Les ambitions de France Numérique 2020
Post de Olivier Ezratty du 2 décembre 2011 - Tags : Entrepreneuriat,France,Internet,Politique,Sociologie,Technologie | 11 Comments
J’ai assisté le 30 novembre 2011 aux quatrièmes Assises du Numérique à l’Université Paris Dauphine qui donnèrent lieu à la présentation du bilan du plan France Numérique 2012 d’Eric Besson, au plan France Numérique 2020 qui lui succède et à un discours de François Fillon. Nous allons couvrir ces thèmes ici-même !
Les Assises du Numérique 2011
Organisées par PPP Agency en liaison avec le cabinet d’Eric Besson, ces Assises adoptaient un format classique avec une succession de discours et de panels avec des représentants de grandes sociétés, la majorité étant des sponsors financiers de l’événement, des représentants de l’Etat, d’Autorités Indépendantes comme l’ARCEP ou le CSA, des collectivités locales et des associations professionnelles (Syntec, AFDEL, etc). Le tout avec plusieurs membres du gouvernement dont François Fillon.
Les panels de ce genre de conférence sont une véritable plaie : des animateurs assez effacés en général, des intervenants très souvent “cadres sup commerciaux” de filiales de groupes étrangers, peu ou pas de débats dans les panels et encore moins avec la salle et pas de mur Twitter à l’écran. Au final, une dose mortelle d’ennui qui fait que l’on se demande toujours ce que l’on fait là. Le format de l’événement autofinancé par les sponsors, déjà vu au eG8, enlève toute indépendance éditoriale à son organisateur et le condamne à transformer les panels en équivalents de publi-rédactionnels public-privé. Il y a de l’innovation à apporter dans ce domaine !
Pour revenir aux sponsors, leur participation est cependant souvent lourde de sens et une information en soi. Si l’on trouvait les habituels opérateurs télécoms et grands acteurs étrangers ou pas (dans le hardware : Intel, Ericsson, Alcatel, mais personne dans l’Internet et le logiciel), la présence de deux industriels chinois (Huawei et ZTE) n’était pas anodine !
Une autre originalité de cette édition des Assises était cette distribution à l’entrée de l’Université Paris Dauphine d’un tract de la CFDT. Pas pour une revendication liée à la Fac, mais pour “Construire une filière du numérique : un enjeu d’avenir !”. Les revendications ? Assez vagues, focalisées sur les usages, l’emploi, la jeunesse et un ni-ni sur le financement des contenus (scan ci-dessous). C’est bien la première fois que je vois cela dans un événement. Le jour même, je recevais une invitation de la CGT pour une conférence de presse le 5 décembre 2011 sur l’annonce de leur application mobile iPhone/Android ! Les syndicats se modernisent, dis-donc !
Alors, que pouvions-nous se mettre sous la dent pendant cette journée ? Il y avait heureusement un peu de matière…
Au fait, qui assistait à cette conférence ? Il y a déjà les nombreux sponsors et leur staff, notamment de lobbyistes. On les identifie notamment lorsqu’ils quittent la salle une fois que leur patron s’est exprimé sur scène. Il y a ensuite pas mal de représentants d’organismes publics concernés par le numérique. Puis, quelques médias et bloggeurs dont votre serviteur. Enfin, de nombreux consultants qui cherchent du boulot et aussi pas mal d’étudiants. En tout, au nez, quatre cent personnes.
Voilà pour ces Assises du Numérique 2011 ni plus ni moins mémorables que les autres conférences sur le sujet. Passons maintenant aux plans France Numérique 2012 et 2020.
Le bilan du plan France Numérique 2012
Fait suffisamment rare pour être souligné, l’équipe d’Eric Besson a intégré une “scorecard” de la réalisation des 154 mesures du plan France Numérique 2012 lancé en 2008 dans son document “France Numérique 2012-2020 – Bilan et perspectives”. Bravo, bravo ! Ces mesures étaient classées en réalisées, en cours de réalisations ou pas réalisées. 95% des mesures auraient ainsi été réalisées ou sont sur le point de l’être.
Il y a évidemment des bémols : ces actions étaient d’importance et de pertinence très inégale et les objectifs de moyens comme de résultats étaient rarement chiffrés. Ce véritable inventaire à la Prévert des actions de l’Etat dans le numérique est révélateur de son mode d’action très codifié. Les actions type “créer un groupe de travail …”, “publier un décret…”, “favoriser …”, “étudier …”, ”engager une réflexion …”, “saisir le conseil machin pour formuler un avis sur bidule”, “créer un baromètre pour mesurer ceci” ou “contribuer activement à…” sont des objectifs de moyens très vagues et peu engageants, surtout si on ne sait pas qui fait quoi. Donc, assez faciles à respecter en période de bilan.
