La semaine dernière, Microsoft a marqué les esprits en annonçant son premier plan de licenciement économique de son histoire. 5000 licenciements étalés sur 18 mois, dont 1400 immédiats.
Ce post a pour objet d’analyser cette annonce et de la mettre en perspective du climat économique de l’ensemble du secteur IT.
Entre les lignes de l’annonce Microsoft
Sur le coup de l’annonce de Microsoft, je me suis dit que c’était bien peu et que cela relevait surtout d’un effet d’annonce. En effet, Microsoft reste très profitable et a généré un résultat net de $4,174B sur le quatrième trimestre civil de 2008. Certes, avec une croissance modeste de 1,6% de son chiffre d’affaire d’une année sur l’autre. Comme toutes les entreprises cotées, Microsoft fait tout de même le dos rond en annonçant des réductions de coûts et d’effectifs.
Ces licenciements annoncés représentent 5% des effectifs de la société. Etant étalés sur 18 mois, ils sont largement inférieurs au turn-over naturel de la société qui est aux alentours de 7%. Dans ces 7% il y a au moins une grosse moitié de “départs involontaires”. On se retrouve donc à une annonce de licenciements qui équivaut peu ou prou aux départs involontaires habituels de la société. Ils s’y ajoutent peut-être car ces licenciements ne seront visiblement pas répartis également dans toutes les activités du groupe. Certains groupes produits souffriront plus que d’autres. Certains ont déjà souffert et donné lieu à des départs involontaires, sans qu’il n’y ait d’annonce. Des groupes produits comme celui de Windows risquent de devoir écrémer leurs effectifs juste après la sortie de Windows 7. Et puis, pour une boite de cette taille (94000 employés) qui n’a jamais subit de plan de licenciement de ce type, il y a largement du mou dans les effectifs, surtout dans le headquarter. Et l’étalement sur 18 mois permet de revenir sur la décision au cas où l’économie se porterait mieux d’ici fin 2009 – début 2010 (ce qui est peu probable).
La rumeur qui précédait cette annonce évoquait 15000 licenciements et un impact sur les sous-traitants. Le résultat est bien en deçà, comme si Microsoft souhaitait préserver au mieux son atout principal qui sont ses équipes. Cependant, en étalant ainsi 2/3 des licenciements dans les 18 mois à venir, il créé une épée de Damoclès qui va polluer sérieusement l’ambiance interne dans la société. Le blog mini-microsoft, qui vaut le détour, raconte très bien ce qu’il en est vu de l’intérieur de Microsoft. Mais bon, le moral ne sera pas plus affecté que dans les innombrables sociétés qui licencient à tour de bras et par vagues successives interminables comme chez Sun Microsystems ou Kodak et Yahoo.
Pendant Q4, Google avait annoncé la réduction d’effectifs de 10000 personnes chez ses sous-traitants. Sociétés assurant quelles fonctions, on n’en sait rien. L’externalisation a servi de variable d’ajustement chez Google, qui se porte par ailleurs encore très bien. Il n’est pas impossible que Microsoft ait fait de même, mais sans l’annoncer car les règles de Wall-Street ne l’imposent pas. L’éditeur a en effet lui aussi un cheptel d’au moins 40000 intérimaires, CDD et autres stagiaires en plus de ses 94000 collaborateurs salariés !
L’annonce de Microsoft semble n’être finalement qu’un ballon d’essai. Il n’est pas impossible que les deux premiers trimestres de 2009 soient très mauvais. Parce que les ventes de PC vont baisser, et elles influent les sources de revenus Windows, parce que celles de produits grands public (XBOX) vont baisser d’autant, parce que l’activité online est faible et ne gagne pas de parts de marché, et qu’enfin le business entreprise va subir un sérieux ralentissement. La courbe de chiffre d’affaire pourrait alors sérieusement s’infléchir vers le bas alors que ce n’est pas encore le cas (ci-dessous). Et là, le vrai plan de licenciement arrivera !
Ce sont des périodes difficiles qui révèlent la qualité des managers et leur résilience à la crise et aux difficultés humaines qui sont associées. En général, les top managers demandent aux managers du dessous de faire un “stack ranking” de leurs équipes pour identifier les plus performants et les moins performants. Ces “stack ranking” servent à identifier les personnes à licencier en cas de difficulté. Mais quand les managers sont eux-mêmes mauvais, le système part en vrille et des bons se font aussi virer et rien n’est vraiment rationnel. Or il y a au moins un tiers de mauvais managers dans une boite – au sens de la qualité d’animation d’une équipe, pas du talent “politique”. De quoi bien polluer l’atmosphère ! Même chez Microsoft…
Les boites solides sont celles qui sont dotées d’un vrai système de valeur qui respecte les équipes et qui fait attention à la qualité des managers. La crise révèle ces forces et faiblesses. Et on se rend vite compte que l’espèce des entreprises avec un système de valeurs managériales solides est bien rare ! Existe-t-il une étude permettant de les identifier ?
