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Le nouveau plan numérique du gouvernement : compétitivité

Post de Olivier Ezratty du 7 mars 2013 - Tags : Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,France,Google,Innovation,Politique,Silicon Valley,Startups,Technologie | 14 Comments

Dans ce second volet sur le plan numérique du gouvernement annoncé le 28 février 2013 par Jean-Marc Ayrault et Fleur Pellerin, après l’éducation, nous allons couvrir le sujet de la compétitivité.

Un plan numérique du gouvernement ne peut pas négliger l’économie, l’entrepreneuriat et l’innovation. On se rappelle que le plan Besson I de 2008 avait quelque peu éludé la question, se préoccupant plus de contenus et de télécoms. Cela s’était un peu amélioré dans les versions suivantes. L’Etat s’était rendu compte, grâce au coup de pouce de Google, que le numérique était créateurs d’emplois, de beaucoup d’emplois. En exagérant un peu les chiffres, mais c’était pour une bonne cause.

Mais l’Etat a toujours bien du mal à s’adapter aux besoins de l’écosystème entrepreneurial. Il se veut un grand redistributeur. Il prend d’une main (cf l’affaire des pigeons…) ce qu’il redistribue d’une autre (les aides et autres prêts et appels d’offre) en espérant être efficace. Ce qu’il est parfois, donc pas souvent. Mais l’innovation est elle-même un système imparfait avec beaucoup d’échecs. Donc, difficile à benchmarker.

L’Etat et l’écosystème continuent de se demander pourquoi les Google et autres Facebook ne sont pas créés en France. Ni ailleurs en Europe au passage. Les raisons sont pourtant bien connues : le marché intérieur est trop fragmenté, ne serait-ce que linguistiquement, ce qui aboutit à une fragmentation équivalente du financement de l’innovation, la culture française n’est dans l’ensemble pas très propice à la prise de risque, surtout du côté des grands donneurs d’ordre, et on a du mal à se projeter à l’international, seul moyen de contourner la fragmentation européenne. Et notamment vers les USA ou l’Asie, voire dans d’autres pays BRIC comme le Brésil, nouvel Eldorado pour certaines startups.

On se rassure en général avec la qualité de nos talents et de nos chercheurs, … comme si ils étaient nuls dans les autres pays ce qui est certainement faux. La complexité bureaucratique du pays ? On vit avec et on se dit que, finalement, il faut la relativiser. La fiscalité ? Oui, elle joue un rôle un peu négatif, mais là aussi il faut relativiser. On se noie aussi dans le verre du très haut débit qui occupe nos régions, nos élus et nos opérateurs télécoms.

Le principal problème de nos startups, c’est de trouver des clients, des clients qui payent, qui payent bien, dans des délais raisonnables et qui déploient des solutions à grande échelle et pas juste au stade du “proof of concept” ou de la maquette. Nos startups ont besoin de faire de l’innovation à l’échelle industrielle pour réussir, pas juste artisanale. Le reste est finalement presque secondaire. Hiérarchiser les problèmes des entrepreneurs, voilà un objectif pour le gouvernement. Il a lancé des études pour éclairer sa lanterne. Il a sous la main une quantité impressionnante de rapports divers, dont l’excellent panorama des industries du numérique réalisé par l’IGF en 2012 mais aussi les rapports de l’Institut Montaigne tout comme les propositions de syndicats professionnels (Syntec Informatique, AFDEL, etc) qui s’agitent notamment au moment des grandes élections nationales. Dans ce pays, on attend beaucoup de l’Etat. Un peu trop d’ailleurs.

Dans le verre à moitié plein, il y a cette vivacité de l’écosystème entrepreneurial qui ne fait qu’augmenter. La culture entrepreneuriale avance d’année en année avec tous ces incubateurs qui fleurissent dans les grandes écoles voire universités. La France a de la chance d’avoir autant de jeunes et moins jeunes qui veulent entreprendre malgré les boulets qu’on leur met aux pieds. Elle invente tout un tas de dispositifs d’aides et d’accompagnement, mais elle laisse les boulets en place voire les alourdit parfois. Etrange France… bipolaire !

