Les français de la TV connectée : DotScreen
Post de Olivier Ezratty du 5 décembre 2012 - Tags : Google,TV et vidéo | 10 Comments
Nous avons déjà eu l’occasion de décrire les activités de WizTivi et Hubee, deux acteurs français bien connus de la TV connectés et développeurs de nombreuses applications pour Smart TV, set-top-boxes, seconds écrans, notamment dans la TV de rattrapage et la vidéo à la demande. Un troisième larron manquait à l’appel : DotScreen.
Des trois, c’est le plus récent. La société établie à Boulogne-Billancourt a été créée en 2010. C’est à la fois une sorte de web agency multi-écrans très investie dans les TV connectées mais également un éditeur d’applications comme nous le verrons. La société a été créée par Stanislas Leridon et Pascal-hippolyte Besson.
Stanislas Leridon (ci-dessous à gauche) a fait son secondaire au Collège Stanislas – ça ne s’invente pas ! – puis terminé par HEC. Il a d’abord travaillé dans la publicité comme business developer chez IP Network, la régie publicitaire du groupe RTL (qui comprend M6). Il a ensuite été pendant cinq ans le CEO de Visiware, un éditeur de jeux pour la TV interactive que nous traiterons un jour dans cette série et qui suit son chemin. Il avait notamment contribué au développement international de la société qui faisait plus de 80% de son CA hors de France, en couvrant presque tous les continents avec les USA et aussi la région pacifique avec l’Australie. Il a ensuite pris en charge le numérique chez France 24 avant de fonder DotScreen il y a deux ans.
Pour la petite histoire, Stanislas était entré chez Visiware sur la suggestion de Pierre Martini du fonds d’investissement 3i qui avait des parts dans la société. Le même Pierre Martini est maintenant chez ISAI Ventures.
Pascal-hippolyte Besson (ci-dessous à droite) a une formation initiale d’ingénieur à l’Université Orsay avec une spécialisation dans les interfaces hommes machine (ergonome), complétée d’un eMBA à l’ESSEC. C’est un double profil plutôt originale et fort utile dans ce business. Il a fait une grande partie de sa carrière – 13 ans – chez Visiware dont il a été le CTO en charge de la technologie et des services. Il a ensuite cofondé Dotscreen avec Stanislas Leridon. Il est est CEO tandis que Stanislas en est le Président. Pascal-hippolyte est focalisé sur les aspects produits et Stanislas sur les aspects business.
A ce jour, la société emploie une trentaine de personnes, dont un ancien d’Apple cherché à Londres et qui y pilotait les développements spécifiques pour le marché européen en liaison notamment avec les opérateurs télécoms. Un autre est ancien chef de projet chez Sagemcom. L’équipe présente sinon la caractéristique d’être très internationale avec des collaborateurs d’origine espagnole, italienne, germanophone et de pays arabes.
La société a été financée sur fonds propres et était rentable dès sa première année, ce qui s’explique par une activité très orientée services avec peu de capex (capital expenses).
Positionnement
DotScreen fait donc du développement d’applications pour tous les écrans, tablettes, smartphones, autoradios connectés et bien sûr dans l’univers de la TV connectée, que ce soit des Smart TV, des box d’opérateurs, plus récemment sur Google TV ainsi que les consoles de jeu XBOX et Sony PS3.
Leur idée de départ allait à contre-courant du mode de pensée conventionnel (et du mien au passage) consistant à vouloir créer un framework pour créer une couche d’abstraction pour le développement des applications multi-écrans. Au contraire, ils pensaient pouvoir mieux répondre à la demande client avec des applications développées nativement et rapidement. Au point d’en faire quasiment une approche “low cost” côté coût, mais pas pour le résultat. Par certains côté, c’est une stratégie diamétralement opposée à celle de JoshFire et son framework de développement d’applications multi-écrans.
Quelle est l’origine de ce raisonnement ? Tout d’abord, dans l’univers des plateformes propriétaires des Smart TV, la fragmentation est selon l’équipe moins forte qu’il n’y parait. La plupart des constructeurs s’appuient sur CE-HTML pour le développement d’applications. C’est le cas de Samsung, le numéro un des ventes de TV en France tout comme des constructeurs membres de la Smart TV Alliance comme LG Electronics, Toshiba et Philips (TPVision). Il y a juste Sony et Panasonic qui ont des choix un peu différents. Sony utilise des gabarits avec une interface à base de mosaïques comme sur la Playstation et Panasonic une implémentation propriétaire de Java.
