Dans cette dernière partie de cette longue série démarrée le 15 juin 2018 sur l’informatique quantique, nous allons quitter les mathématiques, les algorithmes, les logiciels et la physique pour nous intéresser aux liens entre le quantique et la société. Ceux qui avaient du mal à digérer les éléments scientifiques de l’histoire vont pouvoir respirer !
Nous sommes encore aux tous débuts de l’Histoire. Ce qui va suivre est un mélange d’observations et d’interpolations. Comme toute vague technologique du numérique, celle du quantique touchera la société et les industries à plusieurs niveaux dont certains peuvent être anticipés. Les pouvoirs publics vont évidemment s’en emparer, même si la France présente un petit retard à l’allumage comme nous l’avons vu dans une partie précédente.
Je vais tour à tour, m’intéresser à l’ambition humaine associée au quantique, à la manière dont les religions et le spirituel s’approprient le quantique, à l’éthique des usages du calcul quantique, à l’éducation et la formation à l’informatique quantique, au rôle des femmes dans le secteur et au marketing du quantique par les fournisseurs.
L’ambition humaine transcendée par le quantique
L’informatique quantique est facilement présentée au grand public comme apportant une capacité de calcul défiant l’entendement allant au-delà de ce tout ce que l’on faisait jusqu’à présent. L’informatique quantique serait donc le moyen de détourner ou de provoquer la prolongation de l’application empirique de la loi de Moore. Elle permettrait d’entretenir l’exponentialité éternelle des technologies. Cela peut donner l’impression qu’avec l’informatique quantique, l’Homme va disposer d’un outil lui apportant une puissance infinie et un contrôle total de l’information, dans la lignée de nombreux mythes construits autour de l’intelligence artificielle et de sa destinée ultime, l’intelligence artificielle générale (AGI). Dans cette source, le physicien et auteur futuriste américain Michio Kaku prévoit que les calculateurs quantiques seront les ordinateurs ultimes capables de dépasser l’intelligence humaine. C’est reparti de plus belle dans le n-importe-quoi-isme !
L’intelligence artificielle et l’informatique quantique semblent ne pas avoir de bornes. Elles illustrent cette volonté de puissance et d’omniscience de l’Homme, de modeler la matière si ce n’est les esprits et de disposer d’une capacité à prévoir le futur, quasiment à le rendre déterministe. A tel point que ce serait l’abandon du libre arbitre comme le laisse entendre cet article de The Atlantic de juin 2018, dont le titre n’a d’ailleurs pas grand chose à voir avec le contenu !
A elle toute-seule, la physique quantique a généré son lot de questionnements et de certitudes sur la nature du monde. L’indéterminisme de la mesure de l’état des quantum est devenu celui de la vie. L’intrication quantique a fait germer des explications pseudo-scientifiques de la télékinésie et de la transmission de pensée. Nous avons vu dans la précédente partie comment la médecine quantique mélange le nano et le macro de manière quelque peu cavalière.
La nature mécanique ou pas de la conscience est en jeu. Pour l’épiphénoménisme (définition), notre conscience est le résultat de phénomènes physiques dans notre corps et notre cerveau mais sans effets physiques externes directs. Le comportement est le résultat de l’action du cerveau sur les muscles. Pour le mystérianisme, la compréhension de la conscience est hors de portée de l’Homme. Comme la conscience dépend à bas niveau de phénomènes quantiques qui régissent a-minima les relations entre atomes des molécules de notre cerveau, certains en déduisent un peu rapidement que l’informatique quantique permettrait à l’IA de devenir générale comme dans ce débat ! Mais ce ne sont à ce stade que des élucubrations.
Là-dessus, des projets ambitieux comme le Human Brain Project européen piloté par le Suisse Henri Markram visent à simuler dans un ordinateur le comportement du cerveau et donc à en comprendre le fonctionnement de bout en bout, même si ce n’est pas envisageable de le faire à une échelle ne serait-ce que moléculaire. Dans une autre veine, la capacité des ordinateurs quantiques de simuler des phénomènes quantiques a aussi entretenu l’idée que nous étions des objets d’une grande simulation pour des raisons de dimensionnement de traitements à réaliser.
