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LeWeb 2012 : les services connectés aux objets

Post de Olivier Ezratty du 13 décembre 2012 - Tags : Entrepreneuriat,LeWeb,Mobilité | 9 Comments

Après avoir couvert les objets connectés, passons aux services et réseaux qui leurs sont dédiés ainsi qu’aux questions transversales sur leur usage. Il faut se rappeler en effet que tous les objets numériques rendent un service grâce à des logiciels, qu’il s’agisse d’un ordinateur portable, d’une tablette ou d’un thermostat. Les objets connectés sont pauvres en soi : ce sont souvent juste des capteurs. Ils ne peuvent rien sans réseaux pour les connecter et sans logiciels. Or ces logiciels tournent ailleurs : sur les smartphones et tablettes le plus souvent, et ils passent par le “cloud” qui stocke les données générées. Beaucoup de données !

Il y a plus de 15 ans, Sun Microcomputers communiquait sur le ait que “The Network is the Computer”. On pourrait réutiliser ce slogan pour les objets connectés : “L’intelligence des objets connectés est dans le réseau et les logiciels”.

On se rappelle que l’une des raisons de la difficulté de la “domotique” à percer est le manque de standards d’interconnectivité. La question se pose aussi pour les objets connectés, d’autant plus que nombre d’entre eux jouent un rôle dans cette domotique. Même si ce terme a été quelque peu laissé de côté pour cause de malédiction.

Services et réseaux

Ces sociétés sont spécialisées les réseaux pour objets connectés et les plateformes logicielles.

Ludovic le Moan (SIGFOX, video)

Cette société française propose une technologie de réseau cellulaire à bas débit “Machine to Machine” (M2M). Le système est basé sur des composants réseau fonctionnant à longue portée, avec une très faible consommation énergétique, à très bas cout et faciles à déployer. L’offre est déroutante car elle casse les limites que l’on a habituellement avec les réseaux sans fil, qu’il s’agisse de la 2G/3G/4G ou du Wi-Fi. C’est un peu l’équivalent des ondes courtes de la radio de grand-père comparativement à la bande FM. En termes de portée…

Cette technologie baptisée « UNB » (Ultra Narrow Band) utilise des bandes de fréquences étroites, libres et gratuites (ça dépend peut-être des pays) pour transmettre des données d’objets connectés à des débits compris entre 10 bits/s et 1 kbits/s et à grande portée (plusieurs centaines de kilomètres !). Le système requiert une très faible densité de stations de base et un objet utilisant la technologie peut fonctionner sur batterie avec 20 ans d’autonomie. Le cout moyen de communication est de moins de $3 par objet et par an.

Ludovic le Moan (Sigfox) (3)

La société a l’air d’être impliquée dans pas mal de projets collaboratifs. Elle a démontré son architecture avec une application de détecteur d’incendie pour l’assurance de la MAAF. Et ce n’est pas seulement un fournisseur de technologie mais également son opérateur ! Un truc à suivre de près ! La société a levé $12,8m chez Intel Capital, Elaia Partners, Partech et IXO Private Equity. On peut espérer qu’elle s’armera solidement pour faire son marketing à l’échelle mondiale.

Jeff Hagins, de SmartThings (vidéo)

Ce monsieur milite pour un Internet des objets ouvert et facile à mettre en œuvre. Pour lui, il s’agit d’appliquer des applications aux devices avec des objets ouverts aux applications et pas seulement aux applications de leurs géniteurs.

Démonstration du principe : des interrupteurs connectés sans fil via les standards Zwave et Zigbee à des lampions d’un sapin de Noël dans un salon installé dans le Minnesota. Il les allume à partir de son smartphone à LeWeb avec retour vidéo. Encore de la technologie Arduino dedans. Et une interface de programmation tournant en mode web. Elle comprend un simulateur d’objets connectés qui ne nécessite pas d’avoir les objets sous la main pour réaliser ses développements d’applications logicielles.

La programmation applique une logique simple on/off sur divers objets. La société vient juste de lever $3m auprès de divers business angels dont… Loic Lemeur. Elle lance son propre concours de développement d’applications, un truc marketing bien à la mode.

Jeff Hagins (not sure)

Rafi Haladjian (Sen.se, video)

Rafi est un visionnaire et un vieux de la vieille des objets connectés ! C’est le créateur du lapin Nabaztag et de la société Violet qui le portait, qui a malheureusement mal tourné car arrivée un peu trop tôt sur le marché ou peut-être avec un manque de moyens. Le lapin a changé de main deux dois pour atterrir dans celles d’Aldebaran Robotics en 2011. Le lapin n’était qu’un exemple d’objet connecté. L’objectif derrière le lapin était de connecter toutes sortes d’objets et surtout de créer une véritable plateforme logicielle “serveur” pour les gérer.

