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Les super-profits de Total ?

Post de Olivier Ezratty du 8 juin 2008 - Tags : Economie,France,Politique | 11 Comments

Depuis que le pétrole a dépassé les $100 le baril en début d’année, les médias, associations de consommateurs et politiques se sont enflammés pour dénoncer les profits des grandes compagnies pétrolières et notamment celle que nous avons sous la main en France : Total.

Tout y est passé: il faudrait taxer leurs “super profits scandaleux”, les utiliser pour financer un prix plus bas du pétrole pour certains consommateurs (pêcheurs, routiers, taxis, etc). Le comble a été cette déclaration de Ségolène Royal citée dans Le Monde du 7 juin qui a appelé à «prélever les profits de Total, qui sont un bien collectif», afin d’investir «80% de ces profits dans les énergies renouvelables» et de «préparer l’après-pétrole». Ce n’est pas la première fois que madame “yakafaucon” se lance dans ce genre de diatribe indigne d’un politique ayant une moindre connaissance des mécanismes économiques de ce bas monde. Et elle n’est pas seule.

Alors, je me suis dit qu’il était temps de creuser un petit peu. En dépiautant notamment les Rapports d’Activité 2007 des cinq plus grandes compagnies pétrolières mondiales dont Total fait partie. Et la position de Total est intéressante dans ce panorama.

Total est la cinquième plus grande compagnie pétrolière mondiale derrière deux américaines (Exxon, Chevron) et deux européennes (BP, Shell). Son chiffre d’affaire en fait de loin la première entreprise française avec 156 milliards d’Euros.

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En termes de résultats nets, la profitabilité de Total est dans la moyenne, mais elle est dépassée par trois de ses concurrents.

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Je me suis alors demandé si les profits de Total avaient significativement augmenté en 2007 du fait de la croissance du prix du brut, déjà bien entamée dès la moitié de l’année. Résultat ? Pas vraiment. On peut constater qu’en valeur absolue, le résultat net est relativement stable depuis 2004.

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En pourcentage du chiffre d’affaire, le résultat net est même sommes toutes raisonnable, à 8,3% ! Beaucoup d’entreprises françaises ont une meilleure marge que celle-là. A titre de comparaison, L’Oréal et LVMH ont fait un résultat net d’environ 12% de leur CA en 2007, soit pour chacun, plus de 2 milliards d’Euros.

En pourcentage, ce résultat net pour Total s’est amélioré significativement à partir de 2003. Et le taux d’imposition a suivi le rythme. Plus Total gagne de l’argent, plus Total est imposé.

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En consultant les données des rapports d’activité 2007, on apprend plusieurs choses intéressantes :

  • Total est un groupe, dont la maison mère française Total SA génère un chiffre d’affaire artificiel de 9,6md€ pour un résultat net de 5,7md€. Enorme. Mais classique pour une maison mère qui enregistre les flux financiers du groupe.
  • Total SA verse 1,5md€ d’impôts sur les sociétés en 2007 en France, à comparer à 2,4md€ en 2006 et 1,28md€ en 2005. C’est une belle contribution mais qui fluctue en fonction d’un grand nombre de paramètres… que je n’ai pas encore compris. En fait, l’essentiel du reste des impôts de Total, tout de même 12 milliards d’Euros, est versé aux pays producteurs de pétrole, où la taxation est très élevée, de l’ordre de 85% sur le prix du baril. Et ces 1,5md€ d’impôts sont à comparer aux 18md€ de TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers qui alimente le budget de l’Etat.
  • 39% du résultat net de Total SA est distribué sous forme de dividendes aux actionnaires, dont seulement 31% sont français. Le reste a été utilisé pour des rachats d’actions (environ 1,5md€ en 2007) et pour alimenter la trésorerie. Rien que du classique. Le dividende est de 2€ par action, chacune valant environ 55€ pendant l’année 2007. Soit un rendement de seulement 3,6%, à peine de quoi alimenter un plan d’assurance vie pépère. Pas de quoi en faire un fromage ! A titre de comparaison, Exxon a versé $7,6B de dividendes en 2007 sur un résultat net de $40B, soit une rentabilité de 1,4% par action. Exxon a sinon racheté pour $31B d’actions ! De leur côté, Shell et BP ont versé l’ensemble de leur résultat net sous forme de dividendes, n’ayant pas besoin de racheter leurs actions pour soutenir leur cours. Résultat, Total est plutôt dans la bonne moyenne. Ils rachètent relativement peu de leurs actions et le rythme est en baisse, ils distribuent des dividendes corrects mais modestes pour une action qui évolue peu à la hausse pour l’instant.
  • L’action de Total donne lieu à de la spéculation, mais elle est relativement stable dans la durée avec des fluctuations de +/- 20%.
  • Total est la société pétrolière du Top 5 qui paye le plus d’impôts par rapport à son chiffre d’affaire. C’est peut-être lié à la taxation supérieure des pays où ils produisent ou plus simplement à leur meilleure rentabilité opérationnelle.

