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Back from China – Internet

Post de Olivier Ezratty du 17 juillet 2010 - Tags : Chine,Google,Haut débit,Internet,Loisirs numériques,TV et vidéo | 5 Comments

Suite de ce compte-rendu du voyage IT-Express en Chine, avec un grand panorama sur l’Internet en Chine.

Après un aperçu du marché Internet chinois, je vais essentiellement couvrir dans ce post trois sociétés rencontrées pendant le voyage : le leader de l’Internet Baidu, le fournisseur d’infrastructures pour opérateurs télécoms Huawei et le concepteur de composants de réception de la télévision numérique Availink. Cela me permettra de couvrir à la fois le marché de l’Internet et celui de la télévision numérique.

Spécificités de l’Internet en Chine

La Chine est depuis 2009 le premier marché mondial de l’Internet en nombre d’Internautes, qui sont environ 400 millions, soit plus que d’habitants aux USA (environ 300 millions), et environ le tiers de la population. Mais ce n’est pas encore le premier marché en revenus publicitaires tout comme dans le commerce électronique. Et seulement la moitié des Internautes sont connectés en haut débit, à environ 1 Mbits/s (avec des coupures fréquentes, y compris dans les grandes villes). Le commerce électronique n’est pas encore très développé et le marché publicitaire pâtit d’un pouvoir d’achat encore inférieur à celui des pays occidentaux. Exemple : le marché du search était d’un peu plus de $800m en Chine en 2009 tandis qu’il était du double au Japon sur la même période, avec dix fois moins d’habitants (Sohu home page

Voici en complément quelques informations fournies sur l’état du commerce électronique en Chine lors d’une intervention de Denis Gihan (ci-dessous), un français installé à Shanghai, et fondateur de Feeloë Consulting :

  • Le commerce en ligne ne fait que démarrer en Chine. Un quart des Internautes en font usage. Le cout d’acquisition des clients est élevé et avec des taux de transformation faibles (< 0,5%), des paniers moyens faibles (20€ dans l’habillement).
  • Les cartes bancaires sont peu utilisées comme moyen de paiement en ligne, faute de confiance. Les chinois payent souvent en carte bancaire ou en cash à la réception du colis.
  • Les livraisons fonctionnent plutôt bien avec la poste chinoise. On peut livrer un colis pour 10 à 20 Yuan (1,2 à 3 Euros) dans tout le pays et pour moins d’un Euro sur place à Shanghai.
  • Tao Bao, le eBay local, représente 70% des recherches de produits en Chine et héberge un million de boutiques en ligne. Il propose même une garantie de non contrefaçon, la garantie des paiements. C’est un modèle voisin de celui de Price Minister. De nombreux salariés quittent leur emploi pour créer leur boutique sur Tao Bao !
  • L’Internet mobile démarre mais pas encore dans le m-commerce. Cela va exploser grâce aux smartphones, notamment les copies locales de l’iPhone qui tournent sous Android.
  • Un nom de domaine en “.cn” ne peut pas être acheté de l’étranger. Pour avoir un site en Chine, il faut donc être présent physiquement en Chine.

Lors que l’on se connecte sur Internet en Chine, l’Internaute occidental est évidemment surpris par  la censure de nombreux sites non chinois. Voir par exemple cette réaction de Global Times China Facebook could be spy tool

Mais vu de la plupart des chinois, cette censure est-elle si gênante ? La plupart du temps, ils ne lisent que le Chinois, alors, à quoi bon aller plus loin ? Ils se contentent donc des déclinaisons locales de nos services. Les chinois lisant l’anglais et les expatriés qui ont besoin d’accéder aux sites étrangers sans limitations s’abonnent généralement à des services de Proxy ou de VPN permettant de se connecter dans un “tunnel protégé”, souvent via Hong Kong et pour quelques Euros par mois. Avec un débit final assez réduit. Ces tunnels sécurisés ne sont pas censurés, alors que techniquement, ils pourraient bien l’être il me semble.

Baidu

Baidu est une sorte de Google local, leader du marché des moteurs de recherche avec environ les 2/3 de parts de marché, l’équivalent de celle de Google aux USA. Mais il gère un grand nombre de services et se diversifie à la même vitesse que ne le fait Google, sans toutefois aborder le marché des entreprises comme le fait ce dernier avec Google Apps, ni celui des mobiles avec Android ou de la télévision avec Google TV.

Baidu se présente d’abord comme un moteur de recherche classique, son interface étant dépouillée comme celle de Google Search (ci-dessous).