En fait, la fragmentation dans les Smart TV n’est rien du tout par rapport à ce qu’elle a été dans les mobiles du temps de Java mobile avec des centaines de variations d’un modèle à l’autre. Aujourd’hui, les développements mobiles sont certes basés sur des architectures différentes (Objective C pour iOS ou Java pour Android) mais les plateformes sont moins nombreuses et de toutes manières, il est assez facile d’encapsuler du contenu HTML dans une application native.
Au lieu de s’investir dans la technologie et la création d’un framework multi-plateformes, DotScreen s’est focalisé sur le développement rapide des applications et sur le travail des interfaces utilisateurs. L’un des fondateurs est nous l’avons vu ergonome de formation, ce qui aide. Ils font aussi usage de “focus groups” d’utilisateurs lambda pour tester de nouvelles interfaces et des types de services innovants.
D’expérience, ils ont constaté que l’adaptation d’une application développée pour une plateforme données comme les Smart TV de Samsung aux autres plateformes était plutôt rapide. Ils ont tout de même mis en place une méthode de développement permettant d’isoler dans le code ce qui est générique aux plateformes de ce qui est spécifique. Typiquement, on trouvera des variantes au niveau des fonctions des télécommandes (boutons spéciaux, accéléro-gyro, reconnaissance vocale) qui seront accessibles dans les applications natives des Smart TV mais pas dans la version HbbTV. D’ailleurs, la version HbbTV de leurs applications est généralement iso-fonctionnelle avec la version Smart TV native.
La différence fondamentale entre les versions natives et la version HbbTV concerne les chaines de TV et le “placement” de l’application : dans le portail d’applications de la Smart TV dans un cas, avec mise en valeur selon les deals avec les constructeurs, ou accessible via une popup et le bouton rouge de la télécommande dans le cas de HbbTV. Pour un service qui n’est pas associé à un canal d’une chaine broadcastée – aujourd’hui en TNT – il faut pour l’instant passer par une application native.
Les variantes sont par contre plus importantes sur les box des opérateurs, mais ils savent faire avec. Les fondateurs de DotScreen sont en tout cas convaincus que le rôle des opérateurs télécoms/câble restera clé et que les box ne sont pas près de disparaitre malgré les coups de boutoir des solutions dites “over the top” qui permettent, en théorie, de s’en passer.
L’autre idée business de DotScreen est de se lancer dans l’activité d’édition de services interactifs destinés aux box opérateurs, Smart TV voire seconds écrans. Avec des contenus peu couteux comme dans le cas de la météo ou des informations sur le trafic et un bon modèle de monétisation, par de la publicité vidéo bien classique (pre-roll et mid-roll). Ils travaillent avec les régies Advideum et Smartclip pour l’alimentation de leurs applications en publicité.
Quelques applications
Après deux ans d’existence seulement, DotScreen a réussi une belle performance avec la réalisation d’une centaine d’applications pour trente clients différents. Et leur pipe d’applications à sortir et à réaliser est très bien fourni. De mémoire, c’est l’une des plus belles croissances du secteur.
Passons en revue comme il se doit les applications les plus notables :
Plateformes supportées
DotScreen se positionne comme une agence de développement d’applications multi-écrans. Le “multi” a donc toute son importance dans son spectre de compétences et de réalisation. Ils supportent ainsi à ce jour une grande diversité de plateformes :
Applications réalisées comme éditeur
Enfin, DotScreen est développeur et éditeur d’applications. Dans ce cas, il distribue lui-même les applications dans les plateformes ciblées et génère du revenu avec, qu’il partage avec les ayant-droits ayant fourni le contenu. La monétisation est basée sur de la publicité, qui au passage, n’est pas soumise à des contraintes règlementaires particulières. Pour l’instant.
C’est le cas pour :
Un très beau guide de programmes
Dans un registre voisin, DotScreen édite un guide de programmes qui vaut le détour. Cette application cible les tablettes iOS et Android mais aussi les Smart TV et Windows 8. C’est un produit destiné à être commercialisé en marque blanche ou marque grise, le premier client étant Télé Star.
Dans sa version tablette que j’ai pu voir, l’application propose une version très graphique des habituels guides de programmes. Avec au menu : une fonction de recommandation des programmes en live basée sur le trafic Twitter récupéré en temps réel via la startup Mesagraph que nous avions déjà couverte, la visualisation en stream vidéo des chaines TV, l’accès à la TV de rattrapage, et une représentation graphique des thématiques couvertes à un moment donné avec des rectangles de taille et de couleur variable selon l’occurrence et le sujet (ci-dessous) qui s’anime dans le temps quand on navigue dans le guide.
