La concurrence de la Freebox 6 et ses enjeux
Post de Olivier Ezratty du 16 décembre 2010 - Tags : Apple,Digital media,Google,Innovation,Internet,Logiciels,Loisirs numériques,Microsoft,Mobilité,TV et vidéo | 34 Comments
Dans ce troisième article d’une série de quatre sur le lancement de la Freebox V6, je vais traiter des aspects économiques et concurrentiels :
L’article suivant clôturera cette longue série détaillée en portant sur l’organisation et les équipes de Free qui sont derrière ce lancement.
Prix de la Freebox
Comme vous le savez tous maintenant, Xavier Niel a annoncé que l’abonnement à la Freebox restait à 29,99€, un tarif inchangé depuis sa sortie au début des années 2000 alors que les produits de consommation courante ont augmenté entre 20% et 30% si ce n’est plus.
Petit détail : il augmente le prix de 6€ dans le cas d’un dégroupage total en ADSL comme en FTTH (fibre optique). Cela correspond au cas où les clients n’ont plus de ligne téléphonique France Télécom. Ils ne payent plus qu’un abonnement à Free et n’ont qu’un numéro de téléphone en 09.
L’abonnement à la ligne téléphonique France Télécom lorsque l’on est en dégroupage partiel est de 17€ par mois. En passant au dégroupage total et à la Freebox (comme à la SFR Neufbox Evolution), on paye donc seulement 19€ de plus. Cela reste tout de même très abordable.
Côté prix, d’autres changements sont intervenus, … ou pas :
SFR et Free ont augmenté leur prix à l’occasion de la sortie de nouvelles offres. Mais quid d’Orange et Bouygues Télécom ? S’ils embrayent le pas en augmentant leur tarif actuel, la loi oblige les FAI à permettre la résiliation d’abonnements sans frais. Ce qui peut augmenter le churn (perte d’abonnés) de ces opérateurs au profit de SFR ou de Free. L’autre option consistant à attendre la sortie d’une prochaine box pour changer les tarifs, ce qu’Orange semble en mesure de faire plus rapidement que Bouygues Télécom.
Free génère actuellement un ARPU (revenu moyen par client) mensuel de 36€ et quelques, au même niveau que SFR. Cela représente donc environ 6€ de vente de services additionnels dans lesquels on comptait jusqu’à présent : les communications téléphoniques vers les mobiles ou les numéros spéciaux payants, l’abonnement à Canal+ et autres chaines TV optionnelles, la vidéo à la demande, l’achat de jeux et la hotline payante, l’achat d’accessoires (Freeplug supplémentaire, etc). Free a comme objectif d’augmenter cet ARPU, notamment avec la VOD qui se développe très rapidement avec des taux de croissance qui frôlent les 80%. L’enrichissement du Freestore sera un autre moyen d’augmenter le panier moyen.
Cout de la Freebox
Un très bon article de Clubic a fait un tour d’horizon de la structure du prix (de location) et du cout de fabrication de la Freebox V6. Il estime le cout matériel de la Freebox V6 à environ 200€. Le tableau auquel ils font référence et qui reprend le cout des composants affiche des prix peut-être un peu élevés, notamment pour l’Atom Sodaville. Mais les couts de certains composants, d’assemblage et de l’emballage ne sont pas inclus. Il est probable que le total soit donc assez juste du point de vue de l’ordre de grandeur. A 200€, il est amortissable en environ sept mois par l’opérateur, un client conservant sa box pendant au moins quatre ans en moyenne. Même si cela montait à un an d’amortissement, le business du FAI resterait profitable.
Il faut cependant tenir compte de ce que Free est un très bon client de nombreux fournisseurs de composants. Il est de facto le premier client mondial en volume d’Intel pour le Sodaville avec 2 millions d’unités achetées. Il n’est pas évident que Sony, Logitech et Boxee représentent un tel volume de manière cumulée. Il en va de même pour d’autres composants comme ceux du CPL (courant porteur). Par contre, pour d’autres composants tels que les tuners TNT, il est un client comme les autres fabricants de set-top-boxes hybrides. On peut en tout cas faire confiance à Free pour tirer les prix vers le bas du fait de ses volumes d’achats.