Sur ce, que nous a concocté l’actuel gouvernement ? Il y a du business as usual avec le plan très haut débit qui suit son cours sinueux, l’éternelle question de l’équipement des PME et les habituels saupoudrages d’aides diverses sur quelques secteurs, mais cette-fois ci assez marginales. La nouveauté se situe dans les …

Quartiers numériques

C’est le premier volet du plan gouvernemental. Fleur Pellerin l’avait préannoncé en octobre 2012 à l’issue d’un Conseil des Ministres.

L’objectif ? Consolider l’écosystème numérique privé et public dans une quinzaine de villes, dont la région parisienne. Permettre leur rayonnement international ou régional. Simplifier la vie des entrepreneurs pour leur faciliter l’accès aux ressources : espaces de travail, compétences, ressources publiques et privées.

Le modèle ? Il s’inspire de la mythique et impossible à copier Silicon Valley et surtout des initiatives plus récentes de Londres (Tech City) et de Berlin (Silicon Alley). Des initiatives qui font parler d’elles efficacement mais qu’il faut prendre avec des pincettes. Ce d’autant plus que les quelques succès dans le numérique issus de ces pays n’en sont pas originaires. Les anglais n’ont pas eu besoin de la Tech City pour générer des ARM et autres startups dans les médias. Mais quand une Joanna Shields issue de Facebook prend la tête de la TechCity, la symbolique fait réfléchir. Dans la pratique, la London TechCity est étalée sur un territoire qui fait à peu près le quart de la taille de Paris (ci-dessous). Son centre est le quartier de Old Street, qui a servi de base de départ au déploiement de nombreuses entreprises dans le secteur, grandes (comme Google) ou petites. Un peu comme notre Sentier. Mais un peu plus excentré par rapport au cœur de Londres qui est plus au sud. Nos entreprises de high-tech sont quant à elles un peu plus étalées géographiquement en région parisienne. Les startups sont assez éparpillées mais un peu plus  concentrées dans le centre de Paris, dans le quartier du Sentier. De leur côté, les grandes entreprises sont à Issy les Moulineaux, La Défense, Vélizy, les Ulis, et les écoles, universités et laboratoires de recherche sont aussi disséminés et plutôt … ailleurs !

London TechCity vs Paris

Le gouvernement ambitionne donc de fédérer les initiatives locales et de créer à chaque fois un lieu central, sorte de méga-incubateur de startups intégrant tous les services privés et publics destinés aux startups en amorçage et en éclosion. Avec des espaces de travail et des fablabs – très à la mode en ce moment – pour le prototypage d’objets innovants matériels. Le quartier numérique francilien est destiné à être une vitrine internationale.

Le lieu ? Pour ce qui est de la région parisienne, les déclarations récentes de Fleur Pellerin dans Libération laissent à penser qu’il a déjà été choisi car c’est le “l’hypothèse la plus sérieuse“, comme si elle semblait avoir été travaillée de longue date : la Halle Freyssinet, située juste de l’autre côté de la Seine… de Bercy. C’est là qu’a lieu le salon SATIS pendant l’automne ! Elle évoque le nombre de 1000 startups. Ce qui parait un peu délirant car c’est à peu près le nombre de startups du secteur numérique aidées chaque année par Oseo à l’échelle de toute la France ! Ce nombre ne pourrait être atteint qu’en attirant des startups étrangères. Pourquoi pas ! Mais au moins, le lieu est bien desservi par le métro (station Chevaleret, ligne 6) ! Au passage Fleur Pellerin démolit à la fois Eric Besson et Nathalie Kosciusko-Morizet dans son interview mais elle trouve tout de même bien pratique de piocher dans le Plan d’Investissement d’Avenir pour financer la quasi-totalité des mesures de son plan ! Or on doit cette manne au travail de lobbying de la première en 2009 ! Un peu de fair play serait le bienvenu dans cette histoire !

Le marketing ? L’initiative des quartiers numériques s’appuiera sur la création d’une marque ombrelle commune. Un point très important quand on sait par exemple que la London Tech City doit beaucoup à la communication et moins à un véritable réaménagement du territoire. Cette marque ombrelle pourra notamment être utile pour projeter nos entreprises à l’étranger. Cela pourra aider UbiFrance à donner un peu de lustre à la présence française notamment lors des grands salons du numérique (MWC, IBC, et peut-être même au CES). Le défi est de faire passer l’image d’une France à la fois créative et innovante, ce qui n’est pas trop difficile, mais aussi plus “pro-business” ce qui l’est moins. Les anglais eux, n’y vont pas par le dos de la cuiller dans leur marketing. Comme ci-dessous sur le stand de UKTI – l’équivalent chez eux de UbiFrance – au CES de 2010 avec son “Love and Money” associé à la créativité. Une symbolique que l’on avait bien ressentie lors des JO de Londres, notamment lors des magistrales cérémonies d’ouverture et de clôture.

