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L’Institut Montaigne et la croissance des PME

Post de Olivier Ezratty du 7 août 2011 - Tags : Actualités | 26 Comments

L’Institut Montaigne a publié en juin 2011 un rapport proposant à l’Etat des mesures pour développer les PME, et notamment les Entreprises de Taille Intermédiaire. En guise de devoir de vacances, je vous propose de passer en revue des propositions dont certaines sont très intéressantes. Cela ouvre un peu le débat après celui, peut-être un peu trop étroit, qui concernait le pour et le contre des aides publiques à l’innovation.

L’Institut Montaigne est un think tank financé par de grandes entreprises privées françaises. Il se veut œcuménique même si certains lui attribuent des inspirations libérales (au sens français du terme). La personnalité de son créateur, Claude Bébéar (ex AXA) n’y est pas pour rien.

Dans ce rapport, on peut noter les contributions de quelques personnes connues de l’écosystème entrepreneurial numérique comme Gilles Babinet (maintenant Président du Conseil National  du Numérique) et Jonathan Benassaya (ex Deezer, Plizy). On y trouve aussi des investisseurs, la CDC, des patrons d’entreprises de tous secteurs, des avocats, des incubateurs, des business angels et des responsables de fonds d’investissement d’entreprises. Parmi les personnes auditées, on compte Bernard Liautaud (Balderton, ex Business Objects), René Ricol (Grand Emprunt) et François Taddéi (INSERM).

Voici donc ce Rapport “De la naissance à la croissance : comment développer nos PME”.

De la naissance a la croissance Institut Montaigne

La thèse du rapport : les français sont entrepreneurs et les PME constituent le moteur de la croissance en terme à la fois d’exportations et de créations d’emplois. Mais notre pays a du mal à faire grandir ses PME et à leur faire atteindre la taille critique pour les amener à devenir ces enviées “entreprises de taille intermédiaire”. Les PME françaises sont mal préparées  à exporter. Il faut les aider à émerger, grandir et exporter.

Les données du problème

Il est toujours bon de revenir sur les données du débat. Le nombre d’ETI serait en baisse en France (4195). Notre démographie des ETI est alignée sur les pays du sud (Espagne, Italie) et non ceux du nord (UK, Allemagne).

ETI France Italie Espagne Allemagne UK

Le rapport note que plus une entreprise est grande, plus elle exporte. La détérioration de la balance commerciale s’expliquerait par la faiblesse de nos ETI. Nos entreprises perdent des parts de marché en Europe (passée de 16,52% à 12,13% en 11 ans). Si cela voulait dire que l’on était meilleur en Asie ou aux USA, pourquoi pas, mais ce n’est probablement pas le cas !

Taux entreprises exportatrices 2004 INSEE DGTPE Douanes

L’autre chiffre qui fait mal : le nombre d’entreprises exportatrices comparée entre France, Allemagne et Italie. On a donc en Italie aussi peu d’ETI qu’en France, mais les TPE et PME y sont plus exportatrices que leurs homologues françaises.

Entreprises exportatrices France Allemagne Italie 2010 2000

L’étude Ernst & Young “Grandir en Europe – Hasard ou état d’esprit, 2008 (lien sur les slides de l’édition 2009) fait apparaitre une rentabilité voisine des ETI en France, UK et Allemagne. Et il créé une nouvelle catégorie, les “EEE” (entreprises européennes d’exception), les ETI qui croissent de 33% sur la période 2004-2006, qui investissent et restent profitables. Elles contribuent plus à la croissance que les autres. Of course, puisque c’est leur critère de sélection dans l’étude ! Elles réinvestissent leurs profits en R&D, recrutements et développement international. 

A contrario, nos grandes entreprises sont en bonne santé, avec plus de groupes français dans le Fortune 500 que les anglais et allemands (39 vs 29 et 37). Mais optimisation fiscale aidant, ces entreprises sont moins imposées en France que les PME (8% vs 18%). L’analyse est partielle car l’IS de ces sociétés n’est pas le seul indicateur de créateur de richesse dans le pays. Il y a aussi la valeur ajoutée et l’emploi.

Au final, les PME sont coincées fiscalement entre le statut d’auto-entrepreneur (avec exonérations de charges sociales et de TVA) et les grandes entreprises (favorisées par un IS réduit dans les faits). Les PME supportent donc une grande part de la fiscalité des entreprises.

Le diagnostic du rapport

Il est dans l’ensemble bien construit quand on le compare aux nombreux rapports passés sur le même sujet.

