Après les semiconducteurs, passons au solaire photovoltaïque pour décrire ces exponentielles de progrès et leurs dérives. Les semiconducteurs ont bénéficié de nombreux progrès techniques en quatre décennies et ce n’est pas fini.
Ici, avec le solaire, il n’en est pas de même. Les progrès techniques sont certains mais ils sont loins d’expliquer à eux seuls les exponentielles couramment utilisées. Et celles-ci sont un peu biaisées comme nous allons le voir !
Solaire photovoltaïque
J’ai démarré cette série d’article après avoir été interpellé par quelques courbes présentant un progrès exponentiel dans les capteurs solaires photovoltaïques. Je me disais que ces capteurs ne pouvaient pas suivre une progression exponentielle du même type que celle des microprocesseurs. Juste une intuition !
Deux exponentielles sont mises en avant dans les progrès sur le solaire photovoltaïque (PV) : la courbe du cout au watt de l’électricité et celle de la capacité de production opérationnelle dans le monde. Les deux sont logiquement reliées. Si cela coute moins cher d’installer des panneaux, alors le coût d’installation peut-être stable avec une puissance disponible qui augmente régulièrement.
Mais l’histoire n’est pas si simple et requiert un peu de “fact checking”. Il faut noter que cette courbe d’installation a l’air d’être plutôt résiliente aux évolutions de la fiscalité, du prix de revente de l’électricité d’origine PV aux utilities (EDF en France), des crises financières à répétition et du prix relatif du solaire PV face aux énergies fossiles. Il y a aussi parfois des accélérations comme celle qu’a connue le Japon suite à l’accident nucléaire de Fukushima en 2011.
La question clé est de savoir ce qui fait baisser le coût du Watt photovoltaïque. Il est maintenant situé aux alentours de 0,36€. D’où provient cette baisse des couts au Watt des cellules PV ?
Commençons d’abord par la puissance brute par panneaux. Elle n’augmente pas radicalement. Elle ne peut d’ailleurs suivre une courbe exponentielle puisqu’elle est plafonnée mathématiquement à 100% de rendement correspondant à la captation de l’intégralité de l’énergie solaire reçue. Elle est limitée théoriquement à 60%. Les rendements les plus courants sont situés aux alentours de 20%. En laboratoire, des franco-allemands groupés autour du CEA-LETI de Grenoble sont monté à 45% de rendement. Pour faire simple, l’objectif consiste à éviter de transformer la lumière en chaleur et plutôt en courant électrique.
L’exponentielle du solaire PV concerne donc plus les coûts que la performance brute contrairement à la loi de Moore qui portait historiquement sur les deux à la fois, jusqu’au jour où l’on a plafonné en vitesse d’exécution des processeurs aux alentours de 4 GHz.
Cela fait des années que l’on met en avant les panneaux solaires “imprimables”. Leur avantage est d’avoir un faible coût de fabrication théorique. En effet, l’impression de ces panneaux sur films minces ne nécessite pas d’utiliser des lingots de silicium étirés ou pas, et découpés en tranches. Les ventes de ces panneaux (graphe ci-dessous) n’ont pas l’air de percer. On constate même une régression, probablement explicable par la baisse des prix des panneaux réalisés de manière traditionnelle avec des cellules PV en silicium mono et polycristallin fabriquées à bas coût en Chine.
Certains films minces sont produits à base de cadmium, notamment à base de CIGS (un alliage qui rassemble du cuivre, de l’indium, du gallium et du sélénium) ou bien de CdTe (tellurure de cadmium). Ils se déposent sur du verre, du plastique ou du métal et peuvent s’intégrer à de l’architecture. Leur rendement n’est pas mauvais et peut atteindre 20%. On peut aussi en produire avec du silicium amorphe, qui est moins polluant que les composés à base de cadmium. Les méthodes de production sont voisines de celle d’une partie du processus de fabrication de semi-conducteurs : avec un dépôt gazeux réalisé sous vide (CVD, chemical vapor deposition). Mais les panneaux manifestent des pertes de puissance au bout de quelques mois. Qui plus est, une bonne partie des sociétés qui s’étaient lancées dans leur fabrication ont disparu, notamment Solyndra et Nanosolar qui ont fermé boutique en 2011 et 2013. Elles ont pris du retard dans l’industrialisation et les bénéfices technico-économiques n’étaient pas au rendez-vous. Cela arrive fréquemment pour des techniques prometteuses à l’échelle des laboratoires, mais plus quand elles atteignent l’étape de l’industrialisation. Ces startups ont commis d’autres erreurs courantes et qui ne sont pas de nature technologique. Notamment, Solyndra et ses panneaux solaires cylindriques qui compliquaient inutilement la donne.
