Impressions du Salon Solutions Linux 2010
Post de Olivier Ezratty du 23 mars 2010 - Tags : Google,Internet,Logiciels,Logiciels libres,Marketing,Microsoft | 3 Comments
J’ai fait un petit tour d’une demi-journée au Salon Solutions Linux le 16 mars 2010. Le salon était situé dans un bout du Hall 1 à la Porte de Versailles. Un salon de taille modeste, ce, malgré la très bonne santé du business de l’open source en France, en croissance régulière d’environ 30% par an selon Pierre Audoin Conseil, concentrée dans les activités de services.
Au delà d’un tour rapide des stands, je venais surtout écouter les premières conférences plénières, moyen de faire le point sur le discours du moment. Elles avaient lieu dans une salle dédiée, avec en moyenne une cinquantaine de participants, faute probablement de grands noms du secteur pour attirer les spectateurs.
Il faut noter que le salon ouvrait deux jours après la fin du Salon de l’Agriculture, qui avait laissé comme trace une odeur de campagne (animale) assez incongrue avec l’objet du salon.
Alexandre Zapolski de Linagora
C’est à Alexandre Zapolski que revenait le rôle d’ouvrir la conférences des keynotes de ce salon. Pourquoi lui ? Au moins à deux titres : il est le PDG de Linagora, l’une des SSII du libre françaises qui se porte le mieux, si ce n’est la plus grande des “pure player”, et également cofondateur de la FNILL, la fédération nationale des industries du logiciel libre. Dans le secteur privé, c’est l’un des plus actifs promoteurs de l’open source de manière continue depuis une bonne dizaine d’années.
A lui donc de faire un bilan contrasté du logiciel libre entre 2000 et 2010, presque un passage de l’illusion à la désillusion ou tout du moins à une forme de maturité car la dynamique de l’open source se porte bien dans l’ensemble :
Et Linagora dans tout cela ? Il a démarré à l’incubateur Télécom Paris Sud, puis dans un garage près de la Bastille, puis à l’Opéra sur deux étages et avec 30 personnes, et maintenant, rue de Berri avec 150 personnes, et plus de 200 prévues sur 2010. En 2000, Alexandre Zapolski annoncait qu’il ferait 100 millions de F de CA en 2010. Sans préciser son CA 2010, il annonce maintenant un objectif de 100m€ de CA pour 2020. Renseignements pris sur son site web, il faisait 16m€ de CA en 2009, soient 104 millions de F. Pari tenu ! Entre temps, le gros de la manne des services de l’open source est récolté par les grandes SSII qui font de l’open source dans toutes les couches en suivant l’évolution du marché.
Canonical
Nicolas Barcet de Canonical, l’éditeur d’Ubuntu, était là non pas pour parler d’Ubuntu sur les postes de travail, mais dans le cloud. J’ai surtout noté que l’offre de cloud d’Ubuntu s’appuie sur les API d’Amazon EC2, l’offre de plateforme applicative du leader du cloud computing. Leur offre permet aussi de rapatrier le “cloud” chez soi, comme une chaîne de TV française serait en train de le faire. En adoptant les APIs Amazon, Ubuntu permet donc à un client d’Amazon de rappatrier son infrastructure en interne sans changer ses logiciels, en théorie.
Dans un graphe que je n’ai pas récupéré, la France serait “en bonne position” dans l’usage du cloud. Derrière le Canada et les Pays-Bas… ! La gloire !
Microsoft
Quel symbole d’avoir Microsoft comme troisième intervenant dans cette série de keynotes !
A commencer par Alfonso Castro, qui joue dans la filiale française, le rôle de passerelle avec le monde de l’open source. Microsoft est fidèle au Salon Solutions Linux avec une présence ininterrompue depuis sept ans.
Selon Alfonso, Microsoft soutient l’open source de quatre manières : par les produits, les standards, la documentation et la collaboration. Et de donner des exemples dans toutes ces dimensions. Côté standardisation, Microsoft participerait à 150 organismes dans le monde et supporterait plus de 10000 standards dans son offre (ca fait beaucoup…). La collaboration avec les concurrents relève surtout de la validation de l’interopérabilité entre les solutions open source et les plateformes Windows. Les logiciels libres courants qui tournent sous Linux sont ainsi disponibles sous Windows.
S’ensuivait une intervention un peu monocorde de Tom Hanrahan, Directeur de l’Open Source Technology Center de Microsoft Corp au siège de Redmond. C’est un ex Intel qui a travaillé sur un OS écrit en Ada, puis de Sequent Computer (qui faisat du mini SMP sur base Intel), racheté par IBM, puis de l’OSDL (Open Source Development Lab) devenu plus tard la Linux Foundation.
