La guéguerre des OS légers
Post de Olivier Ezratty du 26 juillet 2009 - Tags : Google,Innovation,Internet,Logiciels,Loisirs numériques,Microsoft,Photo numérique,Startups,TV et vidéo | 10 Comments
Au début du mois de juillet 2009, Google faisait l’événement en annonçant son “Chrome OS” en catimini, une initiative de plus dans le périmètre des systèmes d’exploitation après Android pour les mobiles. Cette fois-ci, ce sont les netbooks et les tablettes qui sont visés.
Les commentaires sur cette annonce sont allés bon train : c’est une offre qui s’alignerait sur l’effacement progressif des systèmes d’exploitation au profit des navigateurs, du fait de la proportion grandissante des applications grand public qui proviennent du web. La complexité des systèmes d’exploitation serait vouée à être déportée vers les serveurs web et le “cloud computing”, sans compter les appareils numériques qui eux-aussi vont directement se connecter au web (appareils photos, imprimantes, etc). Et enfin, ce serait une déclaration de guerre ouverte contre Microsoft tandis que Google indique ne pas vouloir imiter Windows.
Je voudrais ici apporter quelques nuances sur ces différents points et relativiser l’enthousiasme des uns et des autres.
Les différents usages des OS légers
Tout d’abord, de quoi parle-t-on ? Je vois trois marchés potentiels pour les systèmes d’exploitation légers dont Chrome OS fait (fera) partie :
Le discours ambiant sur les systèmes légers accédant principalement aux applications web me semble convenir uniquement au premier de ces marchés. En effet, le second requiert un usage classique de système d’exploitation ou subsistent encore des applications et des données locales (gestion de compta, photos, tableurs, bureautique, …). Et le troisième marché n’est pas encore adapté au web car la majeure partie des applications du web – comme les autres – ne sont pas encore conçues pour un usage en mode tactile. A terme, il le sera, mais reste à savoir comment.
Pourquoi les OS des netbooks sont-ils légers ?
Les systèmes d’exploitation sont contraints par les caractéristiques matérielles des netbooks. La nature ayant horreur du vide, les systèmes d’exploitation évoluent toujours au gré des possibilités matérielles autant en termes de puissance qu’en termes de périphériques et moyens de communication disponibles.
Les contraintes matérielles des netbooks ont sensiblement évolué en un an et demi ! Le premier netbook d’Asus, le EEE 701 sorti fin 2007 était équipé d’un Intel Celeron de 900mhz avec 4 Go de stockage et 512 Mo de RAM et un écran de 7 pouces tandis que les derniers netbooks toutes marques confondues disposent d’un Intel Atom à 1,6 Mhz (environ deux fois plus rapide), de 1 Go de RAM voire plus, d’un disque dur de 160 Go et d’un écran de 10 à 11 pouces. Les processeurs graphiques ont aussi évolué au point de supporter les jeux, voire même l’affichage de vidéos en haute définition. Certains modèles (chez MSI) ont un stockage hybride associant SSD (disque dur à mémoire flash) pour le système d’exploitation et disque dur classique pour les données utilisateurs. Ceci permet d’accélérer le temps de démarrage de la machine.
Je pense que cette tendance va se poursuivre et que les netbooks seront de plus en plus puissants, tout en conservant leur prix bas actuel. Sachant que dans le même temps les constructeurs vont poursuivre l’extension de leurs offres de netbooks vers le haut de gamme pour faire la jonction avec leurs laptops classiques, et aussi augmenter leurs marges.
Netbooks ou pas, cela fait maintenant près de 15 ans que l’on parle d’OS légers, de la fin des OS lourds, de la fin même de la notion d’OS au profit du navigateur. Le problème, c’est que pour assurer les fonctions d’un OS, un navigateur doit en emprunter pas mal de ses caractéristiques : bureau, icones, gestion de dossiers, gestion de périphériques, moteur de recherche local, affichage d’images, support des jeux, etc. Au bout du compte, tous les OS s’alourdissent, même si à génération et fonctionnalités équivalents, un Linux sera quelque peu plus léger qu’un Windows.
Le rôle de l’interface utilisateur
Cette évolution du marché côté matériel va avoir un impact sur celui des systèmes d’exploitation, au point où la notion de système d’exploitation léger sera peut-être moins critique, au profil d’aspect concernant plutôt le temps de démarrage et l’interface utilisateur.
