Retour en Silicon Valley (5/7) l’écosystème
Post de Olivier Ezratty du 28 avril 2011 - Tags : Digital media,Google,Innovation,Marketing,Mobilité,Silicon Valley,Sociologie,Startups,TV et vidéo,USA | No Comments
Dans ce cinquième épisode de ce retour d’un voyage d’une semaine dans la Silicon Valley dont je vous raconte presque tous les détails, voici ce qui concerne l’écosystème de l’innovation dans le numérique. Ce n’est évidemment pas exhaustif. L’écosystème de la Silicon Valley est le plus dense du monde avec ses Universités et Laboratoires de recherche (que nous avons déjà couverts), ses investisseurs (business angels, VCs), ses incubateurs, ses prestataires de services (consultants en tout ce que vous voulez, avocats, communication, relations publiques, recrutement, finances, etc) et ses innombrables conférences, séminaires et événements locaux. Le maillage est tel qu’il se passe quelque chose tous les jours dans toutes les villes de la Silicon Valley.
Pendant cette semaine, nous avons rencontré un gourou de l’entrepreneuriat en la personne de Steve Blank, deux investisseurs, Jeff Clavier de SoftTech Ventures et Pierre Lamond de Khosla Ventures, deux sortes d’incubateur (BlackBox et HackerDojo) et enfin, l’antenne de San Francisco de l’Atelier BNP Paribas. Comme Pierre Lamond nous a surtout parlé du marché des cleantechs, j’ai déplacé ce qui le concerne dans le post suivant qui traitera justement de ce sujet.
Mes photos sont comme d’habitude toujours sur mon site photo.
Steve Blank
Je l’ai présenté comme “gourou” car c’est un peu comme cela qu’il se comporte et ce n’est pas péjoratif. C’est un serial entrepreneur à la retraite qui enseigne et est l’auteur “The four steps to Epiphany”, un livre sur le “Customer Development”. Ce thème qui faisait l’objet de son exposé est proche du concept de “Lean Startup”, que j’ai pu traiter dans le Guide Entrepreneur. Le livre a été traduit par un jeune entrepreneur belge, Antoine Bruyns. Celui-ci édite un blog en français sur le “Développement client” qui reprend notamment les articles du blog de Steve Blank.
Steve Blank remarque que les entreprises existent depuis au moins trois siècles mais que les premiers MBA ne sont apparus qu’en 1908 à Harvard. Les startups comme on l’entend aujourd’hui existent depuis à peine 50 ans. Il est temps de modéliser un peu le cycle de vie des startups et les bonnes pratiques. L’approche de Steve Blank consiste à tordre le cou à la pratique trop courante de création de startups en reprenant les méthodes de management de grands groupes. Avec des business plans rigides, des prévisions de vente détaillées et des équipes pléthoriques avec des titres ronflants (SVP Sales, SVP Marketing, etc).
Pour lui, le démarrage d’une startup (pléonasme…) relève d’une méthode très expérimentale. Il s’agit de rechercher son business modèle, et surtout de valider par l’expérience l’adéquation entre son produit et ses clients. Le tout dans une boucle de feedback permettant d’ajuster l’offre pour qu’elle devienne viable. Il oublie cependant de citer un écueil assez classique de cette méthode pour les offres destinées aux entreprises : prendre en compte les besoins spécifiques des clients et se mettre à faire… du spécifique, transformant rapidement un éditeur de solutions en société de services outillé, soit une SSII ou une web agency. Dans le marché grand public, les tests clients mixent qualitatif et quantitatif permettant de prendre un peu plus de recul et on ne risque pas de verser dans le service outillé.
Autre élément évoqué, la structuration d’un business model dans un schéma assez connu à neuf cases (ci-dessous) connectant les produits au revenu en passant par clients, partenaires. On le trouve dans le livre “Business Model Generation” et il est décrit dans des slides sur SlideShare. Bon, c’est un peu pour les wanabe entrepreneurs qui croient qu’il suffit de faire des revenus pour avoir un bon business model, en oubliant la structure de couts (couts marketing et vente qui donnent des couts d’acquisition de clients, cout du service ou du produit, churn, etc).