 

Baidu home page

Les résultats des recherches sont présentés en deux colonnes, les liens sponsorisés en haut et à gauche n’étant pas séparés des résultats naturels de la recherche (ils devraient l’être, c’est à l’ordre du jour depuis mi 2009 mais toujours pas mis en œuvre). Autant dire que la pollution commerciale y est encore plus forte que sur Google ! La partie droite contient différentes des publicités plus ou moins contextualisées, de haut de bas. Une requête retourne un maximum de 750 résultats tandis que ce maximum est de 1000 chez Google. C’est une technique classique d’optimisation des moteurs de requêtage.

Baidu search results

Baidu propose également son moteur de recherche Business Meetings (105)

A l’entrée se trouve un grand affichage à LED qui présente les mots clés les plus utilisés en temps réel et l’activité par région en Chine.

At Baidu (16)

Les bureaux sont organisés en open space classiques. Mais ils ne sont pas très personnalisés à part quelques peluches. L’excentricité ne semble donc pas aussi encouragée qu’elle ne l’est chez Google.

At Baidu (32)

Il y a bien entendu des zones pour le travail en commun, des salles de réunion, etc. Et avec du Wifi, of course. La décoration est des plus sobres. On sent que le bâtiment a l’air assez récent.

At Baidu (29)

La seule originalité se situe dans ces coques arrondies qui servent de chambres closes pour se reposer et dormir. Et une autre dédiée à l’allaitement. Comme chez Google, tout est fait pour travailler ad-vitam dans les locaux, même si nous n’avons rien entendu dire au sujet des repas.

At Baidu (34)

At Baidu (35)

Nous avons ensuite eu droit à une présentation très corporate réalisée par Kenneth Fan (Strategic Business Development, ci-dessous à gauche) en anglais, et par Kevin Ma (Business Development Director, son manager, ci-dessous à droite), en chinois traduit par une interprète.

At Baidu (9)[4]

Le nom de Baidu vient d’un ancien poème qui signifie “des centaines de fois”. La société est présente en Chine et au Japon. Elle faisait $651m de revenu en 2009 avec un résultat net de 33% du CA, bien au dessus des 27% de Google, probablement du fait de l’absence d’un business type AdSense à leur portefeuille d’activité, qui a tendance à diminuer le résultat net de Google.

Sa part de marché dans la recherche n’a fait qu’augmenter depuis sa création en 2001. Mais contrairement à une idée préconçue, ce n’est pas au détriment de Google, mais plutôt de Yahoo et des autres acteurs locaux du secteur. Google a aussi gagné des parts de marché en revenu sur la même période, pour en représenter le tiers. Donc, Google ferait environ un maximum de $350m en Chine, à comparer à environ $23B à l’échelle mondiale.

China Search Engines Revenue Share 2003-2010

On sent bien le sens du commerce dans la manière dont les résultats sont présentés par nos interlocuteurs. Ainsi, les clients annonceurs sont bien mis en avant. Ils seraient 300000 (en fait, 223000 sur Q4 2009). Sur Q4 2009, le revenu par annonceur était de $828, à comparer à environ $2000 pour Google, qui ne publie pas le nombre de ses annonceurs (estimable à 1,1m début 2010).

Voici pour terminer quelques éléments intéressants notés pendant la discussion ou trouvés par la suite :

  • Baidu est la première société chinoise cotée au Nasdaq (BIDU) et son siège social est domicilié dans le paradis fiscal des Iles Caïman.
  • Baidu se concentre sur les marchés Chinois et Japonais, puis le reste de l’’Asie. Les USA ? La réponse: “dans 10 ans”. Ce qui veut dire “jamais”. Au passage, ils avaient noté l’importance d’avoir un moteur de recherche local lorsque Jacques Chirac avait lancé le projet d’un moteur de recherche français en 2005 (il s’agit de Quaero… At Huawei (24)

    La visite a commencé par un petit tour dans le showroom où un panneau rappelle que Huawei est le premier fournisseur mondial d’infrastructures pour les opérateurs mobiles représentant 300 réseaux haut débit, plus 65 réseaux Wimax et 9 réseaux LTE en contrat. Il At Huawei (36)

    Et puis un peu d’IPTV avec un guide de programme en chinois bien coloré (et enregistreur, catch-up, etc) et une solution de commerce en ligne pour la télévision reliée au système de facturation des opérateurs télécom, qui ne doit pas être déployée à grande échelle en Chine, la plupart des TV n’étant pas connectées et l’IPTV n’ayant pas encore percé. Enfin, des stations relai avec groupe électrogène et une autre fonctionnant avec énergie éolienne et solaire photovoltaïque.