Côté télécom, le dégroupage total coute à Free 11€ dont 9€ sont reversés à France Télécom, selon une décision de l’ARCEP. Ce montant est jugé très élevé par l’opérateur. Mais il semble plutôt dans la tranche basse en Europe. Le dégroupage partiel coute quant à lui 5€ au FAI (source: rapport de gestion Iliad S1 2010). Cela veut donc dire que le différentiel de cout du dégroupage total vs partiel est maintenant supporté à 100% par le consommateur et pas par l’opérateur. Une sorte de vérité des prix. En réalité, c’est beaucoup plus compliqué que cela car ça dépend des zones, dites dégroupées ou pas. Mais cela donne l’idée.
Free doit aussi absorber les couts des fameux tickets GAMOT (Guichet d’Accueil Maintenance Opérateur). Ils sont chèrement facturés par France Télécom à Free lorsque ce dernier lui transmet une demande de vérification de synchronisation de ligne. Très souvent, les techniciens de Free interviennent sur le site du client pour vérifier l’installation – aux frais de Free – avant d’envoyer ce ticket. Tout cela a un cout.
Il en va de même pour la hotline qui est maintenant gratuite pour les abonnés de la V6. Un appel entrant vers des équipes techniques dure en moyenne 7 minutes. On peut en estimer à la louche le cout à environ 1€ par minute (je vous passe le détail sur le calcul). Supposons qu’un client appelle en moyenne deux fois par an, cela fait un cout additionnel d’une quinzaine d’Euros par an, soit un peu plus de un Euro par mois. Donc, aux alentours de 15% de l’augmentation de prix de 6€. A la louche toujours.
Enfin, il y a l’évolution des droits que Free doit payer pour son bouquet de chaines TV qui a plutôt tendance à s’enrichir comme chez tous les opérateurs. Chaque nouvelle chaine TV représente des centimes ou dizaines de centimes par abonné et par mois.
Tout ça pour dire que l’augmentation du prix de la Freebox est en grande partie justifié. Il est plus proche de la structure de cout du FAI entre dégroupage total et partiel. Il permet aussi d’absorber les nouveaux services compris dans l’abonnement.
Free a défini un prix de marché très bas dans le monde des FAI en sortant le premier une offre triple-play. Il continue de proposer un excellent rapport qualité/prix aux consommateurs. Et il reste très profitable.
Qu’est-ce qu’une innovation chez un FAI ?
Dans certains forums et chez quelques journalistes, j’ai pu lire que cette Freebox “n’était pas innovante”. La raison ? Il ne s’agit que de l’intégration de briques existantes déjà bien courantes.
Encore un malentendu sur la sémantique de l’innovation. Une innovation, c’est surtout une nouvelle technologie ou un nouveau service qui est diffusé auprès du marché, si possible en volume. En amont des innovations se trouvent des “inventions”, souvent des procédés techniques nouveaux, éventuellement brevetés. L’innovation comme les inventions relèvent d’une généalogie complexe. C’était un peu le sens de mon premier article sur les entrailles de la Freebox V6 : montrer ici comme ailleurs, qu’un matériel comprend des composants qui eux-mêmes comprennent d’autres composants emboités en poupées russes. C’est pareil dans le logiciel. L’interface utilisateur de la Freebox V6 dépend ainsi de la puissance de l‘Atom Sodaville qui elle même repose sur le “bloc d’IP”, PowerVR SGX535 d’Imagination Technology. A chaque niveau se situent des introductions d’innovations technologiques et un environnement concurrentiel donné.
L’innovation relève aussi très souvent de l’intégration de nouvelles technologies dans des produits. Et la majeure partie des innovations sont incrémentales. Elles améliorent à la marge les fonctionnalités offertes.
Dans le cas présent, les innovations par l’intégration sont très nombreuses puisque la Freebox V6 est une première avec : une télécommande gyroscopique/accéléromètre, une manette de jeux (certes, filaire et d’entrée de gamme), un disque dur dans la gateway dont le rôle est ainsi revalorisé comme serveur domestique, un processeur Atom et la capacité pour des jeux 3D, une interface utilisateur moderne, l’accès aux informations d’AlloCiné, la base DECT intégrée, un lecteur Blu-ray. Ce n’est pas suffisant pour être innovant ?
