Amazon accélère le déclin des ebooks
Post de Olivier Ezratty du 30 septembre 2011 - Tags : Apple,Digital media,Google,Innovation,Loisirs numériques,Silicon Valley,Technologie,TV et vidéo,USA | 18 Comments
Beaucoup de choses ont été écrites sur le vif au sujet de l’annonce récente des nouveaux Kindle d’Amazon, un des principaux événements technologique de cette rentrée. Mais tout n’a pas été dit !
Je vais revenir ici sur un sujet déjà abordé dans d’autres articles de ce blog, à savoir l’articulation des usages et du marché entre ebooks et tablettes, et exposer pourquoi les premiers vont inexorablement décliner au profil des seconds. L’annonce d’Amazon est une étape clé de ce processus amorcé avec la sortie de l’iPad en 2010. Nous examinerons aussi quelques enjeux industriels autour des annonces d’Amazon, aussi bien au niveau matériel que des contenus. Enfin, j’aborderai la question de la concurrence d’Amazon.
Les annonces d’Amazon
Quatre produits ont été annoncés par Amazon, trois dans la continuité de l’existant et un de véritablement nouveau chez Amazon :
C’est évidemment l’annonce du Kindle Fire qui a retenu l’attention. Essentiellement parce que c’est l’une des rares offres qui semble crédible face à l’iPad d’Apple, malgré les nombreuses différences qui subsistent entre les deux.
Le déclin de l’ebook
Cette annonce est surtout le signal que l’ebook mono-application, appelé aussi “liseuse” est voué à progressivement s’effacer au profit des tablettes. Cela a déjà commencé en 2011 avec des ventes de tablettes qui ont largement dépassé en volume, et donc aussi en revenus, celles d’ebooks, Amazon représentant la moitié du marché des ebooks.
Mon raisonnement est le suivant : à format, poids et prix voisins, les produits généralistes l’emportent généralement sur les produits spécialisés. L’histoire du numérique l’a démontré à plusieurs reprises : les PC ont remplacé les machines à écrire “informatiques” à la fin des années 1970 et surtout avec l’arrivée des IBM PC en 1981, les mobiles ont progressivement pris le pas sur les baladeurs numériques et sur les GPS dédiés, les chaines hifi intégrées ont supplanté les chaines en éléments séparés maintenant cantonnées au haut de gamme, et les suites bureautiques ou graphiques ont remplacé les logiciels isolés qui les composaient.
Les spécificités des ebooks qui peuvent les rendre plus intéressants que les tablettes sont : le prix généralement assez bas, la légèreté, des écrans qui fatiguent peu les yeux et l’autonomie qui peut être de plusieurs jours voire semaines. Leur déclin va être déclenché par une réduction progressive de ces spécificités et à l’évolution du besoin des consommateurs.
Reprenons les une par une :
Si on observe maintenant les usages, les ebooks d’aujourd’hui sont éminemment limités. Les consommateurs préfèrent de loin bénéficier d’une grande souplesse pour consommer toutes sortes de contenus, ce qui donne un avantage énorme aux tablettes.
Je fais donc le pari que les ebooks vont bientôt rejoindre les obscurs et marginaux marchés des calculatrices scientifiques ou des traductrices de poche.
La parenté avec la stratégie d’Archos
Petite réflexion qui va vous sembler curieuse : la stratégie hardware du Kindle Fire est très voisine de choix qui ont été opérés il y a un an par Archos, le petit français qui a vendu aux alentours de 2 millions de tablettes à ce jour, soit quelques % de la base installée mondiale. Et qui après des années difficiles a généré une belle croissance en 2011, +135% sur le premier semestre 2011 vs le premier semestre 2010. Bon, OK, on parle d’une tendance de $200m par an, à comparer à plus de $10B par an pour l’iPad !
