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Séminaire Numérique Grand Emprunt – Part 3

Post de Olivier Ezratty du 11 septembre 2009 - Tags : Economie,Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,Innovation,Politique | 8 Comments

Passons aux trois dernière priorités listées par NKM pour le grand emprunt et le numérique…

Développer l’usage TIC dans les PME

C’était la troisième priorité de NKM dans sa conclusion, mais le sujet avait été à peine effleuré dans les débats.

Cela fait des années que le gouvernement se préoccupe du sujet, avec certes des résultats mais un retard chronique des PME françaises, en particulier dans leur présence sur Internet pour y faire du commerce en ligne.

NKM a aussi évoqué la simplification des procédures administratives dans la lignée du succès du nouveau statut de l’autoentrepreneur grâce auquel 80% d’entre eux se sont déclarés sur Internet.

Pour ce qui est de l’équipement des PME, je suis quelque peu perplexe. Peut-être faudrait-il que le gouvernement communique plus sur le sujet. Au sens de la communication organisée avec campagnes de pub etc, gérées par le Service d’Information du Gouvernement. Elle pourrait s’appuyer sur des “best practices” et je repense toujours au fabricant de clôtures Lippi , le cas préféré de notre ami Jean-Michel Billaut. NKM devrait faire un petit tour chez eux. Il y a aussi à activer tous les organismes consulaires (chambres de commerce, de métiers, etc).

A première vue, tout ceci ne devrait pas intégrer l’emprunt. C’est du “business as usual”, la simplification des formalités administratives devant au passage permettre d’économiser à la marge quelques postes de fonctionnaires.

Mais comme aucune précision n’a été donnée sur la forme que pourrait prendre cet investissement sur les PME, on peut laisser le bénéfice du doute aux équipes de chez NKM et Hervé Novelli (en charge des PME à Bercy).

Mutualiser les infrastructures

Dans les débats, ce sujet a principalement été évoqué par Didier Lamouche, le PDG de Bull (ci-contre).

Didier Lamouche Bull Sept2009

Il en a profité pour parler un peu de Bull. Il n’existe que deux survivants de la belle époque des mainframes : IBM et Bull. Et l’histoire du plan calcul est maintenant ancienne.

Ensuite, il a fait état des progrès technologiques qui n’étaient plus absorbables par les applications conventionnelles. En gros, les PC sont trop puissants. Si c’est parfois vrai dans les PC dédiés uniquement à la bureautique, ce point est contestable pour de nombreux nouveaux usages des micro-ordinateurs : la vidéo haute définition, les jeux 3D, les interfaces utilisateurs immersives, les Media Centers, etc. Sans compter le simple fait que les micro-ordinateurs sont exploités pour un nombre grandissant de tâches simultanées. Même si Linux consomme un peu moins de ressources que Windows, que Windows 7 est plus économe de ressources que son malheureux prédécesseur Windows Vista, et que MacOS s’améliore en permanence, les usages sont tels que les machines sont assez bien utilisées. Bien sûr, pas à 100% tout le temps pour ce qui est du CPU. Pour revenir à Bull, la société vient de livrer le mainframe Linux le plus puissant d’Europe à un client allemand. En France, ils équipent les calculateurs TERA de la DAM du CEA à Bruyère le Chatel. Ceux qui font des simulations d’armes nucléaires (plan décidé par Chirac en 1995), mais aussi pour l’aérospatial.

Mais le marché le plus porteur en volume, ce ne sont pas les super-calculateurs, ce sont les data-centers pour les services en ligne. A un tel point que les géants de l’Internet comme Google, Yahoo ou Microsoft sont depuis longtemps les premiers consommateurs de serveurs au monde. Et les plateformes de “cloud computing” sont maintenant adoptées, les leaders étant Amazon et SalesForce.com, Microsoft trainant derrière avec sa plate-forme Azure qui devrait être opérationnelle d’ici la fin de l’année.