Calmons-nous. Une exploration des arcanes du calcul quantique et des théories de la complexité permet de remettre les pieds sur Terre. Les théories de la complexité décrivent diverses limites à la nature des problèmes qui peuvent être résolus avec l’informatique quantique. La toute puissance calculatoire n’existe pas encore. On sera toujours obligé d’utiliser diverses formes de réductionnisme pour simuler le monde, à savoir qu’on ne pourra le faire correctement qu’à des échelles “macro” et pas “micro” ou “nano” pour des questions d’ordre de grandeur de calcul. Un peu comme on prédit la météo grâce à la méthode des éléments finis applicable à de grandes portions de ciel et pas au niveau de chaque molécule d’eau. Les limites du possible seront sans cesse repoussées mais elles subsisteront. Nos moyens physiques ne permettront probablement jamais de simuler notre monde in-extenso. Il ne faut pas oublier que la physique quantique introduit aussi beaucoup de chaos et de l’aléatoire dans le biologique qu’aucun ordinateur ne pourra jamais entièrement simuler et contrôler.
Pour en savoir plus sur ces débats, voir notamment Quantum Darwinism, Decoherence, and the Randomness of Quantum Jumps de Wojciech Zurek, 2014 (8 pages), The Combination Problem for Panpsychism de David Chalmers (37 pages) et Why Philosophers Should Care About Computational Complexity de Scott Aaronson (59 pages) ?
Cette citation de Scott Aaronson résume bien d’ailleurs la quête du calcul quantique. Celle-ci serait justifiée par la volonté de contrer ceux qui disent que c’est impossible. Le reste étant la cerise sur le gâteau. Elle provient de A tale of quantum computers de Alexandru Gheorghiu (131 slides, slide 31).
Religions et mysticisme
Depuis quelques millénaires, l’espèce humaine a pris l’habitude de consacrer un culte à une ou plusieurs puissances divines supérieures de nature imprécise, mais expliquant tout et le reste. L’Homme a probablement commencé à attribuer cette puissance aux phénomènes naturels qu’il ne pouvait pas expliquer comme le Soleil ou les étoiles. L’Homme est ensuite passé de systèmes de dieux multiples à un Dieu unique tout puissant. En quelque sorte, les religions monothéistes ont réalisé avant l’heure la théorie de l’unification tant recherchée par les physiciens. Cette Histoire est racontée avec recul par Yuval Harari dans Sapiens et avec cynisme par Richard Dawkins dans The God Delusion.
Pour certains scientifiques ou croyants en un au-delà, la physique quantique renouvèle les velléités d’expliquer le fonctionnement de l’Univers par une puissance divine. Elle donne l’impression de se fournir une explication scientifique ultime du tout, de Dieu, et de sa capacité à tout contrôler et superviser. Voir à ce sujet la fiche Wikipedia qui décrit succinctement le mysticisme quantique.
La fonction quantique la plus souvent mise en avant est l’intrication. Elle permet d’envisager l’existence d’un être suprême qui, grâce à ce phénomène physique, peut contrôler toutes les particules de l’Univers et à distance. Elle expliquerait aussi des phénomènes étranges de synchronicité. La dualité onde-particule permet aussi d’imaginer ou expliquer plein de scénarios magiques comme la guérison à distance, la télékinésie ou la télépathie.
On trouve un bon inventaire de ces différents débats dans The Quantum God An Investigation of the Image of God from Quantum Science, 2015 (81 pages) qui évoque notamment la notion de conscience de l’Univers. Certains des protagonistes de ces théories sont eux-mêmes des scientifiques de la physique quantique. L’un des plus connus est David Bohm (1917-1992) qui se rapprocha du spiritualisme indien à partir des années 1960… au même moment que les Beatles ! Il était convaincu que les lois de l’Univers étaient gouvernées par un esprit. Voir à ce sujet Lifework of David Bohm – River of Truth de Will Keepin, 2016 (22 pages).