Et les autres secteurs ?
Là dessus, mon côté analytique reprenait le dessus et je me suis demandé quelle était la situation des grandes entreprises du secteur de l’IT. J’ai donc collecté ces derniers jours le chiffre d’affaire du trimestre terminé fin décembre 2008, et cela montre une belle disparité des taux de croissance et décroissance d’une année sur l’autre :
Voici le tableau détaillé qui va avec :
Qu’y voit-on ?
- Que le secteur des composants électroniques est le plus durement touché avec des baisses de chiffre d’affaire aux alentours de 30% sur Q4. La plupart des analystes prévoient que cette baisse va perdurer sur 2009. Elle est inquiétante car qui dit moins de composants vendus fin 2008 dit moins de produits finis vendus en 2009. Même si les stocks ont du baisser chez les constructeurs et leurs grossistes, l’année 2009 risque donc d’être catastrophique pour l’ensemble du secteur du matériel “consumer electronics”.
- Que les japonais vont mal et que les coréens supportent mieux la crise, même s’ils vont certainement aussi voir leur chiffre d’affaire baisser en 2009. C’est la traduction d’un décalage d’innovations et des gains de parts de marché des coréens Samsung et LG Electronics au détriment des japonais (Sony, Toshiba, Panasonic, NEC, etc). Nous l’avions vu dans le rapport du CES 2009. Mais les sociétés japonaises ont aussi été affectées par la réévaluation du Yen pendant cette fin d’année 2008.
- Que le secteur de l’informatique d’entreprise souffre moins (SAP, Microsoft, Symantec, EMC) que le consumer electronics. Pour l’instant. Notamment parce que ses revenus sont de plus annualisés et relèvent de plus en plus de services et de moins en moins de “biens d’équipement”. On attend cependant les résultats de HP, Dell et Cisco pour voir ! Il vont arriver au début de ce mois de février.
- Que le secteur des télécoms est relativement protégé avec une petite croissance soutenue par une bonne diversification dans la mobilité, et dans le cas précis d’AT&T, par les bonnes ventes de l’iPhone dont il a l’exclusivité.
- Que le secteur de l’Internet est très hétérogène avec de bons résultats chez Amazon, Netflix et Google et de mauvais résultats chez Yahoo et eBay. Là encore, des boites qui gagnent ou perdent des parts de marché et innovent plus que les autres.
En évolution brute de chiffre d’affaire sur ce Q4 2008, la masse du CA perdu par les perdants est faiblement compensée par la masse de croissance générée par les gagnants : respectivement 10 et 20 milliards de dollars sur l’échantillon d’entreprises dont les résultats sont ici analysés. D’autres résultats seront annoncés dans la première moitié de février qui permettront d’avoir une vue plus globale de ce marché.
Côté licenciements, presque toutes les entreprises du secteur de l’IT ont annoncé des plans de réduction d’effectifs, même celles qui ont fait un bon Q4 (Microsoft, SAP, Citrix). Un inventaire des licenciements des grandes entreprises américaines est en cours sur le site du Wall Street Journal (graphe, tableau). On y voit (ci-dessous) que le secteur de l’IT qui cumule les télécoms, les “computers” et “l’electronics” va générer plus de licenciements que dans toute la finance et le plus du double de la distribution (CircuitCity vient de fermer boutique et de licencier 34000 salariés!).
On trouve des licenciements justifiés économiquement dans les entreprises qui font des pertes d’exploitation et doivent donc impérativement réduire la voilure. Dans celles qui sont encore très profitables (SAP, Microsoft, Google), c’est évidemment plus discutable. Mais celles qui anticipent mieux les difficultés économiques s’apprêtent peut-être à mieux les traverser.
Le secteur de l’IT semble entout cas être durement touché par la crise et la récession avec une décroissance d’activité bien plus forte que la récession. Les industries de biens d’équipement sont ainsi des “ludions” de la santé de nos économies. Aux USA, la consommation de bien d’équipement durable a ainsi chuté de 22,4% sur Q4 2008 tandis que la récession était de –3,8%. Et Q4 n’était semble-t-il qu’un apéritif. L’année 2009 devrait être bien plus dure.