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En évolution dans le temps, l’impôt sur les sociétés de Total groupe est relativement stable. Il a même baissé en 2007 :

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Alors, faut-il taxer Total sur ses profits qui ne sont pas si exceptionnels que cela ? Pas si évident.

En 2006, les grandes banques françaises avaient aussi fait aux alentours de 5md€ de marge nette, comme Total SA cette année.

Quand on voit que 69% du capital de Total est détenu par des investisseurs étrangers, on comprend mieux pourquoi une sur-taxation serait délicate, surtout si elle ponctionnait 80% des dividendes comme Ségolène Royal le propose. Elle pourrait faire fuir les actionnaires et déstabiliser la société. Contrairement à ce qu’indique Ségolène Royal, les profits de Total ne sont donc pas “collectifs” à l’échelle française. Ils appartiennent la société et à ses actionnaires. Pas à l’Etat, ni à la France.

Quand à l’idée de taxer Total pour investir dans les énergies nouvelles, autant leur demander ou les inciter à investir plus dans ce domaine directement. Ils le font bien mais leur métier principal reste la chaine des hydrocarbures, de la production à la distribution en passant par la transformation et la chimie. De plus, les autres parties prenantes de l’énergie en France gagnent aussi bien leur vie : EDF et GDF sont profitable et peuvent aussi investir dans les énergies nouvelles. Il y a d’ailleurs une entreprise pour cela: “EDF Energies Nouvelles” dont EDF est un des actionnaires. Il serait par contre utile d’encourager le secteur privé à plus investir dans les énergies nouvelles d’autant plus qu’elles deviennent rentables avec l’augmentation du prix des hydrocarbures. Car, il y en a d’autres qui investissent à fond dans le secteur, notamment dans la Silicon Valley. Encore eux !

Au passage, la marge nette 2007 d’EDF est équivalente à celle de Total SA : 5,6md€ et ils ont payé 1,8md€ d’impôts sur les sociétés en France. EDF a versé pour 2,1md€ de dividendes aux actionnaires, soit la même proportion de son résultat net que Total ! Mais l’Etat a touché des dividendes. Normal : il est encore actionnaire d’EDF à au moins hauteur de 70%. Il n’a donc pas besoin de taxer exceptionnellement EDF pour piocher dans son résultat net. Il lui suffit de rester actionnaire (il a cependant revendu une petite part de son capital en 2007 pour financer la reconstruction d’universités). L’Etat est donc classiquement “capitaliste” pour ce qui est d’EDF.

D’où les deux poids, deux mesures dans le discours ambiant sur la taxation des super-profits !

En tout cas, les politiques feraient bien d’être plus raisonnables et informés dans leurs propos. Et les économistes pourraient dire ce qu’ils en pensent et évaluer l’impact de décisions politiques plus ou moins réfléchies.

J’ai trouvé tout de même quelques blogs qui documentent très bien le sujet sur le fond : sur Econoclaste et sur Ecocognito. On y discute également sur le blog de l’ancien Ministre Alain Lambert.

RRR

 
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