    At Huawei (31)

    Nous avons ensuite été reçus par un certain Yin Xuquan, un Vice Président responsable du “process control” et pas facile à identifier dans l’organigramme de la société, celui-ci n’étant pas publié au niveau de son executive board sur son site web. Il était flanqué d’une traductrice et d’une assistante.

    At Huawei (12)[4]

    At Huawei (52)

    Le groupe a été fondé en 1988 et a démarré avec la construction d’autocommutateurs privés (Pabx). Il s’est ensuite diversifié au gré de la numérisation des télécommunications et a développé son activité internationale en 1997.

    Le groupe se veut avant tout “orienté client” et met l’engineering de côté dans son message marketing. Cela se reflète dans son offre qui imite plus ou moins les standards du marché. Mais la qualité est au rendez-vous et est effectivement appréciée de ses clients, dont les opérateurs télécoms français. Le groupe fournit à la fois les solutions matérielles et logicielles ainsi que les services d’intégration associés. Ils se diversifient aussi dans les mobiles eux-mêmes mais il n’est pas impossible qu’ils soient fabriqués en marque blanche.

    Petit détails pour la fin, il n’y avait aucune borne Wifi de disponible dans la salle de réunion où nous étions (cf le résultat d’un scanner de Wifi ci-dessous).

    HuaWeiWifiShanghaiRD_thumb1

    Et cerise sur le gâteau, l’inévitable photo de groupe faite par le photographe de la société était remise, encadrée, au début du meeting, après la visite du showroom. Du bon “customer care” !

    At Huawei[1]

    AvaiLink

    Dernière société rencontrée lors de ce voyage, et en 1/1, le concepteur de composants de réception de la TV numérique AvaiLink. Il s’agit d’une startup créée en 2005 par un returnee qui a déposé 100 brevets sur le DVB-S2 (la norme la plus récente de réception de la TV numérique par satellite). Elle a été financée par un VC chinois, Availink logo

    La société doit son succès au choix du gouvernement chinois de faire appel à eux en 2006 pour leur propre standard de TV par satellite, le ABS-S, dérivé du DVB-S2. Depuis, les déploiements de set-top-boxes basées sur leur composant ABS-S ont démarré. 10 millions ont été déployés ces 3 derniers mois. Ils font maintenant $100m par an ! Pas mal pour une startup de 5 ans !

    Quelques mots au passage sur le marché chinois de la télévision : il compte 400 millions d’abonnés au câble, qui domine le marché de la TV payante (90%). Le satellite commence tout juste à se développer.

    Il y aurait 70 millions de set-top-boxes câble numériques déployées, le taux de déploiement variant selon les régions. Il est prévu que 80 millions de set-top-boxes IPTV seront déployées en 2014, l’IPTV est donc le marché le plus prometteur à terme.

    Côté haute définition, il n’y a qu’une chaine HD sur le câble mais 20 canaux sont disponibles. On a donc plein d’écrans plats 16×9 un peu partout, y compris dans les chambres d’hôtels, mais très peu de contenus adaptés.

    Quand on consulte le programme des chaînes TV disponibles dans l’hôtel à Beijing, on a droit à 15 chaines de la CCTV (TV gouvernementale), 10 chaines de BTV (Beijing TV), un autre réseau gouvernemental, puis 22 chaines de régions, elles aussi gouvernementales, mais quelques internationales comme CNN, CNBC, Discovery, ESPN, TV5, NHK, une chaine de CCTV en anglais et quelques chaines de vidéo à la demande (HBO, Cinemax). Le tout est en format 4/3 , pas de HD. Bref, le cordonnier chinois est assez mal chaussé pour l’instant !

    Voilà pour ce petit tour côté Internet et télévision. Il manque certainement une couverture du marché des services mobiles, que nous n’avons pas pu creuser sur place pendant le voyage.

    Le prochain et dernier épisode de ce compte-rendu du voyage IT-Express en Chine est consacré à l’accompagnement des entreprises françaises en Chine et à quelques à côté de la visite de Shanghai et Beijing.

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    La série complète des articles de ce compte rendu de voyage en Chine :

    Back from China – Introduction
    Back from China – Shanghai Expo
    Back from China – Ecosystème de l’innovation
    Back from China – Internet
    Back from China – Vendre en Chine

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