Dans le 64e épisode des entretiens Decode Quantum, Fanny Bouton et moi-même accueillons Pascal Maillot de la Commission Européenne.
Pascal Maillot est le chef d’unité adjoint en charge des technologies quantiques et du HPC de la DG Connect à la Commission Européenne. Il y dirige une équipe de spécialistes des technologies quantiques et supervise la stratégie quantique en Europe, ainsi que le fameux programme Quantum Flagship lancé en 2018. Il doit durer 10 ans en tout avec un budget prévisionnel d’un milliard d’Euros. Les initiatives dans le quantique de l’Union Européenne comprennent aussi EuroQCI, un programme de recherche pour la création d’un réseau d’infrastructure quantique européen. Il a une formation d’ingénieur en Informatique de l’INSA Lyon. Avant ce rôle, il était responsable du secteur de la cybersécurité à la Commission Européenne, au Parlement Européen, responsable de la cybersécurité de la Cour de Justice Européenne et ingénieur dans les télécommunications chez DCNS (ancêtre de Naval Group) et Renault-Nissan.
Voici les points clés de la discussion et les liens utiles :
- La rituelle question sur la marmite du quantique. Pascal a démarré dans l’informatique classique, les télécommunications et la cybersécurité. Il y a cinq ans, il y avait une offre pour un poste dans les technologies quantiques, qui lui semblait attirant au niveau de la Commission Européenne. La matière l’avait intéressé et intrigué lors de ses études. Il a été sélectionné pour ce poste et s’est formé par lui-même sur le sujet. C’est d’ailleurs un puits sans fonds, nous confirmons ! Il fait aussi régulièrement appel aux experts scientifiques et technologiques pour évaluer les projets et notamment au Strategic Advisory Board du Quantum Flagship pour se faire guider. Cela aide aussi à préparer les appels à projets (les « calls »).
- Comment la Commission Européenne en est venue à lancer un plan quantique ? En pratique, la Commission Européenne investissait dès les années 1990 dans les technologies quantiques au niveau des sciences fondamentales. Le vrai départ a été la publication du Quantum Manifesto par des chercheurs en 2016 puis le lancement du Quantum Flagship en 2018. Le Manifesto avait rassemblé 3500 signataires, surtout des chercheurs mais aussi des industriels. Le Flagship comportait une forte volonté de lancer une démarche de « lab to market ».
- Il y a eu 22 projets dans la phase de démarrage du Flagship. A partir de 2021, l’UE s’est concentrée sur des FPA, des gros projets avec de grands consortium avec 20/25 partenaires sur un sujet macro. Avec des exemples pour les qubits à ions piégés, supraconducteurs et aussi pour les atomes froids (Pasquans2 en mode simulation). Récemment, deux FPA ont aussi été lancé pour la construction de devices quantiques : Qu-Pilot et Qu-Test. Avec une volonté d’autonomie stratégique pour l’Union Européenne.
- Les appels à projets sont restreints aux pays membres de l’Union Européenne, avec en extension, notamment, la Norvège/Islande et Israël, du fait d’accords de réciprocité. La Suisse ne fait pas (encore) partie de ces accords.
- Le Flagship européen est étalé sur 10 ans et doit être financé à hauteur de un milliard d’euros, découpé sous forme de calls. Il a démarré sous le programme Horizon 2020 et continue sous Horizon Europe. C’est un programme de recherche. Il comprend plusieurs types de calls : « low TRL » (science de base) et d’autres plus « high TRL » (applications et développements industriels). Le financement est purement européen et sous la forme de subventions qui couvrent 100% du besoin des projets proposés. Dans d’autres sources de financements, ceux-ci sont abondés par les états membres et/ou le secteur privé.
- Le Quantum Flagship est découpé en quatre piliers : calcul quantique, simulateurs quantiques (à la Pasqal), communication et capteurs quantiques. Les premiers projets lancés en 2018 représentaient 150M€ de financement, avec une durée de 3 ans. Certains des projets ont été poursuivis dans une V2 comme Pasquans2 et OpenSuperQPlus (consolidation OE ci-dessous).
- Les phases suivantes vont se focaliser sur le développement de produits et va demander plus de focalisation et bénéficier de montants plus conséquents. Sur la période 2022-2024, ils seront de 340M€.
- D’autres sources de financement européennes couvrent les besoins de la recherche dans le quantique. Il y a les ERC Grants (de 150K€ à 14M€ selon les niveaux: proof of concept, starting, consolidator, synergy), les bourses Marie Skłodowska-Curie (MCSA) ainsi que QuantERA. Ce dernier programme piloté à partir de la Pologne fait intervenir les agences nationales de recherche comme l’ANR en France avec un cofinancement de 30% de l’Union complété par les états membres.
- Les besoins de financement des startups sont couvert par les programmes EIC (European Innovation Council) avec l’EIC Pathfinder pour les startups qui débutent, l’EIC Transition pour l’après, puis l’EIC Accelerator pour les scale-up. La BEI (Banque Européenne d’Investissement) complète les financements en capital et se focalise aussi sur les scale-up. Quandela a bénéficié d’un financement de la BEI dans son dernier tour de 50M€. Quobly a bénéficié d’un EIC Transition en juillet 2023. Pasqal a aussi bénéficié de plusieurs financements de l’EIC.
- L’équipe de Pascal Maillot dépend de Thierry Breton qui a un portefeuille très large qui couvre aussi le Chips Act qui ambitionne d’améliorer l’autonomie européenne dans les semiconducteurs, ainsi que le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) qui visent à limiter la domination des grandes plateformes (US) et la diffusion en ligne de contenus et produits illicites. Le Chips Act comprend d’ailleurs volet lié à la fabrication des puces quantiques, avec un “call” en préparation.
- L’Union a aussi intégré le quantique avec l’IA et les semiconducteurs dans les technologies critiques. Elle recommande aux états membres de faire une évaluation des risques dans ces domaines. Que ce soit en terme d’autonomie stratégique, notamment du côté de la défense, de dépendance économique, de cybersécurité et aussi de risques de perte de talents et d’entreprises.
- Du côté de la gouvernance, l’Union Européenne va mettre en place une structure dédiée au quantique pour coordonner les efforts européen et nationaux.
- Nous évoquons aussi le EuroHPC Joint Undertaking et son rôle sur le calcul quantique sachant que nous avons reçu l’équipe de HQI, Sabine Mehr et Stéphane Requena, dans un épisode précédent. Cela a commencé avec le développement de HPC exascale puis comprend l’achat d’ordinateurs quantiques visant des applications de calcul hybride intégrant des HPC pour 2025 avec plusieurs technologies différentes (photons, atomes froids, supraconducteurs). Puis 2030 d’ici, l’intégration d’ordinateurs quantiques à tolérance de panne.
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