Cette année, le thème des Universités d’Eté du MEDEF était “Formidable jeunesse”. En guise de jeunesse, les médias ont surtout retenu les déclarations d’Emmanuel Macron (38 ans) qui ont occupé les socialistes pendant leur propre Université d’Eté à la Rochelle le week-end suivant ces UE du MEDEF. Voici un petit tour d’horizon de cette édition qui avait lieu comme d’habitude sur le campus d’HEC à Jouy-en-Josas.
L’événement stable dans la forme
Je m’étais agacé du trop plein d’événements dans “L’overdose d’événements digitaux et entrepreneuriaux” et de leurs déficiences chroniques. Les UE du MEDEF ne faisaient pas partie de ma liste d’événements sur la sellette. Mais comme les autres, il comporte ses hauts et ses bas. En plein, la qualité de certains intervenants de haut niveau (patrons du CAC40, politiques, scientifiques, militaires, personnalités étrangères, etc). En creux, un format qui n’évolue pas beaucoup avec d’interminables tables rondes de deux heures comprenant jusqu’à une douzaine de intervenants et où ceux-ci ne peuvent souvent pas faire mieux que d’aligner quelques rapides banalités.
Cette année, la pluie s’était invitée le second jour pour perturber ces agapes et limiter l’impact du “networking” dans l’événement. Il semblait qu’il y avait un peu moins de monde qu’avant, ma dernière participation remontant à 2013. Le changement a peut-être été provoqué par le prix de l’événement qui n’était pourtant pas élevé (90€). Le MEDEF a décidé d’en fait un centre de profit, une nouveauté parait-il.
Dans la forme, à part le discours inaugural de Pierre Gattaz (voir plus loin), rien de vraiment nouveau. Il y avait cependant plus d’interactivité avec la solution d’interaction de Wisembly, visiblement plus utilisée que dans pas mal d’autres endroits où je l’ai vue mis en œuvre et dans les éditions précédentes de ces Universités d’Eté. Mais cela manquait de grandes gueules et de clivages ! Bref, une édition gentillette et molle.
La Jeunesse affichée mais éloignée du pouvoir
Le MEDEF pouvait facilement prêter le flan à la critique en thématisant son événement sur la jeunesse. On allait évidemment vérifier que les jeunes étaient là sur scène et dans la salle. L’audience n’avait pas l’air plus jeune que d’habitude. Les jeunes étaient surtout des entrepreneurs.
Côté intervenants, il y avait de un seul à la moitié des intervenants des tables rondes classifiables dans la catégorie “jeunes” (<40 ans…). Le tout au détriment des patrons du CAC40 qui avaient l’air moins nombreux, y compris dans l’assistance d’ailleurs et même pendant les plénières de prestige.
Le MEDEF renforçait son support de la jeunesse par la symbolique. En affichant des groupes de jeunes sur scène au début et à la fin de l’événement. Au début, il s’agissait d’une quinzaine de jeunes apprentis ayant gagné une médaille au concours mondial Worldskills dont la finale avait lieu à Rio cette année. C’est un concours de métiers manuels (métiers de bouche, BTP, etc). Un moyen de relayer le message du MEDEF qui cherche à rendre ces métiers plus attirants pour les jeunes. Les organisateurs français de ce concours remarquaient d’ailleurs que les français ne s’étaient pas bien fait remarquer dans les catégories high-tech.
En clôture, des élèves d’établissements scolaires de Cergy montaient sur scène et étaient bien contents de faire leur selfie avec Pierre Gattaz et surtout avec Emmanuel Macron. Mais on ne savait pas trop ce que ces jeunes avaient fait de particulier ! Cet équilibre semblait un peu bancal. Comme si le MEDEF voulait absolument montrer des jeunes de banlieue et éviter de promouvoir les jeunes plus favorisés, les ingénieurs, scientifiques et entrepreneurs, finalement assez peu visibles.
Dans les tables rondes, on avait sinon droit à un assemblage assez complet de poncifs sur “la jeunesse” mise dans un sac unique avec ses nouvelles valeurs, avec son sens moins développé de l’effort, ses attentes d’une nouvelle forme de management. Alors que la jeunesse est aussi diverse que les autres classes d’âge ! Dans d’autres sessions, la jeunesse était surtout analysée comme un marché un peu particulier avec qui il faut communiquer via “le digital”.
Il y avait parfois un casting un peu curieux. Telle cette actuaire française travaillant au Royaume-Uni et sans grande envergure. Il y avait des entrepreneurs issus de la diversité, ça fait bien. J’ai surtout apprécié l’intervention de Xavier Duportet, le fondateur d’Eligo Bioscience, qui conçoit des antibiotiques ciblés, et de l’intéressante conférence Hellow Tomorrow. Il est rare que l’on mette en scène des jeunes entrepreneurs pour valoriser l’innovation scientifique ! Il intervenait dans une table ronde sur la science – un sujet régulier comme chaque année – avec notamment André Brahic (à distance), Jean-Yves Le Gall du CNES, les frères Bogdanov et Axelle Lemaire.