UKTI booth (10)

Le financement ? Quels seront les moyens mis en œuvre en cette période de disette budgétaire ? Il semble que les attentes soient très fortes vis à vis du privé. Quels sponsors vont s’engager là-dedans et notamment cofinancer les infrastructures ? On peut s’attendre à un mélange d’acteurs français (souvent des opérateurs télécoms, avec un mix qui reste à déterminer car ils ne sont pas tous en forme…) et étrangers (les habituels Google et Microsoft, mais ils ont déjà lancé ou financé leurs propres initiatives comme le GLII – Grand Lieu Intégré de l’Innovation avec Le Camping et La Cantine à Paris pour le premier et un petit accélérateur dans le sentier pour le second).

Le planning ? Il est ambitieux : après le lancement d’une consultation publique (ci-dessous), la CDC doit rendre ses conclusions sur le projet d’ici juin 2013. Les premiers quartiers, notamment celui de Paris, sont censés ouvrir en 2014. En parallèle, l’entrepreneur Tariq Krim planche sur l’identification des talents. Pas à titre individuel pour trouver tel ou tel entrepreneur brillantissime méritant le support de l’Etat, mais au niveau des sources de talents : les écoles, les universités, les initiatives publiques et privées ou les approche collaboratives qui marchent.

Paris Capitale Numerique

Le gouvernement souhaite aussi attirer dans ces lieux de grandes entreprises, et notamment leurs laboratoires de R&D, sans compter la recherche publique. L’INRIA pourra-t-elle rester indéfiniment dans son ilot de Rocquencourt ? Attirer les entreprises, oui. Mais de là à déplacer toutes les boites de Vélizy (Bouygues Télécom, Thalès, Stéria, Dassault Systèmes, Oracle, Alcatel-Lucent, etc), Issy les Moulineaux (Microsoft, Cisco, HP, re-Bouygues Télécom, Canal+, etc) ou La Défense (surtout les grandes SSII) ? Pas évident !

Que faire de Saclay, l’autre projet de Silicon Valley à la française ? Il prend du plomb dans l’aile pour tout un tas de raisons connues pourtant dès le départ : trop orienté sciences “dures”, pas assez de sciences “molles” (sociales, business, marketing, design, droit), trop éloigné de Paris, mal desservi par les transports en commun, trop éclaté géographiquement et au passage avec une parité de genre très déficiente. En conséquence de quoi, pour ce qui concerne au moins le numérique, il sera probablement géographiquement marginalisé et restera ce qu’il est aujourd’hui : une zone d’écoles d’ingénieurs, d’universités et de laboratoires de recherche, mais pas assez maillée avec les entreprises.

Il y a d’autres idées dans l’air comme la création de zones franches fiscales et aussi des rapprochements européens, notamment avec Berlin. Ce sont des pistes intéressantes à creuser pour démontrer le côté pro-business du pays. Le résultat sera-t-il un projet à la sauce française, plutôt jacobin et centralisateur pour ce qui est de Paris, et provincial et éparpillé sauce Pôles de Compétitivité pour le reste ? Il est trop tôt pour le dire. Le plan de Fleur Pellerin est en tout cas très ambitieux. Il faut surtout s’assurer que les questions fondamentales évoquées en introduction seront bien traitées.

D’où, en complément des consultations sur les Quartiers Numériques, le lancement des “Assises de l’Entrepreneuriat” qui servent de plateforme de concertation sur ces différents sujets. Neuf groupes de travail planchent sur des propositions et sont pilotés par des gens très biens (Philippe Hayat, Catherine Barba, Marie Ekeland, etc). Ils couvrent notamment la diffusion de l’esprit d’entreprise, la fiscalité de l’entrepreneuriat, la formation, le financement, l’innovation dans les entreprises et le développement international. Ceci donnera lieu à une vingtaine d’actions qui seront annoncées en avril 2013. J’ai toujours l’impression que l’histoire se répète mais il ne faut pas désespérer pour autant !

