Les attentats du vendredi 13 novembre 2015 à Paris ont bouleversé le monde, ou tout du moins les pays occidentaux. Ils ont généré un sentiment de vulnérabilité en France et alimenté une rhétorique guerrière face à un ennemi de forme inédite.
Je me propose de faire ici une synthèse mettant ce malheureux épisode terroriste dans son contexte.
Certains n’aiment pas que l’on mette en avant cette complexité, comme si elle était une justification du pire ou un abandon devant le besoin d’identifier des solutions pratiques à court terme. Mais se replonger dans le parcours tumultueux de l’Islam et du Moyen-Orient et de l’impact direct ou indirect de l’occident et surtout des USA dans ces conflits permet de mieux situer ces attentats dans un continuum qui n’est pas près de se terminer du jour au lendemain du fait de mesurettes sécuritaires.
Je vais donc examiner dans cet article en trois parties :
- Les origines historiques expliquant le conflit en Syrie et en Irak ainsi que les attentats du 13 novembre en couvrant notamment la complexité des différents courants de l’Islam et de leur rôle dans les conflits du Moyen-Orient.
- Le lien de ces conflits avec le réchauffement climatique. Une partie du désordre en Syrie est liée aux évolutions du climat dans la région et à la manière dont elles ont été gérées par les pays concernés. Il donne un avant-gout des situations que pourraient générer – ou même vont générer de manière quasi-certaine – les bouleversements climatiques à venir. Nous n’avons en fait eu que l’apéritif !
- Le rôle des énergies fossiles dans le conflit mais également dans les conséquences prévisibles de leur épuisement et de la transition inéluctable vers les énergies renouvelables. D’où l’importance de la conférence COP21. Celle-ci ne va probablement pas changer grand-chose à la donne, mais elle a pourtant un lien direct avec la situation au Moyen-Orient et au devenir des conflits Nord-Sud à venir et à la question des migrants.
- La posture que les pays concernés adoptent et adopteront face aux progrès scientifiques et technologiques et à l’éducation. Le clivage est marqué sur ces points entre les pays du Moyen-Orient et les pays occidentaux et asiatiques. Sont aussi impliqués le rôle des femmes dans la société tout comme le développement économique et la répartition des richesses. Ce sont tous des facteurs de paix. Une part des solutions à long terme sont dans ce registre.
- La réaction émotionnelle en France et dans le monde sur les attentats et la loi du mort kilométrique qui peut avoir tendance à obscurcir nos jugements et les actions politiques.
Et de conclure avec une synthèse des pistes « macro » permettant de pacifier progressivement ce monde devenu fou.
Je précise que je ne suis pas du tout spécialiste de la question ni ne prétend le devenir ! Cet article est le résultat d’une recherche documentaire extensive qui intègre de nombreux papiers publiés avant ou après le 13 novembre. Il a tout de même un lien avec les thèmes de ce blog, autour de l’innovation, puisque j’évoque le rôle des progrès scientifiques et technologiques ainsi que celui de l’éducation. J’ai même réussi à caser la singularité dans le topo !
Les sources historiques du 13 novembre 2015
Sous le coup de l’émotion, les raisonnements à l’emporte-pièce peuvent facilement dominer après les attentats terroristes du 13 novembre. On peut les analyser au premier degré, par le parcours des tueurs, au second par la stratégie de l’Etat Islamique / Daech et au troisième avec les conditions géo-politiques qui ont mené à la création de Daech. Ce sont ces deux derniers points que vais balayer latéralement ici-même.
Les forks de l’islam
Il faut commencer par remonter en 632, à la mort du Prophète Mahomet ! L’Islam a ceci de spécifique que dès son apparition, il s’est fragmenté progressivement. C’était au départ une simple guerre de succession de Mahomet, qui n’avait pas de descendant direct. Abou Bakr, l’un des compagnons du Prophète, pris sa succession comme premier calife après une réunion (Saqifa) où Ali était absent, étant alors en recueil à son chevet de mort. Pour les chiites, Mahomet avait désigné Ali comme successeur. Pour les sunnites, bien non !
Ali devint toutefois le quatrième calife, après l’assassinat d’Othman, le troisième calife ayant succédé à Abou Bakr. En 657, la bataille de Siffin opposa les partisans d’Ali et ceux de feu Othman. Ali est ensuite lui-même assassiné par les kharidjites qui lui reprochaient de chercher un compromis avec les partisans d’Othman. L’autre événement clé est la bataille de Kerbala en 680 qui opposa en Irak une petite armée du fils d’Ali (72 personnes) et et calife omeydade Yazid Iier. Les premiers sont battus et deviennent des martyrs, importants dans le psyché des chiites, ensuite également répandu chez les extrémistes sunnites.
S’ensuivent une lignée d’une douzaine d’imam pour les chiites, le dernier étant l’imam caché, né au 9ième siècle et censé être toujours vivant. Le chiisme s’est installé d’abord en Irak. L’Iran des sassanides avait été islamisé progressivement entre 637 et le 9ième siècle. Il est passé au chiisme plus lentement, entre le 8ième et le 15ième siècle, sous le règne des Safavides. Les conquêtes arabes vers l’ouest ont de leur côté mordu sur une bonne partie des zones contrôlés par l’empire byzantin, surtout au sud de la Méditerranée.
Au-delà de cette guerre de succession, les différences entre le chiisme et le sunnisme portent sur la pratique de la religion, sur le rôle des autorités religieuses et sur la séparation entre pouvoir religieux et politique. C’est très bien expliqué dans “Quelles sont les différences entre sunnites et chiites ?” paru dans Le Monde.
Sur Wikipedia d’où est issu le schéma ci-dessous, on est pris de vertige à la vue de l’histoire compliquée de l’Islam et de ses variantes, surtout si l’on navigue ensuite à un ou deux niveaux de profondeur dans les liens de l’article, fort bien fait. Comprendre les ressorts politiques entre les états arabes passe par une appréhension des subtilités et des nuances entre ces variantes de l’Islam.
Dans le camp sunnite qui comprend environ 90% de la population musulmane, nous avons notamment la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar, l’Egypte et l’Asie (Afghanistan, Pakistan, Indonésie et la Malaisie. Le camp chiite est dominé par l’Iran, une bonne part de l’Irak et la minorité alaouite de la Syrie qui est au pouvoir avec Bachar Al Assad. Les alaouites sont une des nombreuses variantes du chiisme. Il y a aussi les chiites du Liban, sous la coupe du Hezbollah, créé en 1982 avec l’aide de l’Iran en réaction à l’occupation israélienne du Liban la même année. L’obédience chiite du Hezbollah explique pourquoi la Syrie les a toujours soutenus face aux autres factions et religions dans ce pays et notamment les druzes, les sunnites et les chrétiens.
Qu’ils soient sunnites ou chiites, les musulmans ne sont pas tous arabes. Le premier pays chiite est l’Iran (67 millions) mais la majorité des chiites ne sont ni iraniens ni arabes, les trois populations chiites suivantes étant en Inde (50 millions), au Pakistan (26 millions) et en Irak (16 millions). De même, 48% des musulmans sont en Asie, en Indonésie, Inde, Pakistan et au Bengladesh et 15% en Afrique !