Alors, faut-il bâtir des infrastructures de cloud computing en France ? Dans un projet industriel classique “à la française”, on lancerait un consortium compliqué pour bâtir un gros data center, sous Bull, sous Linux, etc. Et on chercherait ensuite à en commercialiser les services. Cela aboutirait rapidement à un Eurotunnel informatique. Une approche alternative pourrait consister à se focaliser uniquement sur les logiciels qui équipent ces serveurs. Mais cela ne déboucherait pas forcément sur un marché de volume significatif. L’intérêt de ce business est de vendre avec une structure de coûts fortement mutualisée une plate-forme de services en ligne qui intègre à la fois le matériel et le logiciel. On bénéficierait d’un avantage par rapport à pas mal de pays, y compris les USA : notre production locale d’électricité à bon prix, à dominante d’origine nucléaire. En tout cas, si se lancer dans une telle aventure aurait quelque sens, il faudrait en creuser les modalités. Partir de zéro ne serait pas facile. Amazon a pu se lancer dans le cloud en bénéficiant d’une douzaine d’année d’expérience du commerce en ligne à l’échelle mondiale. Il a mutualisé des ressources qu’il avait et a étendues pour en faire une plate-forme. Avec des clients, des partenaires (des revendeurs qui vendent leurs produits via Amazon comme place de marché).

Mais nous, sur quel industriel en place pourrions nous nous appuyer, histoire de ne pas partir à zéro ? Sur Bull ? … :).

Numérisation des contenus

C’était le thème de la dernière table ronde animée par Frédéric Mitterrand, qui nous a débité en la lisant une introduction sur exactement le même ton que ses anciens documentaires sur la vie des Habsbourg. Avec des phrases compliquées…

Pour lui, le numérique représente l’enjeu le plus important de la culture et de son économie. Et la numérisation des archives est critique. Les archives INA sont mises à disposition des pays du Maghreb. La bibliothèqne en ligne de la BNF, Gallica, a numérisé 839000 documents. Et il faut en faire plus.

En gros, il propose d’emprunter pour préparer le futur en archivant le passé de notre glorieuse culture. Je doute. Cela me semble un peu hors sujet par rapport à l’emprunt. Tout d’abord la culture française, c’est bien, mais elle ne couvre que la francophonie, soit moins de 3% de la population mondiale. Un micro-marché ! Est-ce générateur de croissance ? A voir. La création pourrait l’être, mais les archives ? Faut-il emprunter pour financer la culture ? Je suis dubitatif. C’est encore du “business as usual”.

Dans le débat, on entend aussi parler de la TNT (le bon vieux broadcast, certes numérique), de la télévision mobile (un trou financier pour ceux qui s’y sont lancés comme les coréens) et de la radio numérique terrestre. Il y a aussi les contenus en 3D-relief. La filière de production doit y réfléchir.

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Claudine Haigneré (dite “BAC+17”) était intéressante, mais plus par son approche sociologique qu’économique de la culture. Elle parle de e-maturité, d’alphabétisation numérique, d’expérimentations “in-silicon”. Pour elle, le jeu vidéo est le roman de demain. Elle évoque les outils de formation de demain basés sur le “serious gaming”, du musée du 21eme siècle, des réseaux sociaux mobiles et des musées géolocalisés, de l’université numérique citoyenne, des écolabs pour tester les éco-innovations.

Michèle Tabarot, députée des Alpes Maritimes, évoque la destruction de 5000 emplois dans les contenus du fait du piratage (tient, c’est presque l’effectif de Free…). De l’adaptation du cadre législatif pour préserver les droits d’auteur. Elle félicite le Président de la République pour cette réponse pédagogique et dissuasive. Et se fait siffler par quelques personnes dans la salle. Elle évoque aussi le fait que les contenus numériques vidéo et audio permettent de réduire 15% du CO2 (transports). Elle ne précise pas si c’est pour la communication et pour réduire les déplacements ou autre chose.

Matts Garduner de Google explique le rôle de son entreprise pour participer à la création et à l’accès du patrimoine numérique. Il souhaite tordre le cou à l’idée selon lequelle il n’y a pas de rémunération possible des ayants droits.