Le rapport cite pêle-mêle :

  • Le manque de capitaux lors de la création, dans les deux premières années. On le voit bien dans le numérique en comparant des entreprises équivalentes entre France, UK et USA. Les nouvelles entreprises UK créent plus d’emplois que les françaises pendant leurs 7 premières années d’existence. En filigrane, on appréciera le lien fait entre startups et ETI tandis qu’à certains niveaux de l’Etat, certains poussent les secondes et écartent les premières dans leur raisonnement, sans s’intéresser à la chaine alimentaire d’ensemble des entreprises innovantes.
  • Les PME françaises détiennent plus d’immobilier que les anglaises, au détriment de l’investissement productif. Il s’agit généralement d’optimisation de la structure du patrimoine du patron de la PME et non du capital productif de l’entreprise. Je l’ai vécu récemment en rencontrant une PME d’une industrie traditionnelle qui faisait une levée de fonds. L’immobilier était dans une SCI sous le nom des fondateurs, qui récupèrent le loyer payé de l’entreprise. Ils se créent ainsi un patrimoine et au passage plument les investisseurs !
  • L’Etat ne peut plus investir plus car il est trop endetté. Mais il devrait continuer d’orienter l’épargne vers les PME en compensant la non liquidité des investissements et le risque plus élevé. La rabot de la Loi de Finance a été trop homogène en réduisant les incitations fiscales à l’investissement dans les PME (sans compter le rabot JEI), comparé à l’approche plus différentiée du Royaume Uni qui a réduit ses dépenses publiques, augmenté l’IR mais augmenté les incitations fiscales à l’investissement dans les PME. Elles sont plus fortes dans l’ensemble qu’en France et plafonnées beaucoup plus haut en montants par particulier. Or il y a toujours 10 fois plus de business angels au Royaume-Uni qu’en France (40K vs 4K). L’instabilité fiscale couplée à l’ISF handicape la France. L’ISF est une “ incitation à sortir de France” !
  • Les aides publiques en France jouent un rôle ambivalent. Elles génèrent une trop forte dépendance et conduisent les entreprises qui en bénéficient à se déconnecter des marchés et des clients.
  • L’âge moyen des créateurs d’entreprise en France (38,5 ans), en Allemagne (36 ans) et UK (34 ans) est trop élevé dans l’ensemble. Or les grands succès américains ont été créés massivement par des jeunes de moins de 30 ans (Apple, Microsoft, Google, Yahoo, Facebook, …). Les succès se créent donc bien en amont en encourageant les jeunes à entreprendre.
  • Le financement de l’innovation va être impacté à la baisse par les nouvelles règles prudentielles européennes (assurances avec Solvency II, banques avec Bâle II/III). Il faudrait limiter les impacts négatifs de ces changements.
  • Les charges sociales sont trop supportées au niveau du cout du travail par rapport à UK et à l’Allemagne, ce qui n’est pas une grande surprise. La fiscalité pèse trop lourdement sur le travail au détriment de l’IR, qui est effectivement assez bas et pas assez progressif en France par rapport aux autres pays, y compris par rapport aux USA ! Le fort poids des charges se cumule à un droit du travail peu flexible. Il profite surtout aux salariés en CDI, d’où le fait que les entreprises préfèrent les formes moins protégées de salariat (CDD, intérim, stages).
  • La France connait un déficit culturel autour de l’entrepreneuriat et notamment dans l’éducation. Les français n’ont pas confiance dans la libre entreprise (en fait, les français sont les plus défiants du monde vis à vis de TOUT : entreprises, politiques, scientifiques, etc). Le tout est influencé par le quart des emplois situés dans le secteur public. Et aussi par une culture des écoles d’ingénieur qui favorise les grandes entreprises, les services et le conseil, au détriment de l’entrepreneuriat.

Le principal écueil est une comparaison trop fréquente avec le Royaume-Uni, qui n’est pas une référence dans un tas de domaines. C’est sans doutes lié au profil du rédacteur du rapport, Arnaud Vaissié, qui est aussi président de la Chambre de Commerce Française de Grande Bretagne et actif dans le Cercle d’Outre Manche, qui regroupe des chefs de d‘entreprises français en France et au Royaume Uni.