Là-dessus intervient le wahabbisme, une variante rigoriste et fondamentaliste du sunnisme dominante en Arabie Saoudite et au Qatar et créé récemment dans l’histoire de l’Islam, au 18ième siècle. Avec ceci de paradoxal que le fondamentalisme du wahhabisme, s’il est très rétrograde, notamment sur les droits des femmes et dans l’application de la charia, n’est pas forcément directement lié à l’action terroriste comme Raphaël Liogier l’indique dans “Ne pas confondre jihadisme et néofondamentalisme”. Mais cela reste à démontrer car des avis contraires existent aussi sur ce point ! Ces deux pays financent une sorte de migration vers le fondamentalisme de l’Islam sunnite planétaire, qui s’intègre dans leur lutte d’influence contre l’Iran. Cf “Comment l’Arabie Saoudite promeut l’islamisme à l’échelle planétaire” repris du New York Times, à partir des révélations Wikileaks.
Il faut aussi citer le kharidjisme, rebelle à ses débuts et aussi partisans d’une application rigoureuse du Coran, en réaction à la modération d’Ali après la bataille de Suffi. Ils sont maintenant marginaux sauf dans le sultanat d’Oman, dont on parle peu actuellement.
Le soufisme correspond de son côté à une démarche ésotérique et spirituelle de l’Islam, à la recherche de son âme intérieure, principalement sunnite, et organisée selon divers confréries. On le trouve pratiqué notamment au Maroc, en Egypte et au Pakistan.
Dans le schéma ci-dessous, j’ai tenté de synthétiser les débuts de l’histoire de l’Islam, ses principales tendances, les principaux califats arabes (il y en a eu d’autres), l’apparition du chiisme, le lien avec l’Iran, la Turquie moderne, l’Egypte et la Syrie. Work in progress !
La fragmentation de l’Islam a été également assez rapide d’un point de vue des Etats. Les califats unifiés n’ont eu court qu’aux débuts de l’Islam, de 632 jusqu’au 9ième siècle. Très rapidement, divers zones ont fait sécession et notamment les turcs et perses au nord et le Maghreb à l’ouest. Pendant l’âge d’or de l’Islam sous les califats Abbassides, l’Espagne était sous le contrôle du califat de Cordoue issu de la dynastie des omeyades. A la fin des califats Abbassides au 12ième siècle, une bonne partie du nord du califat correspondant à l’actuelle Turquie et à l’Iran a été qui plus est perdue face aux mongols de Gengis Khan, pour être regagnée ensuite. L’Empire Ottoman a été alors réunifiant en intégrant par exemple le sultanat Mamelouk d’Egypte au 16ième siècle, pour se déliter ensuite lentement jusqu’à sa fin en 1923.
On débat beaucoup pour savoir si l’islamisme radical et djihadiste est une déclinaison naturelle ou pas de l’Islam et des textes sacrés, le Coran et les Hadiths qui retranscrivent la tradition orale du Prophète collectée auprès de nombreux témoins. Le Coran est considéré comme étant la parole de Dieu transmise au Prophète via l’Ange Gabriel tandis que les Hadiths retranscrivent la parole de Mahomet. La nuance parait évidemment superfétatoire aux incroyants.
Le Coran comprend des versets transmis par le Prophète pendant une période s’étalant sur 22 ans (610-632). Ils ont été d’abord transmis oralement par le Prophète à son entourage et compilés ensuite par écrit après sa mort par un certain Zaid bin Thabit, à la demande du Calife Abou Bakr. Ces versets sont parfois contradictoires entre eux, en particulier entre ceux des 86 sourates mecquoises, de nature spirituelle et religieuse, et des 28 sourates médinoises, d’après l’Hégire qui couvrent notamment la notion de djihad. Le Coran n’est pas organisé comme la Bible de manière chronologique et certaines versets de la période médinoise annulent les sourates contradictoires de la période mecquoise. De nombreux versets du Coran sont à double sens, selon les traductions du fait des nombreuses nuances de la langue arabe et de leur interprétation dans les Hadiths puis du travail dans le temps des érudits de l’Islam. La structure même et l’étude du Coran sont complexes. Comme pour tout, profitez de la fiche Wikipedia sur le sujet qui semble bien faite et nuancée. Il serait d’ailleurs intéressant de comprendre comment le Coran est enseigné aux enfants, notamment pour les musulmans de France.
L’Islam des origines s’est d’emblée créé contre les religions idolâtres qui sévissaient dans les tribus en Arabie au 7ième siècle. Les chrétiens et les juifs y avaient initialement un rôle intermédiaire, étant respectés comme “religions du livre”. Mais dans la partie médinoise du Coran, les gens du livre sont voués aux gémonies ou à la soumission. L’Islam s’est répandu avant et après la mort du Prophète par des batailles et conquêtes à grande échelle ainsi que par une évangélisation progressive des terres conquises. Il faut se plonger dans l’histoire du Moyen-Age pour faire la part des choses de ce point de vue-là.
Comparativement, la conversion au christianisme fut pendant au moins plusieurs siècles un processus plutôt pacifique. C’est au Moyen-Age et avec l’expansion coloniale européenne, démarrée par l’invasion de l’Egypte par Napoléon, qu’il en a ensuite été autrement. Les Croisades du Moyen-Age étaient plutôt défensives (1095 à 1291) et provoquées par le Vatican en réaction à l’occupation des lieux saints de Jérusalem. Le djihad guerrier est né bien avant les croisades, dès le début de l’Islam.
Dans les territoires conquis par l’Islam vers la fin de la vie et après la mort du Prophète, on devenait musulman plutôt de force que de gré. Les dhimmis (chrétiens ou juifs) avaient la paix en payant un impôt, la djizia. Ils n’avaient pas le droit de porter d’armes. L’impôt était justifié par la protection par les musulmans qui pouvaient eux porter des armes. Pour les djihadistes et Daech, tous les pratiquants d’autres religions doivent se convertir à l’Islam, être tués ou s’en aller.
Il existe quatre formes différentes de djihad : par le cœur pour améliorer la société, par la langue, par la main et par l’épée. Les différences d’appréciations sur la notion de guerre sainte sont importantes. Pour certains, elle ne peut qu’être défensive et respecter une certaine conduite comme pour le sociologue iranien Farhad Khosrokhavar. Pour les fondamentalistes et notamment les salafistes de tendance djihadistes, le Djihad doit être offensif, généralisé et mondial, ce qui est bien documenté ici.
Il n’empêche que comme pour toutes les religions du livre, les textes sacrés initiaux peuvent donner lieu à toutes formes d’interprétations et équilibres. La sagesse et le temps permet de ne conserver le meilleur, ce que nombre de musulmans font dans le monde dans la pratique courante de leur religion, considérant que le djihad guerrier fait partie de l’histoire mais ne relève pas d’une obligation présente. Il en va de même pour l’application de la charia qui est à géométrie variable. Voir sur ces sujets une réaction aux propos de Michel Onfray. De la même manière, certaines injonctions guerrières que l’on trouve dans la bible ne sont plus prises à la lettre par les chrétiens et les juifs.
