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Le nouveau plan numérique du gouvernement : éducation

Post de Olivier Ezratty du 6 mars 2013 - Tags : Enseignement supérieur,France,Politique,Sociologie | 6 Comments

Le jeudi 28 février 2013 avait lieu un séminaire gouvernemental sur le numérique avec le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault pour annoncer un nouveau plan du gouvernement sur le numérique. Comme souvent en pareille occasion, je prends le temps de décortiquer ce que ce genre de plan peut comporter. Les politiques publiques de l’innovation ont toujours un impact sur la vie des startups, donc cela vaut le détour.

Seminaire Gouvernemental Numerique Feb2013

Rétrospective des plans numériques gouvernementaux

Un peu comme l’éducation, l’agriculture ou la justice, le numérique fait maintenant l’objet d’un nouveau plan du gouvernement tous les 2 à 5 ans. On en est maintenant au moins au cinquième plan en une vingtaine d’années. Cela se comprend : le numérique transforme tout, de la société à l’économie. Et l’Etat passe son temps à devoir s’adapter à cette nouvelle donne, voire à chercher d’en anticiper les changements. Il court plutôt après en général.

Alors, commençons par une petite mise en perspective des différents plans numériques du gouvernement et de leurs méthodes de conception et de présentation :

  • Plan Informatique pour Tous, du temps où l’actuel Ministre des Affaires Etrangères, Laurent Fabius, était Premier Ministre (1984-1986). Un plan focalisé sur l’éducation, qui visait à équiper les écoles de TO7 de Thomson. Un échec mémorable à la fois sur le fond et sur l’approche industrielle au moment où l’industrie du PC décollait. Surtout, comme à de nombreuses reprises dans les années qui ont suivi, le corps enseignant n’avait pas été accompagné dans l’appropriation de l’outil numérique. Et il n’existait pas d’écosystème ou de communautés pouvant prendre efficacement le relai. Et encore moins de magasins d’applications et d’Internet !

Thomson TO7

  • Plan d’Action du Gouvernement pour la Société de l’Information (PAGSI) du gouvernement Jospin en 1997/1998, présentés par des interventions de ce dernier aux Universités d’Eté d’Hourtin. Avec aux manettes Jean-Noël Tronc, aujourd’hui patron de la Sacem et Daniel Kaplan de la FING, qui fait partie du Conseil National du Numérique. On est deux à trois ans après l’arrivée de l’Internet dans le grand public, mais bien avant celle de l’ADSL qui signale au début des années 2000, son envol dans les foyers. Ce plan était évidemment bien plus visionnaire que fameux rapport de Gérard Théry sur les autoroutes de l’information (1994, sous Balladur) et qui dénigrait l’Internet au profit du modèle du Minitel. La dimension sociétale était forte dans ce plan. L’aspect entrepreneurial un peu moins car on était avant le phénomène de la première bulle de l’Internet.
  • France Numérique 2012 : il est présenté à l’Elysée par Eric Besson, le 18 octobre 2008, en l’absence remarquée de Nicolas Sarkozy, occupé à régler les soubresauts de la crise financière générée par la faillite de Lehmann Brothers aux USA. Mais nous avons tout de même la présence de Valérie Pécresse, alors en charge de la recherche de l’enseignement supérieur, et de quelques autres ministres. Le plan proposé contenait un bric à brac de 154 mesures. Il faisait suite à des Assises du numérique qui exposaient le sujet et les grandes lignes du plan, des dizaines de débats participatifs organisés dans toute la France et une consolidation des propositions par le cabinet d’Eric Besson. Cette version participative de préparation explique en partie la dispersion du plan. Mais on y retrouvait les mêmes sujets qu’aujourd’hui, notamment dans l’éducation, la santé, l’entrepreneuriat, le haut débit, etc. A l’époque, il fallait aussi terminer le passage complet de la télévision hertzienne au numérique. C’est maintenant chose faite.