Analyse des propositions

Voyons maintenant les 11 propositions qui sont faites dans ce rapport et couvrent surtout le financement, la fiscalité et l’enseignement. Je me permets de noter chaque proposition sur sa valeur générale, et sur sa mise en pratique (telle que proposée ou dans l’absolu, selon). Notons qu’en général, le rapport évoque avec bienveillance les actions de l’Etat – voire privées ou associatives – déjà lancées.

Proposition n° 1 : Développer la mise en place d’aides publiques pour les entreprises technologiques avec un système de matching privé – public

Le matching public/privé est déjà plutôt déjà la norme ! Les avances remboursables Oséo, les aides du concours national de création d’entreprise de technologie innovante tout comme les investissements en capital du Fonds National pour la Société Numérique du grand emprunt sont tous conditionnés par l’apport de fonds propres pour l’essentiel d’origine privée.

La proposition est-elle donc dénuée de sens ? Non ! C’est le processus qui est inversé. Au lieu d’avoir deux instructions en parallèle des dossiers (public, privé), le rapport propose en filigrane que l’instruction des dossiers soit réalisée par les investisseurs privés et que ceux-ci obtiennent alors rapidement un matching des financements publics. Cela me rappelle le “Label d’entreprise innovante des pôles de compétitivité” qui sélectionne les startups “prêtes” pour être financées par le privé. Le comité de sélection est constitué uniquement de personnalités du privé (entrepreneurs, experts et investisseurs). La proposition du rapport inverse en quelque sorte le processus en l’orientant du privé vers le public au lieu du contraire.

Quand on analyse le processus “Etat investisseur avisé” du grand emprunt, on ne peut qu’être d’accord avec ce que propose l’Institut Montaigne. L’Etat a ainsi créé une usine à gaz gérée par la CDC qui instruit des dossiers d’investissements avec des ressources internes et externes (cabinets de conseil sous-traitant), tout cela pour ne faire que du co-investissement avec des fonds d’amorçage et VCs au bout du compte !

Valeur : 10/10. Praticabilité : 9/10.

Proposition n° 2 : Utiliser le levier fiscal pour financer nos PME et nos ETI et renforcer les dispositifs actifs au soutien de l’investissement dans le cadre d’une réforme globale de la fiscalité

Il s’agirait de rehausser le plafond d’investissement donnant lieu à déductions ISF, du fait de la baisse du taux d’exonération passé de 75% à 50% pour les investissements en direct. Très censé. Cela augmenterait son effet de levier. Et aussi permettrait d’augmenter les tickets moyens venant des Business Angels en amorçage. Mais l’augmentation proposée est plutôt timorée (100K€). Pourquoi ne pas aller plus loin comme au Royaume Uni ? Peut-être parce qu’à ce niveau d’investissement, les avantages fiscaux ont un rôle moindre pour les investisseurs (c’est le cas des entrepreneurs qui ont créé ISAI Venture : ils ne bénéficient pas d’exonérations fiscales à l’entrée, le véhicule d’investissement étant un FCPR). Le cout serait évidemment difficile à supporter pour l’Etat. Question d’arbitrage ! Je ne vous refais pas le topo sur la TVA des cafés/restaurants qui montre l’étroitesse de la stratégie industrielle de l’Etat !

On pourrait aussi se pencher sur le scénario de la suppression totale de l’ISF et la manière de remplacer les incitations fiscales à l’investissement dans les PME innovantes associées. Même si cette suppression est plus qu’improbable à court terme au vu des épisodes précédents.

La proposition n’évoque pas l’intérêt d’une “TVA sociale” consistant en un transfert d’une partie des charges sociales du travail vers la consommation. Dommage !

Valeur : 8/10. Praticabilité : 9/10.

Proposition n° 3 :  Obtenir des grandes entreprises françaises et étrangères opérant en France de réduire leurs délais de paiement de trois jours par an chaque année afin d’être, dans les trois ans, dans la moyenne européenne.

Le rapport rappelle les relations toujours difficiles entre PME et leurs donneurs d’ordre grands comptes. Et cela ne concerne pas que les industries agro-alimentaires dans leurs relations avec la grande distribution ! Les délais de paiement sont toujours un problème. Ils sont en moyenne de 68 jours (au-dessus du maximum légal de 2 mois depuis la LME de 2008) contre 57 jours en Europe.

Le rapport ne précise pas comment obtenir ce raccourcissement des délais de paiement. Qui doit donner l’exemple ? Faut-il passer par la voie législative ?

Valeur : 8/10. Praticabilité : 5/10.