La littérature sur cette question est parfois édifiante comme Google’s Quantum Computer May Point People to God, qui date de 2013. Selon l’auteur (anonyme), un ordinateur quantique parfait pourrait tenter de simuler l’apparition de la vie sur Terre et démontrer par l’absurde qu’elle ne serait pas possible sans une intervention divine. Bref, l’informatique quantique permettrait d’invalider les théories classiques de l’évolution. Ils ne précisent pas le nombre de zillions de qubits intriqués dont il faudrait disposer pour étayer cela. Bien entendu, car ils n’ont aucune idée des algorithmes à utiliser. C’est de la fumette !
Tout cela relève de la religion-science-fiction et peut générer des débats enflammés avec des interlocuteurs qui ne seront jamais sur la même longueur d’onde, les uns adoptant une démarche scientifique classique et les autres, relevant du mysticisme et d’une approche plus émotionnelle. Quoi qu’il arrive, cela sera un débat de sourds.
Ethique des usages du calcul quantique
L’éthique des usages de l’intelligence artificielle est devenue relativement récemment un véritable sujet politique. Il était très apparent dans le Rapport de la Mission Villani sur l’intelligence artificielle en mars 2018 ainsi que dans un rapport de la Chambre des Lords au même moment et sur le même sujet au Royaume-Uni. Il mettait en avant le besoin de s’assurer, au minimum moralement, que les solutions à base d’IA respectaient la société et évitait notamment de générer ou de perpétuer des discriminations du fait des données utilisées. D’où deux sujets saillants comme l’explicabilité des algorithmes et les limites de la manipulation de nos émotions, notamment via des robots plus ou moins humanoïdes.
La difficulté à expliquer le fonctionnement de certains algorithmes de deep learning a été quelque peu montée en épingle. S’il est vrai que le fonctionnement de réseaux de neurones multicouches est quelque peu abstrait pour le commun des mortels, il l’est tout autant pour quasiment n’importe quel logiciel, avec ou sans IA, qui peut affecter notre vie courante. Mais on l’a un peu oublié. Lorsqu’un logiciel du groupe Visa vous refuse votre paiement de carte bancaire à l’étranger, on ne vous explique quasiment jamais le pourquoi du comment. Les techniques bayésiennes de détection de fraude ne sont pas documentées pour le grand public. Et on ne les rattache pas forcément à l’intelligence artificielle !
Le calcul quantique risque d’amplifier cette quête d’explicabilité. Elle est encore moins évidente à assouvir avec les algorithmes quantiques dont nous avons pu voir qu’ils suivaient une logique que peu de développeurs d’aujourd’hui peuvent appréhender. Les algorithmes quantiques risquent bien d’être encore plus compliqués et moins compréhensibles que ceux de l’IA d’aujourd’hui. Leurs biais éventuels ne viendront pas forcément des données qui les alimentent car, pour un temps certain, les calculateurs quantiques n’exploiteront pas de gros volumes de données. On pourra donc parler au sens propre du terme de biais des algorithmes alors que lorsqu’on évoque ce terme au sujet de l’IA, on évoque en fait beaucoup plus le biais des données qui alimentent les algorithmes que le biais de ces derniers.
Mais on jugera au cas par cas. Selon que les applications du calcul quantique gèrent la circulation automobile, la gestion de la distribution d’énergie, la création de nouvelles molécules en chimie ou biologie ou aident la NSA à décrypter les communications privées, les enjeux ne seront pas les mêmes.
Une question éthique émergera sans doute devant les autres. Elle sera associée à un pan entier des applications du calcul quantique : la simulation de la dynamique de molécules organiques. Elle sera probablement limitée aux débuts à la simulation de molécules relativement simples. La simulation du repliement de protéines complexes est une hypothèse qui n’est pas encore validée. Dans un futur hypothétique lointain, on saura peut-être simuler l’assemblage d’un ribosome, l’une des molécules du vivant les plus sophistiquées qui soit avec ses 300 000 atomes et 74 composantes qui se regroupent un peu magiquement, et qui servent à fabriquer des protéines à partir des acides aminés et du code de l’ARN messager, issu de la réplication du code des gênes de l’ADN. Lorsque l’on simulera ce fonctionnement pour ensuite l’altérer, par exemple pour créer de nouvelles thérapies, le rejet des OGM ou des vaccins sembleront être de lointains soubresauts du passé. De nouvelles peurs se construiront et les scientifiques devront redoubler d’efforts pour éviter qu’elles se propagent.