D’autres éclairages :
Sur le blog passionnant de Steve Blank, vous trouverez enfin des pépites rares :
Jeff Clavier
Après des débuts de CTO dans une startup de logiciels pour salle de marché rachetée par Reuters, Jeff Clavier y fait une rencontre fortuite qui l’amène à devenir VC pour eux à Palo Alto en 2000. Il y arrive en pleine explosion de la bulle Internet et ce qui se passe quand on donne trop de moyens aux startups.
Il voit le web 2.0 émerger en 2004 et constate les faibles faibles besoins en capitaux des startups du moment. Il décide de se lancer dans le financement d’amorçage. Il démarre d’abord sa propre activité de business angel (dite “SoftTech 1”) et investit dans 24 sociétés. Il fait quelques bons coups comme TruVeo (racheté par AOL après 11 mois pour un multiple de 17) et Mint et son acquisition par Intuit. A ce moment, les VCs comprennent l’intérêt de faire de l’amorçage (on est aux USA). Jeff lance alors son propre fond VC et lève $15m. Il fait 65 investissements en trois ans. Et puis un troisième fond de $35m qu’il vient de boucler en décembre 2010 et qui est maintenant supporté par une équipe permanent de trois personnes, lui compris. Ils ont déjà investit dans 12 sociétés depuis le début de l’année, avec des montants de $250K à $700K. Au passage, il fait monter la barre : fini les plans “Powerpoint” sauf avec des serial entrepreneurs. Et une recommandation par une relation qu’il connait bien améliorer les chances d’examen d’un dossier. Une anecdote croustillante au passage : il a reçu un jour un avis pour rechercher un colis à la poste. C’était un business plan qui tenait sur un carton au format A1. Bien vu pour se faire remarquer, mais il n’a pas investi pour autant dans le dossier ! C’était à la limite irrespectueux de faire ainsi perdre du temps à l’investisseur. En moyenne, il voit 50 deals par semaine qui aboutissent à deux investissements.
En moins de 10 ans, il s’est taillé une très belle réputation. C’est un investisseur reconnu dans les milieux du financement de l’innovation dans la Silicon Valley, une position rare pour un français. Ce n’est donc pas seulement parce qu’il est un bon ami de Loïc Lemeur que vous le voyez chaque année intervenir à LeWeb.
Voici quelques-uns des sujets de discussion avec Jeff :
Voilà pour Docteur Jeff. Si vous voulez consulter son impressionnant portefeuille d’investissements, direction le site de SoftTech VC.
Incubateurs
Nous n’avons pas visité la star des incubateurs, Y-Combinator, mais deux structures plus petites et spécialisées dans le “bas de la pyramide” de segmentation des incubateurs de la Silicon Valley.
blackbox est un incubateur créé en janvier 2011 dans une maison à Atherton pas loin de Palo Alto. Il a été créé et animé par Bjoern Lasse Hermann, un entrepreneur allemand de 25 ans avec quatre startups à son actif (ci-dessous) et Max Marmer, étudiant de Stanford de 20 ans. Il cible plutôt les entrepreneurs qui débarquent de l’étranger. Lorsque nous avons fait dans la soirée un tour de table des entrepreneurs présents dans l’incubateur, tous quasiment venaient d’ailleurs que les USA (Mexique, Allemagne, France, etc). Le programme d’incubation dure trois mois. Il fournit des locaux dans une grande maison achetée par les fondateurs de l’incubateur, du coaching et de la mise en relation. Bjoern Lasse Hermann est déjà très impliqué dans le transfert de compétences car il avait créé la Startup School en 2009.
Qu’avons-nous fait dans cet incubateur ? Nous y avons passé un après-midi complet et c’est là que sont intervenus Jeff Clavier, Stéphane Kasriel, Steve Blank et Hiten Shah de Kiss Metrics.
Nous avons ensuite participé à un barbecue (ci-dessous) et découvert les entrepreneurs de l’incubateur qui ont chacun pitché en 30 secondes leur startup, au même titre que ceux des participants à notre voyage qui se lançaient dans la création d’une startup (un très bon exercice, et une première pour certains !).
Le deuxième incubateur visité était le HackerDojo. C’est avant tout un lieu. Dans le concept, cela associe les concepts de La Cantine de Paris et des Startup Weekends. Mais en ‘achement plus grand. C’est même très impressionnant ! Ils sont installés à Mountain View dans une sorte de hangar aménagé avec mezzanines multiples (visite vidéo). Ils ont de grandes salles de travail, un laboratoire de hacking de hardware, et même une imprimante 3D (ci-dessous).