Enfin, Vincent Marcatté du Pôle de compétitivité Images et Réseaux (pays de Loire et Bretagne, 36 m€ d’aides publiques entre 2005 et 2007 pour 12 projets) nous parle de Web Sémantiques et autres avancées dans le domaine des contenus et des images. Si c’est pour demander des aides, il faudrait rappeler que l’on a déjà injecté 99m€ sur Quaero.

L’avis des co-présidents de la Commission sur l’emprunt et de François Fillon

NKM était entourée de Michel Rocard et Alain Juppé pendant la matinée de ce séminaire. Ils sont co-présidents de la commission qui doit préparer des propositions pour le grand emprunt voulu par le Président de la République.

Son exercice était donc de les convaincre qu’il fallait intégrer le numérique dans ce grand emprunt. NKM avait fait des pieds et des mains pour intégrer le numérique dans le plan de relance et avait obtenu quelques avancées au printemps dernier. Donc, sur la lancée, elle s’est attaquée au grand emprunt. Comme elle est tenace, les deux anciens premier ministres ont du l’avoir sur le dos et n’en ont pas encore terminé. D’autant plus qu’après sa maternité elle sera peut-être requinquée et encore plus en forme.

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Nos deux vizirs de l’emprunt et conseillers du grand calife de l’Elysée sont donc intervenus pour faire le point sur la question.

Michel Rocard, toujours excellentissime et spirituel orateur a commencé par professer l’incompétence du politique (il le fait souvent) et de venir surtout écouter.

Etant ambassadeur de France sur les affaires liées aux Pôles, il a découvert que le premier pays au monde arrivé au haut débit pour tous ses 55000 habitants était le Groenland.  Des habitants passés de la “chasse au phoque pour tout le monde” au “haut débit pour tout le monde” en quelques années. Et puis, sans y aller par quatre chemins : “Vous voulez de l’argent. Je ne suis pas venus pour dire non franchement et en face”. Suivi d’applaudissements masochistes. “Le Grand Empunt est grand par le sujet et l’exemplarité. Il ne le sera pas par le montant. On ne peut pas économiser sur beaucoup de dépenses. A l’économie, on fait des dégats sur ce qui est passé à la trappe : l’enseignement supérieur, l’innovation, la recherche, etc. Il faut rattraper ces manques liés à une gestion à l’économie. Aucun des deux premier ministres coprésidents n’est célèbre pour avoir dislapidé les budgets. Nous avons été choisis pour cela. Ne rêvez par, il n’y en aura pas beaucoup. L’emprunt est unique et non répétitif”. Bref, suspens.

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Alain Juppé est plus “politique”. Pour lui, il ne faut pas s’abstraire de la situation des finances publiques. Mais le numérique est au coeur du débat. La compétitivité est en jeu. Il faut développer des PME innovantes, notamment dans les ETI (entreprises de taille intermédiaire). Il souhaite obtenir une traçabilité des fonds qui seront alloués. Il conseille de présenter un projet qui s’appuie sur des structures dédiées. Par exemple, des “Fondations Universitaires Recherche”, d’associer des fonds publics et privés. Bref, le numérique a toutes ses chances.

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En fin d’après midi intervient François Fillon. Une nuée de photographes et cameramen qui viennent peut-être de l’étranger et découvrent qu’il est Premier Ministre tiennent absolument à lui tirer le portrait assis sur le premier rang. Un gros souk, habituel en pareille circonstance.

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Son discours est disponible sur le site de Matignon. Un discours classique de Premier Ministre, qui brosse un tableau d’ensemble de la politique gouvernementale dans le sujet du jour, ici le numérique. En dehors du classique (l’importance du haut débit), j’ai noté quelques points saillants :

  • Il cite les secteurs de la nanoélectronique et des logiciels comme pouvant bénéficier d’une politique industrielle. Content d’entendre parler des nanos, car aucun intervenant dans la journée n’a parlé de “hardware”, alors que l’on en conçoit encore en France (Thomson, Alcatel, ST Microelectronics, Parrot, LaCIE, etc).