Autre phénomène : les nombreux intervenants affirmant sans sourcilier qu’être jeune n’est pas une question d’âge. Même Nicolas Beytout se revendiquait encore jeune ! Et la comédienne Macha Méril recommandait de faire l’amour pour rester jeune. Au moins, cela ne coûte (presque) rien, et aux entreprises, et à l’Etat !
Finalement, on pouvait observer une jeunesse “affichée” mais pas tant valorisée que cela. Il y avait par exemple très peu de jeunes un peu “grande gueule”. Il fallait se rabattre sur des intervenants tels que Michel Godet du CNAM pour mettre un peu d’ambiance. On aboutit à une situation où la jeunesse est étudiée, un peu valorisée, mais où les vieilles générations se gardent bien de passer lui flambeau du pouvoir !
Dans son discours d’introduction, Pierre Gattaz insistait sur le besoin d’avoir un raisonnement rationnel et chiffré pour traiter les problèmes de la France. Mais il ne suffit pas d’évoquer les 25% de taux de chômage des jeunes ! On aurait bien aimé avoir quelques benchmarks multi-pays sur la position des jeunes en France au niveau du pouvoir (élus, entrepreneurs, dans les boards et comex des entreprises). Libération s’est fait un malin plaisir de trouver des jeunes dissonants dans ce concert de bonnes intentions. Ce n’était pas trop difficile. Mais pour le reste, la jeunesse a été plutôt oubliée par les médias qui ont surtout retenu Emmanuel Macron et sa déclaration polémique sur les 35 heures.
Et le numérique ? Il n’y avait pas de thématique particulière autour de ce sujet, n’en déplaise aux spécialistes de ce domaine, à part une bien ennuyeuse table ronde “Ultra-branchés !”. Pas de disruption ni presque pas d’Uberisation (mais on commence à en avoir marre…). L’environnement était un peu mis en avant, COP21 oblige. D’où une table ronde sur le sujet et un village de l’innovation positionné sur ce sujet avec quelques startups et entreprises autour de l’énergie (Schneider Electric), de la domotique et même de l’agriculture.
Pierre Gattaz et la pédagogie de la répétition
Avec le patron du MEDEF, le fond est quasiment toujours le même sur les maux qui minent la France. La complexité (lois, normes, code du travail), le poids des dépenses publiques et la pression fiscale qui pénalisent les entreprises et leur compétitivité.
La forme changeait un peu cette année avec un discours sans notes ni prompteur, une initiative de l’intéressé qui ne provenait pas d’un gourou en communication. Une très bonne pratique qui mériterait d’être plus souvent imitée ! Le tout en structurant ses facteurs de réussite des entreprises autour de 6 V : vision, valeurs, volonté, vérité, victoire et vitesse. Et de demander au gouvernement d’agir plus vite.
Pierre Gattaz veut ainsi introduire les méthodes de gestion des entreprises dans le fonctionnement du secteur public. Ca n’avait pas fonctionné avec la RGPP pilotée par Bercy sous Nicolas Sarkozy mais cela ne veut pas dire que cela ne peut pas marcher !
Le message restait toutefois un peu bourrin. Le coup de la comparaison du pourcentage des dépenses publiques, 57% en France contre beaucoup moins partout ailleurs mériterait d’être un peu plus subtil : il faudrait pouvoir comparer les périmètres de la protection sociale en rassemblant le privé et le public. Quand on retire la protection sociale, la France est-elle si différente des autres pays ? Quand on y intègre le secteur privé (même si celui-ci est, sur le papier, plus efficace que le secteur public) ? Mais cette pédagogie de la répétition semble cependant générer des résultats au vu d’une partie de l’action du gouvernement qui agit paradoxalement autant si ce n’est plus pour les entreprises que ne l’a fait le gouvernement Fillon sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Pierre Gattaz voudrait aussi que le gouvernement aime les entrepreneurs et pas seulement les entreprises, pour faire référence aux déclarations de Manuel Valls aux Universités d’Eté de 2014. Autant on peut aimer les jeunes entrepreneurs de startups, autant les dirigeants des grandes entreprises génèrent moins facilement l’enthousiasme, incarnant soit un capitalisme d’héritiers soit de technocratie baladeuse issue des grands Corps de l’Etat (ENA, X, etc) et dont le “track record” n’est généralement pas bien brillant, tout comme le comportement. Quand on prône le changement, il faut changer soi-même dans des proportions équivalentes. Le MEDEF a bien du mal à créer cet équilibre et à le communiquer !
