Biologie de la prise de parole – 4/4

Publié le 25 octobre 2015 et mis à jour le 12 novembre 2015 - 2 commentaires -
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Dans cette quatrième et dernière partie sur la biologie de la prise de parole ou nous avons fait un tour dans notre cerveau, dans celui de l’intervenant puis dans celui de l’audience, nous allons tenter l’exercice de la prospective.

Nous avons dans les trois premières parties identifié quelques “pain points” qui pourraient être la base d’innovations : le stress de l’intervenant, l’ennui de l’audience, le besoin de créer des supports interactifs et celui de mieux connecter l’audience à l’intervenant. Peut-on donc innover pour améliorer leur contenu, pour mesurer l’attention de l’audience, pour améliorer l’interaction avec elle et aussi réduire le stress des intervenants ? Soyons (juste un tout petit peu) fous !

En premier lieu, je pars du principe qu’il sera encore utile de rencontrer de vraies personnes en chair et en os dans les évènements, qu’ils soient sur scène ou parmi les participants. C’est toujours une question émotionnelle ! Elle n’est quasiment jamais égalée par une visioconférence ou un “live streaming” quelle que soit la technologie utilisée et la taille de l’écran. On n’a jamais le même niveau d’immersion dans un événement qu’en étant vraiment dedans. Surtout quand il s’agit d’un grand événement.

Réduire le stress de l’intervenant

La biologie fait sans arrêt des progrès énormes. Les recherches en pharmacopée pourraient très bien aboutir à la création d’une pilule qui supprime ou atténue les effets négatifs du stress, ajoute du peps sans présenter de caractère addictif. A moins que les beta-bloquants soient suffisants en l’état !

On pourrait aussi voir apparaître des objets connectés portables aidant à mieux présenter. Pourquoi pas un bracelet ou une montre connectée qui aideraient à réduire le stress, à parler lentement, à se décontracter, ou encore à méditer avant une intervention ? En fait, cela existe déjà sous forme rudimentaire comme la combinaison de l’Apple Watch et des applications comme Centered, créée par l’assurance santé Blue Cross Blue Shield aux USA qui servent à gérer son stress.

Blue Cross Stress Management App for Apple Watch

Autre suggestion : un outil qui réduirait l’apparence du stress de l’intervenant par l’audience tel qu’un système de traitement audio qui transformerait une voix hésitante en voix affirmée !

Mais toutes ces éventuelles inventions ne changeront pas grand-chose pour un intervenant qui manque de fond et s’est mal préparé. La technologie ne peut pas tout faire ! Les techniques naturelles resteront longtemps les meilleures : avoir quelque chose d’intéressant à raconter !

Le défi le plus grand à surmonter est en fait managérial. Dans une entreprise structurée, les cadres qui interviennent dans les conférences sont désavantagés par plusieurs spécificités : ils sont dans le “middle management” et représentent leur entreprise, en conséquence de quoi leur parole n’est pas vraiment libre. Ils ne peuvent pas facilement évoquer le marché dans lequel ils sont de manière neutre. Second point clé : la vie dans une grande entreprise est un long tunnel de spécialisation et de perte de temps dans les réunions. Les managers en viennent à ne plus développer assez leur culture générale, même dans leur secteur d’activité.

La solution se trouve dans la formation continue des cadres, dans la réduction du temps perdu dans les interminables réunions de coordination de projets et dans l’usage d’une partie du temps gagné à s’ouvrir sur le marché. Cela peut être une application de la règle des 25% de temps libre de Google (qui n’est à vrai dire pas appliquée universellement, surtout dans les équipes marketing et ventes).

Autre solution : revenir à la source de la raison de l’intervention de ces cadres “moyens”. Ils sont souvent intervenants parce que leur entreprise est un sponsor financier de la conférence. Un prêté pour un rendu. Cela donne donc des enfilades de tables rondes et keynotes de cadres qui vendent leur sauce. Des successions de pages de publicité plus ou moins élégantes. Et surtout, loin du fun de la “Nuit de la pub” ! D’où l’intérêt des conférences où les sponsors n’interviennent pas ! Je n’en connais pas énormément à part les conférences TEDx.