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  • Il évoque les débuts de l’Internet et le patron  de France Télécom de l’époque qui n’y croyait pas (Michel Bon). En fait, Michel Bon était excusable, ce n’était pas un technologue. Ce qui l’est moins, c’est que les technologues chefs de FT n’y croyaient pas non plus…
  • Il indique que 30% des blogs actifs du monde sont français. Je me demande bien où ses conseillers ont pu trouver cette information !
  • Google n’est pas un problème, c’est un défi. Il est choquant de ne pas dialoguer avec Google, mais il ne faut pas pour autant basculer dans la naïveté. Des garanties sont nécessaires sur nos intérets à long termes.
  • L’Etat doit permettre la création de services basés sur les données publiques mises à disposition des PME/startups.
  • Le numérique engendre une révolution sociale qui bouleverse la société plus qu’on ne le croit. Il serait inconscient d’oublier les aliénations humaines générées par les révolutions industrielles dont celle là. La société numérique peut être enrichissante comme appauvrissante. La sociologie de la toile doit être un objet d’étude, et pourquoi pas d’un colloque. Il faut trouver un point d’équilibre qui soit acceptable. Dommage que l’exemple donné, HADOPI, relève justement d’un manque d’équilibre entre la protection des auteurs et celles des libertés fondamentales.

Conclusion sur l’emprunt et le numérique

Des cinq priorités affectées au numérique pour le grand emprunt, je retiens donc :

  • La première qui mérite vraiment sa place (le très haut débit).
  • La seconde (industrie du logiciel) pourrait y figurer, mais avec une combinaison de sérieuses réallocations et de quelques investissements orientés vers les jeunes, l’amélioration des compétences “business” et l’aide à export. Plutôt business as usual.
  • La troisième (les PME) me semble aussi relever du business as usual, sauf à identifier des actions ponctuelles vraiment marquantes, autres que des incitations fiscales, de la formation ou de la communication. L’action est trop diffuse pour pouvoir relever d’un investissement pilotable par l’Etat à la sauce “politique industrielle”.
  • La quatrième (mutualisation d’infrastructure) pourrait faire sens, mais il faudrait un projet bien construit avec une finalité “business” identifiable et des acteurs crédibles pour la mener.
  • Enfin, la cinquième (numérisation de la culture) ne me semble pas relever d’une priorité économique fondamentale.

C’est un avis à discuter évidemment…

Espérons qu’il y aura maintenant un peu plus de concertation ouverte sur ces différents sujets et que l’on ne va pas nous pondre une usine à gaz. Ce n’est pas bon pour le CO2…

Le compte rendu officiel des débats est disponible. Et le flux Twitter #emprunt trace les débats pendant et après le séminaire tout comme les liens sur les autres compte-rendus de l’événement par la presse et les bloggeurs. Et mes photos de l’événement sont sur Picasa Web Album comme d’habitude.

Pour terminer, un festival de mobiles

Il n’y a pas que Sarkozy (au Vatican) qui soit drogué au mobile ! Le mobile est un outil qui permet de s’évader lorsque l’on s’ennuie dans une conférence. Ou bien de vivre dans ce monde parallèle que sont les réseaux sociaux.

Voici donc une petite série de photos thématiques faisant écho à celle des photographes au MEDEF :

  • Laurent Sorbier, ancien conseiller à Matignon sur les TIC sous Raffarin.

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  • Patrice Martin-Lalande, Député du Cher, qui a essayé sans grand succès d’amender dans le bon sens la loi HADOPI.

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  • Marie-Claire Daveu, Directrice de Cabinet de NKM

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  • Bernard Benhamou, Délégué aux Usages de l’Internet

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  • Et Augustin de Romanet, dans sa table ronde, DG de la CDC

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Signe des temps, presque tous, sauf peut-être le dernier, étaient sur Twitter pour voir ce qui s’y disait sur le séminaire (tag #emprunt) ! …:).

RRR

 
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