Bien au delà des caractéristiques du ou des navigateurs web utilisés, l’interface utilisateur d’un système reste une donnée critique d’appréciation du consommateur. Pourquoi, par exemple, les utilisateurs de Macintosh apprécient le système ? Ce n’est pas juste grâce à Safari ! C’est aussi du fait des outils pour lancer les applications, pour gérer ses dossiers, ses photos, ses vidéos, sa musique ou retrouver ses documents. Apple fait sans cesse évoluer son interface et ses outils pour les rendre plus conviviaux. Le tout avec une cohérence d’ensemble appréciée des utilisateurs.
Les OS pour netbooks traitent de l’interface utilisateur de diverses manières. La principale consiste à ajouter à un système courant – en général une version de Linux – un lanceur d’applications et de sites web et/ou un gestionnaire de réseaux sociaux qui s’appuie sur les API ouvertes de sites comme Facebook. C’est le parti pris de Jolicloud. En fait, ces OS cherchent à restructurer un monde qui ne l’est pas : celui du web. Mais c’est un peu le tonneau des Danaides, sorte de puys sans fond.
Le défi qui n’a pas été encore relevé consiste à inventer une interface utilisateur intermédiaire entre celle des laptops et celle des mobiles.
L’autre défi est de supporter les interfaces tactiles. Personne n’est prêt pour l’instant, à commencer par l’univers des sites web, conçus pour la souris et avec de petites icones. Les interfaces de programmation standard pour les applications tactiles font leur apparition, dans Windows 7, dans Linux comme dans MacOS. Mais encore peu d’applications. C’est un véritable enjeu. Peu d’applications web faites pour les écrans tactiles. Tout comme les applications desktop. Et pourtant, il y a fort à faire ! Une tablette pourrait ainsi devenir une télévision réellement interactive (via l’IPTV ou l’accès à des contenus Internet), servir de télécommande universelle pour la maison, pour ses set-top-boxes, etc (cf les pistes dans “Les opportunités de la télévision numérique”).
Les innovations dans les interfaces utilisateurs sont pour l’instant bien légères : elles relèvent surtout du menu de lancement des applications. Mais il n’y a pas grand chose au niveau de la cinématique des applications et des interfaces utilisateurs. Les applications web tournent le plus souvent dans leur silo, avec peu d’interactions entre elles. Il y a encore du pain sur la planche pour transformer l’expérience utilisateur du web !
Les OS pour netbooks
Windows XP était jusqu’à présent proposé par défaut sur la majorité des netbooks. En lieu et place de Vista qui était trop gourmand en ressources pour s’adapter aux configurations des netbooks. Mais aussi parce que Microsoft ne le proposait pas à un prix acceptable pour les constructeurs, qui représentait plus de 20% du prix public des netbooks. XP était un choix par défaut, faute de mieux, et aligné sur ce que les consommateurs connaissaient. Le Windows XP diffusé sur les netbooks est commercialisé aux OEMs à un prix bien inférieur au Vista qui équipe les laptops (soit environ $25, moins de 7% du prix public du matériel).
Windows 7 va bientôt faire son apparition sur les netbooks, d’ici l’automne. Contrairement à Vista dont il est le successeur, il fonctionne fort bien sur les netbooks de la génération actuelle (cf ci-dessous sur mon Asus EEE 1000 HE). Son interface est un peu améliorée pour un usage sur les netbooks. Elle reste cependant traditionnelle. Et Microsoft n’a pas choisi de proposer une sorte d’intégrateur d’applications comme on le trouve dans Jolicloud ou dans Ubuntu Netbook Remix. Par contre, sur les netbooks, Microsoft positionne Windows 7 environ 50% plus cher que Windows XP, ce qui pourrait lui être préjudiciable. Microsoft a adapté Windows 7 aux netbooks sur ce que l’on pourrait appeler les couches basses (drivers, gestion de la batterie, etc) mais n’a pas créé d’interface utilisateur spécifique aux netbooks. Il pourrait le faire sous la pression de la concurrence. L’interface de 7 est par contre plus adaptée aux écrans tactiles (et multitouch) que ne l’est celle de Vista, ce qui pourrait aider à l’horizon 2010.
Le marché est certes dominé par Windows XP, mais les candidats à la succession ne manquent pas !
La plupart sont des dérivés de Linux et en particulier d’Ubuntu. Comme l’habillage d’Ubuntu ne requiert pas d’efforts délirants de R&D, la création d’OS légers est facile d’accès. Ces initiatives apportent peu de valeur et fragmentent le marché ce qui au final ne fait qu’avantager l’acteur qui lui n’est pas (trop) fragmenté : Microsoft. Les deux acteurs qui pourraient peser dans la balance sont Google et Intel. Mais les systèmes d’exploitation ne sont pas leur coeur de métier.