Comme on peut le constater dans le cadre du grand emprunt, l’Etat pêche souvent dans le détail de l’exécution. C’est une chose de dire “on va aider l’innovation en finançant les entreprises innovantes”, c’en est une autre de construire un dispositif cohérent qui tienne la route et que l’on corrige rapidement lorsque l’on identifie des écueils. Les liens public/privé dans la préparation de ces plans ne suffisent pas car ils sont eux aussi générateurs d’incohérences regrettables.
Mais il est très facile d’être grincheux. Reconnaissons tout de même ce qui a pu être réalisé, avec notamment :
On s’amusera de ce que l’une des rares priorités dont tous les voyants sont affichés au vert est “Lutter contre toutes les formes de criminalité”, mettant de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent une approche privilégiant le “tout répressif”. Même si les équipes d’Eric Besson (comme celles du temps de NKM) ont bien pris soin de ne pas s’occuper du brûlant sujet de la HADOPI.
Dans les points noirs, nous avons le dossier santé, l’un des plus gros serpents de mer qui a démarré avant Besson 2008 et perdurera après Besson 2012 ! Il y a aussi l’épineux passage à IP V6, autre serpent de mer qui risque de tirer l’Internet des objets vers le fonds, mais pas seulement en France.
On pourra ne pas regretter que certaines actions n’aient pas abouti. La TV mobile ? Il n’était pas nécessaire de se précipiter vu qu’il n’y a pas de bon business model ni de forte demande. La radio numérique terrestre ? Oui, nous sommes en retard par rapport aux USA et au Royaume-Uni, mais cela n’a pas de grand impact sur notre vie de tous les jours ni sur notre compétitivité. L’atmosphère IP est tellement omniprésente que l’on peut se connecter à toutes sortes de web radios dans plein d’endroits, et particulièrement chez soi. La Carte Musique ? On ne rigole pas.
Enfin, certains dénoncent l’absence de budget pour le plan précédent comme pour le suivant, comme dans cet article d’Olivier Chicheportiche dans ZDNet. Mais en période de crise, il faut raisonner “iso” et faire des réallocations. Le gouvernement a décidé d’utiliser le profit du dividende numérique pour financer certaines actions. C’est plutôt sage.
Le plan France Numérique 2020
Dans le même document, on trouve ce bien curieux plan France Numérique 2020. Il mélange les acquis du plan 2012 et le plan 2020 lui-même qui en est essentiellement la prolongation en étant volontairement plus vague du fait des échéances électorales. La vision est long terme (haut débit mobile, fibre partout, etc) mais il est dommage qu’elle ne soit pas assez chiffrée en termes d’objectifs. La culture de la scorecard n’est pas encore entièrement adoptée !
L’un des points clés du plan est de poursuivre le déploiement du très haut débit fixe (avec les moyens du bord) et de lancer celui du très haut débit mobile et les usages qui vont avec. Le THD mobile profitera du dividende numérique de la TNT, à savoir des fréquences libérées par le remplacement de la TV analogique par la TNT.
Il n’est pas évident de tout analyser dans le détail. Chacun a ses centres d’intérêt !
Il y a toujours cette focalisation trop forte du gouvernement sur les contenus et les digues associées (8 pages, priorité 3 sur 5). Le débat sur la TV connectée en est un exemple. L’Etat et les industries des contenus se battent trop sur la régulation alors qu’ils devraient collaborer et s’entendre sur une véritable stratégie industrielle de plateformes et de standards. De telles stratégies sont également indispensables dans l’Internet des objets comme sur le cloud computing, plutôt que des projets collaboratifs de R&D à la sauce Quaero. La question de la standardisation est cependant bien traitée dans les propositions sur les smart grids, la domotique et l’Internet des objets.
