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Le feedback aux entrepreneurs qui vont dans le mur

Post de Olivier Ezratty du 11 mai 2010 - Tags : Entrepreneuriat,Internet,Logiciels,Startups | 11 Comments

Dans l’écosystème des startups, il n’est pas rare de rencontrer des entrepreneurs qui vous demandent votre avis sur leur projet de manière informelle, très en amont du cycle de création et de financement.

On se retrouve en général face à trois principaux cas de figure :

  • Le projet enthousiasmant qui a l’air bien ficelé et bâti sur une idée nouvelle qui va apporter quelque chose au marché.
  • Le projet intéressant mais sans plus car un peu trop “me-too” mais pas infaisable.
  • Le projet qui a l’air d’aller dans le mur soit du fait de l’équipe, soit du fait de l’idée elle-même, soit les deux.

Comment donner un feedback constructif dans ce dernier cas ? Surtout lorsque l’on a l’être l’impression d’être la première personne un peu critique que l’entrepreneur rencontre dans sa quête de feedback ?

Audience

On est souvent partagé entre le souhait de ne pas décourager les envies d’entreprendre, notamment chez les jeunes, la peur (du ridicule) de se tromper et de laisser passer une bonne idée que l’on aurait mal analysée, et puis l’envie d’éviter un échec flagrant à l’entrepreneur. Presque un cas de conscience ! Surtout lorsque le nombre de variables à changer dans le projet semble trop important pour le mettre sur de bons rails : une équipe sous-dimensionnée sans compter le cas de l’entrepreneur isolé, un produit qui ne répond pas à un besoin bien clair, une solution me-too qui n’apporte par grand chose à l’état de l’art, une capacité d’exécution en apparence très faible ou nécessitant des moyens énormes au delà de ce que l’on peut trouver comme financement en France, un marché trop étroit, un business model impossible qui néglige des coûts importants, ou au contraire basé sur une illusoire publicité en ligne, etc.

Et si on se trompait ? Si on peut facilement se tromper sur la valeur d’une idée et sur l’appétence du marché pour une innovation, c’est plus rare sur la capacité d’exécution d’une équipe. Il s’agit d’avoir un peu de discernement, basé sur l’expérience acquise dans l’industrie et dans l’environnement des startups. Il faut en tout cas savoir convenablement étayer une intuition avec des faits, des données, des analogies, des retours d’expérience.

Ceux qui vont “dans le mur” sont eux-mêmes souvent dans trois cas de figure typiques :

  • De jeunes entrepreneurs en herbe. Jeunes, ce qui est une bonne chose pour la dynamique d’une économie. La motivation d’entreprendre est croissante notamment dans les écoles de commerce et les écoles d’ingénieur. Autant par rejet de la  grande entreprise qui attire moins du fait d’une image sérieusement écornée (un effet collatéral des suicides chez France Télécom) que par véritable attirance pour l’entreprenariat. En tout cas, nombre de jeunes qui se lancent sont trop peu formés et faiblement accompagnés. Ils manquent souvent d’un réseau suffisamment dense pour se faire aider. Ce cas de figure est assez fréquent chez les candidats de la Startup Academy.
  • Les “inventeurs” de tous âges qui pensent avoir une idée valant de l’or, mais oubliant que la capacité à l’exécuter reste l’élément clé pour cette créer cette valeur. Ces inventeurs peuvent être solitaires, dotés d’une écoute moyenne, et ont du mal à bien s’entourer. Ils privilégient le plus souvent la technique sur les autres disciplines nécessaires à la réussite d’une startup. Qui plus est, ils sont aussi très soucieux de préserver leur idée, ce qui confine facilement à la paranoïa. Paranoïa qui va compliquer la tâche de recherche d’associés, de partenaires et de financements.
  • Les anciens cadres de grandes entreprises qui négligent les caractéristiques clés d’une startup comme l’absence de notoriété et les difficultés à percer dans les entreprises (pour le btob) quand on part de zéro. Ces équipes vont plus pêcher dans les aspects quantitatifs de leur business plan que dans l’idée et la création de la solution.

Vous me direz bien entendu qu’on trouve aussi pléthore de projets qui vont dans le mur parmi les startups très bien financées à hauteur de millions d’Euros par le capital risque. Si c’est fort possible, c’est toutefois moins fréquent que dans les cas précédents.

J’ai aussi constaté que les entrepreneurs mal entourés recevaient de faux signaux positifs sur leur projet. Il y a d’abord l’avis généralement positif de l’environnement proche de l’entrepreneur (famille, amis, collègues). Il y a aussi ces investisseurs “TEPA” égarés qui sont prêts à investir dans leur projet plus par volonté de réduire leur obole ISF à l’Etat que par conviction de faire un bon investissement. Il faut donc savoir se méfier du feedback de l’entourage de l’entrepreneur et parfois même de ses premiers clients qui font souvent partie de son réseau immédiat et ne sont donc pas représentatifs du reste du marché visé par la startup.

Receiving and Giving Effective Feedback

Si on est franc du collier, on peut donner un feedback construit à l’entrepreneur pour lui expliquer les points faibles de son projet. Le mieux étant d’avoir une conversation franche avec lui ou elle. Là intervient un moment clé : l’entrepreneur écoute-t-il et tient-il compte des avertissements ? A-t-il du répondant ? Si oui, c’est un bon signe pour la suite et pour sa capacité d’adaptation. Où alors il fait un “push-back” sans nuance démontrant une faible capacité d’écoute, génératrice d’échec par la suite.

Le cas de l’entrepreneur qui va dans le mur est intéressant car il n’est pas rare. C’est même la dominante ! La grande masse des entrepreneurs n’arrive pas à faire décoller leur startup. C’est une des grandes lois de l’innovation : parmi l’étendue du possible, seul un nombre limité d’entre elles percent sur le marché en combinant une rare association de besoin latent, de solution à ce besoin, de conditions de marché, d’effets de levier, d’équipe et de qualité d’exécution. Et puis, l’échec a une grande valeur. Il est utile si on apprend vite et qu’il ne coute pas trop cher (aux USA, les succès comme les échecs sont mieux financés…). Dans divers comités de sélection de startups, on croise ainsi fréquemment des “serial entrepreneurs” qui ont raté une ou deux startups avant de se lancer dans la troisième, qui aura peut-être des chances d’aboutir. L’échec est malgré tout tabou, surtout en France. Il est alors éclipsé dans la présentation du parcours des entrepreneurs. Une startup revendue peut ainsi cacher un échec, surtout si le montant de la revente n’est pas précisé ! En France et dans le logiciel et l’Internet, on constate aussi de fréquentes reconversions des projets vers des activités de conseil et de service. Rien ne se perd, tout se recycle !

L’écosystème d’accompagnement des startups est heureusement là pour limiter les échecs. Les efforts associatifs (France Initiative, Réseau Entreprendre, etc), les réseaux de business angels, les incubateurs dans les écoles, universités et collectivités locales apportent un premier feedback structuré aux entrepreneurs en herbe. Le jeune entrepreneur aura tout à gagner à faire appel à ces diverses structures pour collecter des avis de professionnels expérimentés sur leur projet. Là aussi, il leur faudra faire preuve de discernement car on trouve aussi à boire et à manger dans ces réseaux.

Et vous, avez-vous rencontré ce genre de situation, autant comme entrepreneur que comme personne sollicitée par un entrepreneur ? Comment l’avez-vous gérée ?

RRR

 
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