Comment les industries numériques ont traversé la crise
Post de Olivier Ezratty du 8 mars 2010 - Tags : Economie,Google,Innovation,Logiciels,Loisirs numériques,Management,Microsoft,Technologie,USA | No Comments
Dans “Macro-économie de la crise dans le numérique” paru en mai 2009 sur ce blog, j’avais réalisé une petite analyse chiffrée de l’évolution du chiffre d’affaire de quelques grandes entreprises du secteur des loisirs numériques. Une centaine en tout.
Je m’étais dit à l’époque que le dernier trimestre de 2009 serait éloquent d’une reprise ou non de l’activité et d’une sortie de crise. Il fallait donc attendre janvier/février pour obtenir la publication des entreprises cotées du secteur. Publications qui sont maintenant quasiment terminées pour 2009. Il serait intéressant également d’analyser en vue d’hélicoptère la résilience à la crise des acteurs du secteur, et par secteur d’activité.
J’ai donc patiemment récupéré les résultats d’une petite centaine d’entreprises sur plusieurs trimestres depuis 2008, récupéré les taux de change pour aligner tout sur le $US. Puis, essayé d’y voir clair avec quelques graphiques que je vais partager ici avec vous.
Reconstitution des marges plus que de chiffre d’affaire
Premier constat, qui pourrait probablement s’appliquer à toutes les entreprises cotées : quel que soit leur secteur d’activité, les entreprises du secteur des loisirs numérique ont rebondi sur la fin 2009 en reconstituant et leur chiffre d’affaire et leurs marges (ici, je parle de marge opérationnelle, c’est-à-dire le résultat avant taxes et charges financières et charges exceptionnelles).
A ceci près, comme le montre le graphe ci-dessous, que la reconstitution des marges a été plus forte que celle du chiffre d’affaire. Les entreprises sur-réagissent en général aux crises en jouant sur les variables d’ajustement des coûts, et notamment des emplois.
Notons cependant que la base de calcul pour l’évolution du chiffre d’affaire est de 80 entreprises (totalisant $600B de CA sur Q4 2009) tandis que celle concernant la marge opérationnelle est de 65 entreprises. Et je prends comme référence le dernier trimestre de l’année civile. C’est en général le plus gros. Et c’est aussi celui qui a été affecté de plein fouet par la crise en 2008.
On ne parle pas exactement du même périmètre pour CA et marge opérationnelle, mais la masse est importante. En effet, sur une année pleine, cela représente donc un total de CA de plus de $2T. A titre de comparaison, l’industrie du consumer electronics fait environ $650B, celle des logiciels environ $300B, et les télécoms, environ $1T.
La crise amplifie les forces et faiblesses
Seconde observation, l’impact de la crise sur la croissance et la décroissance.
On a vu que l’on est plutôt en voie de sortie de crise, même si celle-ci est encore incomplète. N’oublions pas qu’une grande partie des chiffres d’affaire intégrés relèvent de biens d’équipements, particulièrement affectés en période de récession. C’est même le second poste de dépense qui diminuerait après les produits de luxes (selon une étude d’OTO Research, citée pendant la conférence analystes financiers de France Telecom du 4 mars 2010). C’est là que les ménages se serrent le plus la ceinture, reportant les achats d’équipement à des jours meilleurs.
En tout cas, la machine à laver de la crise opère un bon tri des entreprises ! Le graphe ci-dessous montre les taux de croissance Q4 2008 sur Q4 2007 triés par ordre décroissant et, société par société, leur taux équivalent Q4 2009 vs Q4 2008. On voit que les entreprises en croissance sur Q4 2008, en plein milieu de la crise, sont presque toujours encore en croissance. Et que pour les autres, c’est un grand jeu de yoyo.
Zoomons donc sur le yoyo. En fait, on voit qu’il concerne surtout les fabricants de composants (semi-conducteurs et écrans plats). Ces sociétés subissent de plein fouet à la fois la crise affectant le marché des biens d’équipement et les cycles habituels de sur et sous-production de leur industrie. Certains traversent mieux que d’autres ces tempêtes. Et nos entreprises du hardware (Parrot, LaCie et Archos) ont toutes souffert de la crise, faute d’une “surface critique” et d’une diversification suffisante.
Comme le montre la courbe ci-dessous qui étale les taux de croissance de manière triés, on constate qu’il y a autant d’entreprises en croissance ou en décroissance sur Q4 2008 vs 2007 qu’en Q4 2009 vs 2008. La courbe des croissances/décroissances ne s’est pas déplacée. L’amplitude des taux de croissance ou décroissante s’est accentuée (la pente est plus grande au point d’inflexion).
C’est un peu comme pour les startups (pour lesquelles une étude équivalent serait très difficile à réaliser, la plupart n’étant pas cotés, il est très difficile voire même impossible d’obtenir leurs résultats financiers). La crise renforce les meilleurs et pénalise les plus faibles. Dans le cas des plus faibles, les plus faibles disparaissent purement et simplement. Pour les gros acteurs industriels, ils subissent des “plans de restructuration” et/ou se font racheter.
Evolution dans le temps
Voici une autre manière d’analyser ces données d’évolution de chiffre d’affaire, des graphes de nuages de points avec en abscisses (axe horizontal), l’évolution du CA entre Q4 2007 et Q4 2008 (l’entrée dans la crise) et en ordonnées (axe vertical), l’évolution du CA entre Q4 2009 et Q4 2008 (la sortie de la crise).
Cela permet d’identifier quatre catégories de sociétés :
J’ai réalisé ces nuages de points avec Excel 2007, mais chose incroyable, il n’y est toujours pas possible de mettre une légende prise dans une troisième colonne. Même dans la bêta d’Excel 2010. On est donc obligé d’installer un plug-in dans Excel qui le fait (XY Chart Labels), mais celui-ci ne fonctionne pas bien dynamiquement. Heureusement il est gratuit. Notons que cette fonction existe nativement dans OpenOffice, mais que ce dernier reste bien difficile d’usage pour l’habitué à Excel que je suis.
Vous n’y voyez rien ? Voici un petit zoom sur le rectangle en pointillé du graphe ci-dessus. Toujours rien ? Alors, nous allons voir cela secteur par secteur.
Le green fait-il vendre ?
Autre question intéressante : est-ce que le respect de l’environnement fait “plus” vendre. De nombreuses études de marché ont montré que l’impact du respect environnemental était encore marginal dans les décisions d’achat, d’autant plus que l’information sur le sujet n’est pas encore très vulgarisée ou véhiculée par les grands médias. Et on peut voir à haut niveau qu’il n’existe en effet pas de corrélation entre le score environnemental de Greenpeace publié au dernier CES et la croissance Q4 2009 vs Q4 2008.
Et l’innovation dans tout cela ?
Revenons au titre du post tout de même. Est-ce qu’il existe une corrélation entre la résilience à la crise de ces entreprises et leur capacité d’innovation ? A savoir, la capacité à introduire des nouveautés technologiques sur le marché et à réussir à les vendre.
La réponse est oui, nettement, mais dans la durée. Les entreprises qui se sont bien comportées n’ont pas spécifiquement innové pendant la crise. Mais elles innovent régulièrement. Les innovations réussies bénéficient de plus généralement d’un bon soutien marketing et d’un souci général de la qualité.
Exemples dans le vert :
Et dans le rouge :
En Europe comme aux USA, les spirales descendantes ne sont pas bonnes à vivre dans les entreprises. Elles ont un impact humain énorme sur la motivation. Les licenciements à répétition créent une angoisse permanente. C’est bien en amont de ce genre de crise qu’il faut donc prendre des risques, innover, sortir des sentiers battus.
Reste à identifier une corrélation éventuelle entre croissance et pratiques managériales… C’est aussi là que germent les crises ou fleurissent les réussites. On l’oublie trop souvent !
Enfin, petit appel au peuple : je suis preneur de tout outil web pas trop geek permettant de récupérer automatiquement (XBRL ?) les données financières d’une liste de sociétés, si possible à partir d’Excel.
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