Le MIPTV consacrait deux heures de conférences au sujet de la 4K avec le point de vue des chaines TV, des producteurs et celui d’acteurs technologiques. J’avais déjà pas mal traité le sujet de la télévision et du cinéma au format 4K dans le Rapport du CES 2013 mais plutôt sous l’angle des produits grand publics. Ici, nous remontons dans la chaîne de valeur pour cette seconde partie de mon compte-rendu du MIPTV et du MIPCube après la première qui était consacrée aux startups.
L’écosystème de la 4K est en pleine constitution et selon certains intervenants, il mettra plus de 10 ans à se mettre entièrement en place. Cette évaluation semble cependant quelque peu conservative car elle néglige les effets de bord d’autres industries : celles des smartphones et des autres écrans (moniteurs d’ordinateurs, laptops, etc). L’histoire pourrait très bien aller plus vite que pour la HD, nous allons voir pourquoi dans ce post.
Les démonstrations en 4K
Dans une salle de cinéma du Palais des Festivals, on pouvait assister à quelques démonstrations intéressantes de vidéo 4K, présentées sur grand écran grâce à un vidéoprojecteur SRX-R515P de Sony (ci-dessous). Et oui, le buzz autour de la 4K au MIPTV n’était pas entièrement naturel car il était surtout sponsorisé par Sony qui avait mis le paquet marketing sur cette évolution naturelle de la HD avec force marketing et le sponsoring des conférences sur le sujet.
Cela commençait avec la bande annonce de After Earth (le film qui va bientôt sortir avec Will Smith et son fils) que j’avais déjà vue au CES 2013 sur le stand de nVidia sur une TV 4K connectée en HDMI 1.4 à une tablette dotée du nouveau processeur Tegra 4. C’était encore plus impressionnant de réalisme sur un grand écran au MIPTV. Mais bon, on pouvait déjà voir des films de cinéma tournés (Batman Rises) ou post-produits (Skyfall) en 4K ces derniers mois.
Cette démonstration n’était qu’une mise en bouche avant de passer à des contenus conçus spécifiquement pour la TV broadcast. Comme de nombreuses vidéos présentées au MIPTV, After Earth a été tourné avec la caméra 4K F65 de Sony (ci-dessous). C’est leur haut de gamme destiné au cinéma, lancé en septembre 2011 et disponible depuis début 2012. Cette caméra est devenue une référence notamment par sa plage de dynamique du fait d’un enregistrement des couleurs primaires sur 16 bits. Elle concurrence sérieusement les RED EPIC qui sont utilisées à Hollywood pour des tournages 4K depuis 2008.
Mike Guntton de la BBC présentait, “Survival”, un documentaire animalier en cours de tournage en 4K sur les phases de la vie. 1500 heures de rushes ont été captées dans 30 pays. Le projet avait été initialement commandé en HD mais la recherche de caméras de ralentis tournant à des vitesses comprises entre 60 et 120 images par secondes a amené la BCC à adopter les caméras RED, qui sont aussi 4K. Les équipes de tournage ont particulièrement apprécié la plage de dynamique et la sensibilité de cette caméra qui permet de tourner en basse lumière. Ce qui donne un excellent rendu des textures. Le tournage en 4K permet aussi de recadrer les images sans (trop) perdre en résolution. Les défis techniques du tournage portent sur le volume de données à ingérer (surtout en format RAW non compressé), la netteté qui doit être gérée de manière très précise, le choix des optiques et tout le workflow de post-production. A la projection, la qualité de couleur était impressionnante, avec des niveaux de saturation excellents. Ils étaient aussi dus au projecteur Sony utilisé dans la salle.
Dans les couloirs du MIPCube, des démonstrations tournantes de contenus 4K passaient sur un écran Sony 4K de 84 pouces, celui que l’on voit circuler dans la plupart des démonstrations à Paris. Comme chez TF1 ou sur le stand de France Télévisions à LeWeb en décembre 2012. Ici, parmi des choses déjà vues, le classique match de football dont le réalisme fait évidemment envie… aux amateurs de football.
