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Les défis du plan France Numérique 2020

Post de Olivier Ezratty du 25 juillet 2011 - Tags : Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,Facebook,France,Innovation,Politique,Startups,TV et vidéo | 16 Comments

Eric Besson et son équipe organisaient un “Panorama Eric Besson 2

Eric Besson a commencé par faire un petit discours de bilan rapide du plan France Numérique 2012 et pour expliquer le processus de préparation de ce nouveau plan, l’amenant à consulter les acteurs de l’industrie. Le plan 2012 prévoyait 154 actions et 80% d’entre elles auraient été réalisées. Il citait notamment le déploiement de la TNT et la fin de la TV analogique, toujours programmée pour la fin de l’année 2011.

Eric Besson (1)

Le document de la consultation est téléchargeable ici sachant qu’il faut répondre à l’email france.numerique2020@finances.gouv.fr dans un format libre, en traitant les questions qui vous concernent. La consultation est construite autour des quatre axes du plan France Numérique 2012, qui donneront lieu à la création de groupes de travail à partir de septembre 2011. Chacun sera piloté par un membre du pôle numérique du cabinet d’Eric Besson, eux-mêmes assistés par la DGCIS (la Direction du Ministère de l’Industrie qui suit le sujet du numérique), le tout étant visiblement coordonné par Caroline Morard, qui gère notamment les relations avec les blogueurs et entrepreneurs :

  • Permettre à tous les Français d’accéder aux réseaux et aux services numériques qui couvre aussi bien le haut débit que la TNT (groupe suivi par Akilles Loudière).
  • Développer la production et l’offre de contenus numériques (groupe suivi par Bernard Celli).
  • Accroitre et diversifier les usages et les services numériques dans les entreprises, les administrations, et chez les particuliers (groupe suivi par Cédric Prévost).
  • Moderniser notre gouvernance de l’économie numérique, qui intègre le thème de l’entrepreneuriat (groupe suivi par Akilles Loudière et Cédric Prévost).

En 2008, Eric Besson avait lancé un processus de consultation peut-être trop ambitieux avec les Assises du Numérique. Elles avaient donné lieu à plus de 140 réunions dans toute la France, toutes n’ayant pas eu de compte-rendu ce qui rendait difficile la compilation des propositions. Il y avait aussi eu un wiki, pas très utilisé. Ici, le processus de consultation sera plus resserré et visera à l’efficacité. Le défi étant que les ressources pour générer ce plan sont toujours aussi limitées, même si Eric Besson peut maintenant s’appuyer plus facilement sur les services de l’Etat que lorsqu’il était Secrétaire d’Etat sans administration. Le défi pour ceux qui répondent est d’émerger face aux lobbies professionnels qui disposent de moyens pour se faire entendre.

La discussion avec Eric Besson

La seconde partie de l’exercice était la plus intéressante. Eric Besson a laissé l’audience s’exprimer librement pendant environ une heure, même s’il fallait un peu se battre pour récupérer le micro ! Ce n’est pas ce que les politiques aiment faire le plus car l’exercice est périlleux. Eric Besson a répondu point par point à l’ensemble des questions en faisant sporadiquement appel à son directeur de cabinet Franck Supplisson pour certaines d’entre elles. On critique souvent les politiques sur leur manque de maitrise des dossiers. Ici, Eric Besson était plutôt bon dans l’exercice même si on pouvait ne pas être d’accord avec lui sur le fond de ses réponses. Il a surtout remarqué qu’il n’était pas mécontent de ne pas avoir à s’occuper de sujets comme HADOPI. Un comble pour celui qui a eu en charge pendant près de deux ans le sujet brulant de l’immigration et de l’identité nationale !

Voici donc un extrait de ces discussions qui montre la grande diversité du paysage numérique et des préoccupations des uns et des autres. J’attribue les questions aux intervenants lorsque possible et je peux me tromper :

  • Comment sérieusement piloter le déploiement du haut débit en région ? (Michel Lebon). Eric Besson répond que cela avance et que l’on ne peut pas juste tondre les opérateurs : on a besoin d’opérateurs télécoms forts en France.
  • Rappel du retard dans les usages numériques des PME, surtout sur le commerce en ligne (Jean Mounet, ci-dessous). Eric Besson rappelle le plan du “Passeport pour le numérique” (qui est un échec pour les spécialistes). It’s the culture, stupid ! La culture, cela se change avec du symbolique, de l’exemplarité, de la communication et en jouant sur les péchés capitaux.

