, quelle méchanceté envers SkyBlog ! Mais il est vrai qu’il y a beaucoup de projets non abouttis dans l’open source, tout comme dans les sharewares… Pour moi la selection naturelle va régler pas mal de problèmes. Les bons softs vont être utilisés et les autres oubliés…
Pour le NIH, je ne l’entendais pas trop comme ca, mais je comprends donc. Pourmoi, c’est plus un problème d’ego que de réécriture du code déjà existant.
Même si je pense que le modèle open source a certains avantages, croire que c’est la panacée pour tous les problèmes est une erreur. De très gros développements, tels qu’Open Office ou le kernel (pas firefox) demandent beaucoup d’ingéniosité dans l’organisation.
De par mon expérience, la qualité des développeurs est primordiale. Mais certains dictateurs de projets sont des freins au développement de leurs projets.
Pour revenir a Silverlight, (j’ai codé en XUL et en Flash), avoir une vraie plateforme open source apportera, AMHA des codeurs. Mais Flash a sa machine virtuelle dans la plupart des PCs. Reprendre ce marché sera dur… Je vais tester donc, dès que j’ai un Windows 😉