C’est l’objet de sa nouvelle société, Sen.se : créer une plateforme logicielle ouverte pour le développement d’applications connectées. Il faut une invitation pour en profiter et le site fournit pour l’instant très peu d’informations sur le contenu de la plateforme. Le message de Rafi ? On se focalise trop sur les objets et pas assez sur les données qu’ils produisent. Avec les “Machina sapiens”, on disposera de données de meilleure qualité, d’algorithmes, d’automatismes et d’une nouvelle forme d’intelligence par opposition au contrôle des objets via des guichets séparés. Il faut se préparer à manipuler de gros volumes de données et au crowdsourcing de données, comme nous l’avons déjà vu avec Netamo.

Michel Levy-Provençal (JoshFire, video)

Michel raconte la difficulté qu’il a eu à positionner l’activité de JoshFire (détails dans l’article que j’ai déjà écrit sur la société en mai 2012), positionnée entre les applications multi-écrans et la domotique. Il préfère se référer à la notion d’ubimediia, s’appuyant sur les “Everyware” de Adam Greenfield sur l’ubiquitous computing. Et d’évoquer les 30 milliards d’objets connectés qui peupleront la planète d’ici 2020.

everyware

Il présentait ses différents prototypes et applications et notamment la Smart Drop d’Evian, un bitoniau qui se fixe sur le frigo et permet de commander des bouteilles d’eau directement via le Wi-Fi de la maison. L’objet a été réalisé par BETC Digital et JoshFire. L’expérience est intéressante par son côté innovant mais quand même, bien absurde si on prend un peu de recul ! Imaginez la tête du frigo si on devait y coller un tel objet pour chaque marque de produit qu’il contient habituellement !

evian-smart-drop

Autres spécialistes des objets connectés

Nous avons ici des intervenants sur les objets connectés qui ne vendent pas de produits. Ce sont plutôt des analystes qui délivrent une vision transversale du sujet.

Munjal Shah (Charles River Ventures, video)

Ce directeur scientifique d’un fonds d’investissement américain évoque la notion de superhuman-ism sous-tendue par les objets connectés. A l’instar de nombreuses innovations technologiques des deux derniers millénaires, ils étendent les capacités de l’homme. Les technologies sont tellement avancées qu’elles permettent de créer des superpouvoirs. Reste à savoir lesquels sont souhaités par les utilisateurs.

C’est pourquoi il a créé un inventaire de super-pouvoirs réalisables ou pas avec les technologies actuelles et les a soumis dans une enquête d’opinion à un échantillon représentatif d’américains. Le résultat sert à identifier les produits qui seront largement adoptés par le public. Il s’appuie sur des exemples liés au fitness et à la santé.

Il segmente les superpouvoirs en quatre catégories : les capacités physiques, les capacités mentales, les aptitudes émotionnelles et enfin, les choix sociaux, dans les interactions avec les autres. Voir l’inventaire ci-dessous.

Super pouvoirs

L’étude montre des résultats intéressants : les pouvoirs mentaux et émotionnels arrivent en premier dans les souhaits. Comme savoir si quelqu’un de son entourage a des difficultés, pouvoir les réconforter, guérir les autres, avoir plus confiance en soi, de patience mais aussi lire dans les pensées des autres et être créatif. Mais il y a aussi le désir de ne pas vieillir, de voler et de se télétransporter. Il y a bien entendu des variations dans les aspirations selon le genre et l’âge.

Super-pouvoirs desires

Comment donc appliquer cela aux produits ? Pour l’intervenant, le loquet électronique Lockitron permet une forme de téléportation et plus généralement tout ce qui apporte un contrôle des choses voire des gens à distance. Idem pour un robot tondeuse à gazon qui ne serait pas autonome mais dont on pourrait confier le contrôle à quelqu’un d’autre. L’empathie vers les autres pourrait être mise en pratique grâce à des logiciels qui vous préviendraient que quelqu’un de votre entourage va mal en analysant les flux dans les réseaux sociaux. D’une certaine manière, Google Traffic est aussi une manière de voir dans le futur en faisant de la prévision d’embouteillages.

Bref, dans l’innovation, il faut savoir identifier les choses profondes que les gens souhaitent obtenir. C’était une présentation très inspirante que je vous invite à regarder pour vous en imprégner !

Dalton Caldwell (App.net, video)

Il s’agissait d’évoquer le bruit généré par l’internet des objets. Il existait soit dit en passant déjà avant avec les réseaux sociaux. En gros, ces objets vont générer énormément d’information et il va falloir les filtrer pour en tirer de l’information pertinente : synthétique, orientée action. La réflexion est pertinente mais rappelle aussi que de nombreux objets mettent un peu la solution avant le besoin.

Dr. DJ Patil (Greylock Partners, video)

Le message était repris par cet autre intervenant : les objets produisent plein de données, avec comme exemple ceux du secteur de la santé. L’homme est devenu un “objet” mesuré à tous les instants. Nous sommes devenus “l’objet” que l’Internet mesure ! On a plein de capteurs, mais les “insights” sont encore faibles. Comment interpréter les données et quelles actions en tirer ? Les utilisateurs vont avoir besoin de superpouvoirs (encore) similaires à ceux qui sont apparus avec les calculatrices et les tableurs.