Financements sectoriels

150m€ sont alloués au soutien à la recherche et à l’innovation. Il s’agit d’une allocation d’une petite enveloppe déjà initialement prévue pour le numérique, celle du Plan d’Investissement d’Avenir. Il y avait à l’origine 2,5 Md€ (milliards) pour le numérique ! Ce PIA est une aubaine : il est régulièrement réutilisé comme source de financement et fait l’objet de réallocations permanentes. C’est un jeu de bonneteau qui a perdu tout le monde ! Eric Besson nous y avait habitués de 2010 à 2012 en annonçant régulièrement tel ou tel investissement sectoriel qui était toujours pris dans le même coffre, celui du PIA ! Le budget avait même servi à créer la Banque de l’Industrie par Sarkozy juste à la fin de son mandat et qui va se fondre dans la BPI.

Ici, comme pour le Plan d’Investissement d’Avenir initial, nous avons une focalisation sur certains secteurs jugés prometteurs : les objets connectés, les logiciels embarqués, le calcul intensif, le cloud, le big data, la sécurité et la robotique. Le rationnel ? C’est surtout le résultat du lobbying des acteurs publics et privés concernés qui poussent chacun leur domaine. La différence par rapport au PIA ? On a plus de sujets “horizontaux” technologiques et moins d’usages “verticaux” comme la e-santé, la e-éducation ou les smart cities. Cela mélange une approche grand public et d’informatique d’entreprise mais avec un penchant plus fort pour cette dernière.

Comme toujours, on va financer des projets plutôt dans l’amont de la R&D avec la difficulté à créer de véritables écosystèmes et des plateformes. Avec le vœu pieu de devenir leader mondial dans ces domaines où l’on est déjà largement dépassé en général, comme dans le cloud. Tout du moins au niveau industriel car on a de nombreux bons chercheurs sur tous ces sujets. On sait déjà que ce n’est pas le gouvernement qui nous permettra de réussir industriellement. Sauf à lancer des projets d’équipement très ambitieux, ce qu’il est incapable de faire en l’état. A la fois par manque de moyens financiers et aussi, du fait d’une culture projet assez déficiente associée à une société trop complexe à bouger.

Et les grands Corps techniques de l’Etat ne sont plus ce qu’ils étaient pendant les trente glorieuses ! Ils ont été déplumés par les privatisations successives des entreprises industrielles de l’Etat et des services publics comme France Télécom. L’influence des polytechniciens des Corps techniques (télécoms, mines, ponts, …) s’est effacée devant celle des énarques. La symbolique : le patron de France Télécom qui a été longtemps un X-Télécom (voire, grande déchéance, un vulgaire Supelec…) est maintenant un HEC-ENA ! Allez bâtir des stratégies industrielles avec cela ! Bon, heureusement, la conséquence est que l’on voit maintenant des X devenir entrepreneurs ! J’en connais quelques-uns de très bons !

Je découvre au détour du plan du gouvernement l’Alliance Allistène, une structure de coordination de la recherche publique française dans le numérique créée en 2009 ! Elle couvre l’un des trois pôles de la Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation (SNRI), créée du temps où Valérie Pécresse était Ministre de la Recherche. C’est le regroupement des organismes de recherche publique concernés par le numérique : les trois gros piliers que sont l’INRIA, le CNRS et le CEA, accompagnés des grandes écoles et des universités via le CDEFI (qui regroupe les grandes écoles) et la CPU (les présidents d’universités). Il y a aussi les organismes de recherche qui exploitent le numérique dans leurs travaux comme l’INRA (agriculture), l’INRETS (transports) et l’ONERA (aérospatial). Il manque juste l’INSERM (santé). Allistène sert à quoi ? A coordonner le mille-feuille de la recherche publique dans le numérique. Ils ont produit une sorte de nomenclature et d’alignement de l’ensemble des unités de recherche des laboratoires concernés. C’était fort utile car la plupart des projets de recherche sont menés conjointement par plusieurs laboratoires.

Le tout est organisé selon un découpage fonctionnel avec réseaux et calculs, logiciels et systèmes informatiques, réseaux et services, connaissances, contenus et interactions, et nanotechnologies. Ne cherchez pas des priorités : il y a tout dedans ! Mais la coordination du tout vaut mieux que rien.

