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Actualités quantiques de mai 2022

Post de Olivier Ezratty du 5 juin 2022 - Tags : Actualités | No Comments

Dans ce 39e épisode du podcast de l’actualité quantique, Quantum, nous allons faire le tour de quelques événements, et aussi d’annonces diverses d’IBM, de Pasqal, de Xanadu, autour d’IonQ et… d’OVHCloud.

Mais comme j’en ai maintenant pris l’habitude, voici un verbatim étendu et URLisé du podcast.

Événements

Il y avait un événement quantique organisé par « The Economist » à Londres « Commercializing quantum » avec des interventions de fournisseurs et d’utilisateurs. Fanny Bouton y était et nous raconte. Elle y a vu Jay Gambetta d’IBM. John Martinis y intervenait également. Il y avait à parts à peu près égales des représentants des grandes entreprises privées du calcul quantique et des entreprises utilisatrices comme Bank of America.

Fin mai avait eu lieu le Congrès Solvay 2022 à Bruxelles, comme tous les 4 ans environ. La thématique quantique y est couverte une fois sur deux. C’est l’occasion de réunir de grandes figures (vivantes) du quantique mondial. On y trouvait par exemple Peter Shor (algo de factorisation d’entiers), John Preskill (concepts du NISQ et de la suprématie quantique, entre autres choses; Caltech), David Wineland (refroidissement optique d’ions piégés, aussi prix Nobel en 2012), Peter Zoller (simulation quantique), Rainer Blatt (ions piégés), ‪Umesh Vazirani (algorithmes), Rob Schoelkopf (qubits supraconducteurs), Yasunobu Nakamura‬ (premiers qubits supraconducteurs), Jay Gambetta (qubits supraconducteurs), etc. Et quelques rares Français comme Antoine Browayes (IOGS, Pasqal) et Serge Haroche (prix Nobel 2012). Et les femmes ? Elles n’étaient pas bien nombreuses. On comptait notamment Dorit Aharonov (connue pour le threshold theorem sur la correction d’erreurs), Michelle Simmons (SQC, Australie) et Veronika Hubeny (Université de Californie, Davis, spécialiste de la gravité quantique). J’y ai découvert pas mal de physiciens dont je n’avais jamais entendu parler. Cela sera l’occasion de voir ce qu’ils font et de les ajouter dans mon livre. Le montage ci-dessous a été réalisé par Michel Kurek.

Une journée « Informatique et technologies quantiques pour les métiers de l’énergie » était organisée mardi 31 mai 2022 à Palaiseau par EDF, par Marc Porcheron et Joseph Mikael (le premier pilotait la recherche quantique chez EDF et part en retraite, et le second le remplace). Elle mettait en valeur les nombreux doctorants travaillant chez EDF avec en premier lieu Margarita Veschchezerova qui présentait ses travaux sur les « Méthodes hybrides classiques/quantiques pour traiter des problèmes d’optimisation », et qui travaille en partenariat avec le laboratoire Loria (ci-dessous). Il y avait aussi des intervenants de partenaires de chez Atos comme Pauline Besserve, de chez Pasqal comme Thierry Lahaye et Loic Henriet, ou encore Nina Amina de CentraleSupelec qui est spécialisée dans le contrôle quantique et Benoit Valiron.

Enfin, citons le Web2day de Nantes qui reprenait après deux ans d’absence covidesque et où j’intervenais le 3 juin avec Fanny Bouton, Maud Vinet (CEA-Leti, projet Qcosmos) et Jonas Landman (Qc-Ware et Université d’Edimbourg). Nous y avons fait le point des avancées dans le quantique depuis notre intervention de juin 2018 “Le quantique, c’est fantastique” (si vous vouliez empruntez ce titre… il est donc déjà pris). Avec au menu : les grandes annonces internationales, le plan quantique national, le développement de l’écosystème entrepreneurial en France, le projet de Maud, et un bon passage avec Jonas sur le développement de logiciels quantiques. Cela a d’ailleurs bien intéressé les étudiants d’EPITECH qui étaient dans l’audience.

Nous avons suivi la conférence en plénière par une session de débat avec quelques participants, reprenant un format déjà vu dans certaines conférences tech/scientifiques.

Annonces de Pasqal

Pasqal annonçait la mise en ligne dans le cloud de son premier simulateur quantique à 100 qubits, via les ressources d’OVHcloud. Le système est paramétrable par le SDK open source Pulser. Il est pour l’instant accessible en bêta privée par CA CIB (France) et CINECA (Italie). La partie classique est hébergée chez OVHcloud et le simulateur quantique tourne dans les locaux de Pasqal. Une semaine plus tard, Pasqal annonçait la même chose avec Microsoft Azure mais ce n’est par contre pas encore opérationnel !

La startup annonçait aussi un partenariat formation avec l’option Quantum Engineering de CentraleSupelec qui est dirigée par Thomas Antoni. Logique !