Proposition n° 4 : Inciter les grands groupes à avoir leur propre fonds d’investissement en interne pour investir dans des start-up ou des PME, ou faire participer ces groupes à des fonds par filière sur le modèle du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA).

Ce serait une mesure positive car elle créerait un état d’esprit bienveillant des grandes entreprises vis à vis de l’innovation et des startups. Certaines le font déjà comme SFR, Bouygues Télécom et Schneider Electric et Alstom (avec le fonds Aster Capital). Mais attention aux limitations du modèle du “corporate developpment”. Il n’est pas évident d’avoir ses clients potentiels dans son actionnariat. Et on ne connait pas de grand succès aux USA venant de ce type de financement, tout du moins dans les industries numériques. Cela aboutit plutôt à des “exits” rapides, donc pas à la création d’ETI qui est l’un des objectifs de ce rapport. Par ailleurs, la mesure n’est pas précisée dans le détail.

Valeur : 6/10. Praticabilité : 3/10.

Proposition n° 5 : Développer la pratique du rescrit fiscal pour le Crédit impôt recherche (CIR), rescrit qui peut être produit par le ministère de  l’Enseignement supérieur et de la Recherche ou par ses services  déconcentrés. Le rescrit engage l’administration fiscale sur l’éligibilité des dépenses incluses dans le CIR et en sécurise le recours.

Il s’agirait surtout de réduire le risque (et l’aspect anxiogène associé) du contrôle fiscal lié au CIR. D’où le besoin d’uniformiser le droit et d’améliorer formalisme des méthodes de contrôle. Curieusement, le rapport s’en remet aux propositions de l’Inspection Générale des Finances pour avancer sur ces points. Comme demander au renard de garder le poulailler ! La proposition n’évoque pas l’intérêt discuté du CIR pour les grandes entreprises, déjà bien avantagées fiscalement comme nous l’avons vu. Le rapport se contente donc de proposer le développement du rescrit fiscal, cette demande d’avis préalable à l’administration fiscale pour éviter les déboires d’un contrôle fiscal. Pas bien sûr que tout cela change sérieusement la donne ! Surtout pour les startups qui ne font pas à proprement parler de la recherche, mais ont créé un produit qu’elles cherchent à vendre.

Le CIR est en tout cas une spécificité française, donc difficilement benchmarkable. Je n’en ferai donc pas une obsession.

Valeur : 4/10. Praticabilité : 9/10.

Proposition n° 6 : Rendre obligatoire le stage en PME ou en ETI pour les élèves de grandes écoles y compris ceux de l’ENA.

C’est une bonne idée sachant que le diable est toujours dans les détails. Car il y a PME et PME. Il y a la foultitude de PME qui font du service de proximité et n’exportent pas. Et puis, celles qui ont une véritable production industrielle (agroalimentaire compris) et exportent. Il faudrait aussi éviter que la généralisation de ces stages soit une manière détournée de continuer à baisser le cout du travail pour les entreprises, se faisant au détriment des jeunes. Ensuite, il y a le poids du stage en question dans la scolarité. Dans une école d’ingénieur sur un cycle standard de trois ans, il y a toujours au moins un stage dit “ouvrier” en première année et un stage de fin d’étude de longue durée en fin de troisième année, et parfois un troisième stage, en seconde année de scolarité. Si généralisation du stage en PME il y avait, il faudrait qu’il dure au moins un mois, si ce n’est deux à trois. Le mieux aussi serait qu’il intervienne vers la fin de la scolarité pour qu’il soit à plus forte ajoutée possible.

Pour ce qui est de l’ENA, volontiers ! Mais pas juste un stage d’une semaine ! On peut aussi signaler le manque d’élus provenant du monde de l’entreprise et des PME industrielles en particulier ! Certains sénateurs font des stages en entreprise. L’initiative mériterait d’être généralisée à tous les élus nationaux ainsi qu’aux élus ayant un rôle d’exécutif dans les conseils régionaux et généraux.

Le rapport évoque sinon avec justesse les nombreuses initiatives associatives pour rapprocher les jeunes des PME.

Valeur : 10/10. Praticabilité : 6/10.

Proposition n° 7 : Développer la culture de l’entreprise et de l’entrepreneuriat dès l’entrée au lycée.