Il s’y passe plein de choses : des réunions de communautés, des formations et des Hackathons, sorte de Startup Weekends pour développeurs qui sont organisés par des startups ou sociétés. Le vendredi 22 avril de notre visite démarrait ainsi un Hackathon sponsorisé par la startup Factual qui fournit des APIs d’accès à des données diverses, dans la mouvance de l’Open Data. Ronan Amicel qui faisait partie de notre groupe est resté pour y participer tout le week-end (ci-dessous).
Ces Hackathons semblent attirer des développeurs de startups et de grandes boites de la Silicon Valley qui rêvent de se lancer. C’est donc une autre voie d’accès à l’entreprenariat que le Y-Combinator (qui a l’air de pas mal recruter dans les universités) ou Blackbox (qui recrute surtout à l’étranger).
Atelier BNP-Paribas
Dernière étape de ce parcours dans l’écosystème de la Silicon Valley, un passage presque obligé pour les visiteurs français avec l’Atelier BNP Parisbas. C’est une autre “Cantine” où ont lieu événements, formations et activités de conseil pour accompagner autant les startups françaises qui s’installent dans la Silicon Valley que les grandes entreprises qui cherchent à comprendre son fonctionnement et à en tirer parti (exemples : Pages Jaunes, Canal+, L’Oréal, Nike, LVMH, PPR).
L’Atelier est situé dans un curieux bâtiment, à l’est de San Francisco dans le quartier de Central Waterfront. Pour y accéder, il faut parcourir un long couloir aux murs désespérément vides (ci-dessous) qui n’a d’équivalent que dans certains films américains. Et c’est en étage, pas en sous-sol !
Heureusement, l’intérieur est plus sympa ! Nous sommes accueilli par Frédéric Tardy qui a remplacé Dominique Piotet que nous avions vu en 2007 et qui a créé sa société RebellionLab en 2010. Frédéric Tardy nous fait un exposé d’une heure sur les grandes tendances de la Silicon Valley en se focalisant sur ce qui avait trait au mobile, au commerce et à la publicité.
Il commence par définir le “Web Squared”, de Tim O’Reilly qui avait aussi défini le terme Web 2.0 en 2004. Le concept date de 2009 et associe le web social avec l’Internet des objets. Il est bien vulgarisé dans le schéma suivant (source: Dion Hinchcliffe).
S’ensuit un catalogue de nombreuses tendances auxquelles on adhère ou pas, question de point de vue et de génération :
Par contre, Groupon serait sur le déclin. Les commerçants en Californie ne veulent pas renouveler leur contrat avec le site. La durée de vie de ce site serait limitée. Il y a maintenant les Facebook Deals. Les business models changent tous les mois dans l’Internet ! Et je ne vais pas pleurer sur Groupon…
Bref, pour les marques, il faut tout réapprendre dans le marketing et se remettre en cause en permanence ! La présentation de Frédéric qui semblait être un format assez standard pour secouer les neurones des grandes entreprises françaises me semblait très focalisée sur le web marchand. Il est vrai qu’il est assez dur d’y échapper !
Voilà pour ce que nous avons vu de l’écosystème de la Silicon Valley en quelques jours.
Prochaine et avant-dernière étape, un petit tour du côté des cleantechs. Ce n’est pas un thème habituellement abordé sur ce blog, mais autant être complet sur le voyage. La dernière étape sera un bilan de cette visite, ce que l’on peut en tirer et une évaluation comparative des progrès récents accomplis en France dans l’écosystème de l’innovation du numérique.
Tous les épisodes de cette série :
Retour en Silicon Valley (1/7) grandes tendances
Retour en Silicon Valley (2/7) la recherche
Retour en Silicon Valley (3/7) grands de l’Internet
Retour en Silicon Valley (4/7) startups Internet
Retour en Silicon Valley (5/7) l’écosystème
Retour en Silicon Valley (6/7) cleantechs
Retour en Silicon Valley (7/7) et nous et nous ?
Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress
Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2011/retour-en-silicon-valley-5-ecosysteme/
Cliquez ici pour imprimer
(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net