Dans “What ISIS really wants” publié initialement dans The Atlantic, et traduit en Français dans Courrier International, l’auteur considère que Daech s’appuie ainsi sur une lecture originelle du Coran et de l’histoire des califats. L’article considère que les djiadistes appliqueraient le Coran de manière littérale, reprenant le mode de vie du 7ième siècle avec une interprétation exclusivement conquérante de l’Islam. Pour les djihadistes, les gouvernements de de la majorité des pays musulmans n’appliqueraient pas la totalité des principes du Coran et doivent être éliminés par la force. Ils sont les premiers ennemis à détruire. D’où l’énorme volume d’attentats terroristes dans ces pays et la volonté de déstabiliser et renverser ces régimes.
Cette dialectique entre la majorité des musulmans qui interprètent leur religion comme prônant la paix et l’amour et les djihadistes qui en ont une vision guerrière en rend l’appréciation difficile pour les profanes. Divers apostats expliquent à leur manière cette contradiction. Il y a notamment en France, un certain Majid Oukacha (interview et vidéo) ou aux USA, Mark A. Gabriel, un égyptien converti (voir son livre “Islam and terrorism“). La réponse de l’Islam non-djihadiste consiste à mettre en évidence le fait que tous les textes des religions du livre contiennent des règles “non droits-de-l’hommistes” non appliquées dans la pratique de nos jours et que c’est du pareil au même.
L’exemple des droits des femmes est intéressant : le Coran les aurait régimentés de manière progressiste à l’époque de sa révélation par rapport à leur pratique à la fois chez les tribus arabes et les chrétiens. Ils ont évolué bien plus lentement chez ces derniers et dans les pays occidentaux, y compris en France. Mais maintenant, ces droits dans les pays où l’Islam est la religion d’Etat sont nettement inférieurs à ceux en vigueur en occident ou en Asie.
L’Islam est-il tolérant lorsque celui-ci est une religion d’Etat ? Cela dépend des pays. Certains comme l’Arabie Saoudite et la Mauritanie continuent à condamner à mort ceux des musulmans qui se convertissent dans une autre religion (apostasie). Le contraire y est bien entendu autorisé, de n’importe quelle religion vers l’Islam. Les églises sont interdites en Arabie Saoudite mais l’Arabie Saoudite finance des mosquées en occident.
En France, on se plaint souvent de ce que les musulmans ne se prononcent pas assez contre l’Islam fondamentaliste et djihadiste. S’ils peuvent avoir parfois peur de s’exprimer, leur prise de parole ne peut être que fragmentée, à l’image des différentes variantes de l’Islam et des interprétations des textes sacrés. Depuis la fin des califes Abbassides au 13ième siècle, les musulmans n’ont pas d’autorité morale suprême comme le Pape pour les catholiques, qui d’ailleurs est plutôt une exception dans les grandes religions. Il n’y a pas d’intermédiaire entre Dieu et les hommes dans l’Islam. Les grandes organisations représentatives de l’Islam français ont cependant dénoncé clairement les massacres du 13 novembre.
Il y a bien des fatwas, mais elles sont émises de manière décentralisée et peuvent être facilement contradictoires entre elles. Il y en a même qui ont été émises contre Daech (par des imams canadiens) tout comme un avis d’oulémas de pays divers publié en 2014.
Il faut y ajouter le message d’Amman en 2004, édicté par le roi Abdallah de Jordanie après consultation de centaines d’éminences religieuses de l’Islam dans le monde et qui fait la promotion d’un islam tolérant et modernisé. La liste de ces éminences rassemble à la fois des sunnites et des chiites, y compris l’Agha Khan qui est l’imam des ismaéliens, une des branches du chiisme. Ce message d’Amman est une étape très importante et assez méconnue de l’histoire récente de l’Islam. De tout cela, Daech se tape évidemment complètement !
La grand majorité des religions ont d’ailleurs généré des “forks”. Cet excellent graphe compilant une bonne part des religions humaines en atteste parfaitement (version PNG). D’ailleurs, la palme du “fragmentionisme” des religions va au judaïsme qui a presque autant de courants que l’Islam, pour 14 millions de pratiquants contre 1,6 milliard. Les conflits politiques et les guerres liées à ces “forks” sont pour la plupart derrière nous pour ce qui est des chrétiens, dont les protestants sont un peu l’équivalent des chiites en exagérant un peu. Nous avons eu, rien qu’en France, la Saint-Barthélemy (1572), l’Edit de Nantes (1598) puis la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV (1685). Le conflit entre catholiques et protestants en Irlande du Nord a été douloureux, jusqu’à une période récente.
Toutes les religions du livre ont leurs extrémistes. En Israël, on trouve à la fois des fondamentalistes religieux rêvant de la création d’un “grand Etat d’Israël” au-delà du Jourdain, et pour qui le rôle des femmes est plus que limité, et d’autres qui, comme le rabbin Ahron Cohen, sont au contraire anti-sionistes et ont même participé à un congrès révisionniste en Iran organisé en 2006 par le président Mahmoud Ahmadinejad. Chez les catholiques, des intégristes continuent de lutter sans relâche contre les droits des femmes à disposer de leur corps ou ceux des couples homosexuels.
Le traité de Lausanne
Autre origine de la situation politique d’aujourd’hui : le découpage politique de l’empire Ottoman réalisé par les grandes puissances en 1923. Il a conduit à créer l’Irak, la Syrie et le Liban qui regroupent chacun un nombre incroyable d’ethnies, tribus et religions. On a beau critiquer, ce découpage n’était pas du tout évident. Si on avait suivi le tracé des tribus, ethnies et religions, il aurait fallu créer des dizaines de pays ! C’est de ce découpage que provient le sac de nœuds actuel en Irak, partagé entre sunnites, chiites et aussi kurdes qui sont sunnites à 80%, mais peuvent aussi être chiites, chrétiens, juifs, yézidis et même zoroastriens. La Syrie regroupe des sunnites, qui sont majoritaires, des alaouites, des chiites, des chrétiens et des druzes.
Le tableau ci-dessous illustre la répartition entre courants de l’islam dans les pays islamiques. Y manquent notamment les pays d’Afrique subsaharienne qui représentent 15% des musulmans dans le monde (cf cet inventaire).
Plus de la moitié des pays à dominante musulmane sont multiconfessionnels, et associent sunnisme, chiisme voire kharidjisme (Oman). Tous ne proviennent pas du découpage territorial des accords de Lausanne ! La guerre civile qui fait actuellement rage au Yémen oppose des houthis chiites minoritaires soutenus par l’Iran et des sunnites majoritaires soutenus par l’Arabie Saoudite et les USA. Le Yémen a été formé par la réunion en 1990 du Yémen du Sud et du Yémen du Nord, bien loin des accords de Lausanne !
Le seul pays à gouvernance politique relativement stable et multi-confessionnelle au Moyen-Orient est le Liban où le président est constitutionnellement un chrétien maronite, le premier ministre sunnite et le président de l’assemblée chiite. Le Liban n’a pas toujours été pacifié, mais c’est un exemple intéressant d’équilibre multi-confessionnel.