En effet, il serait bon d’éviter le syndrome du professeur d’histoire/géo ou équivalent qui résume l’histoire des révolutions industrielles à Germinal et à la lutte des classes. Image d’Epinal ? Pas tant que cela ! Le rapport propose la revue des manuels scolaires et l’intervention de salariés (mais oublie les entrepreneurs !) d’entreprises dans des conférences ou études de cas. Bref, de revoir sérieusement la pédagogie appliquée dans le secondaire. Bouger le Mammouth et ses petits est un vaste programme !

Le rapport évoque aussi des mesures pour améliorer l’apprentissage de l’anglais et propose un chapelet de mesures au niveau du primaire, du secondaire, du supérieur et dans les entreprises. J’en ai une qui n’est pas listée et que j’ai appliquée avec succès à mes enfants : abandonner le doublage des films et séries US et le remplacer par du sous-titrage (dit “VOST”, qui amène rapidement à “pas de sous-titre” une fois habitué), comme on le voit dans les pays nordiques. Oui, je sais, c’est impossible, et les allemands sont aussi des adeptes du doublage et pourtant ils parlent mieux l’anglais que nous ! Et puis l’exception culturelle française blablabla. Bon, tant pis, j’ai tout de même essayé ! En fait, le rôle des médias et notamment ceux du service publics est à souligner. Ils pourraient donner l’exemple. Nous avons certes la chronique de Marie-Odile Monchicourt sur France Info, mais quid de France Télévision ? Il est inouï – mais compréhensible – que ce soit M6 qui avec son émission Capital soit la chaine qui valorise le mieux les PME (même si elle dénonce aussi les excès de certaines entreprises au passage).

Valeur : 10/10. Praticabilité : 6/10.

Proposition n° 8 : Améliorer la communication autour de la carte de séjour « compétences et talents » et simplifier les procédures administratives afin d’accueillir des entrepreneurs issus de pays tiers et leur permettre de développer un projet d’entreprise sur le territoire français.

Je découvre au passage une donnée intéressante : il y aurait 24000 créateurs d’entreprises étrangers en France par an (en 2008, et cela ne comprend donc pas les autoentrepreneurs dont le statut date de 2009).  Mais leur vie est bien difficile quand ils ne viennent pas de l’Union Européenne. Le rapport propose d’étendre la mise en application du visa entrepreneur dénommé “Carte compétences et talents”. L’idée est bonne est relativement simple à mettre en œuvre. Comme la Silicon Valley, la France doit afficher qu’elle cherche à attirer les meilleurs talents du monde entier, et sans états d’âme.

Valeur : 10/10. Praticabilité : 9/10.

Proposition n° 9 : Faire des approches pluridisciplinaires et transdisciplinaires une priorité au sein des cursus universitaires.

Le rapport met en évidence ce besoin mal traité en France de rapprochement des disciplines dans les cursus du supérieur pour favoriser la création d’entreprises. Je vous ai déjà bien bassinés avec le campus de Saclay qui faute d’appliquer ce raisonnement se prépare à devenir un ghetto de scientifiques. Par contre, le rapport se noie un peu dans des mesures difficiles à comprendre. Et il insiste un peu lourdement sur la création d’entreprises par des chercheurs, une approche qui n’a pas l’air de bien fonctionner malgré les tonnes d’incitations de ces dernières années. Tout en se focalisant sur le… CNRS ! Alors que la recherche scientifique est plus spécialisée et fragmentée : INRIA, INSERM, INRA, CEA, etc. Le grand emprunt a bien prévu le financement de sociétés d’accélération du transfert de technologies à hauteur de 900m€ mais on se demande comment ces sommes vont être utilisées. Comme à l’INRIA qui a créé récemment INRIA IT Translation pour aider ses chercheurs à créer leur entreprise en cofinançant leur amorçage ?

L’enseignement supérieur a quatre composantes clés : les formations dites professionnalisantes (DUT, BTS; BAC+2/3), les universités (BAC+4 à plus), les grandes écoles (commerce, ingénieurs) et les chercheurs (doctorants et post-doc, dans les universités et grandes écoles). Il serait bon de voir comment créer la transdisciplinarité dans ces différents cursus. Et notamment comment rapprocher les grandes écoles qui sont complémentaires, ne serait-ce que les business schools et les écoles d’ingénieur. Je ne connais qu’un seul cas de rapprochement étroit : celui de l’INT d’Evry (Institut Télécom). Il mériterait d’être généralisé même s’il est compliqué de rapprocher des écoles de commerce qui dépendent des Chambres de Commerce des écoles d’ingénieur qui dépendent en général de l’Etat. Pourquoi ne favoriserait-on pas plus de rapprochements géographiques entre écoles d’ingénieur et de commerce ?