Organisation Allistene

On va donc retrouver les habituels appels à projets sectoriels gérés par la CDC. Des sociétés vont y répondre, celles qui sont naturellement plus enclines à faire de la recherche qu’à vendre de vrais produits à de vrais clients et en volume. Oui, un système bien connu qui dans certains cas génère quelques réussites mais en majorité alimente un tonneau des Danaïdes de fonds perdus. Le propre de l’innovation est que les grandes réussites sont en général générées “hors système” et du fait d’entrepreneurs innovants et un peu dingues (au sens, atypiques et anticonformistes) : les SigFox, Parrot, Withings et autres Sculpteo.

Le plan du gouvernement n’évoque pas la configuration toujours en construction de la Banque Publique d’Investissement qui devient une sorte de holding coiffant Oseo et la Caisse des Dépôts et notamment ses véhicules d’investissement en fonds propres (CDC Entreprises, Fonds Stratégique d’Investissement). Cette configuration pourrait s’appuyer sur les recommandations de l’Inspection des Finances faites l’été 2012 sous la direction de Bruno Parent. En étant optimiste, on peut s’attendre à un peu de rationalisation et à une simplification du parcours du combattant pour les entrepreneurs. En étant réaliste, bien… on est réaliste et on n’en attend pas trop !

Numérisation des PME

C’est un vieux serpent de mer régulièrement remis sur la table : l’équipement des PME en outils numériques ! La France est souvent en retard dans ce domaine, notamment dans le e-commerce. Les gouvernements se sont succédés au chevet des PME réticentes aux progrès du numérique. Il y a eu les initiatives NetPublic, le Passeport pour l’économie numérique, Mon Entreprise en Ligne, etc. On ne compte plus les initiatives, avec des partenariats publics-privés intégrant pêle-mêle Pages Jaunes (maintenant Solocal), Google, Microsoft, d’autres acteurs français ou américains du numérique et les chambres de commerce pour équiper les PME. Résultat : nos PME sont toujours à la peine. Pourquoi donc ? Est-ce lié à un manque de moyens, nos PME étant les moins profitables d’Europe ? Pas seulement. Il y a un phénomène d’œuf et de poule : elles exportent moins que dans d’autres pays européens, elles ont donc une emprise plus locale, donc un besoin moindre d’Internet et de commerce en ligne.

monentrepriseenligne

La méthode choisie cette fois-ci ? Des prêts bonifiés à hauteur de 300 m€. D’où viennent-ils ? Ils seront gérés par la BPI qui regroupe maintenant la CDC et Oseo. Le financement ? Vous l’avez maintenant deviné : bingo, il vient là aussi du Plan d’Investissement d’Avenir, décidément mis à toutes les sauces. Mais m’sieur, c’est quoi un prêt bonifié ? C’est un prêt de la BPI qui est abondé par un prêt complémentaire de l’Etat qui apportera 27m€ en plus ou au sein des 300 m€ du programme. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

PME en France

Le plan du gouvernement ne précise pas à ce stade quels investissements des PME seront finançables par des prêts, d’une hauteur allant de 300K€ à 2 m€. Ce montant indique indirectement une volumétrie très limitée : il concernera un maximum de 500 à 1000 PME. Alors qu’il y en a 2,3 millions en France dont 21000 moyennes entreprises, cf la tableau ci-dessus originaire de la Commission Européenne. Mais toutes nos PMEs ne sont pas en retard en matière d’équipement numérique. En tout cas, ce plan va certainement créer un bel effet d’aubaine pour certaines.

L’approche sera donc sélective mais les modalités du tri restent à préciser. On sait juste que le programme sera piloté en s’appuyant sur le réseau des CCI, avec des contrats avec les régions. Bref, beaucoup de belles réunions en perspective ! En visio-conférence ?

Très haut débit pour tous

La mesure 9 (sur 18) est le gros morceau du plan du gouvernement, une énorme épine dans le pied ! Il est pris entre le marteau et l’enclume : l’enclume, ce sont les opérateurs télécoms qui sont poussés à investir dans la fibre optique, et aussi dans la 4G, et se plaignent de la concurrence effrénée de l’un d’entre eux (Free) qui réduit leurs marges et leurs capacités d’investissement. Le marteau, ce sont les collectivités locales qui piaillent d’impatience pour équiper leurs ouailles de très haut débit pour les désenclaver citoyennement et économiquement. Ces dernières ont bâti des projets de cofinancement d’infrastructures de fibres dans les zones peu denses sur lesquels se greffent ensuite les grands opérateurs télécoms pour proposer leurs offres commerciales (j‘avais décortiqué l’histoire dans une série d’articles avant la présidentielle 2012).