Il expose les différentes contributions de Microsoft au monde de l’open source avec notamment une contribution au code du noyau de Linux avec 20K lignes fournies, au niveau de drivers, et sous licence GPL2. Microsoft serait la 142ème entité contribuant à Linux, un rang pour l’instant bien modeste. L’éditeur fournit environ deux patches par mois et prévoit de doubler le rythme rapidement.
Alors, Microsoft soutient-il l’open source comme la corde soutient le pendu ? Si les deux présentations furent bien applaudies, notamment lors de la conclusion qui insistait sur le fait que ces évolutions étaient le résultat de la demande des clients, il convient évidemment d’adopter une lecture plus cynique de cette stratégie :
Philippe Montarges – Lien entre open source et innovation
Cet intervenant est Président de l’Open World Forum (une conférence internationale dont la prochaine édition a lieu à Paris en septembre/octobre 2010) et aussi d’Alter Way, une SSLL (société de services en logiciels libres) de 10m€ et 90 personnes.
L’objectif ? Faire le lien entre l’open source et l’innovation. Il commence par évoquer le principe de l’Open Innovation, promu par un professeur du MIT, Henri Chesbrough. Une méthode d’organisation de l’innovation des grandes entreprises tournée vers l’extérieur : partenariats avec laboratoires de recherche, liens avec des startups, politiques d’acquisitions, adoption ou création de standards, etc. Une approche qui fonctionne dans toutes les industries. Et qui mêne aussi à des solutions commerciales payantes comme à leur lot de brevets, logiciels ou pas.
Il pose plus de questions qu’il n’y répond finalement. En se demandant si le logiciel libre est le “générique du logiciel”, comme dans la pharmacie. La création de valeur se positionne en fait plus sur l’accessibilité (au logiciel) et dans les innovations au niveau du processus du développement logiciel (multi-intervenants, distribué, avec des facteurs de motivation divers, etc). C’est finalement une industrie de processus.
En guise d’innovation, les grandes nouveautés de l’open source correspondent bien à une généricisation des logiciels. On vient de le citer avec l’offre de cloud d’Ubuntu qui reprend les APIs d’Amazon EC2, c’est le cas également avec tous ces nouveaux pans des applications métiers qui sont investis par le libre : le CRM (SugarCRM), les ERP (OpenERP), les ETL (Talend, ETL = outils de transformation des données pour alimenter les bases de données), etc.
Il y a une exception de taille : l’univers de l’Internet où l’open source est à l’origine d’innovations puisque c’est un espace où les principaux logiciels d’infrastructure et de développement logiciel sont tous open source ! On peut ainsi dire (de manière certes ampoulée) que l’open-source est consubstantiel à l’ouverture et à la standardisation de l’Internet.
Bull et l’informatique responsable
Jean-Pierre Laisné est une personnalité connue de longue date dans l’open source français. Il est chez Bull depuis plus d’une demi-douzaine d’années après avoir créé Linbox, une société qui ambitionnait de distribuer des PC sous Linux et s’est transformé depuis en SSLL. Jean-Pierre est fier d’appartenir à une entreprise qui a renoué avec la croissance ! Mais il est aussi le président de l’OW2 (ObjectWeb), un grand méta-projet de middleware open source d’origine essentiellement française (INRIA, Bull, etc).
Il évoque l’importance d’une informatique responsable mais pour entrer tardivement dans le sujet par rapport au libre, après un long propos liminaire sur la “responsabilité sociale et environnementale” des entreprises.
Stands du salon
Ma petite visite permettait de prendre la température de ce milieu…
Il manque à ce petit tour d’horizon de l’open source entrevu lors de Solutions Linux un grand succès, un échec relatif, et une déception pour l’open source :
Les succès de l’open source dans l’embarqué
Le grand succès de l’open source, c’est clairement sa prédominance dans le marché des systèmes embarqués. Rares sont les set-top-boxes de la télévision numérique qui ne tournent pas sous Linux. Que ce soit la Freebox, le Cube de Canal+ ou autres LiveBox, toutes sont sous Linux et exploitent un grand nombre de “stacks” (briques) open source. Le tout étant cependant intégré dans des produits boite noire fermés.
L’open source a également investi le marché des mobiles. Que ce soit avec Android dont la montée en puissance en fait l’un des principaux concurrents émergents de l’iPhone dans les smartphones, ou bien même avec Symbian, qui a mué de logiciel propriétaire en open source. L’open source est parfaitement adapté à un marché industriel où de grands acteurs construisent leur solution sur des briques open source en les maitrisant de bout en bout.
Cela reste malgré tout un marché hybride ou se mêlent des briques open source et propriétaires pour constituer des offres plutôt “boite noire”.