Et il faudra des “data scientists” pour traiter toutes ces données. Ca tombe bien… c’est le métier du monsieur qui travaille dans un fonds d’investissement de la Silicon Valley !

Brian Solis (Altimeter Group, video)

Ce grand penseur des réseaux sociaux ne m’a pas impressionné par son intervention : beaucoup de blabla et pas très concret. Tout un charabia d’ellipses philosophico-technologiques sur l’API humaine, le recâblage de l’algorithme humain, le besoin de filtrage du bruit généré pour faire de vous un être humain “meilleur”.

Il recommande aux entrepreneurs de vendre un style de vie et pas des produits. Cela rejoint les canons bien connus des approches de vente “solution” par opposition à la vente orientée “produit et/ou technologie” très souvent pratiquée par les ingénieurs. Tout ça, finalement, pour expliquer que les objets connectés sont très prometteurs mais doivent tout de même servir à quelque chose ! Relisez le texte ici pour vous faire votre propre opinion.

Brian Solis (3)

Benjamin Cichy (NASA JPL, video)

Ce responsable des développements logiciels du robot Curiosity envoyé sur Mars nous a fait une très belle présentation de vulgarisation sur l’histoire de la découverte de mars et sur le cahier des charges du robot qui doit fonctionner de manière quasi-autonome, du fait d’un temps d’aller et retour des signaux de 14 minutes avec la terre. Un moyen indirect de rappeler les limites du “cloud computing” ! Les systèmes embarqués sophistiqués ont encore de l’avenir, et pas que sur Mars. Profitez-en pour voir ou revoir l’excellent teasing de l’opération Curiosity : “Seven minutes of terror”.

Benjamin Cichy (NASA) (2)

Scott Dunlap (Tenth Dimension Design Labs, video)

Ce coureur de marathon a créé cinq startups. Il veut éviter de nous transformer en légumes comme ces personnages vus dans le dessin animé Wall-E. Adepte des courses de longue durée, il utilise des capteurs pour tout mesurer pendant ces courses.

Eric Scherer (France Télévisions, video)

Responsable de la stratégie et de la prospective chez France Télévisions, Eric Scherer intervenait dans une table ronde en écho aux intéressantes démonstrations d’objets connectés présentées sur le stand du groupe public. Celles-ci sont très bien détaillées dans cet article de Pascal Lechevallier dans ZD-Net.

Curieusement, c’était le seul endroit de la conférence où l’on parlait de la télévision connectée. Pourtant, la télévision n’est pas le moindre des objets connectés dans l’univers du numérique ! Ce choix éditorial tient peut-être au fait que la plupart des startups du secteur et notamment de la Silicon Valley opèrent dans le logiciel et les services en ligne et pas au niveau du matériel. On trouve cependant pléthore de box dites “over the top” style Roku, Apple TV et consorts.

Eric n’a pu dans les quelques minutes de son intervention que rappeler les basiques : les Smart TV sont connectées à Internet, l’utilisateur exploite aussi d’autres appareils pour consommer les contenus télévisuels. Ces appareils savent des choses sur l’utilisateur et peuvent proposer à l’utilisateur de consommer les bons contenus au bon moment et au bon endroit. Il anticipe une évolution avec un encore plus grand nombre d’objets qui parleront aux télévisions et réciproquement. Par exemple, son canapé ou la table basse qui est à côté. C’était d’ailleurs démontré sur le stand de France Télévisions.

Il évoquait aussi un phénomène relativement récent : le retour des téléspectateurs au “live” du fait de l’expérience sociale qui y encourage, notamment pour les grands événements fédérateurs mais aussi pour la TV réalité. Dans les menaces, il y a bien entendu ce risque lié à l’hyperchoix des contenus, à la fragmentation des audiences et la possibilité, un jour, de se retrouver noyé dans la masse des contenus offerts dans une Apple TV ou une Google TV. Il y a aussi la tentation de certains acteurs d’avoir leurs propres chaines de TV comme les fédérations sportives. C’est un gros défi pour les chaines généralistes.

Malgré tout, Eric affiche un optimisme de bon aloi. L’industrie a la chance de voir le temps de consommation de télévision continuer à augmenter, même s’il se réparti sur un plus grand nombre d’appareils disparates. C’est aux chaines TV de tirer au mieux parti des évolutions de consommation et à être présent partout où se trouve le consommateur. Il faut s’adapter en permanence aux usages. Les chaines TV doivent aussi relativiser la perception qu’elles ont de proposer des contenus “premium” tandis que le web serait une sorte de “poubelle” pour le reste.

C’en est terminé pour les objets connecté pour LeWeb. Nous en reparlerons sûrement à l’occasion du CES en janvier prochain !

Dans un prochain et dernier épisode, je vais couvrir divers sujets lié au reste de la conférence LeWeb qui ne concernaient pas les objets connectés.

RRR

 
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