Pendant la « crise » du CPE qui a égayé nos rues et nos débats politiques ces derniers mois, je me suis fait une réflexion liée à ma découverte du monde des entrepreneurs et du capital risque : même dans ces cercles que l’on peut qualifier “d’élites”, il est difficile de se positionner lorsque l’on est jeune, c’est-à-dire, un jeune entrepreneur.
Quelqu’un m’avait mis la puce à l’oreille pendant la visite du Consumer Electronics Show de Las Vegas en janvier 2006. J’y participais avec un groupe d’une trentaine de français, regroupés par Xavier Dalloz, consultant bien connu de la convergence numérique (et proche de l’âge de la retraite). Lors d’un débat organisé en fin de journée, mon voisin, un « jeune » patron de société de services (aux alentours de 35 ans) me faisait la réflexion suivante : « tu vois des jeunes parmis nous? ». Un rapide tour de table et oui, effectivement, il était le plus jeune d’entre nous. Et moi, j’étais un « middle-aged » dans cette audience !
Dans les nombreux événements pour entrepreneurs et capitaux risqueurs organisés à Paris ces derniers temps, même constat : les personnes présentes sont rarement jeunes. Jeunes au sens, moins de la trentaine d’années. La moyenne d’âge y est plutôt située entre 35 et 45 ans. Quand je consulte la liste des startups financées par les sociétés de capital risque (les VCs), itou : pas des masses de jeunes entrepreneurs. La tendance est plutôt de faire confiance aux « serial entrepreneurs » au cuir bien tanné.
Pourtant, les jeunes ont de la ressource: de l’énergie à revendre, des idées, une meilleure sensibilité aux tendances sociétales, fort utile dans le monde de l’Internet qui évolue à la vitesse grand V et peu de dépendances familiales contrairement aux trentenaires et quadras ! Il serait bon de trouver le moyen de mieux les aider à entreprendre. Et de faire un peu fi de ce retour de batons de l’éclatement de la bulle Internet qu’ils continuent de payer. Ce n’est pas parce qu’il y a plus de six ans, beaucoup de jeunes s’étaient lancés – avec leurs financiers – dans des projets inconsidérés qu’ils sont tous dans ce cas là aujourd’hui!
Il se trouve que j’accompagne quelques startups dans leur développement, dont deux sont créées par de jeunes entrepreneurs (Voluntis et U.Lik). Leurs fondateurs ont moins de trente ans. Ils ont tout de même une première expérience en entreprise avant de s’être lancés dans l’entreprenariat. Leur jeunesse les handicape un peu. Mais ils mis en place quelques recettes qui limitent l’impact de leur jeunesse. La première consiste à bien s’entourer, notamment au niveau du board de l’entreprise. Par exemple, Pierre Leurent, CEO de Voluntis qui du haut de ses 28 ans, s’est entouré de Charles Beigbeder (Powéo) et d’Yves Barbieux (ex PDg de Nestlé France). U.Lik est entouré de son côté de bons financiers et d’un gars qui en connaît un peu en marketing (moi). La seconde consiste à se lancer rapidement dans le recrutement de pointures. Le cas de Voluntis est intéressant avec le recrutement par Pierre Leurent d’Hervé Barkatz, un manager expérienté du secteur de Voluntis (la santé) qui a 12 ans de plus que lui. Accepter de recruter quelqu’un qui apporte de la séniorité dans une équipe est une décision importante pour le jeune dirigeant. De son côté, U.Lik, créée par deux jeunes HEC, est explicitement à la recherche d’un CEO expérimenté !
Une fois cette « séniorisation » de l’équipe et des accompagnateurs, l’entrepreneur peut se lancer dans l’appel à du capital risque, quitte à se faire aider par des leveurs de fonds (comme Aélios Finance, Chausson, ou Normart). Il pourra faire appel à des « business angels », ces investisseurs privés qui aident les entrepreneurs. Il n’y en a malheureusement pas beaucoup en France (5000 ou 10 fois plus au Royaume Uni et 100 fois plus aux USA). Il y en a peu dans la high-tech car peu d’entrepreneurs ont réussi en France dans ce domaine. Et le peu qui l’on fait se sont souvent « exportés » dans pays limitrophes pour échapper à l’ISF. Une grande part des business angels français sont issus d’autres secteurs d’activité comme la distribution. Donc, dans ce domaine, l’approche “réseau” compte beaucoup. Elle peut éventuellement passer par les anciens élèves de son école, ou par d’autres réseaux plus ou moins formels.
