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L’impression 3D en couleur

Post de Olivier Ezratty du 4 avril 2009 - Tags : Innovation,Technologie | 17 Comments

Voici un petit interlude technologique après tous ces articles traitant de la politique de l’innovation ! En plus, au lieu de gamberger sur l’immatériel, nous allons traiter de la rematérialisation !

Dans mon dernier rapport de visite du Consumer Electronics Show 2009, j’avais consacré deux pages aux solutions d’impression 3D (pages 135 et 136 du PDF) . J’y décrivais trois imprimantes “3D” sorties dans le courant de l’année 2008 ou sur le point de sortir et qui visaient à faire descendre le prix de ce genre de technologie destinée au prototypage d’objets pour l’industrie et la recherche :

  • Desktop Factory qui cible un prix inférieur à $1000 sachant que leur premier modèle n’est toutefois pas encore commercialisé et qu’il démarrera plutôt dans les $5K. Son imprimante utilise une fibre plastique blanche déposée en couches. Elle peut-être ensuite peinte et/ou vernie. J’avais pu prendre en main des pièces produites lors de Capital Week en 2008 et leur aspect fibreux les destinaient clairement au prototypage.
  • Alaris 30 Desktop 3D Printer de l’israélien Objet qui utilise le “PolyJet Photopolymer Jetting” avec une résolution de 600dpi. Les résines utilisées peuvent être opaques, transparentes et même souples, ce qui apporte une plus grande flexibilité pour le prototypage que la Desktop Factory.
  • Mcor Matrix qui utilise du papier A4 et une colle spéciale ! Intéressante. Les pièces ainsi fabriquées ne sont pas bien solides mais le consommable est très bon marché.

Il se trouve que j’ai découvert récemment un peu par hazard qu’il existait un solution d’impression 3D en couleur à base de jet d’encre. Par le truchement de la société 3D Avenir que j’ai rencontré lors d’une intervention sur les technologies de la haute définition vidéo et photo chez un client. La société distribue les imprimantes 3D couleur de l’américain Z Corporation, visiblement uniques en leur genre. Elle existe depuis 1994 et emploie 160 personnes. Elle a été lancée au départ sur des travaux de recherche du MIT et commercialisé sa première imprimante 3D couleur en 2000. En 2005, ses imprimantes 3D couleur devenaient haute définition (avec la Z510), supportant 600 dpi dans toutes les directions et sur un format pouvant atteindre 25x35x20cm.

Ces imprimantes “3D couleur” permettent de réaliser des prototypes de pièces en couleur dans la masse. C’est tout bonnement extraordinaire si l’on n’y est pas habitué et je voulais partager cela avec vous. Le monde de la rematérialisation des objets numériques est assez fascinant !

Comment ça marche

Z Corp produit plusieurs modèles d’imprimantes. Ce sont de grosse babasses qui font plus de un mètre de large, comme ci-dessous.

ZCorpPrinter

Leur principe de fonctionnement est le suivant (vidéo explicative ici) :

  • Cela commence avec une panoplie logicielle qui récupère des modèles 3D provenant des principaux logiciels de CAO du marché comme AutoCAD, CATIA, 3ds MAX et SolidWorks. Ces logiciels vérifient que les modèles sont bien imprimables, permettent d’y ajouter des marques et ensuite de piloter les imprimantes 3D.
  • Un plateau dans un bac est recouvert d’une couche d’un dixième de millimètre de poudre très fine. Une racleuse de précision s’assure que la couche est bien aplanie.

ZCorp Process 1

  • Une imprimante à jet d’encre imprime une couche en couleur sur cette poudre. Elle correspond à une coupe du ou des objets à imprimer. L’impression utilise cinq têtes à jet d’encre pour les couleurs primaires soustractives (cyan, magenta, jaune, noir) ainsi que pour la transparence, le tout en 24 bits donc avec une gradation parfaite des couleurs. La partie de la poudre non imprimée reste en place autour de la couche du modèle, maintenant les objets en cours de création et sans nécessiter d’attaches ou de points d’appui.

