Dans un séminaire que j’animais récemment sur la convergence numérique, on me demandait quels étaient les facteurs de succès de l’iPod d’Apple. J’avais déjà un peu réfléchi à la question mais une idée d’explication macro-économique m’est venue en temps réel que voici. Elle a trait à la notion d’écosystème et d’intégration verticale ou horizontale de l’industrie informatique.
Le Macintosh et l’iPod ont de nombreuses caractéristiques en commun. Ils proviennent de la même société, on été créés tous les deux sous la houlette du dynamique Steve Jobs, sont design, très “user oriented” et bénéficient tous deux d’un bon marketing. Et pourtant, le second a connu un succès fulgurant au point d’avoir largement plus de 60% du marché des players alors que le premier qui fête ses 22 ans aujourd’hui peine à concurrencer le PC et Windows, et avec moins de 4% de parts de marché.
Apple est une entreprise qui a choisi de fonctionner dans le mode de l’intégration verticale. Cela veut dire quoi? Qu’ils cherchent à maitriser une part aussi grande que possible de leur chaine de valeur. Pour le Macintosh, il s’agit du matériel, y compris de certains accessoires voire il y a quelques temps du microprocesseur avec le PowerPC, du logiciel de base, MacOS, et d’une partie de son réseau de distribution, avec les Apple Store. Dans le cas de l’iPod, même chose: ils maitrisent le matériel (jusqu’à proposer un système d’amplification et d’enceintes “à la Bose”), le logiciel (avec iTunes sur PC ou Macintosh, le format de fichier AAC) et les services (le serveur iTunes). Et rebelotte, également une partie du réseau de distribution. Cela leur permet par exemple de maitriser également les effets d’annonce. Comme Apple n’a pas besoin de préparer un large écosystème d’éditeurs et de développeurs pour ses lancements, Steve Jobs peut terminer ses conférences avec ses fameuses annonces de nouveautés maintenues sous la chappe du secret jusqu’alors.
L’environnement concurrentiel et son intégration expliquent en grande partie la différence de succès et de parts de marché entre le Macintosh et l’iPod:
- Dans le cas du Macintosh, la concurrence est le monde du PC qui fonctionne sur le mode de l’intégration horizontale: plusieurs sociétés se spécialisent dans les différentes “couches” de la chaine de valeur. Constructeurs de PC (nombreux, faibles marges), de périphériques (nombreux), de systèmes d’exploitation (Microsoft en premier, dominant), de logiciels d’applications créés par des éditeurs de logiciels indépendants, de sociétés de services, etc. Les “gatekeeper” de cette intégration horizontale sont Intel et Microsoft. Non seulement contrôlent-ils les standards clés de cette industrie, mais ils en captent une grande part de la valeur grâce à des marges élevées générées par leur volume d’activité et une R&D fixe amortie sur le volume. Le monde du PC favorise la diversité et cette diversité génère une baisse des prix sur les composants clés, tout du moins hors des produits des “gatekeepers” et encore. Avec Apple, le Mac ne bénéficiait pas d’un tel effet, ou tout du moins d’un effet d’une telle ampleur. Le prix des machines est resté très longtemps élevé en comparaison aux PC. Et le monde Wintel bénéficie d’une barrière à l’entrée monstrueuse avec plus de 80000 applications logicielles éditées par des ISVs. Barrière qui gêne autant Apple que Linux. Bref, d’un point de vue concurrentiel, il est difficile pour Apple de concurrencer le duopole Wintel avec une stratégie d’intégration verticale qui génère un écosystème plus limité.
- Dans le cas de l’iPod, nous avons affaire à un produit pour lequel la notion d’écosystème est plus simple. Pour réussir avec un tel produit, il faut maitriser en amont l’approvisionnement en médias, qui nécessite des accords avec quelques dizaines de pourvoyeurs (maisons de disques). Il n’y a pas besoin d’un écosystème compliqué d’éditeurs de logiciels ou de services. C’est du “btoc”. La concurrence comme Archos ou Creative a choisi le modèle de l’intégration horizontale alors que l’intégration verticale, créatrice de simplicité et de repère pour l’utilisateur, n’est pas complexe à mettre en oeuvre. Résultat des courses, iPod est leader.
Il y a bien entendu d’autres explications qui ont trait au design, à la technologie, à la valeur émotionnelle de la marque Apple et à son marketing. Mais cette notion d’intégration verticale méritait d’être notée comme une différence clé.
Il n’est pas étonnant dans ces conditions que courent des rumeurs sur la création d’un concurrent à l’iPod chez Microsoft. Reste à savoir si ce dernier choisira le modèle de l’intégration verticale, courant dans l’industrie grand public (comme avec la XBOX) avec un appareil sous la marque Microsoft, ou le modèle de l’intégration horizontale avec des appareils proposés par des constructeurs indépendants (comme pour les Pocket PC et les smartphones, plutôt vendus en btob, et qui minimisent les risques industriels pour Microsoft). L’intégration verticale chez Microsoft existe déjà avec celle de Windows Media Player aussi bien dans Windows XP que dans Windows Server. Intégration dont on sait à quel point elle a perturbé la Commission Européenne!
Dans le cas d’Apple, l’intégration verticale peut être menacée soit par la loi (au départ, la loi DAVSI cherchait également à casser en poussant à une interopérabilité des formats et est revenue dessus ensuite) soit par les acteurs tels que les maisons de disques qui ne voient pas d’un bon oeil grandir leur dépendance vis à vis d’un acteur dominant.
J’ai trouvé cet excellent article du site AppleMatters qui décrit en d’autres termes cette question intéressante.
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :