Votre TV va-t-elle être google-izée ?
Post de Olivier Ezratty du 23 mai 2010 - Tags : Digital media,Google,Internet,Loisirs numériques,Microsoft,TV et vidéo | 6 Comments
On ne pouvait pas éviter l’annonce de Google TV pendant la conférence développeur Google I/O 2010 le 19 mai 2010.
Elle est en effet lourde de sens dans une offre qui évolue à une vitesse incroyable et comportant de nombreuses inconnues sur sa vitesse d’adoption par les consommateurs. Et aussi une transformation des modèles économiques à même de déstabiliser les acteurs traditionnels que sont les chaînes de télévision classiques et l’écosystème de la publicité télévisuelle.
Décryptage…
Au cœur de Google TV
Google TV, c’est avant tout du logiciel avec des composantes “client” et “serveur” :
L’ensemble qui est gratuit de la tête aux pieds pour les consommateurs comme pour les industriels est financé par la publicité.
Le tout devant exploiter des services, contenus et applications tierces-parties, d’où l’annonce de Google TV dans la grande conférence développeur de Google. Ces applications seront diffusées dans l’Android Market. Google pourrait faire ainsi à la TV ce que Apple a fait au smartphone : créer une plateforme applicative dominante, avec un péage associé (cf “Les opportunités de la télévision numérique” publié en juin 2009).
L’annonce de Google TV était associée à celle de la mise en open source du n+unième format vidéo, le webM, qui combine le VP8 issu de l’acquisition de On2 Technologies, le codec audio Vorbis et un container à base Matroska (celui du .MKV). Le format sera supporté nativement dans Chrome, Flash, et par add-on dans Firefox et Internet Explorer. Ce format sera aussi supporté dans le silicium : notamment chez Qualcomm (dans la mobilité), Broadcom (mobilité et set-top-boxes), nVidia (surtout dans les PC), Texas Instruments.
Notons au passage que l’annonce de Google TV faisait intervenir deux personnes qu’il est intéressant de citer :
L’expérience utilisateur
A ce stade des démonstrations, l’interface utilisateur de Google TV reste sommes toutes assez classique.
C’est une sorte de moteur de recherche Web plaqué sur la TV plus qu’une réellement amélioration via les contenus web de l’expérience télévisuelle. S’y ajoutera “YouTube Leanback” (ci-dessous), une version “canapé” et “télécommande” de YouTube permettant de s’abonner aux vidéos favorites de ses amis et de se créer des chaines thématiques dédiées associées à un mot clé (en bêta en juin 2010). Il y a aussi Google Listen & Watch qui semble assurer une fonction équivalente, mais pour des contenus premium. L’histoire ne dit pas avec quel clavier on saisit ses recherches à partir du canapé, à part peut-être avec son smartphone. Une autre nouveauté présentée lors de l’annonce : l’ajout automatique de sous-titres s’appuyant sur les fonctions de traduction de Google.
Au delà, les démonstrations ne font pas état d’une grande créativité dans les scénarios utilisateurs : rien sur le “place-shifting” et le “time-shifting” (pour regarder un programme sur la TV, et sa suite sur son PC ou son mobile, ou réciproquement), pas de guide de programmes linéaires. L’accès à des contenus télévisuels classiques proviendra encore d’autres matériels comme les set-top-boxes avec lesquels le moteur de recherche de Google pourra s’interfacer à distance. S’est-on vraiment posé la question : “que veulent vraiment les téléspectateurs lorsqu’ils sont devant leur TV après avoir passé des heures devant leur micro-ordinateur ?”. Pas sûr ! Sans compter que le passage du PC à la TV suppose aussi de disposer de contenu de qualité visuelle supérieure au YouTube à 320×240 pixels.
Un peu comme pour l’Apple TV, l’offre Google TV semble donc plus adaptée aux jeunes de la génération Y, une tentative de les faire revenir devant le poste de télévision qu’ils ont en partie quitté même si les études de marché ne le montrent pas encore clairement. Les adultes habitués à une consommation télévisuelle plus classique, linéaire (direct) comme délinéarisée (enregistrée et programmée à partir d’un guide de programme) semblent pour l’instant un peu laissés pour compte (cf cet article de Fast Company au sujet des téléspectateurs adultes).
L’approche écosystème de Google
Il s’agit pour Google de séduire d’un côté les développeurs d’applications et de l’autre, les constructeurs. Le message clé : la plateforme est ouverte et open source. Sous-entendu : c’est gratuit, très important pour maintenir au plus bas les coûts et prix des matériels supportant Google TV.
Lors de l’annonce, Eric Schmidt, le CEO de Google, a mis paquet en rassemblant sur scène les CEO d’Intel, Sony, Logitech, Dish Network, Adobe et BestBuy. Pas des seconds couteaux !
Chacun est dans une situation un peu particulière qui mérite d’être rappelée…
Comme pour toute annonce de nouvelle technologie de grands acteurs de l’industrie, quelques partenaires mordent à l’hameçon, ici, un par catégorie ce qui est un modeste butin. Le temps et le marché font le reste et les partenariats se consolident et s’étendent à d’autres acteurs ou restent lettres mortes faute d’une exécution correcte et/ou d’une adoption par les consommateurs. Attendons donc quelques mois pour voir ! L’IFA de septembre 2010 et le Consumer Electronics Show de janvier 2011 seront des marqueurs intéressants de l’adoption industrielle de Google TV.
Ceux qui manquent à l’appel
Quelques acteurs clés n’étaient pas du tout cités dans l’annonce, et ce n’est pas par hasard :
Supposons que Google réussisse son coup au delà de ses espérances. Cela aurait un sérieux impact sur les revenus des chaînes TV, et indirectement, sur leur capacité à financer des contenus (notamment les séries TV et les films de cinéma pour ce qui est de la France). Avec moins de contenus financés par la publicité, les contenus premium payants pourraient prendre le dessus. Un autre impact serait un accroissement de la mondialisation des contenus et de leur diffusion. En effet, seules les économies d’échelle permises par l’accès aux marchés mondiaux permettraient de financer les contenus télévisuels “riches”. Bref, une grosse boite de Pandore ! A quelle vitesse va-t-elle s’ouvrir, là est la question.
Un marché qui reste très ouvert
En se situant dans une mouvance de l’intégration de contenus Internet dans l’expérience télévisuelle, Google TV est intéressant. Mais en soi, l’annonce n’a pas grand chose de révolutionnaire. C’est plutôt le rôle et le poids de Google dans la sphère Internet qui donnent sa plus grande signification à cette annonce.
Les concurrents ? Il y a les éditeurs de logiciels tels que l’israélien Boxee présent dans un boitier de D-Link annoncé au CES 2010, Apple avec son Apple TV un peu laissée à l’abandon, faute de modèle économique éprouvé, Yahoo qui semble un peu patiner avec ses Yahoo Widgets, et loin derrière tout cela, Microsoft, qui vient récemment d’annoncer que Windows Media Center sera diffusé en version embarquée (avec Windows 7 embarqué) auprès des constructeurs de set-top-boxes, … utilisant l’Atom d’Intel ! Et puis les éditeurs de logiciels pour set-top-boxes (NDS, OpenTV, Soft@Home, Netgem, …) qui devront rapidement intégrer l’accès aux services Internet pour suivre le rythme et aussi créer de la valeur en enrichissant l’expérience télévisuelle avec les contenus Internet. Le marché étant très fragmenté et naissant, il reste donc entièrement ouvert. Cf cette réaction de certains de ces concurrents de Google dans Engadget, dont l’approche éditoriale sur cette annonce est remarquable.
Si vous souhaitez creuser cette thématique, j’aurais l’occasion de commenter ces différentes tendances de la télévision numérique lors le la 5ème Université d’Eté du SNPTV le mardi 29 juin 2010 à Paris.
Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress
Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2010/votre-tv-va-t-elle-etre-googleizee/
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(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net