Emmanuel Macron et l’art de la provocation politique calculée
C’était la super-star de cet événement si l’on en jugeait par l’audience de la salle et par l’affluence des médias souhaitant interviewer le Ministre. Aucun autre Ministre ou ancien Ministre (Borloo, Woerth, NKM) n’ont généré la même cohue, ce d’autant plus qu’aucun n’intervenait en plénière. Avaient cet honneur Thierry Mandon, Axelle Lemaire et Emmanuel Macron.
Son discours mettait en avant les efforts réalisés par le gouvernement pour aider les entreprises (“vous avez l’amour et les preuves d’amour”). En retour, il demandait une plus grande contribution des entreprises, notamment dans la création d’emplois. Il reprenait même pour ce faire la fameuse citation de John F. Kennedy de son discours d’inauguration le 20 janvier 1961 “my fellow americans, ask not what your country can do for you, ask what you can do for your country”. Cela devenait le plus long : “ne demandez pas, ne vous demandez plus ce que votre pays peut faire pour vous. Il fait maintenant beaucoup, je n’ai déjà décliné, je l’ai rappelé. […] Mais demandez vous à chaque instant, comme cela a été fait tout à l’heure, ce que vous pouvez faire pour notre économie, avec nous, parce que vous pouvez beaucoup.” . N’est pas Ted Sorensen qui veut (l’auteur de la citation de JFK) !
Il affichait aussi l’ambition de passer de 57% à 50% de dépenses publiques (en proportion du PIB) d’ici 2022 (fin du mandat présidentiel suivant).
Dans le même temps, il qualifiait les 35 heures d’erreur et cela a fait l’actualité, juste à temps pour le démarrage des Universités d’Eté du PS. Au point d’oublier tout le reste. L’attaque était assez directe : “la gauche […] a pu croire à un moment, il y a longtemps, que la politique se faisait contre les entreprises, ou au moins sans elles. (…) Que la France pourrait aller mieux en travaillant moins. C’étaient de fausses idées”. Lorsqu’il évoque ce point dans son intervention, on sent que Macro sait pertinemment qu’il va secouer le Landerneau. Et cela marche ! Et on oublie tout le reste du discours, plutôt bien charpenté !
Autres membres du gouvernement
Axelle Lemaire évoquait son projet de loi numérique qui sera proposé et pourra bénéficier des commentaires du public. Sa gestation a du retard. La création d’un projet de loi patchwork générant beaucoup de coordination interministériel est toujours complexe. D’autres Ministres étaient assez ternes, comme cette Laurence Rossignol, chahutée par Nicolas Beytout. Il y avait aussi Thierry Mandon.
Il y avait enfin Laurent Fabius, qui intervenait juste après Emmanuel Macron mais dans une salle plus petite réservée au cocktail de clôture, l’audience étant debout. J’ai retenu la chute : l’importance du tourisme pour développer l’économie.
Une ouverture internationale comme d’habitude
Il y avait pas mal d’étrangers dans les sessions plénières. En premier lieu, l’Université était ouverte par la Reine Rania de Jordanie, ambassadrice des pays du Moyen-Orient. Un cas plutôt rare : elle doit bien être la seule femme de la région à être ainsi mise en avant et à défendre des valeurs que l’on pourrait presque juger d’occidentales : les droits des jeunes, des femmes, le rôle de l’éducation et des sciences. Il faut dire que la Jordanie est le pays le plus modéré et en paix de sa région, même si son sud commence à donner des signes de faiblesse face au fondamentalisme.
C’était sinon très teinté “Afrique”. Dominique Ouattara, la femme du président de la Côte d’Ivoire mettait en valeur l’action de sa fondation “Children for Africa”, accompagnée de plusieurs Ministres de son pays au premier rang. Youssou N’dour faisait une curieuse intervention où il brassait pas mal de vent et ne mettait pas en avant son crédo politique de manière bien affirmée. Il terminait son intervention en chantant. Etait-ce dû à un mauvais interviewer (Frédéric Ferrer) ?
Le Premier Ministre du Bénin évoquait de son côté les belles perspectives de développement de son continent et les insuffisances du budget public de son pays, qui n’est qu’à 16%, un niveau qu’il ne recommande pas, et qui force des entreprises comme Total à construire leurs propres routes et à assurer elles-mêmes la sécurité de leur personnel.
Il y avait aussi un allemand, une indienne, une américaine et surtout un anglais, Matthew Hancock Ministre de la Réforme de l’Etat du gouvernement Cameron, qui listait le catalogue des mesures draconiennes adoptées au Royaume-Uni. Un intervenant évidemment très applaudi !
C’en est terminé pour cette séance d’ethnologie patronale ! C’est vraiment la rentrée maintenant !
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