Retour en Silicon Valley (7/7) et nous et nous ?
Post de Olivier Ezratty du 1 mai 2011 - Tags : Entrepreneuriat,France,Innovation,Internet,Loisirs numériques,Politique,Silicon Valley,Startups,USA | 14 Comments
C’est l’heure du bilan de cette semaine dans la Silicon Valley. On peut en tirer trois types de conclusions : des observations, des enseignements pour l’écosystème français et éventuellement des décisions personnelles pour les participants.
Observations
Il y a deux manières d’analyser les forces et les faiblesses de la Silicon Valley : la rationnelle et l’émotionnelle. Dans le rationnel, on observe la masse critique d’universités, laboratoires de recherche, de startups et grandes entreprises, de talents dont nombreux sont ceux qui viennent d’e l’étranger, de prestataires de services ainsi que de capital qui font tous tourner la belle machine huilée. Dans l’émotionnel, il y a évidemment la culture locale qui joue un rôle, héritage de plus d’un siècle d’histoire. Elle génère une atmosphère électrisante de défi permanent, d’ambitions démesurées et aussi de concurrence exacerbée. Tout ceci rend évidement jaloux non seulement le reste du monde mais aussi le reste des USA.
Ce que l’on a vu de la Silicon Valley était aussi assez centré sur le monde ultra-marchand de l’Internet dédié à un mode de vie d’ultra-consommation. On trouve aussi cela en France avec la pléthore de sites de commerce en ligne ou de m-commerce qui se créent. Heureusement, les initiatives de Stanford sur les réseaux sociaux et de la Mozilla Foundation en général sur les application stores tempéraient cette impression. En fait, le champ d’intervention de la Silicon Valley dépasse celui de l’Internet grand public. Dans le numérique, il y a aussi les solutions d’infrastructure, les logiciels et, au-delà, les medtechs et les cleantechs tout comme les industries liées au militaire (le fameux “complexe militaro-industriel”).
Entre 2007, date de ma dernière visite, et 2011, il y a tout de même eu la crise financière de 2008/2009. Pendant cette période, la Silicon Valley était un peu en hibernation. Les startups baissaient dynamiquement la voilure pour vivre avec le cash qu’elles avaient tandis que les levées de fonds se faisaient plus difficiles, surtout en série A. Mais depuis, l’activité a redémarré comme si de rien n’était. La capacité à se reconfigurer dynamiquement de la Silicon Valley est assez sidérante.
Visiter la Silicon Valley est aussi un moyen de se rappeler la concurrence mondiale féroce entre nos économies dites “modernes”. Il y a d’abord cette porosité internationale de la Silicon Valley dans le sens des entrées. Elle attire les meilleurs autant dans les universités comme Stanford que dans les entreprises, établies comme startups. L’ouverture dans l’autre sens vers le reste du monde est variable. Elle existe chez les universitaires et les chercheurs, elle est incontournable dans les grandes entreprises mais elle est plutôt faible dans les startups trop occupées par leur produit ou par le marché américain déjà suffisamment vaste.
Il y a aussi une concurrence forte entre les européens qui abordent le marché américain. Le Royaume Uni est un privilégié de longue date par sa proximité culturelle (au moins linguistique) et par le dynamisme plus grand et en tout cas plus ancien de son marché intérieur dans le numérique. Ce marché y est bien plus développé que le nôtre tant en btob qu’en btoc. Et c’est aussi le premier marché du capital risque en Europe !
L’image de la France par rapport au Royaume Uni est ainsi handicapée : les filiales des grandes entreprises américains du numérique, tant dans le btoc que dans le btoc, font au moins 50% de CA en plus sur UK qu’en France, voire parfois jusqu’à 100% de plus. Alors que les deux pays ont à peu près la même population et le même PNB. La conclusion est rapide pour les américains : la France est trop lente et n’innove pas assez, pourquoi s’en préoccuper ? L’Allemagne est dans une position intermédiaire et le reste de l’Europe très fragmentée. Ce n’est donc pas une surprise si les antennes européennes des grands fonds d’investissement américains sont basées à Londres. Ce n’est pas seulement lié au rôle pivot de la “City”. Ces fonds regardent dans deux autres directions : la Chine et l’Inde (du fait de la taille de ces marchés et du volume de compétences qu’on y trouve) et Israël (du fait du dynamisme dans la high-tech et d’une grande proximité culturelle). Mais pas souvent vers la France, un peu marginalisée. La Chine est évidemment au centre des préoccupations. C’est un sous-traitant obligé et une source d’immigration de qualité pour la Silicon Valley, mais aussi un concurrent dangereux à terme.
Enseignements pour la France
L’écosystème français de l’innovation peut-il apprendre quelque chose de la Silicon Valley ? Certainement ! Il l’a d’ailleurs déjà fait ces dernières années. La question n’est pas de “faire comme dans la Silicon Valley”, mais d’importer quelques-unes des bonnes pratiques qu’on y trouver ou que l’on trouve dans d’autres pays. Les bonnes pratiques relèvent plutôt de l’état d’esprit ambitieux et du brassage international et multidisciplinaire des compétences.
