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Decode Quantum avec Pascal Febvre

Post de Olivier Ezratty du 16 février 2022 - Tags : Actualités,Quantique | No Comments

Dans le 39e entretien Decode Quantum, Fanny Bouton et moi-même accueillons Pascal Febvre pour parler d’électronique supraconductrice. Il est aussi diffusé sur Frenchweb.

Pascal est ingénieur de l’ESPCI (École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de la Ville de Paris). Il a ensuite fait une thèse en instrumentation astrophysique à l’Observatoire de Paris. Il est actuellement enseignant-chercheur de l’Université Savoie Mont Blanc, basé à Chambéry. Il est spécialisé dans l’électronique supraconductrice, un domaine assez méconnu des applications des technologies quantiques, qui a des liens, nous le verrons avec les capteurs quantiques et le calcul quantique.

Voici les points clés que nous avons abordés lors de ce podcast :

  • Comment Pascal a découvert la physique quantique ? Sa thèse portait sur la création de détecteurs supraconducteurs pour les applications de la radioastronomie, dans le champ de la physique de la matière condensée à l’état solide. C’est le même champ d’application que celui des débuts de Daniel Esteve que nous avions reçu dans le précédent entretien Decode Quantum.
  • Quel était le sujet de sa thèse ? Il s’agissait du « Développement de mélangeurs hyperfréquences supras de détecteurs hétérodynes » pour la détection de signaux à haute fréquence, pour identifier l’oxygène dans les étoiles et galaxies. Cela correspond à des raies spectrales de plusieurs centaines de GHz.  MaLa détection porte sur l’amplitude et la phase des photons reçus. Le signal reçu est mélangé avec un signal local pour réaliser des sommes et différences de fréquences. La signal est amplifiable et filtrable ce qui permet de séparer les signaux faibles du bruit. L’accumulation du signal se fait dans le temps avec un bruit qui est proportionnel à la racine du temps. Ce genre de détection est moins exigeant que pour les raies spectrales de d’hydrogène (dans les 1,4 GHz).
  • Comment cette détection a été réalisée dans des ballons pour être en altitude (avec l’ESA et le CNRS et la Suède). Les capteurs sont refroidis à 4K. Les ballons partaient de l’Adour dans les Landes et volaient pendant une journée. De tels détecteurs ont ensuite été installés dans les télescopes spatiaux Herschel et Planck au point de Lagrange L2 (comme le JWST qui vient d’être lancé). Ces télescopes spatiaux embarquaient un réservoir d’hélium liquide pour le refroidissement des capteurs. Herschel a été opérant de 2009 à 2013 avec 2300 litres d’hélium liquide. Planck a fonctionné sur la période 2009-2012, avec deux réservoirs d’hélium 3 (12 000 litres de gas comprimé) et d’hélium 4 (36 000 litres de gas comprimé) permettant de refroidir les instruments jusqu’à 100 mK.
  • Pascal nous raconte l’histoire et les caractéristiques de l’électronique supraconductrice. Il y a des capteurs utilisés sous forme de supraconducteurs passifs pour des thermomètres et bolomètres. Leur résistance change lorsqu’un photon est détecté. Les SNSPD à base de nanofils captent des photons uniques avec un bon rapport signal/bruit. Les composants supraconducteurs sont aussi utilisés en électronique analogique ou numérique.
  • Ils sont réalisés en général à base de niobium ou d’aluminium sur un substrat silicium ou en sapphire. On parle de la taille de ces composants. A noter que pour un qubit supraconducteur, l’encombrement principal vient des résonateurs utilisés notamment pour la lecture de l’état des qubits. La taille des résonateurs est liée à la longueur d’onde des micro-ondes de pilotage. Ils font quelques centimètres (mais en serpentins).
  • On évoque les travaux d’IBM dans l’électronique supraconductrice, notamment pour créer un oscilloscope. Les procédés  de l’époque n’étaient pas au point. On utilisait du plomb au lieu du niobium ou de l’aluminium. Cela supportait mal les variations de températures. Le refroidissement à 4K n’était pas évident à l’époque. On arrivait à supporter des fréquences jusqu’à 8 GHz mais ce n’était pas assez disruptif.
  • Viennent alors les contributions du Russe Konstantin Likharev au milieu des années 1980 (aussi évoqué dans le podcast avec Daniel Esteve) qui découvre comment obtenir des composants électroniques commutant en dépensant une très faible quantité d’énergie grâce à la physique des bosons que sont les paires de Cooper d’électrons supraconducteurs. La commutation consomme un million de fois moins d’énergie qu’un transistor CMOS.
  • Nous passons au RSFQ (rapid single flux quantum), une technologie inventée en Russie soviétique en 1985 pour créer des portes logiques binaires à base de jonctions Josephson. Oleg Mukhanov en était le doctorant de l’inventeur. L’équipe russe a été récupérée autour de 1991, à la fin de l’Union Soviétique, par les Américains, à l’Université Stonybrook de New York. L’équipe a ensuite intégré la startup Hypres, alors une spin-off d’IBM. Cette société rassemblait des équipes provenant aussi du Liban et d’Inde. La société a ensuite été découpée en deux parties, Hypres (conservant les activités hautes fréquences, notamment pour les applications militaires) et SeeQC (pour la cryoélectronique de contrôle de qubits supraconducteurs).

  • Pascal explique pourquoi cette électronique supraconductrice est très utile dans le contrôle des qubits supraconducteurs, pour préparer le qubit, le modifier et en lire l’état, et pour éviter les nombreux câbles de contrôle des qubits existants. Il la positionne par rapport à l’électronique cryoCMOS qui fonctionne habituellement entre 4K et 20K (en fait, on sait descendre à 20 mK, notamment au CEA). Mais cette électronique génère du bruit et de la dissipation énergétique. Elle est aussi relativement lente.
  • On parle aussi de la conversion des signaux analogiques et numériques (DAC et ADC) qui sont aussi réalisables en électronique supraconductrice, aussi développés par Hypres/SeeQC. Elle monte à plusieurs dizaines de GHz. Les SFQ peuvent échantillonner des signaux jusqu’à 100 GHz, ce qui marche très bien sur un signal analogique de 6 GHz sortant des qubits supraconducteurs.
  • Pascal évoque son rôle de chercheur, travaillant sur l’électronique SFQ. Il nous décrit l’écosystème mondial dans le domaine avec les fabs de composants supraconducteurs en Allemagne, Italie, Japon et USA, notamment au Lincoln Lab du MIT.
  • Il nous parle aussi de son activité d’enseignant à l’Université Savoie Mont-Blanc, en niveau master et licence. Il enseigne en France sur la physique statistique, en astrophysique et électromagnétisme. Il enseigne aussi sur les RSFQ à l’étranger dans le cadre d’échanges dans la recherche.

Pour en savoir plus sur l’électronique supraconductrice, voir l’article L’électronique supraconductrice que j’ai publié en juin 2020 et le chapitre correspondant dans l’ebook Understanding Quantum Technologies.

Dans le prochain épisode, nous accueillons Sara Ducci du laboratoire MPQ de l’Université de Paris.

RRR

 
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