La baisse du coût au Watt observée jusqu’à présent est explicable en partie par le déplacement de la fabrication des cellules PV en Chine. On aurait tout aussi bien pu aussi créer une exponentielle inversée de l’évolution du coût de fabrication des perceuses ! Sic e n’est que la Chine est plus agressive avec un dumping artificiel des prix des panneaux solaires PV pour conquérir les marchés. Les économies d’échelle sont cependant aussi visibles ailleurs qu’en Chine, comme en Allemagne, où le pôle de Dresde reste très actif dans le solaire PV.
La baisse des coûts a été très significative dans les cellules PV utilisant les techniques classiques en tranches de silicium monocristallin ou polychristallin d’environ 0,2 mm d’épaisseur. Le polycristallin est moins cher et le monocristallin, plus cher, avec de meilleurs rendements énergétiques. Le silicium monocristallin est produit avec des lingots étirés via la méthode de Czochralski, aussi utilisée pour la fabrication de lingots servant à créer les wafers dans la production de semiconducteurs. Le silicum polycristallin est fabriqué avec des blocs de silicium refroidis de manière traditionnelle.
Les outils de production de ces lingots en silicium réutilisent les équipements de fabrication servaient avant dans la fabrication des lingots pour les semi-conducteurs d’ancienne génération. La fabrication des processeurs en silicium CMOS est maintenant standardisée en s’appuyant sur des wafers fabriqués à partir de lingots de silicium monocristallin d’un peu plus de 200 et 300 mm de diamètre pour créer des wafers de cette taille. Les machines produisant les anciens lingots de 150 mm et moins sont exploitées pour les cellules PV.
Ceci étant, la courbe de baisse des prix ne concerne que celui des cellules photovoltaïques nues. Il en va autrement des panneaux solaires complets et de leur installation. Leur coût de fabrication et celui de leur installation ne bouge pas significativement car il s’appuie sur des techniques traditionnelles. C’est de la quincaillerie et quand il faut installer les panneaux sur un toit, le travail est toujours le même. Il ne bénéficie d’aucune loi exponentielle. Qui plus est, lorsqu’il s’agit de faire une installation sur un toit, surtout en pente, peu de particuliers peuvent la réaliser eux-mêmes. Il n’y a donc pas de “consumérisation” de la partie services de l’installation. Le prix total d’un panneau est au moins dix fois plus cher au Watt que le prix des cellules PV qu’il intègre. Quand 90% de la structure de coût n’évolue pas, vous avez beau avoir une exponentielle inversée sur les 10% qui restent, à la fin, vous n’avez en fait qu’une asymptote de coût ! Sans compter le remplacement tous les 10 ans d’un onduleur et le coût du nettoyage des panneaux. Le prix d’installation peut cependant baisser selon des critères très macroéconomiques : le coût du travail, des terrains et des matières premières, qui peuvent être tous plus bas dans les pays en voie de développement.
Je ne mets pas ici en cause l’intérêt de l’électricité solaire PV. Elle est indispensable pour mener à bien la transition énergétique et se sevrer des énergies fossiles. Je questionne juste la notion de progrès exponentiel dans le domaine !
Un autre élément clé est à observer : le coût relatif du solaire PV par rapport à celui des énergies fossiles. On sait que le soleil irrigue la terre avec suffisamment d’énergie pour satisfaire les besoins humains. Seuls comptent le coût de la récolte, de stockage puis de transport de cette énergie sur la distance. Le modèle de production de l’électricité doit être beaucoup plus réparti qu’actuellement même si l’on voit émerger des projets de grandes centrales de production solaires photovoltaïques et aussi solaires thermiques, en particulier aux USA et au Japon.