Un autre aspect n’est pas couvert dans ce rapport : les lacunes de compétences dans les approche “produits”. On est très bons en France dans les systèmes complexes (énergie, transports, etc) et dans les services. Mais on a toutes les peines du monde à faire des “produits” (matériels comme immatériels). Cela nécessite des compétences de “product management” qui sont à l’intersection des métiers de l’ingénieur et du marketing. C’est un point de détail mais clé pour sortir de cette fatalité qui pousse nos entrepreneurs à faire du “service outillé” (peu scalable) au lieu de faire du “produit” (plus scalable… mais qui demande des compétences plus pointues et des moyens plus importants). Il faut donc à la fois un bon financement et ces compétences produit pour créer des business scalables et exportateurs.

Valeur : 10/10. Praticabilité : 6/10.

Proposition n° 10 : Créer une entité de « prospection scientifique et technologique » afin de valoriser les résultats des laboratoires de recherche fondamentale.

Ce serait une sorte de “broker” entre les travaux issus de la recherche et le monde de l’entrepreneuriat. Connaissant notre pays, cela deviendrait rapidement un gros machin ingérable et inefficace, alors que de tels mécanismes existent déjà plus ou moins avec les entités de valorisation industrielle des grands laboratoires (surtout au CEA qui est un best practice, notamment avec le LETI et le pôle de nanotechnologies de Grenoble, cité abondamment dans le rapport). La grande question est de savoir comment la “recherche appliquée” peut se développer de manière contractuelle et se défonctionnariser. Et surtout comment on pourrait passer d’un système basé sur l’offre (la recherche qui cherche les domaines d’application de ses travaux) d’un système basé sur la demande (les entreprises contractualisent des travaux de recherche fondés sur leurs besoins, un modèle courant aux USA, y compris au niveau de l’Etat Client… surtout par l’entremise de la DARPA). Les réformes récentes menées par Valérie Pécresse allaient dans le bon sens de ce point de vue-là, mais on a vu quel tollé cela générait !

Valeur : 7/10. Praticabilité : 3/10.

Proposition n° 11 : Développer les filières « innovation et entrepreneuriat » au sein des cursus universitaires.

L’idée est bonne mais avec juste cinq lignes qui y sont consacrées dans le rapport, son côté pratique est complètement laissé au libre arbitre du lecteur. Or ce n’est pas un sujet évident compte tenu de la manière dont sont organisés les cursus universitaires (LMD…). Dans les grandes écoles où ces filières entrepreneurs existent déjà, il s’agit d’une sorte d’option transversale souvent positionnée en dernière année. C’est le découpage même des spécialités dans l’enseignement supérieur français qu’il faudrait revoir. Comment imiter par exemple la pluridisciplinarité obligatoire des grandes universités américaines ? Un étudiant en computer science doit y faire l’équivalent de deux “majeures” dans des disciplines autres, souvent de sciences dites “molles” (sociologie, marketing, langues, droit, etc). Est-ce que ce modèle peut se généraliser en France ?

Valeur : 8/10. Praticabilité : 3/10.

Conclusion

Un gros pan est négligé dans ces propositions : les exportations ! Est-ce que l’Etat peut mieux aider les entreprises à exporter ? L’articulation des CCI, Coface et autres Ubifrance est souvent décriée par les entrepreneurs. Cela mériterait que l’on s’y penche mais il y a déjà eu probablement d’autres rapports sur ce sujet.

Je constate sinon qu’à partir d’un diagnostic pas trop mal ficelé, il est difficile de faire des propositions faciles à mettre en œuvre d’où une note toujours plus faible entre la valeur des idées proposées et leur praticabilité dans mon évaluation. C’est peut-être un trait français que de s’intéresser plus aux idées qu’à leur mise en œuvre concrète, au cambouis et à l’exécution. Le rapport est en lui-même un reflet de cette lacune de nos élites ! Il faudrait en prendre conscience pour que ces rapports soient préparés dans le futur avec plus de soin sur “l’exécution”. L’exemplarité entrepreneuriale commence aussi par-là ! Il vaut aussi mieux proposer des mesures “toutes cuites” pour avoir des chances de les voir adoptées par la puissance publique !

En tout cas, pas mal de ces propositions pourront intégrer les réponses à la consultation lancée par Eric Besson pour la préparation du plan France Numérique 2020, dans la rubrique consacrée à l’entreprenariat.

RRR

 
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