Il y a bien entendu les attitudes scrogneugneu dédaigneuses de certains américains pour qui la France s’évertue pour rien à essayer d’imiter la Silicon Valley (en une phrase, ils disent : “it’s the culture, stupid…”). Attitude qui a généré récemment l’approche contre-scrogneugneuse de deux américaines en Europe, Michelle Chmielewski et Roxanne Varza. Une bataille de mots entre américains qui montre bien que les préjugés des américains confinés aux USA sont en partie basés sur des méconnaissances, comme tous les préjugés. Mais elle remue toutefois le couteau dans la plaie de certaines vérités pas bonnes à entendre et pas faciles à changer chez nous.
Depuis novembre 2007, nous avons fait pas mal de progrès dans l’univers des startups en France :
Ce qui manque encore chez nous est ce côté fou de l’ambition débridée de la Silicon Valley et des moyens qui vont avec. Rares sont les projets très ambitieux. Il y a trop de me-too et d’améliorations incrémentales de succès. Ces startups ont très peu de chances d’émerger à cause du classique effet de réseau qui privilégie les leaders en place, même quand ils sont imparfaits. Rares sont les VCs qui prennent réellement de gros risques, à savoir parier sur des innovations de rupture pas évidentes et aussi miser gros dessus. On manque toujours de la capacité à financer des leaders mondiaux, pour des tours supérieurs à 10m€. C’est une des raisons qui poussent les entrepreneurs à s’établir ailleurs pour obtenir les moyens financiers de leur ambition mondiale. Nous avons certes le FSI, mais son approche d’investissement semble plus défensive qu’offensive, histoire d’éviter que des pépites locales – pas toujours bien en forme – passent sous contrôle étranger.
L’autre domaine où le pays a besoin de s’améliorer dans l’innovation numérique est dans son ouverture sur le monde, dans l’appel du large et il est lié au précédent. Nous avons quelques pôles de compétitivité “d’envergure mondiale" et on se demande à quoi servent les autres ! Cet appel du large n’a jamais été le fort de la France et de sa culture, comparativement aux cultures d’origine protestantes et du Nord, d’un naturel plus commerçant. Les français qui s’établissent aux USA sont parfois perçus comme des traitres ou de mauvais citoyens. Alors qu’il faudrait se poser la question de savoir comment créer des entreprises du type de Criteo, avec une R&D en France et des activités commerciales solidement implantées là où sont les clients, et notamment aux USA. Le modèle ici n’est pas la Silicon Valley mais Israël, où l’on trouve un esprit d’entrepreneuriat – compétitif et ambitieux – voisin de celui de la Silicon Valley, et tout un tas de startups qui s’implantent aux USA.
Dernier point qui me vient en tête, le regroupement des compétences non techniques nécessaires à l’innovation. L’aide publique ne peut couvrir le financement des investissements marketing. La solution principale pour l’Etat et les Régions consiste à rapprocher les compétences complémentaires dans l’aménagement du territoire, notamment dans l’enseignement supérieur. C’est mieux parti en région qu’en Ile de France, où les sciences molles (ou douces, selon) et le design sont plutôt à Paris et les sciences dites dures concentrées ailleurs, et notamment dans le ghetto scientifique de Saclay.
Des décisions personnelles pour les participants au voyage
Un voyage dans la Silicon Valley est toujours dynamisant pour ses participants. On en revient toujours en se remettant un peu en cause. Le premier sentiment est de trouver un peu “chicken” l’ambition de notre pays comme… sa propre ambition personnelle.
L’autre impact est de pousser certains à s’implanter d’une manière ou d’une autre aux USA. Certains décident carrément de s’y installer quelques mois avec visa touriste pour y créer directement une startup. C’est courageux mais un peu casse-cou. Créer une équipe à partir de rien du tout n’y est pas évident sauf à avoir une idée du tonnerre et encore. Mieux vaut d’abord créer sa boite en France pour faire un bon produit avec du financement d’amorçage puis d’aller installer son bureau commercial dans la Silicon Valley avec l’un des fondateurs.
Chez les élèves de troisième année de l’Ecole Centrale, certains avaient déjà fait une partie de leurs études ou un stage dans la Silicon Valley. D’autres avaient déjà prévu de faire un stage (d’ingénieur) à partir du mois de mai. Notamment Louis Romero qui ira chez Apple à Cupertino et Julien Weber chez Criteo.
Enfin, une bonne part des participants sont en phase de création de startup, notamment les organisateurs du voyage. Il y a Charles Gourio (Smart Impulse, déjà couvert), Damien Detcherry qui lance une startup dans la mobilité, nom de code Snapoleon, Thibault Poisson qui se lance avec ShareMySpot (partage de places de parking libres), d’autres dans le bookmarking vidéo, etc.
Bref, tout ceci n’était pas vraiment du tourisme ! A part peut-être pour moi… .
Voilà, c’en est terminé de ce long compte-rendu d’une semaine dans la Silicon Valley. Je vais maintenant reprendre une activité normale…
Petit rappel des épisodes précédents :
Retour en Silicon Valley (1/7) grandes tendances
Retour en Silicon Valley (2/7) la recherche
Retour en Silicon Valley (3/7) grands de l’Internet
Retour en Silicon Valley (4/7) startups Internet
Retour en Silicon Valley (5/7) l’écosystème
Retour en Silicon Valley (6/7) cleantechs
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