La vision de l’analyste
Dans la conférence du MIPTV, un analyste de IHS Global, Thomas Morrod, présentait sa roadmap de l’adoption de la 4K par le marché, avec un écosystème en place en 2017 et un étalement de l’adoption étalée jusqu’en 2025, année lors de laquelle la moitié des ventes de TV seraient en 4K. C’est une vue probablement quelque peu pessimiste. Cette prévision est calquée sur le cycle de l’adoption de la HD qui a duré près de 20 ans. Thomas Morrod anticipe cependant l’arrivée des premières set-top-boxes 4K d’opérateurs de TV payantes dès 2014. C’est dû au fait que les chipsets supportant la 4K sont déjà disponibles, notamment chez Broadcom. Le support de la 4K s’appuie sur les nombreux “blocs d’IP” qui peuvent être intégrés dans les “system on chip” de ces box. On en trouve notamment chez Imagination, ViXS ou Allegro.
L’analyse oublie que l’histoire du numérique s’accélère et que le paysage est complètement différent : avec le très haut débit, la mobilité, les processeurs, les écrans qui sont où là où arrivent assez vite.
On peut être tenté de comparer la 3D avec la 4K. Ce, d’autant plus qu’il y a quelques années, Sony misait aussi beaucoup sur la 3D pour se refaire une santé et dynamiser ses marchés. La 3D n’a pas bien fonctionné à cause du produit lui-même et de ses limitations techniques. En effet, aucun système 3D n’est capable de restituer convenablement une vision stéréoscopique. Et quel que soit le système, avec ou sans lunettes, il est fatiguant à l’usage.
La 4K ne présente aucun de ces inconvénient. C’est juste “plus mieux”. Elle ne présente pas d’inconvénients physiologiques comme la 3D. Oui mais… pour en profiter, compte-tenu de la résolution angulaire de l’œil humain, les écrans doivent être plus grands. En tout cas, au cinéma, le bénéfice est manifeste au moins pour les spectateurs qui sont dans la première moitié de la salle. Chez soi, il faudra avoir au moins un écran 55 pouces pour que la 4K ait du sens. Ou alors, un moniteur de 20 à 32 pouces pour regarder du contenu sur son ordinateur de bureau.
D’où viendront les contenus 4K ? Selon les intervenants des conférences, ils concerneront d’abord les contenus non linéaires (cinéma, séries) puis non linéaires (sports). Et ils arriveront en premier par la TV payante. Le panel ne comprenait-il pas un représentant de Sky Deutschland, Gary Davey, l’équivalent de CanalSat en Allemagne ?
Les bénéfices du tournage en 4K
Pour Gary Davey, les tournages en 4K pourraient se généraliser rapidement car le rendu des images 4K downscalées en Full HD est meilleur que pour celles qui sont tournées en Full HD. Une bande annonce du film anglais ‘Fast girls” tourné en 4K en 2011 avec une RED était ainsi présenté en 2K dans la salle, avec un résultat convaincant. Le phénomène est d’ailleurs identique pour des tournages HD projetés en SD (mais en 16/9).
Les tournages en 4K permettent aussi de constituer des stocks de contenus de qualité pour se préparer en amont au passage inéluctable à la 4K. En France, l’INA a ainsi déjà lancé un programme de (re-)numérisation en 4K de stocks de films de cinéma argentique 35 mm. Les studios d’Hollywood font de même.
Côté production, celle de séries, films ou documentaires peut se contenter de une à deux caméras. Mais la création de contenus linéaires en plateau comme les retransmissions sportives requièrent un grand nombre de caméra. Il faut aussi des outils de régie : des serveurs, des mélangeurs ainsi que des moniteurs de contrôle calibrés, qui ne sont pas encore courants en 4K. La connectique doit aussi évoluer pour faire passer le signal généralement non compressé des caméras vers les systèmes de brassage qui allouent les entrées provenant des caméras aux entrées des systèmes de mixage vidéo.
Mais les premières expérimentations démarrent ! En janvier dernier, le belge EVS annonçait l’usage de ses serveurs de production XT3 dans un car régie de la société Kyodo Television pour le tournage d’un match de football dans le stade de Sendai au Japon (la ville affectée par le tsunami de 2011) par l’opérateur satellite SKY Perfect JSAT Corporation. Les serveurs servaient à ingérer les contenus et à les diffuser en gérant des ralentis grâce au tournage en 60 images/secondes. Les caméras étaient reliées aux serveurs avec une liaison HD-SDI 3G de 3 Gbits/s.