france-numerique-2012

  • Plan d’Investissement d’Avenir, et son intégration de 4,5 milliards d’Euro pour le numérique du temps de Nathalie Kosciusko-Morizet, en 2009/2010. Cette préparation est aussi menée avec de la concertation préalable. Le point d’orgue a été une conférence de lancement en septembre 2009, en la présence d’Alain Juppé et Michel Rocard, les deux co-présidents de la commission du grand emprunt. Presque la moitié du plan (2 milliards sur 4,5) est dédié au cofinancement des réseaux. Mais c’est jugé insuffisant par les collectivités locales. Le reste est dispersé dans un tas d’initiatives difficiles à suivre.
  • France Numérique 2020, avec une présentation lors des Assises du Numérique à l’Université Paris-Dauphine, le 30 novembre 2011, et l’intervention de François Fillon. Le plan, situé en fin de mandat de Nicolas Sarkozy est à la fois un bilan du plan précédent et un plan – prudent – pour 2020. Il comprend 23 mesures dans cinq secteurs. L’approche est moins concertée. C’est plus un travail de cabinet ministériel, en liaison évidemment avec les différents lobbies du secteur du numérique qui y sont allés chacun de leurs propositions.

François Fillon (8)

  • Enfin, ce plan sans nom présenté à Gennevilliers lors du séminaire gouvernemental du 28 février 2013, avec le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault et évidemment Fleur Pellerin, Ministre Déléguée en charge du numérique (ci-dessous en décembre 2012). Mais aussi quelques autres Ministres concernés par le sujet. Pas devant un public de conférence ou le gratin du secteur, mais avec une conférence de presse et quelques entreprises. La méthode de présentation est plus rigoureuse : constats, objectifs et plan précis avec des dates et si possible des chiffres. C’est aussi un plan moins dispersé avec moins de mesures, 18, réparties dans trois secteurs. L’équipe en place a bien appris d’une partie des erreurs des équipes précédentes ! Par contre, l’écosystème semble moins impliqué et mobilisé. Pas de grand événement. Qui plus est, l’annonce du plan a lieu un jeudi, juste avant deux semaines de vacances scolaires (pour la région parisienne). De quoi générer une belle forme d’indifférence. D’où cet article de rattrapage…

Fleur Pellerin (2)

A l’image de l’Internet, le rythme de création de ces plans gouvernementaux s’est bien accéléré. C’est aussi lié au fait que depuis 2008, il y a un membre du gouvernement qui est en charge du sujet. Il doit évidemment marquer son territoire !

Le numérique a aussi entrainé un autre phénomène : le “fact checking”. Les données des faits et gestes gouvernementaux sont plus traçables et les comptes doivent être rendus avec plus d’assiduité. Cela explique la formule du plan Besson 2 en novembre 2011, consacré pour moitié au bilan de la période précédente. Pour l’actuel gouvernement, on n’en est pas encore là car il ne va pas s’éterniser sur le bilan des 10 années précédentes, à part pour le démolir comme le veut l’habituel jeu de l’alternance politique. Mais la méthode du plan est aussi présentée dans ce sens : le gouvernement rendra des comptes chaque année à la même période et un site web permettra d’en suivre l’exécution.

Le contenu du plan

Il y a donc trois axes dans ce plan : l’éducation, la compétitivité et les valeurs. A chaque fois, on voit mises au même niveau des plans plutôt stratégiques (comme le très haut débit pour tous) et des mesures budgétaires de moindre importance (prêts bonifiés pour les PME, 150m€ de soutien à la recherche et l’innovation qui n’ont pas l’air bien nouveaux). Il y a aussi des mesures plutôt symboliques, qui ne changeront ni la vie des gens (en France) ni celles des entreprises (comme le contrôle des exportations).

L’éducation

Le numérique et la jeunesse est le premier axe du plan. C’est bien vu car la jeunesse, c’est l’avenir. Et elle est un peu désespérée. Le plan sur focalise sur l’enseignement aussi bien dans le primaire et le secondaire que dans le supérieur. Trois volets sont déployés en cinq mesures : le numérique à l’école, dans les universités et pour les formations spécifiques aux métiers du numérique.