La partie concernant l’économie et les industries du numérique reste toujours déficiente. Elle ne projette pas de vision de la position de la France dans le monde dans le secteur du numérique. Alors, quel est le plan ? Verbatim : “Le développement des PME du numérique continuera de bénéficier de toute l’attention des pouvoirs publics dans les années à venir. […] L’accès des PME du numérique au financements pourrait également bénéficier d’investisseurs dans les écosystèmes d’innovation, en particulier des pôles de compétitivité, comme de la formation d’analystes financiers spécialisés sur les startups du numérique, l’absence actuelle de possibilités de sorties sur le marché boursier constituant un frein à l’investissement dans les phases amont” (page 8). Argh, je m’étrangle ! Des analystes financiers ! Qui a bien pu suggérer une telle idée ?
Il faut surtout encourager, former et aider les entrepreneurs à se lancer rapidement à l’international, et à favoriser l’interdisciplinarité tant dans l’enseignement supérieur que dans l’entrepreneuriat (technique, business, design, etc). Et de comprendre que la réussite dans l’innovation n’est pas seulement une affaire d’investissements en R&D et de Crédit Impôt Recherche.
Il subsiste aussi cette priorité de développer le numérique dans les PME où la connexion est là, mais pas tous les usages, notamment dans le commerce en ligne. Le pays se traine toujours un peu. Ce n’est pas qu’un problème de gouvernement, mais de culture, de relation à la technologie, et aussi qui à trait à la structure de nos activités notamment tertiaires. Le tourisme est un bon exemple de contraste : nous sommes la première destination touristique au monde, mais nous n’en tirons pas suffisamment profit, faute de suffisamment bien accueillir les visiteurs et de ne pas utiliser à fond les technologies, notamment mobiles. Pour encourager les TPE à passer au numérique, rien de mieux que l’exemplarité. A ce titre, l’ambition de viser le 100% sans papier dans les démarches administratives d’ici 2020 est tout à fait censée. Il faudrait peut-être même aller plus vite !
Les hauts et les bas des symboles
La présence du Premier Ministre à ces Assises du Numérique était bonne symboliquement. Il semblerait qu’elle ait été décidée il y a quelques semaines, quand Matignon s’est rendu compte que le plan France Numérique 2012 et le 2020 étaient une occasion de communiquer sur autre chose que la crise et la rigueur. Bon point.
On pouvait cependant remarquer que le discours du Premier Ministre était posé sur le pupitre par son aide de camp militaire, ce qui n’est parait-il pas une obligation protocolaire. On peut très bien demander cela à un “civil” ! J’avais observé la même chose pour le Président de la République au eG8 (ci-dessous à droite). La nuance ? L’aide de camp de Fillon est plus “geek” – comme Fillon vs Sarkozy – puisqu’il avait l’air de passer son temps sur son smartphone pendant l’intervention de son patron.
Quant à lui, tout en jonglant avec le nucléaire et les aciéries à sauver à Florange, Eric Besson a réussi à lancer ce plan France Numérique 2020. Il a développé une présence réelle sur Twitter qui traduit un engagement terrain assez solide. De près, ce Monsieur n’est ni incompétent ni politique au sens classique du terme. Il ne joue pas le rôle d’un autre en suivant les convenances, mais juste le sien, assez naturellement, même si cela peut lui jouer des tours. Dans le numérique comme dans le nucléaire, il adopte une posture finalement plus technicienne que politique (cf son débat sur Europe 1 avec Eva Joly). En politique, c’est un travers car l’émotionnel est plus porteur que le rationnel. Mais il a annoncé qu’il quittait la politique en avril prochain. Donc, tout se tient ! Qui héritera du numérique en mai 2012 ? Les paris sont doublement lancés, selon le camp qui gagnera la présidentielle.
Le plus mauvais dans les symboles reste le Président de la République. N’est-il pas étonnant d’apprendre que le 6 décembre 2011, il devrait inaugurer les nouveaux bureaux de Google rue de Londres à Paris, à deux pas des précédents, et en présence d’Eric Schmidt, venu aussi intervenir à LeWeb 2011 ? Tout cela parce que ce nouveau Googleplex va accueillir quelques dizaines de chercheurs en plus des équipes de la filiale française du géant de l’Internet (détails ici). Alors qu’il n’est (quasiment ?) jamais allé visiter d’incubateurs, de startups ou d’entreprises innovantes du numérique français ? C’est un beau Fouquet’s du Numérique qui se prépare ! Bon sang de bon soir ! Pourquoi personne ne se rend-il compte de ce genre de bourde ? Et là, on ne pourra pas dire comme en 2007 que c’est dû à l’influence de Cécilia !
Mes photos des Assises du Numérique sont ici. Et vous pouvez les revivre en consultant le flux Twitter #adn11.
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