De son côté, Bertie Kropac de Bertie Media (Allemagne) produit des films institutionnels pour l’événementiel et notamment pour les salons de l’auto dont certains sont présentés sur des écrans de 70 mètres de large. Il utilise deux caméras Sony F65 pour le tournage. Il apprécie la plage de dynamique disponible (15 stops dans la F65 vs les 13 dans une Black Magic), l’espace de couleur disponible qui permet notamment un meilleur rendu des rouges et une plus grande sensibilité du capteur (qui monte à 2500 ISO ce qui est très bien en vidéo). Ca, c’était pour la pub de Sony !
Du côté du NAB de Las Vegas, on pouvait signaler :
- L’annonce par Black Magic de sa Pocket Cinema Camera, un nouveau modèle qui ressemble à un gros compact avec le même capteur Super 16 mm, une monture d’objectifs 4/3 active et qui enregistre en 1080p sur cartes SD. Et surtout, un modèle 4K de la Black Magic Camera avec un capteur Super 35 mm (21.12mm x 11.88mm). Cette caméra 4K limitée à 30 images par secondes n’enregistre pas dans le format RAW mais uniquement sur du DNG compressé. Ils prévoient de générer du DNG non compressé à terme. L’enregistrement externe se fait via un câble HD-SDI de 6GB/s ou via un disque SSD connecté à la caméra. La caméra sera commercialisée en juillet 2013 pour $4000. C’est la moins chère du marché !
- La présentation par Sony d’un concept d’appareil reflex 4K dans la lignée de l’EOS 1C de Canon, lancé en 2012. Le tout sera accompagné d’optiques adaptées au cinéma pour cet appareil en monture PL.
- Le lancement par RED du capteur 6K RED DRAGON pour ses caméras RED EPIC (qui sont upgradables). Il tourne des vidéos en 6K à 100 fps. et génère des images de 19 mpixels après un dématricage de Bayer.
L’épineuse question du frame rate
S’en suivait une longue discussion au sujet du “frame rate”, le nombre d’image par secondes, notamment avec Barry Basset de l’anglais VMI.
Il rappelait au passage que la véritable résolution 4K était rare : les caméras RED génèrent des images 4K par dématriçage de Bayer (comme les appareils photo lorsqu’ils génèrent un RAW ou un JPEG d’une résolution en pixels qui n’est au départ qu’une résolution en nombre de photosites, des trois couleurs primaires). SkyFall a été tourné en 2,9K avec des caméras ARRI et upscalé en 4K en post-production. Les F65 de Sony ont quant à elles 8 millions de photosites. Mais il en faudrait 24 millions pour générer une image 4K parfaite (4096*2160 pour la résolution x 3 pour les couleurs primaires). A ce jour, aucune caméra 4K n’est dotée d’un capteur de 24 millions de photosites !
La 4K a une résolution quadruple de celle du Full HD. Mais ce n’est pas tout. Comme la résolution s’améliore, il faut idéalement dans le même temps augmenter le nombre d’images par seconde au niveau de la capture et de la diffusion. Sinon, quand ce que l’on film est en mouvement ou que la caméra bouge, on capte une succession d’images floues. Les tournages à 24 ou 25 images par seconde sont acceptables pour le cinéma et la TV lorsque les mouvements sont faibles à modérés. Mais lorsqu’il y a beaucoup d’action comme dans le sport, cela ne passe plus. Pour de l’action rapide, l’augmentation de la résolution sans augmentation du fps (“frames per seconds”) n’améliore pas du tout la qualité. Ce qui faisait dire à un intervenant qu’il valait mieux à la limite tourner à une plus grande vitesse et sans augmenter la résolution. Les films de cinéma en 4K sont généralement présentés en salle en 50p (50 images par secondes). Ils seront convertis en 25p pour la diffusion à la TV.
L’idéal ? Il faudrait tourner les compétitions sportives à 100 voire 120 images par secondes. Pour le football, il faut au moins 50 images par secondes. Problème : cela génère un débit pas facile à faire passer dans les tuyaux par rapport à une cadence de 25 images par secondes. Bref, l’industrie n’a pas encore décidé ce qu’il en était. Je ne serais pas surpris de voir apparaitre des formats adaptatifs. Cela existe pour la résolution de vidéos streamées sur Internet (adaptive video streaming), alors pourquoi pas un adaptative streaming également sur le frame rate qui tiendrait compte non seulement de la bande passante disponible mais aussi du niveau de mouvements dans le contenu vidéo ? Ainsi, seules les retransmissions de contenus nécessitant un frame rate élevé seraient diffusées avec, et les autres se contenteraient du 25p, moins consommateur de bande passante.