SFR a aussi innové avec sa Neufbox Evolution avec une clé 3G intégrée, la solution Femtocell, une interface modernisée, une interface disponible sur tous les écrans (PC/Mac, smartphone, tablettes), une faible consommation électrique et un soucis affirmé d’éco-responsabilité. Au total, ils ont moins innové que Free mais ils ont tout de même innové. La question clé n’est pas binaire : innovation ou pas d’innovation. Mais de savoir si les innovations sont bien placées, répondent bien aux besoins des utilisateurs et feront changer la donne en termes de parts de marché. Nous y reviendrons.
Positionnement par rapport à la concurrence
Avec sa Freebox V6, Free s’attaque comme certains l’ont décrit à de nombreux acteurs du marché de l’électronique de loisirs : non seulement à ses homologues FAI, mais également à un tas d’acteurs qui ont leur place dans le salon : Apple, Google, Sony, Microsoft, et tant d’autres.
L’analyse concurrentielle peut se faire par cercles concentriques. Je vais commencer par SFR et sa Neufbox Evolution dont j’avais couvert l’annonce en allant autant que possible dans les détails. Pourquoi SFR ? Parce que c’est le premier opérateur FAI à avoir mis à jour son offre avec pas mal de nouveautés, annoncées il y a un mois. Et Free attendait que SFR sorte du bois pour annoncer sa nouvelle Freebox.
Alors voici que voilà un petit tableau de comparaison (version PDF) qui donne une idée de l’ampleur des nouveautés de la Freebox au regard de celles de SFR. Si jamais il comportait des inexactitudes, ce qui est fort possible, n’hésitez pas à me les signaler par commentaire ou par email. Je les corrigerai dès que possible.
Le verdict visuel est sans ambigüité : Free a beaucoup plus innové que SFR dans cette nouvelle génération de box. SFR a bien introduit quelques nouveautés, mais elles sont moins radicales, plus incrémentales, que celles de Free. Comme le choix du processeur qui aurait pu être plus hardi, même en restant chez ST Microelectronics. Il subsiste cependant quelques nouveautés chez SFR que l’on n’a pas chez Free, comme le support de la clé 3G de dépannage. Une idée intéressante, mais dont la praticité devra être testée dans la durée. L’autre point sur lequel SFR a des efforts à faire concerne l’ouverture de sa plateforme. Ils devront revoir cela pour capter un écosystème car la bataille de la télévision connectée devient clairement une bataille d’écosystèmes de contenus et d’applications. Par contre, il est fort probable qu’ils joueront sur les prix et sur une offre quadplay comme Bouygues Télécom pour préserver leurs parts de marché.
Quid des autres acteurs du marché ? Je vais être plus rapide :
Enjeux pour Free
Free a misé gros sur cette annonce. C’est un élément clé d’une stratégie de reconquête du marché. Voici quelques enjeux qui se dessinent pour l’opérateur après cette annonce de la Freebox V6 :
Il faut ajouter enfin l’impératif pour Free d’arrêter l’hémorragie des abonnés d’Alice depuis l’acquisition de ce FAI. Une grande partie de ces abonnés avec une Freebox V5 carrosée aux couleurs d’Alice. Les nouveaux abonnés et la base installée vont migrer vers la Freebox V6. Celle-ci semblerait avoir stoppé net le “churn” de ces abonnés.
Voilà pour cette rapide analyse concurrentielle et des enjeux de ce lancement.
Pour le prochain et normalement dernier épisode, je vais rentrer dans l’organisation humaine de Free, parler un peu du making of de cette box, et aussi du marketing du FAI, en pleine transformation.
Tous les articles de cette série sur le lancement de la Freebox Révolution (V6)
1 – Les entrailles de la Freebox 6 (46, 13576)
2 – Les logiciels et contenus de la Freebox 6 (30, 11698)
3 – La concurrence de la Freebox 6 et ses enjeux (24, 3873)
4 – Les vrais gens et le marketing de Free (9, 2182)
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