Des peurs irrationnelles vont émerger du fait d’exagérations sur les capacités des ordinateurs quantiques. On entend déjà parler de “robots quantiques”, ce qui ne veut rien dire, mais peut impressionner. L’exemple ci-dessus est éloquent de ce point de vue-là avec deux titres tapageurs dans la presse US en 2014 (article 1 et article 2) qui ne font, en pratique, que relayer une publication scientifique assez banale, Quantum speedup for active learning agents (15 pages) décrivant des algorithmes quantiques pour l’exécution de réseaux d’agents servant à la robotique apportant un gain de performance dit “quadratique”, donc… pas exponentiel, donc, pas extraordinaire. On n’a pas fini d’en voir passer de cette couleur ! Il faudra à chaque fois décoder et prendre du recul. Le fact checking du quantique va devenir un boulot à temps plein !
Formation et éducation
L’informatique quantique va faire perdurer et amplifier un paysage commun avec celui de l’intelligence artificielle : un gouffre entre ceux qui comprennent et ceux qui utilisent et une pénurie de compétences. Le premier va intervenir assez rapidement tandis que la seconde se manifestera avec un délai plus long.
L’informatique quantique est définitivement un monde de spécialistes, et il est encore plus abscons que nombre d’autres domaines liés au numérique. Aujourd’hui, ce monde est équilibré entre spécialistes de la physique de la matière condensée et des algorithmes et logiciels quantiques. En extrapolant un peu et en s’inspirant de l’Histoire de l’informatique, on peut anticiper que la partie logicielle prendra progressivement le dessus lorsque le calcul quantique deviendra monnaie courante, surtout s’il débouche sur des applications dans l’ensemble des secteurs de l’industrie.
Dans l’économie numérique d’aujourd’hui, il y a bien plus de spécialistes du logiciel que des semi-conducteurs. Les économies d’échelle sont en fait bien plus grandes avec ces derniers entre producteurs et utilisateurs. Le quantique n’y échappera probablement pas, même si dans un premier temps, le marché des ordinateurs quantiques ne sera pas un marché de volume.
Nous aurons besoin de développeurs d’un nouveau genre qui auront des capacités d’abstraction bien meilleures, ou tout du moins différentes de celles des développeurs d’aujourd’hui. Au pire, des développeurs seront capables de créer des outils de développement qui permettront de se passer de ce niveau d’abstraction assez bas au même titre qu’aujourd’hui il n’est plus du tout nécessaire de maitriser le développement en macro-assembleur pour créer un site web en WordPress !
A court terme, le besoin est grand de vulgariser le domaine et de sortir de son jargon technique. La lecture d’une bonne partie des parties de cette série en a probablement rebuté quelques-uns de ce point de vue-là. Je ne prétendais cependant pas adopter une démarche très grand public. Il faut procéder pas à pas. Il faut déjà commencer avec les habitués du numérique et du développement logiciel. S’ils peuvent appréhender les enjeux de l’informatique quantique, cela sera déjà un bon pas de fait. Ensuite, il faudra élargir progressivement l’audience.
La prochaine étape est celle de la formation et de la vulgarisation auprès des décideurs d’entreprises et aussi institutionnels. Elle deviendra d’autant plus importante que l’effet de mode va commencer à décoller, du fait des annonces tonitruantes qui ne manqueront pas d’arriver, notamment de la part des grands acteurs du secteur, et surtout Américains et Chinois.
Nous ferons aussi face à une pénurie de spécialistes et au manque de diversité chez ces spécialistes. Ce monde est déjà très masculin, avec peu de femmes chez les scientifiques du secteur, dans la lignée de l’informatique et de l’intelligence artificielle. Cette pénurie pourrait être encore plus forte qu’avec l’intelligence artificielle. La spécialité est encore trop masculine en l’état. Je l’ai constaté en faisant le tour des stars du secteur côté scientifique comme entrepreneurial. Je n’ai par exemple pas encore vu beaucoup de startups créée par des femmes dans l’inventaire que j’ai pu en faire à part Silicon Quantum Computing (SQC, Australie), créée par la chercheuse Michelle Simmons.