Jean Mounet (1)

  • Où en sont les chantiers de l’administration notamment pour créer un patrimoine de logiciels libres de droit et quid de l’open data ? (Alexandre Zapolsky, de Linagora, ci-dessous). Eric Besson a répondu en commençant par dire qu’il avait anticipé que la première question posée porterait sur le logiciel libre. C’est effectivement une habitude ! Et d’évoquer les grandes avancées dans la e-administration.

Alexandre Zapolsky

  • Pourquoi attendre le privé pour créer une école de l’internet ? L’Etat doit répartir les budgets dans l’éducation et développer les filière métiers porteuses (Patrick Bertrand, AFDEL, CEGID). La structure de l’enseignement supérieur pour le numérique comme pour l’entreprenariat mériterait un véritable débat en effet.
  • Quid du secteur du livre qui risque de subir le même sort que la musique ? (Emery Doligé). Eric Besson répond que c’est du ressort du Ministère de la Culture.
  • Quid du Green IT ?
  • Quid de l’établissement de l’accès à Internet comme droit fondamental ? J’ai oublié la réponse ! Smile
  • Comment va fonctionner la consultation du plan France Numérique 2020 (Fadhila Brahimi, FB Associés, coach en personal branding) ? Les réponses à la consultation seront consolidées par le cabinet d’Eric Besson qui va organiser des groupes de travail et le plan 2020 sera annoncé lors des Assises du numérique qui auront lieu à Paris-Dauphine le 30 novembre 2011.

Il y avait aussi et surtout beaucoup de questions sur l’entreprenariat, qui va visiblement prendre une place plus importante que dans le plan France Numérique 2012 :

  • Il faut aider les startups et PME innovantes ! Le CIR avantage trop les grandes entreprises (Patrick Bertrand, AFDEL, Cegid). Vaste débat, mais l’oreille de Bercy n’est pas très attentive sur le sujet. Les grandes entreprises, voire les entreprises étrangères, font un lobbying efficace pour continuer à récupérer leur CIR même si certains abus ont été contenus dans la Loi de Finance 2011.
  • Quid du statut JEI, de la fameuse balle perdue ? (Patrick Bertrand, AFDEL, Cegid). Eric Besson répond que le retour au statu quo ante sera proposé dans la Loi de Finances 2012, modulo les arbitrages de Bercy.
  • Il faut encourager les initiatives comme Le Camping (à multiplier par 10), améliorer le service de la Coface pour les exportations et faire en sorte que les grandes entreprises fassent plus appel aux startups et en acquièrent plus (Cédric Giorgi, Seesmic, ci-dessous). Cédric faisait référence à un Small Business Act, qui n’est pas forcément la réponse appropriée, tout du moins s’il s’agissait d’imiter le SBA américain pour lequel Eric Besson trouve que nous avons beaucoup d’équivalent déjà en place en France, ce en quoi il n’a pas tord.  Aux USA, le SBA ne régit pas les relations entre grandes entreprises privées et PME !

Cédric Giorgi

  • Il faut encourager les innovations de services et pas seulement les innovations technologiques, pour qu’un Facebook ait pu rétrospectivement se créer en France (Benjamin Suchar, CheckMyMetro, ci-dessous). On peut se demander pourquoi les SkyBlogs ne sont pas devenus Facebook ! Pas de vision suffisamment internationale et orientée plateforme ? Et l’encouragement des innovations non technologiques est un casse-tête pour les aides publiques, contraintes par la règlementation de la concurrence, notamment à Bruxelles.