  • Numérique à l’école

“L’objectif du Gouvernement est qu’à l’issue du quinquennat, tous les élèves sortant du système scolaire soient familiers des outils et ressources numériques, aient reçu une éducation à l’information et aux médias et soient sensibilisés aux enjeux historiques, culturels, artistiques, économiques et sociaux induits par la mutation technologique de la société et de l’économie.”

Le plan se focalise à la fois sur les contenants (outils d’accès à la connaisance) et aux contenus (en général, et ceux qui sont liés au numérique).

Le gouvernement propose l’apprentissage des usages numériques dans le primaire et le secondaire, un domaine où l’état des lieux n’est pas présenté avec précision. Cela concerne aussi l’intégration du numérique dans les filières d’apprentissage. Il est d’ailleurs bien curieux de voir que le gouvernement propose que ces filières intègrent l’usage de la CAO et du DAO (dessin assisté par ordinateur). Ah bon ? Ils travaillaient encore au papier Canson et au Rotring de mes classes prépa d’il y a plus de 30 ans ?

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Il y a de la formation pour 150000 enseignants aux usages du numérique dans la pédagogie, dans le cadre des Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education (ESPE) qui feront renaitre feu les IUFM à la rentrée 2013. Et puis la mise en ligne de cours pour les 370000 enseignants des écoles eux-mêmes programmée pour la rentrée 2013.

Le plan présenté dans sa forme synthétique reste vague sur un grand nombre de points : à quels outils seront formés les enseignants ? Ceux du marché ? Des logiciels libres ? Des tablettes ? Des micro-ordinateurs ? De quels contenus parle-t-on ? Quelles seront les pédagogies numériques proposées ? On sait par contre que c’est encore la CDC qui va cofinancer les acquisitions d’équipements numériques des collectivités locales. Et on ne parle plus d’équipements en Tableaux Blancs Interactifs (TBI) qui étaient à la mode il y a quelques temps, et où la France était mal équipée par rapport à ses voisins européens. Cela tombe bien car, un, ils coûtent plutôt cher et, deux, les enseignants ne s’en servaient pas.

Certaines évolutions pédagogiques font parfois froid dans le dos. Il en va ainsi de la disparition programmée dans 45 états des USA de l’apprentissage de l’écriture manuscrite. On n’en est pas encore là en France, mais cela pourrait arriver un jour. On ne sait pas encore évaluer jusqu’où ira le concept de l’exo-darwinisme cher à Michel Serres (en 2005, bien avant la publication de “Petite Poucette”). Notamment lorsque l’on voit l’expérience utilisateur des Google Glass. Imaginons de telles lunettes portées par un enseignant du futur pour identifier ce qui va et ne va pas en temps réel avec ses élèves, une caméra infrarouge permettant d’identifier les élèves à problèmes, et un système indiquant que dire et faire pour bien s’en occuper…

  • Numérique à l’université

Ici encore, on “rattrape un retard”. Il s’agit de déployer l’usage du numérique pour l’enseignement à distance et pour attirer les meilleurs talents mondiaux. On va donc déployer des “Universités numériques, plus accessibles” notamment dans le cadre du projet “France Universités Numériques” qui vise à mutualiser et rationaliser la mise en ligne de cours d’universités. Ce plan FUN (isn’t it ?) a été annoncé en janvier 2013 par Geneviève Fioraso avec comme objectif  de mettre 20% des cours en ligne d’ici 2017. L’ensemble va notamment s’appuyer sur ESUP-Portail, un consortium de 73 établissements d’enseignement supérieur qui pilote cette mutualisation.

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On nous annonce même à terme la fin des cours en amphi. Petite réserve : cela fait des années que des cours sont en ligne au MIT (OpenCourseware) et maintenant à Stanford. Je constate que leur format reste souvent bien traditionnel. La révolution pédagogique n’a pas encore marqué de son empreinte ces initiatives. Cela reste de la vidéo en ligne, voire pas de vidéo et des bibliographies en ligne. On est loin d’une véritable pédagogie interactive déployée à grande échelle.