Il existe sinon deux sources d’accompagnement non négligeables. Tout d’abord, les nombreux incubateurs que l’on trouve dans les grandes écoles de commerce (HEC, ESSEC, etc) ou d’ingénieurs (Centrale, Télécom, INT, etc). Ils peuvent mettre le pieds à l’étrier de leurs étudiants et même souvent d’anciens élèves passés par une première expérience – fort utile – en entreprise. Ensuite, le jeune entrepeneur pourra se faire accompagner par les incubateurs ou pépinières « publiques ». Les plus actives exercent leur activité à l’échelle régionale. C’est le cas de Paris Développement pour la région parisienne. Ces « têtes de réseau » sont fort utiles pour guider l’entrepreneur dans la dense jungle des aides publiques, notamment financières (OSEO-Anvar, etc). Enfin, il peut y avoir les accompagnements d’entreprises du secteur high-tech. Avec son programme IDEES destiné au soutien des startups, Microsoft pourrait aider les jeunes entrepreneurs. D’autant plus que le gars qui en a la charge, Julien Codorniou, a juste 27 ans!
Bref, avec le CPE, les jeunes ont repris un peu de poil de la bête et de reconnaissance dans le débat politique. Mais leurs demandes relevaient de la peur du risque dans le monde des entreprises. Il y a des jeunes qui eux, sont prêts à prendre des risques. Qui veut bien les aider? J’ai pour ma part décidé d’en faire partie. Pour ceux que cela intéresse, je travaille sur un document sur l’Accompagnement des startups en France, en cours de rédaction. J’y recense les différentes aides à l’entreprenariat, à destination notamment des jeunes créateurs d’entreprises. C’est aussi la raison pour laquelle je donne quelques conférences sur l’innovation et le management à Centrale comme à HEC (MBA).
Si vous êtes jeune entrepreneur, votre expérience m’intéresse ! Exprimez-vous et faites nous part de votre parcours et des difficultés que vous avez rencontrées et comment vous les avez surmontées.
Article mis à jour le 27 décembre 2008 pour pointer sur la version de décembre 2008 du guide.
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27 ans mais toutes ses dents.. 🙂
27 ans et bientot plus de dents à force de les user sur les bugs du site et les drafts de business plans….
Pourquoi, tu les mâches avant de les avaler tes drafts de business plan leafar?));
Honnêtement, je suis un tout jeune aussi (23 ans), pas encore entrepreneur. Et ce n´est pas évident de se dire qu´on va se lancer comme ça. La vie professionnelle dure 50 ans. Donc il est tentant d´en passer au moins une petite partie (5 ans? plus? moins?) à apprendre dans des organisations structurées, rôdées, ambitieuses, dynamiques…Quel que soit l´épithète retenu, c´est de toutes façons ce que les investisseurs attendent. C´est aussi une question de culture: je me suis déjà essayé à la levée de fonds (avec un succès honorable) dans un environnement étranger (Israël, où les gens sont tout de même assez respectueux des initiatives, même émanant de jeunes).
Quel serait votre conseil, Olivier Ezratty, aux jeunes aspirant à entreprendre: bosser combien de temps et dans quel type de boites (industrie, conseil, banque, etc.)? Je quitterai pour ma part l´école à 24 ans et des poussières. Donc 5 ans d´expérience, et je n´ai déjà plus de dents: je passe la barre fatidique définie dans votre – excellent – article.
Il n’y a pas de réponse toute faite à ce genre de question. Il y a des gens qui sont faits pour avoir le “lead” et devenir entrepreneurs et d’autres pour lesquels ce n’est pas évident. Même si tout peut s’apprendre à force de volonté.