Egypte et Iran
Ces deux pays ont été des pivots du développement du fondamentalisme musulman. L’Egypte a ainsi vu se développer le mouvement des frères musulmans, dès 1928 après la fin de l’Empire Ottoman, avec un double visage, l’un censé être non violent, et l’autre militaire, destinés tous les deux à établir un califat panarabique.
Les frères musulmans ont déclenché une guerre contre les états arabes, jugés non conformes au Coran, à commencer par le gouvernement égyptien. La liste de leurs exactions est longue. Ils se font remarquer par l’assassinat du premier ministre égyptien en 1948, Mahmoud an-Nukrashi Pacha. A tel point que tous les dirigeants égyptiens, de Nasser à Al-Sissi en passant par Nasser, Sadate et Moubarak, ont lutté de main de fer contre les frères musulmans et leurs dérives. Dès cette époque, les américains ont joué avec le feu sans le savoir en aidant les frères musulmans dans leur lutte contre le communisme. Ces Frères Musulmans intimidaient les chrétiens d’Egypte avec des meurtres à répétition, soit purement gratuits, soit dans le cadre de récolte d’une taxe islamique “privée” (Djizîa). Ces meurtres ont commencé bien avant que l’on en parle récemment en Egypte et en Libye.
La lutte des frères musulmans contre l’Etat Egyptien a culminé avec l’assassinat d’Anouar el Sadate en 1981, qui avait cumulé tous les défauts : la paix avec Israël, un style de vie jugé trop occidental et ses liens avec les américains. Le comble est que le cerveau de cet assassinat, Sheikh Abdel Rahman, a été jugé et innocenté par un tribunal égyptien, car il manipulait trop bien le Coran contre le juge ! Il est ensuite expulsé d’Egypte, passe un temps en Afghanistan puis arrive aux USA en 1990 pour y prêcher le djihad et le meurtre des juifs. Il est arrêté, poursuivi pour avoir inspiré divers attentats déjoués sur le sol américain, voire d’avoir préparé celui du World Trade Center en 1993, et y est condamné à la prison à vie en 1996. Il est encore à ce jour en prison aux USA.
Il faut noter aussi l’importance en Egypte et dans l’Islam de l’université Al Azhar du Caire qui a été longtemps un foyer de contestation islamique rayonnant bien au-delà du pays. Cf “The Islamic State is a byproduct of Al Azhar’s programs” paru en novembre 2015 qui rappelle au passage que c’est dans cette université que Barack Obama a délivré son fameux discours en 2009 “Un nouveau commencement”. Voir aussi ce site spécialisé sur le sujet.
La révolution iranienne de 1979 a été un moment pivot car elle vit l’apparition du premier régime jugé comme véritablement islamique. Au point qu’il a permis pendant un temps de créer une forme d’œcuménisme du djihad entre sunnites et chiites fondamentalistes. Mais les sunnites ont repris le flambeau du djihad avec différents mouvements, puis Al Qaïda, et enfin Daech. Et Saddam Hussein a vu d’un très mauvais œil l’arrivée d’un tel régime à ses frontières, d’où le déclenchement préventif par ses soins de la guerre Iran-Irak qui a fait plus de un million de morts.
L’histoire méconnue des pays arabes entre les années 1960 et nos jours est une lutte continuelle entre les fondamentalistes musulmans et les gouvernements dictatoriaux à tendance laïque: Saddam Hussein en Irak, les Assad en Syrie, Kadhafi en Libye et l’Algérie des militaires contre le FIS. En aidant d’abord à préserver la pérennité de ces régimes corrompus, positionnés comme remparts contre le fondamentalisme, qui empêchaient le développement d’une alternance démocratique, ils ont permis l’émergence et la prééminence de mouvements radicaux. En contribuant ensuite à les renverser un par un, sans que la démocratie puisse se mettre en place progressivement, l’occident a ouvert plusieurs fois la boite de Pandore ! Cf “L’État islamique, pire mouvement de l’Histoire ? Nous avons les terroristes qu’on mérite” de Anne Giudicelli.
La guerre d’Afghanistan
Cette guerre démarrée en 1979 et terminée 10 ans après, juste avant la chute de l’Union Soviétique mérite un peu de recul historique. En 1979, l’URSS est intervenue dans ce pays pour y préserver son influence, face à l’Inde, au Pakistan et à l’Iran qui venait de traverser sa révolution islamique. Tous les présidents afghans qui se sont succédés entre 1978 et 1979 ont été assassinés les uns après les autres : Mohammed Daoud Khan assassiné par Mohamed Taraki, lui-même assassiné par Hafizullah Amin, lui-même assassiné par les services secrets soviétiques. Ils étaient tous d’obédience communiste et laïque !
Guerre froide oblige, les USA ont soutenu l’opposition aux soviétiques, d’où le financement des modérés représentés par les moudjahidines du général Massoud (assassiné juste avant 9/11) et de diverses factions islamistes dont les talibans. Quand on lit l’article de Wikipedia qui décrit les années suivant le départ des soviétiques, on est frappé du parallèle avec la situation d’aujourd’hui en Iraq et en Syrie :
“Dans les années 1990, la guerre civile fait suite à la lutte contre l’URSS. Dès la chute du régime prosoviétique, des dissensions ont commencé à apparaitre entre moudjahidines afghans et volontaires islamistes étrangers (des arabophones le plus souvent) qui entendent désormais faire de l’Afghanistan une base pour l’entrainement à la guerre sainte (jihad) contre l’Occident et un État respectant la charia. En 1996, les talibans, soutenus par le Pakistan (matériels) et l’Arabie saoudite (financement), prennent le pouvoir et contrôlent, avec l’aide des islamistes étrangers, la majeure partie du pays en repoussant progressivement les moudjahidines du commandant Massoud dans les confins du nord-est du pays. Durant cette période de troubles, le Mollah Omar, chef militaire et religieux des talibans, impose la loi islamique à l’ensemble du pays. L’Afghanistan deviendra effectivement un camp d’entrainement pour les terroristes islamistes.”
L’Arabie Saoudite joue presque le même rôle aujourd’hui. Le Pakistan est remplacé par la Turquie ! Les talibans sont, avec les frères musulmans et les wahhabites, un autre courant fondamentaliste islamique.
En 1993, la presse anglo-saxonne décrivait même Ben Laden comme étant un pacifiste, à l’époque où il était installé au Soudan. Quelques mois avant l’attentat du World Trade Center à New York !
On se retrouve dans l’implacable jeu du “les ennemis de mes ennemis sont mes amis” et de ses limites ! L’adage devrait devenir “les amis de circonstance d’aujourd’hui peuvent devenir les ennemis de demain” et servir de repère dans toutes les négociations ! Cf “L’Etat islamique, cancer du capitalisme moderne” qui décrit le double jeu des USA, du Royaume-Uni et aussi de la France (en Libye). Ce dilemme est réapparu récemment concernant l’accord avec l’Iran sur leur programme nucléaire.
Après une guerre civile, s’en est suivi le régime Taliban en 1996, l’installation peu après de Bin Laden dans le pays, puis 9/11, et l’invasion du pays par les USA fin 2001. Depuis, le pays a sombré dans le chaos, les attentats à répétition et les Talibans sont revenus à la charge.