Alors, c’en est fini des cours avec des enseignants dans des salles et amphi ? Pour certains, probablement. Mais pour d’autres, les meilleurs, le cours “In Real Life” a encore de l’avenir. Ne serait-ce que parce qu’il n’est pas figé, qu’il y a de l’improvisation, un vécu à transmettre, un savoir très dynamique, un contact avec les élèves, et une interactivité toujours plus faciles à gérer qu’à distance. Pour des cours enregistrés, il faut des moyens de captation en continu pour éviter de figer les contenus trop longtemps pour des raisons économiques. Et des personnes pour gérer cela, même si cela peut s’automatiser un maximum.

Il faut surtout bien faire attention à ne pas prendre le numérique pour la panacée. Tout comme l’informatisation d’une entreprise mal organisée la transforme en entreprise numérique mal organisée, la numérisation d’un mauvais cours ou d’un mauvais enseignant ou d’une mauvaise pédagogie ne l’améliore pas d’un coup de baguette magique. Il ne faut pas confondre outil et savoir, outil et méthode de travail. Le numérique ne permet pas automatiquement d’apprendre à bien structurer son raisonnement et sa pensée. Il faut aussi savoir distinguer les usages du numérique qui sont mis en place pour des raisons économiques (faire des économies d’enseignants) de ceux qui améliorent réellement la pédagogie (ils sont encore rares).

L’effort qui reste à faire n’est pas que technique. Il reste à inventer et tester les meilleures pédagogies et outils associés. Il faudra se poser la question douloureuse de la généralisation de l’anglais dans certains de ces enseignements en ligne si on veut vraiment attirer les meilleurs à l’échelle mondiale ou se contenter autrement de la sphère francophone qui est somme-toute assez limitée.

Sinon, pas besoin de trop s’inquiéter. On peut s’appuyer sur des outils comme iTunes U, la version d’iTunes pour le elearning. Il comprend un système de lecture hypertexte associant texte, photos, vidéos, QCM, etc. Mais il existe surement des éditeurs de logiciels locaux qui proposent des solutions alternatives. Ils pourront profiter de la création d’un fonds de financement dédié, toujours issu du Plan d’Investissement d’Avenir. Appel d’offre à l’horizon !

iTunes U

  • La formation aux filières du numérique

Ici, l’objectif du gouvernement est de combler le déficit de compétences dans le domaine, estimé à 3000 emplois par an. Le chiffre retenu est maintenant plus raisonnable que ceux qui étaient alimentés l’année dernière par certaines organisations professionnelles (en dizaines de milliers de postes). Il s’agit aussi d’attirer les femmes dans ces formations pour en améliorer la parité (une occasion d’utiliser les contenus de l’exposition Quelques Femmes du Numérique ?).

L’approche du gouvernement ? Elle est plutôt sectorielle et sporadique avec des actions concertées avec le Syntec Informatique (pour les SSII) et le secteur de la construction. Elle est beaucoup plus vague que pour les deux plans précédents. On sent que ce n’est pas encore sec. Ce d’autant plus que les initiatives privées vont bon train dans ce domaine comme le projet d’école d’informatique gratuite que pourrait lancer Xavier Niel.

Le gouvernement intègre sinon les emplois d’avenir dans son approche. Ceux-ci sont destinés aux jeunes peu ou pas formés au numérique et aux “décrocheurs” du système scolaire traditionnel. 2000 emplois d’avenir sont proposés avec des formations aux métiers du numérique, et notamment pour les métiers de “service numérique à la personne”. De quoi s’agit-il ? Ce sont des “Emplois d’assistant(e) informatique et internet à domicile, accessibles sans diplôme et pouvant déboucher sur le titre professionnel d’agent d’intervention sur équipement électronique et numérique.”. Pour des services publics ou privés ? Pour alimenter les centres d’appels des opérateurs télécoms qui ne sont pas à l’étranger ? Non ! La réponse se trouve au début du troisième article de cette série.

Emplois davenir numeriques

Voilà pour l’éducation, un sujet que le gouvernement a l’air d’avoir travaillé de manière assez … scolaire ! Sentence : peut-mieux faire…

Dans l’article suivant, nous passerons au second volet du plan du gouvernement qui concerne la compétitivité.

RRR

 
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