Annonce Xanadu

Xanadu défrayait la chronique le 1ier juin 2022 en annonçant avoir atteint un avantage quantique avec son système à base de photons et d’échantillonnage gaussien de bosons via un article paru dans Nature. Elle permet d’aller plus loin que les précédents records des Chinois annoncés en 2020 et 2021.

Voir Quantum computational advantage with a programmable photonic processor par Lars S. Madsen et al, Xanadu, Nature, Juin 2022 (11 pages). Le pre-print de l’article avait été publié en janvier 2022.

Il s’agit toujours d’un mélangeur de photons qui fait de l’échantillonnage gaussien de bosons, mais, cette fois-ci, qui est programmable et est exploitable dans le cloud. Il n’est pas encore évident de saisir encore à quoi cela sert, mais c’est un progrès technologique significatif. Le système est plus simple que celui des Chinois grâce à l’usage d’un multiplexage temporel des photons avec des lignes à retard. Cela simplifie l’interféromètre, réduit le nombre de fibres, la circuiterie et le nombre de détecteurs de photons en sortie d’expérience. Comme quoi il est possible de faire mieux que les Chinois, c’est encourageant. Le système gère l’équivalent de 216 qubits. Xanadu fournit les outils de développement qui permettront de tester le dispositif et, peut-être, de lui trouver des usages concrets.

Annonces d’IBM

Le 10 mai 2022, IBM faisait tout un tas d’annonces avec l’ajout de nouvelles machines et processeurs à sa roadmap déjà bien garnie, plus des annonces côté outils de développement.

Cela tombait bien puisque, grâce aux équipes d’IBM France, je rencontrais le 13 mai à Paris, Jay Gambetta, le VP qui dirige toute l’activité quantique d’IBM.

Pour faire simple, en septembre 2020, IBM avait annoncé une roadmap technologique de “scale-in” avec des processeurs dont le nombre de qubits augmente régulièrement : 65 en novembre 2020, 127 en novembre 2021 et 433 d’ici fin 2022. La roadmap a été jusqu’à présent respectée en termes de nombre de qubits mais leur qualité avait tendance à se dégrader. Cependant, en novembre 2021, Jay Gambetta présentait une évolution du processeur Falcon qui équipe les machines à 27 qubits, la R10. Celle-ci présente des fidélités de qubits de très bon niveau, supérieures à 99,9% ce qui est excellent pour des qubits supraconducteurs. La question est : comment font-ils et comment cela scale ? La performance provient principalement de la réduction du crosstalk, un phénomène qui, pour faire simple, est une perturbation des qubits provenant de leurs voisins, notamment via leurs micro-ondes de pilotage. Cette réduction est réalisée avec différentes astuces, pas toutes publiques, dont un packaging du processeur sous vide avec une technique créée par Andreas Führer d’IBM Zurich, et une circuiterie “3D” où la partie contrôle est séparée de celle des qubits. IBM n’est pas le seul à faire cela mais maîtrise particulièrement bien le processus associé. Ils travaillent aussi beaucoup à la qualité de la fab et des matériaux utilisés.

L’annonce du 10 mai portait sur une stratégie de “scale-out”, à savoir, sur la manière d’assembler de diverses manières des processeurs quantiques. Dans un premier temps, le processeur Heron de 133 qubits prévu en 2023 sera assemblage en plusieurs exemplaires tournant en parallèle. Ils serviront à exécuter le même code simultanément pour accélérer les traitements. En effet, un calcul quantique est généralement exécuté des milliers de fois et leurs résultats moyennés. En parallélisant ces “runs”, on réduit d’autant ce temps de calcul. Dans un second temps, le processeur Crossbill de 408 assemblera en 2024 trois puces similaires à celles d’Heron (bon, 3×133, cela fait 399, donc les 9 qubits de plus s’expliquent probablement par la structure “hexagonale” de la connectivité des qubits). La connectivité entre ces puces serait meilleure que celle qu’utilise Rigetti pour son Aspen à 2×40 qubits lancé fin 2021. Suivra Flamingo aussi en 2024 avec 1386 qubits (3×462) avec trois blocs de puces connectées entre elles par une liaison optique, donc avec couplage micro-ondes-photons. Et enfin, Kookaburra en 2025 avec 4158 qubits rassemblant trois blocs de trois puces mélangeant la connectivité puce-à-puce et entre puces via des photons.