Les contenus sont sinon mis en valeur avec des visuels comme sur les séries TV ci-dessous.
L’ensemble est très fluide et intuitif. Il incarne bien la nouvelle expérience de TV en mode bi-écrans. On aimerait bien voir apparaitre le même genre d’application chez les FAI pour leur offre IPTV. Elle devrait être complétée de fonctionnalités d’enregistrement et ou de bookmarking d’émissions.
Le lancement de cette application est prévu fin 2012.
Clients à l’international
Dernier segment de business à évoquer pour DotScreen, l’international. Un domaine que la jeune société a bien su développer, malgré son tropisme “service” assez développé.
Tout d’abord, la TV publique espagnole suisse francophone (Radio Télévision Suisse). Pour la RTS, DotScreen a réalisé une application de journal TV chapitré en HbbTV et pour les Smart TV de Samsung. DotScreen travaille également pour Al Jazeera au Qatar, pour les news sur Smart TV et pour Google TV. La société a aussi aidé Deezer à aborder les marchés internationaux sur les Smart TV et la XBOX en plus de la version FAI hors Orange réalisée en France. Les développements réalisés pour les chaines internationales telles que Euronews et France 24 aident aussi à développer la présence internationale.
On peut aussi citer le développement d’une application template pour l’Eurovision de la Chanson 2012 pour l’European Broadcasting Union. Cette application a été testée par un certain nombre de broadcasters publics en Europe, n’a pas été diffusée en 2012 mais le sera peut-être l’an prochain.
DotScreen vise maintenant l’Amérique du Sud et le Moyen-orient d’où l’intérêt de disposer d’une équipe polyglotte. La maitrise des applications en langue arabe est un atout de poids dans ce dernier cas.
Modèle économique
Le modèle économique de DotScreen est assez traditionnel : des forfaits pour le développement d’applications avec un ticket d’entrée de 20 K€ pour le développement d’une application de TV connectée, et 25 K€ à 40 K€ pour le portage sur les différentes plateformes assurant une couverture de 75% du marché (en France). Le code documenté est cédé au client qui peut choisir d’en assurer la maintenance par ses propres moyens ou via d’autres sous-traitants.
A ce jour, les quatre-cinquièmes du chiffre d’affaire sont réalisés avec des applications réalisées pour des médias et surtout les chaines TV et le reste pour de nouveaux acteurs faisant leur entrée dans l’espace de la TV connectée (CDiscount, Qooq, Maxicours, …).
DotScreen travaille avec la startup française Spideo pour la recommandation et avec Mesagraph pour l’analyse des flux Tweeter. C’est une bonne pratique que de s’associer avec les spécialistes du secteur en France.
Notons aussi que DotScreen est en liaison avec l’IRT de Munich (Institut für Rundfunktechnik, laboratoire de recherche cofinancé par les TV publiques allemandes, autrichienne set suisses) où ils travaillent avec les ingénieurs des constructeurs de TV, surtout asiatiques qui y concentrent leur présence européenne du fait du poids du marché allemand et aussi de leur rôle de précurseur dans la définition puis l’adoption de HbbTV. Ce sont les seuls développeurs d’applications français à y être présents. La bonne relation avec les constructeurs est clé. Elle permet de bien tirer parti des fenêtres de tir de publication des applications pour Smart TV qui sont si possible alignées sur les deux vagues de sorties annuelles de nouvelles séries de TV. Cela permet de bénéficier des campagnes de lancement des constructeurs. DotScreen est également membres de l’OIPF, le consortium international qui planche sur la standardisation de l’IPTV.
Conclusion
Voilà pour DotScreen ! Jusqu’où cette société pourrait-elle aller ? C’est la grande question pour la plupart des acteurs passés en revue dans cette série d’articles. Rares sont ceux qui dépassent durablement la cinquantaine puis la centaine de collaborateurs. Le développement international reste la clé, même quand on fait du service…
Cette semaine est assez riche en actualité autour de la TV. Je reviendrais très bientôt sur les présentations d’innovations faites respectivement par France Télévisons et TF1, mais aussi sur la nouvelle box d’Orange et enfin sur les évolutions du côté de Canal+ !
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(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net