Après avoir remis en cause l’approche du précédent gouvernement dans la résolution de ce problème pendant la campagne présidentielle 2012, Fleur Pellerin et le gouvernement font du changement dans la continuité en s’appuyant sur “les dynamiques déjà engagées par les opérateurs privés et les collectivités locales”. Mais cette fois-ci, promis, l’Etat devient “stratège” alors qu’avant, il n’était qu’un vulgaire tacticien de droite. Comment devient-on stratège ? La réponse est dans le texte : en pérennisant “une structure de pilotage du déploiement des réseaux très haut débit” qui “aura notamment pour rôle d’encourager et d’encadrer les déploiements des opérateurs et de soutenir l’harmonisation des initiatives des collectivités territoriales”. La stratégie par les réunions, voilà un concept innovant !

Quid du financement ? Les besoins ont été évalués à la louche entre 30 Md€ et 40 Md€ par les sénateurs en charge du sujet, mais cette évaluation est souvent à géométrie variable selon l’objectif visé (haut débit ou très haut débit, fibre ou pas, infrastructures backbone ou terminaison locale jusqu’à l’abonné) et le timing. Le gouvernement a de son côté annoncé un plan de 20 Md€ étalé sur 10 ans. Un tiers est financé par des subventions et notamment des prêts de long-terme de l’Etat aux collectivités locales. Là encore, on va faire appel à l’épargne publique par le truchement de la bonne vieille CDC.

La différence par rapport au précédent gouvernement se situe peut-être dans un souci de plus grande péréquation. A savoir, d’aider les régions où le coût des infrastructures (par abonné) sera plus élevé pour des raison géographiques. Mais les vases communicants ne sont pas explicites.

Sur les 20 Md€, l’Etat en fournira 3. On n’est pas loin des 2 Md€ initialement prévus dans le Plan d’Investissement d’Avenir. Le reste devra venir des collectivités locales et des opérateurs télécoms. Les cinq grands opérateurs télécom français ont investi 6,4 Md€ en infrastructures fixes et mobiles par an entre 2008 et 2010 et 7 Md€ en 2011 (source : Fédération Française des Télécoms). Les opérateurs télécoms subissent aussi 1,2 Md€ de fiscalité spécifique (taxe Cosip, financement de la TV publique, cf mon schéma dans cet article). Sur 10 ans, cela fait 12 Md€ ! Mais l’investissement des opérateurs privilégie naturellement les agglomérations et pas les campagnes reculées. D’où les initiatives locales avec des partenariats publics-privés avec des structures spécialisées dans l’implantation d’infrastructures télécoms.

En gros, la ventilation du financement du très haut-débit présentée par le gouvernement est la suivante si je comprends bien : Etat = 3 Md€, collectivités locales : 4,3 Md€, et 14,6 Md€ pour les telcos ! Le Sénateur Maurey, qui s’était déjà opposé au gouvernement Fillon sur le sujet n’est pas plus enchanté par la nouvelle feuille de route, qu’il juge très floue. Bref, ça va encore hurler pendant 10 ans mais on va y arriver au bout du compte… Et il faudrait rappeler que ce débat est assez éloigné du thème de la compétitivité. En effet, il porte sur les zones très peu denses, c’est-à-dire, celles où il y a notamment peu d’entreprises. Ce sont pour l’essentiel des zones rurales. Elles ont une faible contribution au PIB et aux exportations. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’en occuper. Mais que c’est un autre sujet que celui de la compétitivité économique ! Il relève plus de la citoyenneté et du besoin d’éviter que ces zones se dépeuplent encore plus.

Voilà pour la partie compétitivité du plan numérique du gouvernement sauce 2013.

Alors, est-ce qu’avec tout cela la compétitivité numérique du pays va s’améliorer ? A vous de voir…

Dans la troisième et dernière partie, nous traiterons du sujet un peu fourre-tout des “valeurs” de ce plan numérique du gouvernement.

RRR

 
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