Benjamin Suchar (1)

  • Comment mieux financer l’ensemble du cycle de vie des startups. Certains mettent l’accent sur le développement (en clair, pour des tickets de financement au-delà de ce que font les VCs) et d’autres sur l’amorçage (Valérie Dagand, Cyberelles).
  • Comment faire en sorte que la régulation du secteur de la TV permette aux nouveaux acteurs d’émerger au lieu de les bloquer ? (Louis Van Prodij, FairPlay TV Interactive, ci-dessous). Un autre intervenant d’un syndicat professionnel demander à ce que les catalogues de contenus soient “libérés” voire de réviser la chronologie des médias, pour permettre aux nouveaux services de se développer.

Louis Van Proosdij (1)

  • J’insiste pour ma part sur ce point en faisant remarquer que l’Etat aide les différents secteurs du numérique de manière trop saucissonnée (jeux vidéo, logiciels, nanotechs, etc) sans bien distinguer son rôle d’Etat client (comme avec l’appel d’offres Proxima Mobile) et d’incitateur à l’innovation (JEI, CIR, Oséo, appels à projets divers, etc). Et qu’il donne parfois l’impression de freiner les innovations “Schumpetériennes” comme dans l’univers des médias. Je demande à ce que les aides publiques soient plus génériques et simplifiées pour les entrepreneurs. Eric Besson répond que chaque industrie a ses particularités, qu’il a ainsi été créé un statut de l’Editeur de Logiciels de Jeux. Il fait aussi état des efforts dans le calcul intensif (mais c’est aussi parce que l’Etat est client, ne serait-ce qu’avec le centre de calcul TERA 100 du CEA à Bruyères le Chatel), que l’aide du FSI à SOITEC a été fort appréciée par la société (et pour cause).

Retour sur le plan France Numérique 2012

J’avais abondamment couvert le processus de création et d’annonce du plan France Numérique 2012 sur ce blog : le lancement des assises du numérique, retour et suite des Assises, la création d’un corpus de propositions sur l’entrepreneuriat (certaines suivies d’effets, mais plus du fait d’initiatives privées que du rôle de l’Etat) et le feedback sur le lancement du plan 2012.

L’annonce du plan à l’Elysée avait été plombée par la symbolique de l’absence de Nicolas Sarkozy, compensée seulement trois ans plus tard avec le eG8 et l’annonce de la création du Conseil National du Numérique. Son absence de l’époque était parait-il liée à la crise Lehmann qui l’occupait. Mais une source très bien placée à l’Elysée m’avait indiqué qu’il ne serait pas intervenu même sans crise financière, jugeant que le plan n’était pas assez bien ficelé ou manquait de souffle.

Ce qui frappait dans ce plan était sa grande dispersion. Avec 154 mesures, on était un peu perdu, ce d’autant plus qu’il n’y avait pas d’objectifs chiffrés ni même d’objectifs de moyens dans le plan ! Le plan était de plus très orienté sur les infrastructures et les contenus/médias et pas assez sur l’entrepreneuriat. Il semblait trop refléter les préoccupations sectorielles relayées par les différents lobbies professionnels du numérique. La construction collaborative du plan était plus que balbutiante. L’entrepreneuriat a été ensuite traité en décalage de phase par NKM avec ses appels à projets et avec l’intégration du numérique dans le grand emprunt. Mais sans que le tout soit vraiment cohérent.

Si l’application du plan France Numérique 2012 a tout de même suivi son cours, elle a été sérieusement obscurcie par ces lois qui ont malencontreusement occupé le devant de la scène (HADOPI, LOPPSI) tout comme par le débat sur la neutralité du net. Cela donne un arrière-gout de gâchis en terme d’allocation de temps de l’ensemble de l’écosystème du numérique. Et ce n’est pas terminé !

Enjeux du plan France Numérique 2020

Alors, Eric Besson peut-il nous faire rêver cette fois-ci ?

Le défi provient de ce que le numérique étant partout, la construction d’un tel plan et sa communication sont délicates, ce d’autant plus que les ressources pour le créer sont limitées. Le numérique est certes omniprésent voire banalisé, comme l’électricité ! Mais il sous-tend des enjeux de société (vie privée, fonctionnement de la démocratie), éthiques (avec les nanotechnologies) et économiques (compétitivité, export, etc). Il y a une lueur d’espoir liée à la responsabilité étendue d’Eric Besson sur l’industrie et à son intégration dans la grande machine de Bercy, une situation enviable par rapport à celle de Secrétaire d’Etat rattaché à Matignon. Eric Besson pourrait faire rêver en inspirant un peu plus les jeunes, notamment ceux qui veulent entreprendre, tout comme l’ensemble des régions, en attente d’un véritable haut débit généralisé.