Qui plus est, le langage qui est utilisé autour du quantique est très masculin dans la forme, comme le relève très bien Karoline Wiesner de l’Université de Bristol dans son succinct The careless use of language in quantum information, 2017 (2 pages). C’est un langage où l’on évoque les notions de supériorité (supremacy) et d’auxiliaires (ancillae), le premier faisant écho à une autorité supérieure, et à l’actuelle “white supremacy” issue de l’Apartheid Sud-Africain et qui remue la sphère politique US. La seconde notion reprend la notion de “servante femme” en latin, d’esclavage et de ségrégation raciale, alors que le terme technique a été inventé en 1995. Ce sont de petites choses symboliques mais qui mériteraient d’être corrigées. On ne veut pas d’Handmaid’s Tale dans le quantique !
Qu’en est-il enfin du futur de l’emploi lié au quantique, question que se pose Sophia Chen dans Wired en juin 2018 ? C’est difficile à évaluer car on raisonne sur plusieurs décennies et sur des usages pas encore bien détourés. Il y aura comme avec l’IA, ceux qui savent et les autres, ceux qui codent et ceux qui exécutent ou utilisent, ceux qui créent la richesse et ceux dont l’emploi est menacé. Mais le calcul quantique ne génère pour l’instant pas de menaces spécifiques sur l’emploi car il permettra de faire des choses que l’Homme ne sait de toutes manières pas réaliser de manière traditionnelle aujourd’hui. Il n’y a pas de logique de remplacement, tout au plus d’optimisation comme pour les applications basées sur l’optimisation de graphe comme celles du “voyageur du commerce”.
Il faudra en tout cas préparer de nouvelles générations d’ingénieurs dans un grand nombre de disciplines et en particulier dans celles des mathématiques et de la création de logiciels quantiques. Avec l’IA, c’est un nouveau défi pour l’enseignement supérieur qui se prépare. Voir à ce sujet A la recherche des métiers quantiques de Fabien Goubet dans le journal suisse Le Temps, août 2018.
Marketing du quantique par les acteurs du marché
Dernier point à évoquer, celui du rôle du marketing de l’offre. Comme je l’ai traité dans une série de 2014 sur les Propagandes de l’innovation, le marketing des fournisseurs est celui qui fera le plus de bruit dans le domaine du quantique. Nous allons être rapidement noyés sous une propagande innovationnelle qui brouillera le message. Les scientifiques du domaine ne reconnaitront plus leurs créations. Les articles de vulgarisation sur le calcul quantique vont continuer à démarrer les explications sur les qubits avec leur état superposé 0 et 1 et s’arrêter là !
Le propre du marketing et de la communication sera d’embellir la mariée et de simplifier les faits par exagérations. Cela va commencer avec la notion de suprématie quantique qui sera valorisée à tors et à travers. On retiendra l’expression mais pas les détails de l’explication.
Dans certains cas, des offres accoleront le label “quantique” à des produits qui n’ont rien de quantique. C’est par exemple le cas des pico-serveurs en cloud distribués par la startup française R136.fr. L’enquête de Science et Avenir sur cette entreprise montre bien qu’il n’y a pas que le quantique qui y soit louche. On voit déjà apparaître des analyses à l’emporte-pièce sur les usages du calcul quantique dans le big data, alors que ce n’est pas le premier domaine concerné. Cela se retrouve dans Informatique quantique et Big Data : une révolution pour l’analyse de données en août 2018. Cet article est assez imprécis voire à côté de la plaque sur quelques points, et c’est un grand classique : “Les ordinateurs quantiques … peuvent être utilisés pour trouver des nombres premiers très larges. Il serait donc possible d’appliquer cette technologie au domaine de la cryptographie pour créer des systèmes de cybersécurité plus résistants.” alors que les ordinateurs quantiques permettent de factoriser des nombres entiers très grands en nombres premiers, mais les systèmes de cybersécurité plus résistants ne passent pas par l’ordinateur quantique ! Ils s’appuient plutôt sur des clés quantiques QKD pour les systèmes à clés privées ou sur de la cryptographie post-quantique pour les systèmes à clés publiques, et sans passer par des ordinateurs quantiques. Quant à l’analyse de grosses bases de données, elle nécessite un très grand nombre de qubits qui est difficile à obtenir, et qui plus est, de la mémoire quantique pour exécuter le fameux algorithme de recherche de Grover qui n’est pas du tout au point.