Les USA et Barack Obama étaient bien satisfaits de venger les victimes de 9/11 en se débarrassant de Ben Laden en 2011 alors qu’il était caché au Pakistan. Mais ils ne doutaient pas une fois encore que cela allait faire germer un mal encore plus dangereux que le précédent. L’Etat Islamique est en quelque sorte un “fork” de plus de l’histoire, cette fois-ci de Al Qaïda. Dans ces conflits, le mieux semble trop souvent être l’ennemi du bien.
L’histoire de Ben Laden et Al Qaïda est bien documentée dans de nombreuses sources. A noter le documentaire “Un jour, une histoire” diffusé sur France 2 le dimanche 29 novembre 2015 qui trace très bien ce parcours.
L’erreur des américains en Afghanistan a été reproduite quasiment à l’identique en Libye et en Syrie, par l’aide apportée par les pays occidentaux aux rebelles contre Kadhafi puis Assad à partir de 2011. Les français, avec le concours des saoudiens et du Qatar ont livré des armes à des rebelles sans se rendre compte qu’ils comprenaient des djihadistes. Il faut dire que ceux-ci cachaient bien leurs intentions ! Ce sont des sables mouvants ! Cf cette analyse sur France Inter.
Il existe divers théories du complot selon lesquelles les occidentaux ont sciemment créé ces mouvements extrémistes pour créer un nouvel ordre mondial dictatorial. La réalité est banale et bien moins glorieuse : ils se sont faits berner par des mouvements islamistes jouant de la ruse et cachant leurs intentions ! Les occidentaux ont ignoré la complexité des régions considérées et les leçons de l’histoire. Ils n’ont pas vu que les mouvements les plus extrémistes luttaient contre leurs propres alliés modérés et les éliminaient un par un. Le commandant Massoud des moudjahidins afghans a été assassiné deux jours avant 9/11 par des belges d’origine tunisienne à la solde d’Al Qaïda !
Ce scénario s’est reproduit avec la Syrie, comme l’explique très bien le journaliste américain Seymour Hersh en décembre 2015. Il y accuse l’administration Obama se ne pas comprendre qu’il n’existe pas d’opposition modérée à Assad en Syrie !
Le fils de Robert Kennedy est aussi l’auteur d’une excellente explication de l’implication des USA au Moyen-Orient et de ses effets désastreux.
La seconde guerre d’Irak
En 2003, les USA ont débarrassé l’Irak de Saddam Hussein qui contrôlait de main de fer son pays et limitait les conflits religieux. Avec une guerre dont les motivations étaient multiples, mais probablement plus influencées par le besoin de sécuriser l’accès au pétrole de la région que pour y trouver des armes de destruction massive ou un lien avec Al Qaïda qui n’existait pas.
Les américains n’ont pas tiré parti des leçons de l’Afghanistan et laissé pourrir une situation explosive entre chiites et sunnites. C’est de là qu’est parti l’Etat Islamique. Cf “Tout ce que vous devez savoir sur l’Etat Islamique”. C’est également très bien documenté dans The Mystery of ISIS (New York Times, août 2015).
L’histoire montre que le remplacement d’un dictateur à tendance laïque par un régime non paritaire entre chiites et sunnites créé la zizanie. Les américains se sont fourvoyés en démantelant entièrement l’armée de Saddam Hussein et ses cadres, qui en a poussé certains vers le terrorisme, surtout les sunnites et au fait que ce sont les chiites qui ont pris le pouvoir exécutif. Les deux derniers présidents d’Irak sont chiites ! Les sunnites l’ont évidemment mal pris et sont tombés dans l’escarcelle de la rébellion sunnite, devenue ensuite l’Etat Islamique ! Je ne vous apprends rien !
Le jeu des voisins
La Turquie d’Erdogan est à la fois dans le problème et la solution. Dans le problème car le régime actuel est dans la mouvance islamiste, qu’il soutient implicitement voire explicitement Daech car ils ont comme ennemi commun les kurdes. Sur le terrain de la Syrie et de l’Irak, les kurdes sont les seuls à se battre contre Daech. Et les turcs veulent à tout prix éviter que les Kurdes puissent devenir indépendants, créant un état rognant surtout sur la Turquie en plus de l’Irak, de la Syrie et même de l’Iran (source du schéma ci-dessous).
Dans la solution car une bonne part de l’approvisionnement en presque tout de Daech pourrait être coupé si les turcs contrôlaient mieux leurs frontières. Notamment pour ce qui concerne leurs sources de financement avec les trafics de pétrole et d’œuvres d’arts pillées sur des sites historiques d’Irak et de Syrie. Cf “Turkey could cut off Islamic State’s supply lines. So why doesn’t it?” du Guardian ainsi que “L’Europe et le piège turc” dans Le Monde.
Il faut ajouter le rôle trouble de l’Arabie Saoudite et du Qatar qui financent les rebelles islamiques du front Al Nostra (apparenté à Al Qaïda) et le Front Islamique (qui regroupe d’autres salafistes) voire l’Etat Islamique lui-même (ce qui n’est pas certain), ainsi que le fondamentalisme wahhabite dans le monde entier. Le New York Times évoque ainsi l’Arabie Saoudite comme un Daech qui a réussi (en français). On parle aussi de Daech Blanc. Ils verraient d’un bon œil émerger un régime sunnite en Syrie.
Il faut ajouter à cela le jeu des Russes et de l’Iran., le premier protégeant son dernier accès à la mer Méditerranée et le second les Alaouites du camp Assad. Tout ceci est bien expliqué et résumé dans cette infographie animée du Monde qui est toujours d’actualité.
L’humiliation et la mondialisation
L’humiliation (des musulmans), la mondialisation, la domination américaine sur l’économie mondiale voire le conflit israélo-palestiniens reviennent souvent comme des explications périphériques au terrorisme. Je ne vais pas m’étendre dessus. Je vous invite juste à consulter cet intéressant mémoire “Le terrorisme : les causes et les remèdes” qui date de 2005. Il émane d’étudiants de l’université Mahommed I du Maroc. On est dans un pays modéré et l’auteur n’a pas l’air d’être extrémiste.
Le regard traduit bien la vision que peuvent avoir des musulmans des causes du terrorisme. Alors qu’il bat d’un revers de main le terrorisme d’origine religieuse ou politico-religieuse, l’assimilant au terrorisme des catholiques et des juifs, le thème de l’humiliation est le plus longuement détaillé. Vaste programme !
C’est diamétralement opposé à l’analyse fine du phénomène du terrorisme islamique depuis l’après-guerre, dont la filiation est bien religieuse, idéologique et politique.
Les allumettes de l’intégration
Il faudrait évidemment ajouter à ce tableau les soixante dernières années en France sur les reliquats de la décolonisation, l’échec de l’intégration et des banlieues abandonnées. Rappelons-nous les révoltes de 2005 ! Comment la situation a-t-elle évolué depuis ?
Au passage, une bonne partie des trafics d’armes en France résulte des conflits dans l’ancienne Yougoslavie des années 1990. Les meurtres entre caïds et petits malfrats de la drogue à Marseille sont aussi made in Kalachnikov !