Et sur la rencontre avec Jay Gambetta ? C’est un physicien d’origine, né en 1979. Il a fait sa thèse de doctorat en Australie en 2004 et un post-doc dans l’équipe de Rob Schoelkopf de Yale sur les qubits supraconducteurs. Il y a notamment croisé Michel Devoret (venant de France), Alexandre Blais (le scientifique québecois le plus en vue du supraconducteur, qui a créé Nord Quantique, une startup concurrente d’Alice & Bob) et Andreas Wallraff (ETH Zurich, une autre référence du domaine). Nous avons notamment discuté cryogénie et électronique de contrôle des qubits. Leur énorme cryostat “Goldeneye” annoncé en 2020 a été testé à 25 mK ce qui est une prouesse. Il comprend plus de 12 têtes pulsées (en fait probablement 24) et 12 dilutions (le système alimenté par les têtes pulsées qui refroidit le processeur à 15 mK). Les BlueFors actuellement utilisés pour 127 et 433 qubits ont trois têtes pulsées et une seule dilution.

L’électronique de contrôle des processeurs quantiques d’IBM est entièrement maison. Pourquoi donc ? Le marché ne produit pas ce qu’il faut pour eux. Ils ont des besoins en termes de scalabilité qui vont au-delà de ce que produisent les Quantum Machines, Zurich Instruments, Qblox et Keysight ! Ils font leurs propres FPGA de contrôle, leurs amplificateurs de micro-ondes fonctionnant à la limite quantique (les TWPA), etc.

IonQ et Scorpion

IonQ chutait en bourse après s’être fait grassement défoncer le 3 mai par une société financière de « short selling », Scorpion Capital qui a publié un rapport de 183 pages. Le titre est violent : “The “World’s Most Powerful Quantum Computer” Is A Hoax With Staged Nikola-Style Photos – An Absurd VC Pump With A Recent Lock-Up Expiration Takes SPAC Abuses To New Extremes”.

Ce rapport était-il justifié ? Quelles sont ses conséquences ? Il était préparé à charge, à la sauce Élise Lucet. Ils ont interrogé des anciens collaborateurs et autres personnes ayant gravité autour de IonQ. Ils indiquent que ceux-ci n’ont jamais vu les machines « noires » de la communication d’IonQ ni la machine à 32 bits. Quelques jours après, IonQ diffusait des photos de ces systèmes (ci-dessous, source) !

Certaines critiques sur la communication investisseurs d’IonQ étaient fondées mais pas toutes. Elles témoignent d’une forte méconnaissance des basiques du calcul quantique, notamment sur le côté probabiliste du calcul quantique. Les gens qui ont produit le rapport ont interrogé des sceptiques mais ne connaissent pas bien le sujet.

Il s’agit surtout d’une grosse manipulation financière d’une société qui parie à la baisse sur le cours d’une action. Explication : “In short selling, an investor borrows stock shares that they believe will drop in price, sells those borrowed shares at market price, then buys back the shares at a lower price. To complete the short sale, the investor returns the shares to the original lender and profits the difference between the buy and sell prices.

L’action d’IonQ est passée en quelques jours de $7,15 à $4.34 puis est remontée à $5,89 soit respectivement une baisse de 39% puis 17%. L’opération de short selling était donc réussie.

Création de Diraq

Diraq est une nouvelle startup sur les qubits silicium créée en Australie par des anciens de la startup SQC de Michelle Simmons et d’UNWS, notamment Andrew Dzurak. Cette spin-off d’UNSW est aussi accompagnée par Andrea Morello. Ils annoncent une couleur ambitieuse avec des milliards de qubits. Et pour commencer, deux premières étapes à 9 et 256 qubits,

Sur leur site web, on voit bien la patte des communicants et des superlatifs !

Publication scientifique

A noter A Framework for Verifiable Blind Quantum Computation par Theodoros Kapourniotis, Harold Ollivier, Elham Kashefi et al, Juin 2022 (33 pages). Il s’agit d’un papier qui fait avancer l’état de l’art dans la vérifiabilité de protocoles de « blind quantum computing » qui servent à relier un ordinateur quantique client à un autre ordinateur quantique pour lui déléguer des tâches. Issu de travaux du CNRS LIP6, le papier met mathématiquement en lumière un lien entre la notion de vérification et celle de la détection et de la correction d’erreurs. Harold Ollivier est actuellement directeur des programmes quantiques d’Inria et il continue de faire de la recherche. Elham Kashefi n’est plus à présenter. C’est une grande spécialiste de l’ingénierie logicielle quantique avec de nombreuses cordes à son arc, officiant au CNRS LIP6 à Paris, à l’Université d’Edimbourg et chez VeriQloud qu’elle a fondé avec Marc Kaplan.

Événements à venir

Et bien, surtout l’événement France Quantum organisé par Startup Inside qui a lieu le 14 juin à la Tour Eiffel et dont les places sont limitées (150). Fanny qui en a assuré la programmation en donne 5 aux premiers qui se manifestent !

Le programme valorise surtout l’écosystème français du quantique (ce n’est pas pour rien qu’il s’appelle France Quantum, dans la lignée de de France is AI, que Startup Inside de Damien Gromier avait monté en 2016).

On se retrouve début juillet pour clore la saison…

RRR

 
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