Apple peut-il réussir dans la TV ?
Post de Olivier Ezratty du 25 août 2010 - Tags : Apple,Digital media,France,Google,Internet,Microsoft,TV et vidéo | 15 Comments
Nous sommes en pleine période de préannonce contrôlée (ou pas) du remplaçant de la décevante Apple TV (ci-dessous). Après avoir déclaré en 2007 que ce produit relevait du “hobby” tant qu’il n’avait pas trouvé de modèle économique adéquat, Steve Jobs serait-il en train de retenter une entrée dans le marché de la set-top-box ? Cela deviendrait intéressant !
Il semblerait cette fois-ci que cela soit sérieux (cf Un tel prix fait penser au business des consoles de jeu : vente presque à perte du matériel pour faire sa marge sur les contenus et sur un % des contenus tiers.
Alors, Apple peut-il réussir dans ce marché fragmenté de la set-top-box là où il a auparavant échoué ? Peut-il comme pour l’iPad créer un produit tellement bien construit qu’il va donner vie à une nouvelle catégorie de produit qui peine à émerger, celle des set-top-box dites “over the top” permettant d’accéder à des contenus télévisuels et vidéo via Internet et indépendamment de son opérateur de tuyau ? Avec une bataille Homérique en perspective, face à Google qui jouerait le rôle de Microsoft, intégrant son logiciel et une partie de ses services dans des matériels tierce-parties, les TV et set-top-boxes. La bataille du PC vs le Mac reproduite sur un nouveau marché ?
Pas évident et nous allons voir pourquoi.
Lors des deux derniers Consumer Electronics Show, j’avais évoqué le cas de ces nombreux boitiers “média center” connectant les TV à différents services Internet. Il y avait notamment ces offres intéressantes de Netgear accédant à Netflix, aux chaines TV streamées, à YouTube et tout le toutim. L’offre est pléthorique. Il y a aussi les Boxee qui ont bien fait parler d’elles. Entre temps, le marché ne décolle pas vraiment, et en particulier en Europe. Et même auprès de la population la plus à même d’adopter ces solutions : l’emblématique génération Y.
Les obstacles
Il y a au moins trois raisons qui expliquent la lente émergence de ces solutions et qui feront aussi obtacle à Apple :
Et je passe sur les aspects de qualité de service, sur le poids des infrastructures serveur ou sur les négociations avec les opérateurs télécom en plein débat sur la neutralité des réseaux.
Les contournements
La question est donc de savoir comment Apple peut-il contourner ces différents obstacles.
Reprenons nos trois points :
Apple est face à l’écosystème particulier de la télévision, qui est assez fermé et qui a tendance à même ralentir les progrès technologiques pour protéger les revenus des uns et des autres, notamment les chaînes TV et leur publicité. Avec iTunes, la négociation des droits sur les contenus a été relativement simple pour Apple. Il était le premier acteur sérieux sur le marché et il lui suffisait de convaincre les cinq majors de la musique pour couvrir plus de 80% de l’offre mondiale, enfin, dans les pays occidentaux. Ce n’est pas possible dans la télévision ! Il leur faudra signer des accords par pays et avec en général, plusieurs intervenants par pays. Et des intervenants qui ne vont pas forcément accepter les conditions d’Apple. Ni accepter toute solution logicielle qui mettrait en danger d’une manière ou d’une autre leurs revenus publicitaires. Ce n’est pas infaisable, c’est juste une course d’obstacle avec des haies bien plus nombreuses et aussi beaucoup plus hautes.
Pour le haut débit, Apple peut juste patienter ou bien cibler son offre sur ces audiences cibles susceptibles d’être déjà bien connectées. Le débit moyen accessible dans les foyers ne fait qu’augmenter. Il est déjà supérieur à 5 mbits/s en France. Ce qui veut dire que le marché est découpable en gros en trois tiers en France : un tiers avec du haut débit suffisant pour la TV, un tiers avec du haut débit insuffisant pour la TV, et un tiers sans Internet – qui n’intéresse probablement pas Apple. Les produits d’Apple sont surtout adoptés dans les villes, chez les jeunes et les CSP+. Il semble qu’Apple devra en tout cas s’attaquer à la “génération Y”, celle qui consomme moins de TV traditionnelle (quoi qu’en disent les études de marché et autres baromètres). On le verra au positionnement de l’engin ! Apple se contenterait bien à l’échelle mondiale d’une modeste part du gâteau de la TV à la demande dans un marché rebeloté. Il nous a donné l’habitude de créer un business profitable dans une approche intégrée verticalement et sans pour autant devenir dominant dans quelque domaine que ce soit.
Pour ce qui est de la base installée, Apple peut aussi la différence avec l’expérience utilisateur et là tout reste à faire et à repenser. Notamment en intégrant mieux l’expérience télévisuelle dans l’ensemble des écrans fixes et mobiles du foyer. Et puis, Apple peut aussi éclipser toutes les autres solutions du marché avec un “application store TV” ressemblant à celui de l’iPhone. En tenant compte de ce que cette fin d’année 2010 et puis 2011 vont être très riches en évolutions de ce côté là. Rien qu’en France, Free, SFR puis Orange vont introduire leurs nouvelles set-top-box TV avec de sérieuses avancées côté interface et services connectés ! Et l’IBC devrait voir arriver des évolutions chez les fournisseurs de middleware tels que NDS. Enfin, Apple pourra mettre en évidence un équilibre économique profitable au consommateur. Il est clair qu’à niveaux de qualité d’image et de son équivalents, payer son épisode de série TV $1 ou 1€ peut à la longue être plus intéressant qu’un abonnement à de la TV payante type Canal+ ou un bouquet type CanalSat. Tout du moins pour ce qui est des contenus dits “premium” (genre les séries que l’on a en première diffusion que sur les chaînes payantes comme Canal+).
Bref, Apple sera certes attendu les bras ouverts par ses aficionados habituels, mais réussir dans ce marché compliqué et verrouillé qu’est la télévision ne sera pas une sinécure. Microsoft s’y est plus ou moins cassé les dents. Google s’apprête à user les siennes. Apple retenterait donc le coup.
Dans une interview publiée dans les Cahiers de l’ARCEP de mai/juin 2010, Xavier Niel de Free déclarait :
“D’ici 15 à 20 ans, ces équipements auront fait disparaître le concept de box du marché français et il est vraisemblable que la télévision devienne un bien de consommation quasi « jetable […] Sur le fixe comme sur le mobile, la révolution viendra de ceux qui seront capables d’inventer des terminaux disruptifs comme l’iPhone, et de les vendre directement sans passer par l’opérateur, tout en se faisant rémunérer pour reprendre une petite marge sur la vente de l’abonnement.”
Une lucidité qui interpelle. C’est peut-être inéluctable, mais cela arrivera bien lentement dans le meilleur des cas !
Voilà pour les conjectures. Attendons maintenant patiemment l’annonce en tant que telle pour voire de quoi il en retourne concrètement. Si Apple réussit son lancement, cela fera deux catégories de produits créées en un an ! Un palmarès permettant d’enrichir les études de cas dans les écoles de commerce et autres MBAs…
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(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net