Passer à la pratique
Dans une seconde conférence, Maryline Clare-Charrier des Orange Labs présentait l’initiative française 4ever qui vise à coordonner les acteurs technologiques de la filière française de l’image autour de la 4K. Elle rassemble notamment le franco-américain Doremi, spécialiste des serveurs audio et vidéo pour salles de cinéma, Orange et Globecast, l’une de ses filiales, Ateme, Technicolor, Teamcast, France Télévisions, Télécom Paristech et l’INSA.
L’initiative ne relève pas à proprement parler de l’innovation technologique mais plutôt de son usage et de sa mise en place pratique. Elle vise à faire un état de l’art de l’UHD (nom marketing de la 4K pour la TV), à qualifier les équipements qui vont de la captation à la réception, à contribuer à la normalisation, notamment autour du codec HEVC (H265) qui est l’incontournable pour la 4K, à faire des évaluations de qualité en fonction des codecs et des frame rates, et à mettre en place des pilotes pour la captation et la diffusion de contenus 4K. Ce, sur tous les tuyaux : ADSL/fibre, satellite et TNT. On regrettera cependant que l’initiative soit franco-française et qu’elle ne soit pas européanisée comme l’est HbbTV.
Jean-Marc Thiesse d’ATEME faisait de son côté la promotion du format HEVC, ce d’autant plus qu’ATEME est un fournisseur de solutions d’encodage dans ce format. Grâce à ce Codec, on peut démarrer une transmission avec un débit de 13 Mbits/s, soit “juste” le double de la HD qui requiert au moins 6 Mbits/s. En pratique, il y a 8 fois plus de pixels que dans le Full HD car non seulement, la résolution est multipliée par quatre mais on passe d’une image entrelacée à 50 Hz (deux demi-images Full HD 25 fois par secondes) à du 25p non entrelacé.
Dans la pratique, il faudra environ 24 Mbits/s pour avoir une image de qualité en HEVC. Ce qui nous met au-dessus de l’ADSL. Mais cela passe sans problème par satellite, comme le rappelait Norbert Hoelzle de SES Astra qui est déjà prêt à louer ses transpondeurs pour des retransmissions 4K. Le spectre électromagnétique est bien plus généreux dans les transmissions par satellite que sur les transmissions terrestres !
Et puis, la fibre comme le câble supportent aussi ce niveau de débits. Alors, où est-ce que cela cloche ? Dans l’ADSL et aussi avec la TNT, surtout en T1 déployée en France. C’est la norme DVB-T2 qui est plus appropriée. Elle est déployée au Royaume-Uni. Bref, la 4K pourrait à terme modifier le jeu entre les différents tuyaux qui nous alimentent en télévision !
Dernier point qui n’a pas été évoqué dans les conférences : l’impact de la 4K est que pendant quelques temps, il redonnera tout son sens au “premier écran”. En effet, il faut un grand écran pour profiter de cette résolution. Mais on verra sans doutes arriver des tablettes 4K un de ces jours. C’est parfaitement envisageable du point de vue des technologies de fabrication d’écrans LCD.
Voilà pour ces quelques news concernant la 4K. Dans l’épisode suivant, le dernier, nous parlerons un peu de contenus et de social TV.
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
“MIPTV et MIPCube 2013 : 4K” de @olivez sur http://t.co/yvbK401Urg
La 4K c’est un peu un mythe technologique, un mouton de panurge des temps moderne. Je m’explique, la TV HD est un vrai révolution, on a bel et bien de magnifiques images et un son à en couper le souffle. Mais pourtant bien des gens ont du mal à voir la différence. Et la différence elle se voit où? Sur des écrans plus grands, toujours plus grands. Or vu la situation économique nous n’avons ni les moyens de nous acheter des écrans plus grands, ni les moyens de les utiliser par manque d’espace.
Donc finalement aller vers le 4K c’est très beau d’un point de vue technologique mais ça ne va pas être un changement révolutionnaire. Ce sera un produit consommé en mass market lorsqu’il sera très abordable.
la blackmagic en 4K promet de belles performances. pour une gamme de niveau intermédiaire c’est juste exceptionnel. merci pour ce petit tour d’horizon