Ce qui est clé pour un entrepreneur, c’est de bien s’entourer rapidement. Surtout par des gens bien plus expérimentés que lui (ou elle). La création d’un expertise collective permettra de développer l’entreprise, d’y intégrer maturité et process au moment où c’est nécessaire. C’est ce qui est arrivé à plein d’entrepreneurs bien connus de l’informatique: Scott McNeally chez Sun, Larry Ellison chez Oracle, Steve Jobs chez Apple (qui s’est fait viré en 1985 par le mec expérimenté qu’il avait recruté chez Pepsi : John Sculley), et évidemment Bill Gates. Même si ce dernier avait recruté en 1980, 5 ans après la création de sa boite, un certain Steve Ballmer, pote de Harvard, qui lui avait fait ses classes au product marketing chez Procter et Gamble.
Une expérience dans une grande entreprise apporte certainement une expérience complémentaire à celle de la startup. J’ai croisé récemment pas mal d’entrepreneurs qui avaient fait des aller et retour entre les deux. Soit en commencant par la startup, soit par la grande entreprise. Mais pour qu’elle ait un intérêt pour un futur entrepreneur, cette expérience doit se dérouler dans un contexte favorable où le jeune obtient rapidement des responsabilités, peut prendre des risques, disposer de moyens et avoir un impact sur sa boite. Sinon, il végètera et ne prendra pas la dimension qui lui permettra de devenir créateur d’entreprise.
Merci pour ce témoignage avisé. Je ne pensais pas qu´il se faisait couramment que des start-uppers passent en grosse boite (il y a certes quelques exemples, Pierre Chappaz entre autres), mais c´est bon à savoir.
J´ai de plus remarqué que 80% des CEOs américains (certes, ce ne sont pas des entrepreneurs, mais poursuivons) étaient d´anciens salesmen. Je me demande de plus en plus si apprendre à vendre, et se tirer la bourre avec ses camarades pour vendre plus qu´eux n´est pas la meilleure école de l´entrepreneuriat où la réussite initiale tient en grande partie à la force de conviction.
Etre vendeur ne veut pas nécessairement dire avoir été commercial. C’est plus un tempérament qu’un métier en tant que tel, pour la compétence du créateur d’entreprise. Dans tous les cas de figure, il faut de toutes façons avoir dans son équipe de startup un bon directeur commercial et un “deal maker” si on ne peut pas jouer soi même ce rôle.
Et il est préférable de “se tirer la bourre” avec les concurrents pour gagner les clients que de se “tirer la bourre” avec ses collègues commerciaux pour avoir le prix du meilleur commercial du coin.
Bien d´accord, et là on rentre dans toutes ces problématiques d´alignements des intérêts des différents stakeholders de l´entreprise: actionnaires-managers, managers-employés, département commercial – département logistique/prod, client-fournisseur, et inter-opérationnels. Cela dit, si les périmètres (géographique, fonctionnel, applicatif, technique, segmentiel, sectoriel, etc.) sont bien définis, une concurrence interne peut être saine et pas incompatible avec la recherche de la performance vis-à-vis de ses concurrents.
Chez un très grand cosméticien dont le siège est à Clichy par exemple, il paraît qu´ils réunissent commerciaux et chefs de produit de toutes les marques à la fin de chaque mois, et font apparaître différents classements en volume des ventes et accroîssement de la part de marché par rapport à la compétition. Les bonus sont indexés sur ces performances. On m´a dit qu´une règle implicite était que si l´on apparaîssait deux fois en bas du classement dans l´année, on pouvait d´ores et déjà refaire son CV.
Et la société en question marche très bien en Bourse: même si cela peut porter atteinte à l´ambiance dans les bureaux, notamment pour ceux qui ne sont pas préparés à un tel environnement, une gestion saine de la concurrence en interne permet à l´entreprise d´être plus agressive face à la compétition. Il n´y a pas incompatibilité entre “se tirer la bourre” en interne et grapiller des pdm aux concurrents.
Maintenant, dans la vente de produits complexes (systèmes informatiques, etc.), il est clair que la coopération entre départements/régions/etc. compte bien plus. Il incombe au management de trouver la recette qui fonctionne pour intéresser les équipes au travail d´équipe en interne.
Dans son bouquin “Who said Elephants can´t dance?”, Lou Gerstner décrit admirablement comment il réconcilie les départements d´IBM, auparavant de véritables baronnies. J´en ai écrit une petite note sur mon blog: http://itaddict.blogspot.com/2006/06/book-review-lou-gerstners-who-said.html