Bref, le quantique va laver plus blanc, comme cette lessive “Quantum Max” de la marque Finish du groupe Reckitt Benckiser !
Conclusion
L’informatique quantique est un monde à explorer qui symbolise parfaitement l’univers de l’innovation et de l’entrepreneuriat extrême : il est plein d’incertitudes, de risques et d’échecs. Il y a du “test & learn”, du croisement de sciences, le besoin d’investir très en amont de la réussite économique avec un rôle critique des Etats, les seuls à même de voir loin, à plus de 10 ans.Nombreuses sont les voies parallèles d’exploration du possible qui ont été lancées par les chercheurs et les entrepreneurs. Seuls quelques-uns réussiront comme le veut la loi du genre. Une industrie nouvelle émergera de tout cela.
Nous voici au terme de ce long voyage dans le quantique démarré le 15 juin dernier. Pour avancer dans ce parcours, j’ai téléchargé et compulsé plus d’un millier de documents et visualisé des dizaines d’heures de conférences et cours sur YouTube.
Il me faut remercier plusieurs personnes de talent ici. A commencer par Fanny Bouton, ma sparring partner pour la conférence “Le quantique c’est fantastique” au Web2day le 14 juin 2018 et excellente vulgarisatrice qui va lancer une web-radio sur le quantique pour rendre accessible les contenus sur l’informatique au plus grand nombre. Nous avons aussi sauvé pas mal de chats en remplaçant celui de Schrödinger par un topinambour !
La conférence de Nantes et cette série d’articles tirent aussi parti de rencontres ou d’échanges avec une belle brochette de spécialistes du secteur qu’il nous faut remercier : Alain Aspect (X, Supoptique), Daniel Estève (CEA-DRF), Christian Gamrat (CEA-LIST), Maud Vinet (CEA-LETI à Grenoble), Tristan Meunier (CNRS Grenoble), Alexei Tchelnokov (CEA Grenoble), Laurent Fulbert (CEA-LETI Grenoble), Cyrille Allouche et Philippe Duluc (Atos), Bernard Ourghanlian et David Rousset (Microsoft), Pat Gumann (IBM), Etienne Klein (CEA), Christophe Jurczak et Zoé Amblard (Quantonation), Nicolas Gaude (Prevision.io) et Françoise Gruson (Société Générale). Ces articles ont aussi bénéficié des relectures attentives de Godefroy Troude, jouant le candide sur le sujet et de Zoé Amblard sur la partie dédiée à la cryptographie.
Cette aventure n’est pas terminée. Je compilerai d’abord l’ensemble de ces articles dans un ebook qui permettra d’avoir une vue d’ensemble du sujet. Cela fera un gros pavé de plus de 200 pages ! Comme d’habitude, je peux intervenir en solo ou en duo avec Fanny Bouton dans les entreprises pour vulgariser le sujet de l’informatique quantique comme je le fais déjà sur le CES de Las Vegas ou sur l’intelligence artificielle. “Call me” comme on dit !
Je vous donne enfin rendez-vous dans un débat sur l’informatique quantique que j’animerai avec Jean-Christophe Gougeon de Bpifrance lors de l’événement BIG à l’Accor Hotel Arena le 11 octobre à 9h45 à 11h. Les inscriptions sont gratuites et ici. Les intervenants seront Maud Vinet du CEA-LETI de Grenoble (la boss de la prometteuse filière française des qubits CMOS), Pascale Sénellart de Quandela (l’une des rares startups du quantique en France, spécialisée en photonique) et du CNRS, Philippe Duluc d’Atos (le patron de l’activité big data, cryptographique et quantique) et Georges Uzbelger d’IBM (le principal acteur privé du quantique supra-conducteur).
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