Améliorer les supports de présentation

Ceux-ci pourraient être automatiquement améliorés, au minimum sur la forme. Je suis toujours très étonné de constater que Microsoft et d’autres n’aient jamais pensé à cela ! Ils pourraient créer un indice de lisibilité des textes dans une présentation et si possible automatiser l’homogénéisation des polices de caractères, l’alignement des graphiques mal positionnés, la vérification de la lisibilité des polices de caractère en fonction de leur couleur vis à vis de la couleur de fond et de la taille de la police de caractère utilisée. Cela ne demanderait pas du machine learning du douzième ordre !

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Une slide d'une présentation de Guy Kawasaki en mai 2010. Il ne se foule pas trop pour illustrer ses énumérations. Mais c'est simple et tout est dans les anecdotes qu'il raconte !

Les organisateurs de conférences pourraient aussi innover en ayant à part des équipes d’experts faisant du “facts checking” des interventions en temps réel. C’est le rôle des Twitter walls, même s’il est souvent dévoyé, et peu utilisé par les experts. C’est testé par certains médias pour les débats politiques. Pourquoi pas dans une conférence ?

C’est une pratique que pourrait permettre de réaliser la solution de la startup israélienne Evolero, pendant ou après les conférences. Sans relever du tout de la science-fiction, elle va beaucoup plus loin que les systèmes d’inscription à la Amiando ou EventBrite dans l’intégration des composantes collaboratives, sociales et contenu d’un événement. Avec le défi consistant à engager les participants à même d’apporter le plus de valeur ajoutée aux contenus de la conférence, ce qui est loin d’être évident.

Des indicateurs pourraient-être aussi être créés juste en captant l’audio d’une intervention, en mesurant le message envoyé : le débit de la parole, la variation du ton et de la voix, les silences, le nombre de mots relativement au nombre de slides, etc. Cela permettrait de benchmarker de manière quantifiée et rationnelle la dynamique d’un intervenant et de le conseiller pour s’améliorer.

Capter l’audience pour mieux s’y adapter

Et pourquoi ne pas se faire aider pour bien capter l’état de l’audience et notamment mesurer l’ennui que l’intervenant peut éventuellement générer ? En jargon publicitaire, on traduirait cela par le “niveau d’engagement”.

Des caméras infrarouge et RGB couplées à de la reconnaissance faciale récupèreraient le pouls et le niveau d’énergie des participants. Elles en déduiraient leur coefficient d’attention. Des capteurs dans les sièges ou des bracelets connectés dotés de capteurs biométriques distribués aux participants mesureraient le rythme cardiaque et la respiration.

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Comment déterminer le niveau d'attention d'une audience ? Plusieurs moyens sont imaginables : caméras infrarouges, bracelet ou fauteuils connectés (plus cher), utiliser une application et les capteurs des smartphones. On a potentiellement l'embarras du choix.

Le tout fournirait une synthèse sur un écran de contrôle pour le ou les intervenants. Vous direz que ce serait un marteau pour écraser une mouche. Et vous avez sans doutes raison ! Mais il serait intéressant d’appliquer cette technique pour éliminer dynamiquement et prématurément les intervenants qui endorment la salle. Eliminer, pas forcément sur le coup, mais pour les événements suivants. Avec une sorte de “Klout” de l’intervenant !

A quoi pourraient ressembler les Wisembly du futur ? A savoir, ces murs de Tweets affichés sur grand écran pendant une conférence (qui habituellement soigneusement déconnectés pendant l’intervention de VIPs…). La réalité du moment est que les émetteurs de tweets relatent ce qui se dit et/ou font cela pour exister. Peu de participants posent des questions. C’est d’ailleurs lié au fait que la moyenne des interventions en suscite peu car elle contient peu d’informations et de sources de réels débats ou interrogations. Quid de générer une sorte de FAQ plus ou moins automatiquement, à partir des questions posées ?

Scénographie 2.0

La scénographie d’un événement est souvent proportionnelle à son ampleur et son budget : très pauvre. Une scène dépouillée côté décor, et peu ou pas d’habillage musical.

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La scène et la régie lumière et son du Web2day de Nantes en 2015. La scène est très bien remplie visuellement. L'habillage audio est de bon niveau. On voit cependant le nombre d'écrans nécessaires au pilotage de l'ensemble. Cela reste complexe et pourrait se simplifier dans l'avenir !