Voici les points communs en question qui éclairent en fait ceux d’Amazon :
Au-delà de forces de frappe difficilement comparables, la différence clé entre Archos et Amazon réside surtout dans le catalogue de contenus. Amazon est surtout un e-marchand qui se créé ainsi un canal de vente privilégié, dans la lignée des précédents Kindle qui étaient focalisés sur les livres. C’est une évolution voisine de la stratégie de vente d’Amazon qui initialement vendait des livres et s’est mis à vendre de tout ensuite. Il y a aussi toute la stratégie Cloud d’Amazon, intégrée dans son offre de contenus qui deviennent dès facto “multi-écrans”.
Une autre parenté : avec Canal+
Les analogies sont toujours éclairantes. En voici une autre, cette fois-ci avec Canal+, qui faisait l’objet de mon précédent article, ou plus généralement avec les opérateurs de TV payante. Amazon et Canal+/CanalSat ont des stratégies voisines d’approche des consommateurs :
So what? Ces stratégies maximisent d’un côté le contrôle de la relation client (avec le matériel) et de l’autre le “reach”, la capacité à toucher un maximum de consommateurs, même si c’est avec un revenu et une marge par consommateur qui doivent être inférieurs.
Trois sociétés affectées : Samsung, Sony et Qualcomm
Alors, qui va être affecté par cette annonce d’Amazon ? Apple qui se prend un concurrent crédible à son iPad, Google qui voit sa plateforme Android se balkaniser ou Microsoft qui est pour l’instant absent de ce marché ? Un peu tout le monde à la fois ! Il y a aussi le Nook Color commercialisé aux US par Barnes & Noble à $249 pour un format de 7 pouces. Comme quoi le prix de $199 du Kindle Fire n’est pas si révolutionnaire que cela !
Dans les sociétés affectées, on peut aussi citer :
Quid de Microsoft ? Nous avons déjà traité le cas de Windows 8 dans ce concert de tablettes. C’est le plus original, puisque créant un pont direct entre le monde du PC et celui des tablettes. Mais c’est aussi un pari technologiquement assez risqué car à force de vouloir faire beaucoup de choses, Microsoft pourrait les faire mal. Wait and see.
Quid d’Apple ? Ils réagiront sans doute avec un “même pas mal”. Ils évoqueront la fragmentation que l’offre d’Amazon risque de générer pour les développeurs d’applications Android. Puis le nombre d’applications développées pour l’iPad bien supérieur à celui du store d’Amazon. Mais par certains côtés, Amazon a dépassé le maitre Apple dans la verticalisation du marché. Ils diffusent un catalogue de contenus voisins, Amazon se préparant à la dématérialisation des ventes de tous les contenus. Ils ont tous les deux une offre de Cloud, avec une approche voisine pour la consommation de contenus propriétaires en mode multi-écrans. Les deux sociétés partagent en tout cas la même ambition : être le principal tuyau qui alimente le grand public en contenus de toutes sortes. L’un est en Californie, l’autre à Seattle. Silicon Valley contre Puget Sound, la zone géographique du Nord-Ouest des USA où se trouvent Amazon… et Microsoft.
Apple va certainement attaquer fort en 2012 avec l’iPad 3 et un écran Retina qui fera monter les enchères en termes de lisibilité. Ces écrans étaient attendus pour la sortie de l’iPad 2 en février 2011. Mais ils n’existaient pas encore ! Depuis, Samsung et LG Electronics ont annoncé lors du salon SID en mai 2011 le démarrage prochain de la production de ces écrans à la résolution de 2560×1600 au format 4/3 de l’iPad. 300 DPI, comme sur une imprimante laser ! Sharp serait aussi de la partie. Cela va énormément améliorer la lisibilité du texte sur les iPad 3 et donc réduire la fatigue visuelle d’un usage prolongé. Apple va probablement truster la capacité de production des constructeurs de ces écrans pendant un certain temps comme il sait si bien le faire sur les composants clés de ses iPhone et iPad. Sa maitrise rigoureuse voire draconienne de sa “supply chain” lui donnera une longueur d’avance sur les autres constructeurs.
Une chose est sure : nous sommes avec les tablettes comme avec les PC dans les années 1980/1990 ! Ce sont des produits dont l’obsolescence est très rapide car la technologie évolue très vite. D’où des positions d’acteurs qui peuvent évoluer très rapidement, avec ou sans stratégies de “contenus”.
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(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net