Mais ces terroristes nés chez nous ne sont que des allumettes d’un feu déclaré ailleurs. Les cerveaux de l’idéologie djihadiste tirent parti de tous les paumés du monde, manipulés de la même manière d’un pays à l’autre. Daech cible les jeunes souvent faiblement cultivés, y compris au niveau de leur connaissance de l’islam, histoire de pouvoir les manipuler plus facilement. Il le fait dans plein de pays, dont certains n’ont aucun lien avec les conséquences de la décolonisation, comme en Russie – même si la guerre en Tchétchénie y est aussi pour quelque chose ! Et encore récemment aux USA avec l’attentat de San Bernadino (14 morts) , dont les auteurs étaient fanatisés mais sans rapport avec les problèmes d’intégration que nous connaissons en France.
Le terrorisme n’est pas l’apanage de Daech ou des français issus de l’immigration enrôlés dans leur djihad. C’est un phénomène mouvant, mondial et qui se recompose sans cesse. Comme l’indique “The Threat is Already Inside – And nine other truths about terrorism that nobody wants to hear” dans Foreign Policy, détruire l’Etat Islamique ne supprimera pas les menaces terroristes dans le monde. Il pourrait très bien resurgir sous d’autres formes ailleurs, comme en Libye, un pays qui est bien plus proche de l’Europe. Ce qui inquiète d’ailleurs l’Italie, qui vient de lancer un cri d’alarme.
Ceci étant dit, les horreurs de Daech ne devraient devenir la principale justification pour s’occuper plus sérieusement des banlieues et de l’intégration en France. C’est un devoir social et humain que d’y recréer de l’espoir et un futur, surtout pour les jeunes.
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Il y a probablement des raccourcis et approximations dans ce papier, vous m’en excuserez et corrigerez. J’ai conscience que pour certains, le papier donnera un éclairage complémentaire des événements et pour d’autres, il ne servira à rien.
C’est en tout cas une invitation à la découverte d’une riche histoire qui n’est pas simple ni binaire. J’ai eu le vertige en me documentant sur l’histoire de l’Islam, des califats, de l’empire Ottoman et du chiisme. Les variantes d’appréciation et les angles de vue sont multiples.
Il faudrait aussi faire une histoire comparée. L’émergence historique de l’Islam entre le 7ième et le 13ième siècle correspond au Moyen-Age européen, où les guerres étaient aussi incessantes. Charlemagne avait à peine créé un empire que ses fils le dépecèrent. L’Europe a pris son envol avec la Renaissance et le colonialisme au 16ième siècle alors que l’empire Ottoman qui avait succédé au califat Abbasside se contractait, subissant un déclin voisin de celui de l’Empire Romain.
Dans la seconde partie de cet article, je couvre les questions “macro” de l’eau, des énergies fossiles, puis dans la troisième, du rôle des progrès technologiques et scientifiques et de l’éducation dans ces conflits.
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Papier très fouillé, à lire pour comprendre la situation d’aujourd’hui… Merci à @olivez https://t.co/Swi8kJYV3J
Serait-il possible d’expliciter les rapports avec le changement climatique? Peut-être cela viendra-t-il dans le prochain article d’ailleurs. 🙂
Bien oui, comme indiqué au début et à la fin, c’est pour la seconde partie.
Merci pour cette réflexion bien documentée.
Je n’ai pas compris ce paragraphe.
“Qu’ils soient sunnites ou chiites, les musulmans ne sont pas tous arabes. Le premier pays chiite est l’Iran (67 millions) mais la majorité des chiites ne sont ni iraniens ni arabes, les trois populations chiites suivantes étant en Inde (50 millions), au Pakistan (26 millions) et en Irak (16 millions). De même, 48% des musulmans sont en Asie, en Indonésie, Inde, Pakistan et au Bengladesh et 15% en Afrique !’
J’ai bien compris que les iraniens ne sont pas des arabes. Mais je ne comprends pas le lien logique pour dire “la majorité des chiites ne sont ni iraniens ni arabes”
merci
C’est juste un point cassant quelques idées préconçues. La majorité des chiites ne sont ni arabes ni iraniens. Ils sont donc… issus d’autre part. C’est-à-dire, d’Asie comme je l’indique après, et aussi d’Afrique, dans une moindre mesure.
J’ai trouvé cet article intéressant sur la situation au Proche-orient. https://t.co/ArkHUbddsG
Analyse très complète de @olivez après les attentants du 13 novembre pour mieux comprendre les enjeux https://t.co/AxMbE2Z8E2
Si vous avez envie de comprendre une grande partie du problème https://t.co/CXqdv0KYdJ
Lecture à tiroirs multiples extrêmement bien documentée : “Les nombreux prismes du 13 novembre”, par @olivez https://t.co/OVzFT68lC8
Bonjour Olivier,
un grand merci pour cet article très clair et très complet qui permet d’avoir une bonne vue d’ensemble de la situation.
En m’intéressant au sujet de l’origine du schisme islamique, je suis tombé sur 2 émissions des dessous des cartes fort intéressants:
– https://www.youtube.com/watch?v=dDm_m4IFWoQ&feature=youtu.be&ab_channel=DonQuichote
– https://www.youtube.com/watch?v=DuOJfYw-Gq4&ab_channel=DonQuichote
J’y ai d’ailleurs appris que l’Azerbaidjan et Bahrein sont 2 autres états à majorité chiites.
Un grand merci, une nouvelle fois, pour cet exercice ambitieux et parfaitement mené que d’expliquer les origines de la situation en Syrie.
bonjour, merci pour ces explications, qui pour ma part, ont requis plusieurs lectures attentives, et je pense n’avoir pas fini de m’y replonger.
Pourtant, un questionnement plus basique me reste à l’esprit.
Sans entrer dans la complexité historique, politique, psycho-sociale,.. l’islam dans sa philosophie est elle une religion qui obstrue les facultés humaines de discernement de ses croyants ? n’est elle pas le bouc émissaire d’un échec de développement de société socio-économique (situation des femmes entr’autres) ou à contrario en est elle l’origine ? Le terme “humiliation” est fréquent, humiliation de qui, pourquoi ?
Je suis désolé de “ramener” mon questionnement à si simple expression.
Encore merci
dan
J’aurais tendance à répondre que les trois religions du livre peuvent obstruer les facultés humaines de discernement des croyants. Il n’y a qu’à voir les fondamentalistes de chaque bord : les fondamentalistes chrétiens américains et leurs thèses sur le créationnisme et les fondamentalistes juifs d’Israël qui sont allés jusqu’à assassiner Rabin en 1995 et continuent de donner le mauvais exemple en exacerbant les tensions avec les palestiniens.
L’Islam se distingue des deux autres religions du livre car il porte un projet politique qui est toujours d’actualité pour une partie de ses croyants. Autant les chrétiens et les juifs ont accepté le sécularisme presque partout, même s’il subsiste le “In god we trust” aux USA, qui est relativement anodin, autant ce n’est pas le cas dans les pays musulmans. La charia fait partie de la loi dans nombre de ces pays, même si c’est de manière plus ou moins édulcorée selon les cas. Autre point inquiétant, les pays riches et musulmans ne sont pas plus progressistes que les pays pauvres et musulmans. Donc, ce n’est pas qu’une affaire de richesse et de développement économique.