Sans rentrer dans le détail de chaque aspect qu’il couvrira, voici quelques remarques générales sur l’approche de conception du plan :

  • Le diagnostic : les spécialistes de l’innovation affirment ainsi que les innovateurs passent plus de temps à identifier le problème à résoudre que la solution associée. Sans bon diagnostic, on ne résout pas les bons problèmes. Dans mes propositions en 2008, j’avais évoqué le besoin d’une approche structurée avec un diagnostic de ce qui ne va pas, une construction d’ensemble cohérente et des objectifs chiffrés (scorecard). Une telle démarche reste toujours nécessaire ! Le diagnostic doit notamment servir à expliquer les décalages que l’on observe dans les benchmarks internationaux et à distinguer les causes et les effets dans l’analyse. On verra son application dans l’exposé préliminaire aux mesures qui seront contenues dans le plan France Numérique 2020 en novembre 2011.
  • Le rôle de l’Etat mériterait d’être mieux défini et articulé plutôt de d’enfiler un catalogue de mesures disparates. Quelle stratégie de régulateur (garantir les libertés fondamentales, protéger le consommateur, favoriser l’innovation), de client et utilisateur (comment rendre de manière générique la puissance publique “investisseuse” plus innovante, plus rapide dans son action, plus efficace), comme co-financeur d’infrastructures (haut débit), comme architecte d’un environnement favorable à l’entreprenariat (fiscalité, aides, investissements, partenariats public-privé, organisation de l’enseignement supérieur et rapprochement des filières). L’Etat est aussi “implémenteur” et “manageur”, avec un rôle d’arbitre dans les luttes de pouvoir internes aux administrations, grands Corps de l’Etat et autres EPIC (établissements publics à caractère industriel et commercial). Il faudrait aussi éviter la dispersion du plan 2012 et être à la fois plus précis dans l’action et plus générique pour éviter d’aider des secteurs divers de manière trop spécifique (jeux vidéos, etc). Chaque secteur a certes des particularités mais le micro-management de toutes les industries du numérique ne tient pas la route. Il est par ailleurs couteux : tant au niveau de la gestion de ces divers plans que dans la complexité générée pour les entrepreneurs. Eric Besson trouve ces questions trop philosophiques mais c’est pourtant en les négligeant que l’on aboutit à des redondances et aberrations telles que celles de la mise en œuvre pratique du Grand Emprunt.
  • L’horizon politique est de 9 ans. Le plan doit donc théoriquement traverser trois quinquennats sans encombres ce qui à la vitesse d’évolution du numérique est une bien belle gageure ! Cela peut décourager les uns et les autres de s’investir dans un plan qui pourrait être remis en cause après mai 2012 en cas d’alternance. Le plan va donc devoir associer des actions tangibles de court terme et des objectifs et principes d’action pouvant traverser les années et les aléas politiques. C’est le cas de l’équipement haut débit qui n’est pas un plan à 12 mois ! Un grand écart qui demandera du souffle ! Besson ne sera peut-être pas un Kennedy style “before this decade is out, landing a man on the moon ”, mais il peut toutefois impulser une ambition qui sortirait du côté un peu pépère des plans habituels. Entre rattraper tel ou tel retard et devenir leader dans tel ou tel domaine, il y a un bon décalage !

Pour ma part, je vais me focaliser en répondant probablement à la consultation sur les parties concernant la TV numérique et sur l’entrepreneuriat. Soit seul, soit intégré à diverses structures associatives comme en 2008 ou au Conseil National du Numérique.

PS: quelques autres comptes-rendus de ce lancement de la consultation par Fadhila Brahimi , Céline Frontera et Marie Rufo. L’ami Emery Doligé est quant à lui plus laconique.

RRR

 
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