Le propre de l’innovation est de démocratiser des technologies existantes dont le prix baisse pour les rendre disponible au plus grand nombre. Un peu comme aujourd’hui, on peut quasiment devenir DJ avec une simple tablette !

Rêvons un peu côté innovation par l’intégration. Habiller visuellement une salle de conférence est complexe car elle est en 3D. Il existe des systèmes de projection qui savent tenir compte de la géométrie de la salle (Watchout Dataton, Barco Encore, …) mais ils sont assez chers et lourds. Orange avait utilisé cette technique de projection sur éléments de scènes blancs 3D dans son Hello Show de 2012. On peut aussi placer des écrans LED géants derrière la scène, construits avec des dalles de 50 cm de côté. C’est très lourd à installer.

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Une scène bien habillée avec grand écran et fils de LED de couleur autour permettant de créer des ambiances lumineuses différente d'un moment à l'autre de l'événement. Ici, à LeWeb en décembre 2013.

D’un autre côté apparaissent des capteurs 3D capables de capter le volume d’une salle en 3D. On en trouve notamment chez Stereolabs, une startup française dont la cofondatrice Cécile Schmollgruber s’est installée à San Francisco. Un couplage de leur capteur 3D et des logiciels d’habillage de salle permettraient d’habiller visuellement et graphiquement une salle.

La projection sur les murs de la salle pourrait se faire avec un mélange de projecteurs vidéos traditionnels et de lasers motorisés capables de couvrir de plus grands volumes. Cela demanderait toujours de la créativité et donc de faire appel à des graphistes. C’est juste une piste !

S’immerger à distance dans l’événement

Je me rappelle qu’il y a une dizaine d’années, certains prédisaient la fin des grands salons et des conférences. Ils ne sont pas encore morts malgré les tentatives (avortées) des Second Life et consorts. Et Oculus Rift ? On verra bien ! Ces casques vont sans doutes s’améliorer et intégrer des écrans de meilleure résolution et avec un temps de latence plus faible pour suivre les mouvements de la tête.

Cisco Telepresence

La solution Telepresence de Cisco commercialisée dans les entreprises depuis des années est utilisée pour des réunions traditionnelles et un peu moins pour des interventions 1/many. Elle manque pour l’instant étonnamment d’interactivité sur les tables de la salle qui pourraient très bien intégrer des écrans tactiles servant à partager les informations entre les participants.

A très longue échéance, si l’on en croit Ray Kurzweil, d’ici une vingtaine d’années, des nanomachines se baladeront dans notre cerveau et seront reliées au cloud pour nous faire baigner dans un monde entièrement virtuel à la Matrix. Cela ne sera probablement pas faisable techniquement à cette échéance.

Organic speech skills

Sortons du solutionnisme technologique qui cherche une réponse technologique à tous les problèmes ! Les bonnes vieilles méthodes traditionnelles resteront sans-doutes les plus efficaces pour réussir une intervention et une conférence.

J’en ai ici terminé avec cette série exploratoire sur la biologie de la prise de parole. Le sujet est très vaste et méritera surement d’être complété ou mis à jour.

Voici les principaux éléments bibliographiques m’ayant aidé à préparer cette série d’articles :

  • Une version simplifiée en vidéo et très didactique de la seconde partie de cet article sur le trac de l’intervenant.
  • Peur de parler en public ? Comment s’en libérer“, un bel article paru dans “Cerveau & Psycho” en mai-jun 2015.
  • The Biology of Beating Stress” de Jeanne Ricks.
  • Neurobiology for Dummies” de Franck Amthor.
  • The biology of the thought” de Krishnagopal Dharani.
  • Le Trac. Trac, stress, anxiété, problèmes de communication” de Elizabeth Fresnel.
  • How to create a mind” de Ray Kurzweil.

Prochaine étape liée au sujet : je vais aller pour la première fois au Web Summit qui aura lieu pour la dernière fois à Dublin avant de migrer pour Lisbonne en 2016. C’est le concept du “mall” de l’innovation de l’internet avec 2000 startups qui présentent leur offre, des centaines d’intervenants et 30000 participants annoncés. On va voir ce qu’on va voir !

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