La modernité n’est pas suffisamment au rendez-vous sur le rôle des femmes dans la société, sur le rôle de l’éducation, sur la place des sciences.
Quand à “l’humiliation”, elle est mise à toutes les sauces dans l’histoire de l’Islam. Les Califats et l’Empire Ottoman ont aussi humilié leurs voisins pendant plusieurs siècles. Ils ont raté la révolution industrielle pour des raisons que j’évoque dans le troisième article de la série. Les pays européens se sont ensuite développés grâce à leur colonialisme. Mais celui-ci n’était qu’une pâle copie du colonialisme façon “califats”. D’ailleurs, dans certains pays islamiques et notamment chez les plus extrêmes, l’esclavage est toujours d’actualité.
Après, nous avons dans certains pays européens dont la France, une véritable humiliation des descendants d’immigrés d’Afrique et du Maghreb, mais pas (que) pour des raisons religieuses. Des noirs d’origine africaine et catholiques subissent aussi des discriminations en France ! Les Italiens et les Polonais qui arrivaient en France aux débuts du 20ième subissaient aussi un racisme généralisé et il s’est résorbé en quelques décennies. Dans le cas présent, cela dure depuis trop longtemps.
Quand par ailleurs, les comportements sont exacerbés avec la volonté affichée de ne pas s’intégrer (le voile, certaines traditions, …), cela ne fait qu’empirer la situation.
J’aime bcp lire vos papiers ayant traits à l’économie ou aux technologies, mais là j’ai tiqué : “Il faudrait aussi faire une histoire comparée. L’émergence historique de l’Islam entre le 7ième et le 13ième siècle correspond au Moyen-Age européen, où les guerres étaient aussi incessantes. Charlemagne avait à peine créé un empire que ses fils le dépecèrent. L’Europe a pris son envol avec la Renaissance et le colonialisme au 16ième siècle alors que l’empire Ottoman qui avait succédé au califat Abbasside se contractait, subissant un déclin voisin de celui de l’Empire Romain.”
Pour faire (très) court, la renaissance, au XVe et XVIe siècle, est la période ayant vu la plus grande guerre civile européenne avec la guerre de religions entre catholiques et protestants, la démence de la chasse aux sorcières, l’inquisition espagnole, l’établissement de la monarchie absolue, son corollaire étant le fantasme du “despotisme éclairé” chez les Lumières, et accessoirement le plus grand génocide de l’histoire en terme de nombre avec la quasi-éradication des autochtones lors de la conquête des Amériques (ce que vous appelez “prendre son envol”!). Un regard un peu différent sur la période du Moyen Âge serait le bienvenue !
Une conférence pour continuer la réflexion : http://ekouter.net/la-fabrication-de-la-legende-noire-du-moyen-age-avec-claire-colombi-pour-l-association-terre-et-famille-2279
Chronologie des inventions médiévales : http://www.alain-benajam.com/article-6335347.html
Merci pour cette mise en perspective intéressante. Je maintiens cependant mon point dans l’ensemble que je n’ai d’ailleurs pas inventé mais trouvé dans de nombreuses sources diverses sur l’histoire de l’Europe.
Les guerres de religion protestants/catholiques ont été concentrées sur le 16ième siècle. En Europe, ces guerres comme la guerre de trente ans ne s’expliquent pas que par les conflits religieux.
Les chasses aux sorcières ont démarré bien avant la Renaissance. La monarchie absolue a surtout, avec Louis XIV, mis un terme aux pouvoirs régionaux des seigneurs locaux. Elle n’a pas ralenti les progrès culturels et scientifiques en France.
Pendant le même temps, le Royaume-Uni a été constitutionnellement bien plus stable, même si quelques rois, reines et conseillers ont perdu leurs têtes. L’Allemagne s’est progressivement consolidée, même s’il a fallu attendre Bismarck pour en venir à bout. Et Garibaldi en Italie.
Le développement culturel, économique et scientifique européen a tout de même bien connu une accélération entre les 16ième et 18ième siècles malgré tous les faits historiques que vous rappelez.
La mise en abîme de l’inquisition mérite d’être faite : 1492 correspond à la fois du départ de Christophe Colomb vers l’Amérique et à l’expulsion des juifs d’Espagne.
1685 est la révocation de l’Edit de Nantes en France.
Dans les deux cas, cela a contribué à un brassage de populations en Europe qui a eu des effets bénéfiques indirects pour les pays ayant accueil les juifs d’Espagne et les protestants français. Sur le long terme, l’Espagne et la France y ont perdu au change.
Le cas des colonies est aussi intéressant : il correspond bien à une période de développement économique et scientifique de l’Europe. Au détriment des populations envahies ou exterminées comme en Amérique ou en Afrique et dont les ressources naturelles comme humaines ont été exploitées. L’alignement entre développement économique et droits de l’homme n’a jamais été parfait. La Chine est un bon exemple encore aujourd’hui.
Mais OK sur le fait que l’on a trop tendance à noircir la période du Moyen-Age européen.
Avant le 12ième, l’éducation et l’enseignement en Europe étaient sous la main mise totale de l’église. C’est au 12ième siècle que l’université de Paris a été créée ainsi que celles du Royaume Uni et de ce qui est l’Allemagne aujourd’hui. Ce décollage intellectuel et pour une bonne part séculaire représente une différence importante avec le monde musulman de cette époque, voire encore aujourd’hui.
Ceci étant dit, sur ces trois papiers sur les origines du 13 novembre, il y a forcément plein de choses sur lesquelles on peut tiquer. Le contraire serait étonnant.
Merci pour la réponse.
J’ai la désagréable impression qu’on mélange plusieurs sujets.
Si on juge l’histoire européenne sous l’angle des innovations techniques et du décollage industrielle, alors j’aurais tendance à dire que la massification industrielle est plutôt une oeuvre du XIXe siècle. Depuis la fin du moyen âge jusque là, j’ai plutôt l’impression de voir un bouillonnement intellectuel qui ne se traduit pas forcément dans la vie de l’européen moyen (pas forcément plus que les changements auxquels étaient confrontés les populations du moyen âge).
Donc pour le développement scientifique entre le 16e et le 18e je suis d’accord, pour le développement éco aussi, bien que celui-ci soit en grande partie basé sur la rapine (exploitation des colonies) et culturel c’est discutable (selon le point de vue, on peut estimer que la scholastique médivale est le sommet de la pensée abstraite, les cathédrales ont été baties pour la plupart au moyen âge, etc).