J’ai aussi pu croiser quelques startups françaises que se lancent également dans ce créneau, le plus souvent en ajoutant un lanceur d’application au dessus d’un Linux dépouillé équipé de Firefox. Seul problème : une fois que l’on a lancé son application, on se retrouve dans un environnement traditionnel qui n’est ni fait pour les petits écrans ni pour les interfaces tactiles. D’autres proposent une plateforme de revamping d’applications web pour les adapter aux tablettes, notamment tactiles. Avec le défi d’imposer leur standard au marché mondial du web, ce qui demande des moyens pas faciles d’accès.
Stocker toutes ses données dans le “cloud” ?
C’est une projection couramment associée à l’émergence des OS légers pour netbooks. D’ici quelques temps, tous les utilisateurs vont stocker l’ensemble de leurs données dans des services Internet (stockage de photos, de documents, etc). Ainsi, ils pourront facilement les retrouver où qu’ils soient et sur n’importe quelle machine.
On y vient petit à petit en pièces détachées, sachant que dans la plupart des cas, on envoie dans le “cloud” les données que l’on souhaite partager, mais pas encore les autres. Dans le meilleurs des cas, on envoie des réplications de données locales, mais rares sont les utilisateurs dont les données sont exclusivement situées dans le “cloud”, même les plus hardis.
Plein de questions se posent : en qui faire confiance pour ce stockage ? Doit-on stocker toutes ses données au même endroit, ou utiliser des sites spécialisés pour chaque type de données (musique, photos, documents, tableaux, etc) ? Est-ce que l’on peut vraiment se passer d’un stockage local ne serait-ce que pour capter les contenus multimédias que l’on génère soi-même, notamment en photo et vidéo ? Est-il sain d’utiliser la bande passante du web ou de la 3G pour envoyer des centaines de Mo de données avant même de les trier ?
Tout ça pour dire… que l’on est loin de voire se généraliser le stockage sur le cloud. Au mieux utilisera-t-on le cloud pour le stockage de certaines données. Et on aura encore longtemps besoin de systèmes d’exploitation capable de gérer ses données en local. Ce d’autant plus que la capacité de stockage locale et la bande passante des entrées-sorties de son PC seront pendant longtemps supérieures aux capacités des télécommunications.
La diffusion des OS légers
La plupart des concurrents de Windows dans ce marché sont des OS gratuits. Cela pose deux questions : quel est leur modèle économique ? Et est-ce que leur fragmentation ne va pas générer le même phénomène que la bataille Windows vs Linux qui n’évolue pas bien vite malgré les grands progrès de Linux ?
Les modèles de diffusion des OS légers sont en général de trois nature et aucun n’est facile à déclencher pour une startup :
Ah et puis, il y a ce petit détail du support utilisateur ! Ce dernier peut-il se contenter des nombreux sites communautaires autour de Linux ? Pas si sûr… Qui voudra en assurer la charge et le coût associé ? Les constructeurs ? Bof. Les retailers qui les distribuent ? Pourquoi pas, mais comment supporter une demi-douzaine de systèmes différents ? Les opérateurs télécoms ? Pourquoi pas.
Ces OS alternatifs étant souvent gratuits, leur modèle de revenu ne peut qu’être indirect, voire associé à du service vis à vis des intermédiaires qui viennent d’être cités. Ce revenu pourrait être essentiellement publicitaire, mais il reste à inventer un modèle publicitaire digne de ce nom associé à un système d’exploitation, et qui ne fasse pas fuir les consommateurs. Seul Google peut véritablement s’offrir ce luxe, du fait de sa position dans les moteurs de recherche et autres systèmes à base de cartographie.
En guise de conclusion
Le marché des OS légers semble en apparence prometteur. Mais pour l’instant, les offres actuelles font beaucoup de neuf avec du vieux. Elles n’apportent pas encore d’innovations marquantes pour adapter les OS aux netbooks. De plus, les usages variés demandent une segmentation un peu plus fine. Le marché actuellement très fragmenté profite à l’acteur dominant établi (Microsoft). De plus, les modèles économiques de ces nouveaux OS ne se sont pas encore trouvés, à défaut d’être véritablement cherchés.
Google pourrait rafler la mise mais s’attaquer à la vache à lait d’un acteur dominant établi est rarement payant sans innovation suffisamment radicale et lorsque l’on s’éloigne de son coeur de métier. Distribuer du logiciel en OEM est une aventure difficile pour Google, mais il peut s’en payer le risque associé vue sa rentabilité. C’est exactement le même problème que la quête de parts de marché dans le Search pour Microsoft ! Arrivé trop tard, et malgré l’engloutissement de milliards de dollars en R&D, l’éditeur n’arrive pas à changer à la donne face à Google.
Bref, à ce stade, qu’on aime ou pas, le statu quo actuel devrait durer encore quelque temps.
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