Il y a d’ailleurs un lien étroit entre le solaire et les technologies de stockage de l’énergie, notamment les batteries pour ce qui est des petites installations. Certains ont même pris la courbe linéaire de progression dans ce domaine pour une exponentielle, comme dans le schéma ci-dessous. Il évoque un doublement en 10 ans, mais celui-ci s’arrête en 2005 et je n’en ai pas trouvé une version actualisée. Les progrès dans les batteries sont certains mais beaucoup plus lents que dans les autres technologies évoquées dans ce papier. D’où l’idée de créer des sources de stockage d’énergie “mécaniques” comme le projet “Nature and People First” de Denis Payre. Il consiste à créer des châteaux d’eau pour stocker l’énergie d’origine solaire.
Le solaire doit aussi faire face aux scénarios comme celui menace actuellement les sociétés de production de gaz de schistes et de pétrole issus de schistes bitumineux aux USA et au Canada. Le développement de ces techniques d’extraction a généré une bulle financière avec une titrisation des emprunts des sociétés associées. Les crédits de ces sociétés sont actuellement difficiles à rembourser car les ventes sont réalisées à perte du fait de la baisse – probablement temporaire – des prix du pétrole brut. Le rendement était calibré pour être profitable avec un prix du pétrole supérieur à environ $70. Certains attribuent cette baisse à une guerre économique contre les USA provoquée par l’Arabie Saoudite. A court terme, l’énergie solaire peut aussi pâtir de ce genre de pratique.
Cela aboutit à une situation ubuesque : les règles du capitalisme qui privilégient le meilleur coût et le court terme retardent les efforts pour limiter le réchauffement planétaire. Le ralentissement de l’exponentielle de coût pour les raisons que l’on vient de décortiquer y contribue également.
Au final, pour ce qui est du solaire PV :
- Les ralentisseurs des exponentielles sont les structures de coûts fixes de production et d’installation des panneaux PV ainsi que leur coût d’entretien, les limites au rendement des cellules PV quelle que soit la technologie employée, les variations à la baisse du coût des énergies fossiles qui gênent temporairement le passage au solaire (mais on n’y coupera pas sur le long-terme).
- Les accélérateurs d’exponentielles sont pour l’instant peu nombreux, et plutôt macro-économiques : l’évolution à long terme à la hausse du prix des énergies fossiles, les objectifs incontournables de réduction de l’empreinte carbone de l’espèce humaine, les évolutions des coûts et de la capacité de stockage des batteries ou de systèmes alternatifs de stockage de l’énergie. Les progrès dans les rendements des cellules PV qui restent plafonnés et à la marge joueront un rôle marginal dans l’équation.
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Dans la troisième et dernière partie de cet article, nous irons voir ce qu’il en est du côté du séquençage de l’ADN. Son coût a baissé très rapidement puis s’est à peu près stabilisé depuis quatre ans sans atteindre le seuil très attendu de $100 par génome humain. Nous essayerons de comprendre pourquoi et ce qui pourrait débloquer la situation. Cela pourrait provenir de l’usage qui est fait de ce séquençage. L’état de l’art actuel limite en effet sa “consumérisation”.
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Bonsoir Olivier,
Merci pour cette série d’articles, ton approche toujours aussi fouillée et intéressante.
En ce qui concerne le PV, l’approche système peut être l’accélérateur d’exponentielle qui manque.
Si l’on évite de rajouter un panneau, mais que l’on intègre directement la capacité PV dans le matériau de couverture, le surcoût d’installation peut devenir négligeable.
Et pour le stockage intermittent, la généralisation de véhicules électriques peut aider à réduire aussi le surcoût d’un stockage dédié : chaque véhicule n’est chargé par défaut qu’à la capacité nécessaire au déplacement prévu, et le surplus devient un volant de stockage d’électricité partagé,
avec gestion des exceptions, du genre je dois faire plus de km que prévu et donc emprunte un véhicule plus chargé.
Nous nous trouvons dans une situation classique de changement de design dominant, et il faut reconcevoir l’ensemble du système constructif bâtiment + de distribution électrique pour tirer pleinement profit de l’innovation apportée par les cellules PV.
Pourquoi le photovoltaïque ne connait pas ajd d’évolution exponentielle comme ds les processeurs ? @olivez #energie http://t.co/7eYn1bqwc2