La variation des résultats économiques des entreprises du secteur montre cependant que celles qui innovent le plus seront les mieux placées pour résister à la crise. Crise qui ne fera qu’accélérer la sélection darwinienne des entreprises. Aussi bien pour les grands groupes que pour les startups. Evidence qu’il est bon de rappeler !
Seule satisfaction pour nous, petits français : notre industrie IT hors services informatique est très faible, donc nous serons assez peu affectés par ce phénomène. Ce sont les intermédiaires de la distribution qui devraient le plus souffrir. Si au moins, cela pouvait équilibrer un peu notre balance commerciale…
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Olivier,
En effet, il faut relativiser. Ces 5% des effectifs ne sont vraiment pas une surprise, c’est quelque chose que Steve Ballmer avait annoncé clairement il y a déjà plus de deux ans, et dont on trouve encore des traces sur le blog du comité CFE CGC de Microsoft France ici :
http://cfe-cgc-microsoft.blogspot.com/#115005228980364359
Au passage, on notera que dans ce billet on parlait à l’époque de 61,000 personnes pour les effectifs de Microsoft worldwide.
Certes depuis on a connu une croissance dans les effectifs et un peu de croissance externe, et du coup, même avec les 5,000 postes en moins dont il est question actuellement, et même si les “coupes” dans les effectifs devaient monter à 15,000 jobs, on serait encore assez loin des 61,000 personnes de la mi-21006.
Nos délégués du Personnel se disent d’ailleurs assez sereins face à ces annonces de plans de suppressions de postes, cf cet article chez LMI :
http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-les-representants-du-personnel-de-microsoft-face-au-plan-de-suppression-de-postes-27944.html
Et puis sans être fataliste, je dirais bien “incha Allah” et Wait and see…
Christophe
Il faut cependant faire la part des choses.
Ces déclarations de Ballmer relèvent de la méthode Jack Welch consistant à virer régulièrement les x% les moins performants chaque année et à les remplacer par de nouvelles recrues. L’histoire ne dit jamais si elles sont vraiment meilleures, et on ne s’en rend compte que bien plus tard. L’herbe est toujours plus verte ailleurs.
Dans un licenciement économique massif, on frappe plus fort et de manière concentrée dans le temps. Cela peut affecter des équipes entières qui disparaissent. Et c’est d’ailleurs déjà arrivé chez Microsoft Corp (aux USA) mais on n’en parle jamais !
L’approche de MS annoncée il y a deux semaines est en tout cas une demi-mesure : avec 2/3 des licenciements étalés dans le temps, ils se rapprochent de la méthode habituelle,… mais sans remplacement. D’autres boites ont annoncé un même étalement. Il permet de revenir sur la décision si l’économie se porte bien. Mais bon, ce n’est pas très probable dans le court terme.
Les résultats du trimestre en cours qui arrivent en avril prochain nous donneront la suite de l’histoire !
En attendant, les managers s’entrainent gaiement au sport du “stack ranking” sachant qu’eux-mêmes sont dans le stack ranking des managers du niveau supérieur. Jeu pervers !
Ce que j’ai trouvé choquant, ça n’est pas tant les 5 000 personnes licenciées, que les 12 000 embauchées sur l’exercice 2008.
On aurait pu attendre un peu plus de prudence dans les embauches dans une période où les nuages commençaient quand même de s’amonceler sur notre paysage économique.
Depuis quelques temps, il semble que Microsoft soit devenu le roi du contretemps…
Il y a de quoi effectivement, tout comme ces tout aussi nombreux recrutements de 2006 et 2007, en particulier dans la R&D, dont l’output ne s’est pas pour autant amélioré (Search, Windows Mobile…).
Ce que l’histoire ne dit pas, c’est qu’une grande partie de ces recrutements ont eu lieu en Chine et en Inde, avec un coût du travail plus faible. Résultat, Microsoft a accéléré le rythme de ses embauches, mais avec un rythme stable d’augmentation des coûts salariaux, à peu près en ligne avec son chiffre d’affaire.
Donc, maintenant, où licencient-ils ? En Chine ou en Inde, ou bien aux USA et en Europe ? Si c’est aux USA et en Europe, c’est une délocalisation déguisée des coûts salariaux. Si c’est en Chine et en Inde, c’est l’usage d’une variable d’ajustement loin du quartier général…
Les informations manquent pour l’instant pour identifier les endroits où on lieu ces ajustements d’effectifs. On le saura d’ici quelques mois !