L’échec relatif sur le poste de travail
Tout du moins dans les pays occidentaux ! Après un départ tonitruant (de Linux) en 2007, les netbooks sont maintenant à forte dominante Windows, surtout depuis que Windows 7 fonctionne parfaitement avec les processeurs Atom. Par contre, à l’échelle mondiale, près de 30% des netbooks seraient sous Linux.
La part de marché de Linux sur les postes de travail n’a pas l’air d’augmenter significativement (située entre 1% et 2% en unités de la base installée, à l’échelle mondiale), et comparativement, le Macintosh fait plus de progrès (entre 3% et 5% en unités en shipments à l’échelle mondiale).
On a toujours beau jeu d’accuser les ventes liées de Windows dans les PC, un obstacle business non négligeable. Mais les spécificités de Linux restent un frein à son développement dans le grand public sous la forme d’OS pour PC, ce malgré les efforts et la prise de part de marché d’Ubuntu au sein des distributions Linux. OpenOffice de son côté continue son petit bonhomme de chemin, mais le noyau dur de ses développeurs a tendance à s’effriter, notamment chez Sun et l’inconnue subsiste après le rachat de ce dernier par Oracle (tout comme pour MySQL qui tombe également dans l’escarcelle du leader des bases de données… commerciales). Si on en trouve deci delà dans certains comptes publics voire privés, ce n’est pas la gloire.
Illustration du phénomène : la presse écrite autour des logiciels libres qui reste dominée par des mensuels destinés aux “geeks”. Et une rare exception destinée aux utilisateurs lambda : Linux Pratique.
Le plus grand succès de l’open source sur le poste de travail reste certainement Firefox qui a grignoté les parts de marché d’Internet Explorer au delà de toute espérance et même bien plus que ce permettent les nouvelles mesures imposées à Microsoft par la Commission Européenne. On peut aussi citer VLC, le logiciel de l’association Videolan, un standard pour toute forme de visualisation de vidéo. Finalement, à l’inverse de l’entreprise, les logiciels open source rentrent dans le grand public par les “couches hautes” plus que par l’infrastructure.
L’impact sur l’industrie française du logiciel
Le modèle collaboratif et économique de l’open source a souvent été mis en avant comme une opportunité de rendre l’Europe et la France plus indépendante des américains, et surtout une opportunité de différentiation économique. Résultat après plus de 10 ans d’efforts : les leaders du marché sont en majorité américains ou étrangers, et bien peu sont français, à fortiori, avec un business model viable.
Malédiction de l’open source ? Invalidation de ce modèle de développement ? Pas vraiment car à l’échelle mondiale, il fonctionne plutôt bien pour un nombre croissant de catégories de logiciels comme nous l’avons vu dans les couches applicatives des logiciels d’entreprises.
C’est plutôt un phénomène qui affecte déjà les éditeurs de logiciels commerciaux français et européens et aussi dans l’Internet : la difficulté à bénéficier d’un “first mover advantage” et d’exporter, et surtout de s’implanter sur le marché américain qui structure tous les autres, en particulier dans le “btob”. Les éditeurs open source ne sont pas aidés car souvent créés par des entrepreneurs plus “geeks” que la moyenne, et donc avec un profil moins “business” (commercial, marketing).
On a quelques bons exemples de logiciels open source français qui ont bien réussi à l’échelle mondiale grâce à une implantation aux USA : JBOSS (racheté par Red Hat) et plus récemment, Talend qui semble bien décoller. En Europe, il y a notamment MySQL (digéré à bon compte par Sun puis Oracle) ainsi que Alfresco (UK).
A l’instar du reste de son économie du logiciel, l’open source en France est donc surtout un métier de services, dans la lignée d’un existant marqué par le poids de ce secteur de l’industrie informatique locale.
Il y-a-t-il eu création de valeur d’un point de vue macro-économique ? L’équilibre est délicat à mesurer mais semble tout de même positif.
Maintenant, pour les entreprises, open source ou pas, la bataille critique s’est déplacée vers le Saas et le cloud computing. Elle reproduit des schémas anciens avec des infrastructures bâties soit sur des briques open sources (LAMP et autres) ou bien propriétaires (soit au niveau des APIs comme chez Amazon, soit au niveau plateforme comme avec Microsoft Azure).
Il n’est ainsi pas étonnant de retrouver une initiative d’infrastructure de cloud computing dans les projets numériques qui seront soutenus dans le cadre du grand emprunt. Mais là encore, si l’approche est trop locale et trop technique, il adviendra ce qu’il est advenu aux éditeurs de logiciels français du libre : une marginalisation. Le défi des porteurs de ce grand projet est de bien s’armer pour éviter cette fatalité.
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