ZCorp Process 2

  • Le plateau descend ensuite d’un dixième de millimètre et est à nouveau recouvert d’une couche de poudre, et l’impression de la couche suivante peut alors intervenir. Le processus prend plusieurs heures à raison de une à deux heures par centimètre de hauteur. Un centimètre équivaut à une centaine de passages soit donc un peu moins d’une minute par couche.
  • A la fin de l’impression, la poudre qui n’est pas imprimée mais est restée compacte, est enlevée des pièces imprimées par simple aspiration et nettoyage avec un pistolet à air comprimé. La poudre évacuée est recyclée pour être réutilisée à la prochaine impression.

Selon la poudre qui est utilisée, les pièces résultantes sont soit des prototypes solide classiques, soit souples (comme avec un élastomère), soit des moules résistants à la température pour de la fonderie de métaux non ferreux comme l’aluminium.

La récente Z-Printer 650 produit des modèles allant jusqu’à 25x38x20cm ce qui permet de prototyper des objets de belle dimension. Sachant qu’une impression peut fabriquer plusieurs pièces simultanément, qui auront été arrangées virtuellement, puis réellement, dans le bac d’impression.

Le résultat est impressionnant de réalisme. Voici un premier exemple d’objet ainsi imprimé en 3D. Il n’est évidemment pas fonctionnel mais mécaniquement et physiquement ressemblant au produit fini. J’ai pu le manipuler et il avait été imprimé dans la masse. Il aurait pu être imprimé avec uniquement une coque. Dans ce cas, il aurait fallu y intégrer un petit trou qui aurait servi à évacuer la poudre à l’intérieur de la coque.

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Voici un autre exemple, sachant qu’il n’a pas été imprimé avec chaque pièce détachée à part, mais – si j’ai bien compris – directement monté, la résolution étant suffisante pour bien séparer les pièces mécaniques de cet assemblage qui est donc fonctionnel et dont on pourra tester la cinématique complète. On peut aussi imprimer des coupes explicatives du fonctionnement interne d’objets complexes.

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Et un autre exemple pour de l’architecture qui montre bien l’intérêt de cette technologie. Aucune autre solution ne permet de créer ce genre de modèle aussi rapidement. Avec une imprimante “monochrome”, il faudrait faire peindre le modèle et le résultat serait à la fois plus long à obtenir et certainement bien moins propre.

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Les applications sont multiples. A commencer bien entendu par le prototypage de pièces mécaniques et d’objets divers, comme des chaussures Reebok souples. Mais aussi dans la santé pour créer des modèles 3D d’organes à opérer pour les chirurgiens avec os, vaisseaux et nerfs en couleur. L’imprimante permet aussi de créer des pièces impossibles à fabriquer de manière industrielle avec des enchevètrements mécaniques tordus.

La poudre utilisée dans le processus d’impression est confinée dans l’enceinte de l’imprimante, y compris lors du processus de dégagement de celle qui n’est pas utilisée à la fin de l’impression. L’histoire ne dit pas si cette poudre ultra fine présente des risques pour la santé des opérateurs, même protégés, de cette machine.

Ce que cela coute

Les imprimantes 3D couleur de Z corp sont au dessus des gammes de prix des imprimantes 3D monochrome évoquées dans le rapport CES. Elles se situent entre 18K€ et 52K€ selon les modèles qui se distinguent par la taille des objets que l’on peut créer. Le consommable est relativement abordable, un prototype pouvant revenir à quelques centaines d’Euros maximum à raison de 20 centimes d’Euros par centimètre cube.

Z Corp n’a pas la prétention à créer une solution pour le grand public comme Desktop Factory. Mais dans ses usages professionnels, la solution semble très compétitive pour les industriels concernés.

Scanner 3D

Z Corp conçoit et fabrique également un curieux scanner 3D à main à base de lasers qui permet de scanner toute sorte d’objet 3D et de l’injecter dans les logiciels. Il complète l’offre d’imprimantes 3D couleur. Le scanner utilise des pastilles réfléchissantes qui sont placées sur l’objet à scanner pour servir de repères. Il fonctionne de concert avec un PC sous Windows auquel il est connecté via une liaison Firewire. L’un des scanners fonctionne avec une résolution de 50 microns (0,05 mm). Ce scanner permet de capter des objets existants pour les modéliser, les modifier ensuite, et évidemment, les rematérialiser alors avec l’imprimante 3D couleur de la même marque.