Quant à la main-mise totale de l’église sur la population pendant le moyen-âge, on n’est pas obligé de voir ça comme un mal. On peut aussi se dire que la seule structure qui a tenue debout lors de la chute de l’empire romain, c’est elle ! Et ce sont différents ordres qui ont assurés bon gré mal gré la transmission des savoirs, la conservation des savoirs grecs (principalement par l’intermédiaire de la patristique grecque), la constitution des premières universités, etc. D’ailleurs, on sous-estime aussi l’influence du paradigme chrétien dont bon nombre de personnes se sont aujourd’hui affranchies. Mais je pense que le décollage de la science en terre chrétienne n’est pas une coincidence, mais participe de la vision du monde chrétienne qui postule un dieu hors de la création, et permet donc aux hommes d’aborder le monde qui les entoure par une pensée non-magique. Aussi, la pensée politique moderne (droits de l’homme) doit bcp à la religion chrétienne (école de Salamanque, voir aussi l’étique dérivée du christianisme avec les travaux de René Girard), ou la laïcité (voir Gauchet).
Bref, je m’emporte et nous sortons du sujet !
Mais j’aime quand même bien vous lire pour suivre les tendances dans le monde des nouvelles techno !!
Cordialement, Benoit.
L’histoire est complexe, c’est ce qui fait son charme. Quel est votre point de vue sur le déclin de l’empire Ottoman à partir du 13ième siècle (pour certains) ou du 16 ième (pour d’autres) ? Mon point initial était de comparer l’évolution de l’Europe par rapport à l’empire Ottoman du point de vue économiques, scientifique et technologique entre le 13ième et le 19ième. Les parcours ont été bien différents tout de même !
Là j’avoue être en terrain quasi-inconnu et je ne m’avancerai pas…
En tout cas, bel effort de compréhension avec cet article en 3 parties.
Il y aurait encore mille questions à poser, mais je me limiterai à une seule. Dans la partie 3, vous balayer d’un revers de main ce que vous appelez “théories conspirationnistes”. Ma question est la suivante : pensez-vous qu’il soit a priori impossible qu’un gouvernement légal (ou qu’une partie du pouvoir en place) puisse commettre un tel acte qui donc ne peut avoir lieu (circulez il n’y a rien à voir!), ou envisagez-vous cette possibilité et après examen des faits, concluez que les éléments avancés par les défenseurs d’une opération sous faux drapeau ne sont pas probants ?
Je n’y crois pas une seconde pour ce qui est du gouvernement français. Monter un tel projet serait à la fois compliqué et suicidaire d’un point de vue politique. Aucun secret ne peut être préservé, au moins sur le long terme. Pour ce qui est d’autres pays, notamment non démocratiques, c’est une autre histoire.
A supposer que le pouvoir en place ait intérêt à ce qu’un tel attentat ait lieu, il n’a qu’à ne rien faire et attendre qu’il arrive tout seul. Le montage peut être au mieux le résultat d’une forme de passivité devant un risque identifié. Mais là encore, je n’y crois pas pour ce qui est de l’actuel gouvernement et du 13 novembre. A noter que lorsqu’il y a une faille “des services”, on leur prête des intentions sombres alors qu’il ne s’agit que de problèmes de manque de moyens et, parfois, d’incompétence.
ISIS existe bel et bien. Ce n’est pas un rêve.
En grande partie d’accord avec votre analyse, notamment en ce qui concerne la possibilité de ne rien faire et attendre que l’attentat arrive tout seul.
Ceci dit, je ne serais pas aussi catégorique en affirmant qu’ “aucun secret ne peut être préservé”, ainsi que sur la capacité ou non de nos services à laisser faire ou planifier de telles dégueulasseries (se rappeler des années de plomb en Italie > voir l’ouvrage de Daniele Ganser “Les Armées Secrètes de l’OTAN : Réseaux Stay Behind, Opération Gladio et Terrorisme en Europe de l’Ouest”).
J’ai quand même tendance à penser que (et pour prendre un exemple extrême qui doit être adapté au cas français) si les USA ont une bonne douzaine de services de renseignement, que la principale d’entre elles, la NSA, emploie 40’000 personnes et à un budget supérieur à 10M$, ce n’est pas forcément pour ne rien faire, comme le croient naïvement nos bonnes consciences journalistiques en qualifiant quiconque se pose des questions sur les intentions de l’état de “complotiste”.
Parce qu’entretenir une guerre civile de basse intensité sur le sol français en horizontalisant les luttes me semble bien dans l’intérêt de la classe dirigeante !
Oui ISIS existe bel et bien. Mais pour nous ce qui existe c’est un territoire avec un taux de chômage très élevé, une population avec de nombreuses fractures culturelle, ethnique et religieuse, et peu (ou pas) de projet commun. Il en faut peu pour ça parte en sucette !
Une chose a changé qui rend plus difficile les “complots invisibles” comme ceux que l’on a connus jusqu’aux années 1980 : l’Internet, les réseaux sociaux et les mobiles.
Mitterrand a pu cacher sa fille pendant ses deux septennats (jusqu’en 1994). Hollande n’a pas pu cacher sa liaison avec Julie Gayet ! Ce n’est pas simplement parce que Mitterrand était plus prudent que Hollande et utilisait l’appareil d’Etat pour se protéger, mais aussi parce que l’information circule maintenant plus facilement.
Pour ce qui est de la NSA, il ne faut pas lui donner un pouvoir qu’elle n’a pas. Elle sert principalement au “Sigint”, la collecte d’informations par des moyens techniques. C’est l’équivalent de la Direction Technique de notre DGSE.
L’exploitation de l’information est du ressort des services utilisateurs : la DIA, le Pentagone, la CIA et l’exécutif. Si coups bas il peut y avoir, il faut surtout chercher chez ces derniers, pas à la NSA. Les “coups bas” de la NSA sont essentiellement liés à la manière de collecter les renseignements : interception des lignes optiques Internet qui relient ce dernier aux USA, stations d’écoute dans les ambassades, etc. Ils doivent aussi protéger leurs infrastructures, situées principalement aux USA et dans les pays associés du Commonwealth (UK, Australie, …).
En partie d’accord sur le changement de la vitesse de circulation des informations. Mais les pouvoirs en places, quels qu’ils soient, ont aussi changé leurs manière de faire.
Même si certaines informations finissent par émerger plus facilement de nos jours, les grands média (sont-ils appelés à disparaître rapidement?) ont un fonctionnement tellement moutonnier que la majorité de la population, qui s’informe vaille que vaille par leur canal, n’est pas au courant. En gros, ça nous avance bien que qlq internautes critiques s’informent correctement en multipliant les sources et en croisant les informations, si pendant ce temps 99% des gens continuent à suivre la grande messe du 20h.
Quand on fait l’étude sociologique des milieux du journalisme français ou qu’on s’intéresse aux propriétaires des grands groupes médias, il y a de quoi prendre peur !
Je suis peut-être pessimiste mais j’ai du mal à croire que la “révolution numérique” nous sauvera, tout simplement parce qu’elle rendra la réalité plus transparente à tout un chacun. J’y vois plutôt l’occasion de nouvelles méthodes d’ingénierie sociale… Quel pessimisme !
Un grand merci pour cet éclairage à directions multiples
Une question cependant
Mais que fait Israel ?
: rôle passif comptant les coups et/ou actif mais comment ?
Eric
Quelques pistes ici et là : http://english.alarabiya.net/en/perspective/analysis/2015/10/25/Why-has-Israel-gone-quiet-over-ISIS-.html et http://www.nytimes.com/2015/12/11/opinion/let-israel-fight-isis.html.