Z Scanner 700

Tout cela fait un peu “Star-Trek” car on n’est pas loin de la télétransportation d’objets !

D’autres solutions d’impression 3D

Il semble qu’il n’existe pas d’équivalent sur le marché en impression 3D couleur – à base de jet d’encre ou pas. Mais il existe des solutions professionnelles lourdes originales que voici pour l’impression 3D monochrome.

FDM900mc

Chez l’américain Stratasys, on trouve les Fortus, des imprimantes 3D qui se distinguent des trois premières présentées au début de cet article : elles utilisent un dépot de plastique en fusion (thermoplastique) et peuvent créer des prototypes de pièces mécaniques en plastique d’une solidité et d’une précision (0,025mm) qui semblent meilleures que toutes les autres imprimantes 3D ici présentées. Les plastiques peuvent être en couleur, mais une seule couleur à la fois par modèle. L’imprimante peut aussi servir à créer des pièces de production en petits volumes, évitant la fabrication couteuse de moules. On appelle cela le “DDM” pour Direct Digital Manufacturing. Leur volume peut aller jusqu’à 91x61x91cm). Il faut dire que le plus gros modèle d’imprimante fait 2,7 mètres de long et que plusieurs dizaines petites pièces mécaniques peuvent être imprimées simultanément.

BrakeCalipersOutlined PC_large

Il existe aussi des techniques de stéréolithographie (SLA) comme chez 3D Systems qui utilise un laser, dans l’ultra-violet, pour polymériser un plastique liquide, couche par couche. Là encore, cela permet de produire des pièces de série en quantité moyenne. Sachant qu’il est aussi possible comme pour les machines de Z Corp de produire plusieurs pièces d’un coup.

EosInt-M270

Enfin, citons les imprimantes d’objets métalliques qui utilisent un laser pour faire fusionner une poudre de métal couche par couche dans un procédé que l’on peut comparer à celui de Z Corp : la poudre de métal est fusionnée par la chaleur du rayon laser alors qu’avec Z Corp, une poudre inerte est imprimée avec de l’encre qui colle la poudre. La technologie s’appelle le Direct Metal Laser-Sintering (DMLS) et on la trouve notamment chez e-Manufacturing Solutions (l’EOSINT M 270 ci-dessus), un constructeur allemand.

Boite de vitesse

Le métal utilisé peut être de l’acier, du titane ou des alliages divers selon les applications. Comme pour les Fortus, ces machines peuvent servir à produire des pièces industrielles ou sur mesure en quantité limitée (exemple de carter de boite de vitesse ci-dessus). Elle concurrencent les procédés classiques d’usinage à commande numérique par enlèvement de matière qui ne permettent pas de fabriquer toutes les pièces d’un seul tenant. La technologie à base de fusion par laser présente en fait quatre applications proposées par ce constructeur : la création de pièces métalliques, la création de pièces en plastique, et la création de moules en sable pour la fonderie et enfin, de moules en métal pour la production de pièces de plastique en série. On peut les utiliser pour créer des prothèses métalliques sur mesure (exemple de prothèse du genoux ci-dessous).

Protese genoux

Il s’est vendu 700 machines de ce type dans le monde à ce jour selon son constructeur. On est évidement très très loin du grand public et même des applications industrielles à grande échelle.

Dans le paquet, je n’ai pas identifié de constructeur français. La machine outil n’a jamais été notre fort en France…

Applications grand public ?

Pourra-t-on un jour commander nos objets du quotidien sur Internet, les personnaliser puis les fabriquer chez soi, voire dans un commerce de proximité ? Cela pourrait sûrement réduire les coûts de transport et de stockage. Si cela n’est pas évident pour des objets produits par assemblage de pièces de caractéristiques différentes et de matériaux différents (plastique, métal, électronique), cette application pourrait voir le jour avec des objets plus simples comme les figurines dans les jeux, mais aussi pour la création de coques ou accessoires visibles personnalisés pour des objets grand public (mobiles, laptops, etc). La technologie de Z Corp pourrait faire l’affaire en divisant son prix par plus de dix. On en est loin, mais c’est à surveiller de près !

RRR

 
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