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Le retour discret du moteur à eau

Post de Olivier Ezratty du 21 juin 2009 - Tags : France,Innovation,Startups,Technologie | 27 Comments

A Perpignan, vendredi 12 juiin 2009, lors du Forum d’investissement du pôle de compétitivité des énergies nouvelles DERBI organisé par Martech & Finance avait lieu la présentation de projets à destination d’investisseurs potentiels. Un peu comme à Capital Week qui a lieu chaque année à Paris en avril.

Parmi ces projets, celui d’un moteur hybride fonctionnant à l’essence et à l’eau et permettant à la fois d’améliorer significativement le rendement des moteurs à explosion et de moins polluer. Un projet à la recherche d’investisseurs, 150K€, … pour sauver la planète !

Allons donc !

Quelle position adopter face à ce genre d’innovation ? Dénoncer une arnaque ? Où s’émerveiller devant ses potentialités et faire siennes les théories du complot qui empêchent des inventeurs incompris de populariser leur création, notamment ceux qui mettraient en danger le business des compagnies pétrolières ? Ou bien s’agit-il plus prosaïquement d’une “invention” qui reprend des techniques existantes et améliore seulement marginalement l’efficacité des moteurs et leur impact environnemental, d’où le fait qu’elles ne soient pas mises en pratique à grande échelle ? Je me suis mis à osciller entre les trois au gré des informations glanées sur le procédé utilisé par l’inventeur et sur l’historique des moteurs qui utilisent l’eau comme “booster”. Mais cela penche sérieusement pour l’arnaque.

Enquêtons un peu. Nous allons voir une fois de plus l’utilité d’Internet pour mener ses investigations et l’intérêt de l’UGC. Mais aussi le besoin de relativiser certaines sources d’information comme de faux blogs créés par les entreprises qui proposent ces technologies douteuses.

Le teasing du procédé

Commençons par l’invitation à l’événement de Perpignan qui laissait plus que songeur sur la présentation de ce procédé révolutionnaire, la société ne dévoilant pas son identité. Jugez-en par vous-mêmes, sachant qu’en rouge se trouvent les affirmations qui induisent une certaine méfiance :

“Depuis de nombreuses années, l’énergie constituait dans notre société occidentale une réelle dépendance, notamment vis-à-vis de ressources pétrolières, dont la fin annoncée permettait de renforcer progressivement son coût à mesure qu’elle se raréfiait. Plus récemment, nous avons découvert comment cette énergie fossile, par le biais du dégagement de gaz à effet de serre, constituait une menace directe pour la planète, induisant un réchauffement climatique incompatible avec les enjeux écologiques d’une terre qui doit pouvoir faire cohabiter 9 Milliards de personnes à l’horizon 2030. Malgré plusieurs appels de détresse de leaders d’opinion reconnus (Al Gore, Nicolas Hulot…), les sociétés occidentales, dans l’impasse, continuent de produire des véhicules et des machines énergétivores, sans véritablement remettre en cause l’équation énergétique de départ. Les enjeux identifiés et les objectifs de Kyoto passent à l’as.

Notre société, SAS de droit français, apporte une solution radicale à ce problème, en proposant, sous forme de générateurs autonomes, ou de kit à monter sur des moteurs existants, une solution révolutionnaire. Nous transformons l’eau en une source d’énergie totalement propre. Techniquement, la molécule d’eau est " crackée " en hydrogène et en oxygène dans une sorte de chambre de " crackage " brevetée, à l’entrée habituelle du mélange air-essence d’un moteur à explosion classique. De sorte qu’est consumé dans le moteur à explosion l’hydrogène, et évacué du pot d’échappement seulement de l’oxygène. Que ce soit de l’eau pure, des eaux usées, de l’urine, de l’eau issue de déchets végétaux ou plus généralement de liquides aqueux, le moteur fonctionne.

Mais cette technologie s’applique aussi bien aux moteurs à essence qu’aux moteurs diesel. Elle concerne les véhicules à moteur (véhicules de tourisme, utilitaires, poids lourds), les transports collectifs tels qu’autocars, les bateaux (chalutiers, péniches, loisirs), les générateurs d’énergie (Groupes électrogènes de 1 Kw à 100 Kw).

Un premier groupe électrogène, d’une puissance de 2 600 w est commercialisé au tarif HT de 1 500 €. C’est en même temps un démonstrateur et probablement un futur " collector ". Il a été présenté devant la presse présente le 4 juin 2009.

Cette technologie est 100 % française. Elle fait l’objet d’un brevet qui sera étendue par PCT, dans les délais légaux aux différents pays futurs utilisateurs de la technologie. Les premières commandes sont déjà enregistrées à ce jour en provenance de plusieurs pays. La révolution de l’énergie extraite de l’eau est désormais en marche.”

La présentation du procédé

Là dessus, la présentation a lieu à Perpignan.

Je suis mis en contact ensuite avec l’équipe de Martech qui organisait l’événement. Je leur indique que ce procédé a tout l’air de reprendre la technique contestée du “Pantone” (voir plus loin). On me répond : le créateur a indiqué qu’il ne s’agissait pas du procédé Pantone. 

On m’indique que la démonstration était époustouflante. Que le groupe électrogène démontré fonctionnait bien avec une alimentation d’essence d’un côté et d’eau de l’autre. Jusque là pourquoi pas. Sauf que… le moteur continuait de tourner pendant plusieurs minutes alors que l’arrivée d’essence avait été coupée.

Là, on se rapproche des performances d’Uri Geller, le spécialiste du paranormal des années 70, en fait simple magicien, qui tordait les cuillères du regard !

Les informations sur la société Miraclean

Je me fais transmettre alors la fiche descriptive de la société ainsi que la fiche produit du groupe électrogène commercialisé par Miraclean (ci-dessous).

Miraclean Fiche Societe

Miraclean Fiche Technique

Il n’y a pas beaucoup plus d’informations sur le procédé, toujours miraculeux et sans fondements scientifiques expliqués. Mais on a au moins l’identité du créateur de la société, un certain Bruno Robert, ce qui permet d’enquêter un peu.

L’enquête sur Internet 

En googleizant le Bruno Robert de Miraclean, on tombe sur quelques informations qui permettent d’en savoir un peu plus sur le contexte de cette “invention“.

Le créateur

La biographie du créateur révèle un personnage au passé chaotique, plutôt dans le domaine de la santé, et avec une affaire de vol de brevet à l’encontre du professeur Montagnier, celui qui avec son équipe avait découvert le Sida. Un brevet qui d’ailleurs mériterait discussion car il porte sur la détection des propriétés électromagnétiques des molécules du vivant pour pister des maladies, et l’inhibition de ce signal à des fins thérapeutiques.

Ce brevet a été déposé à l’INPI en 2007 sous le label “Procédé de caractérisation d’un élément biochimique présentant une activité biologique par analyse des signaux électromagnétiques de basses fréquences”. Un sujet à lui tout seul ! A noter que ces travaux se situent dans la continuité des recherches de feu le professeur Benveniste sur la “mémoire de l’eau”. La lecture du brevet laisse plus que songeur car on ne sait pas trop ce que le dispositif électromagnétique mesure dans l’expérience. Sans doute autre chose que l’activité des mollécules – par ailleurs extrêmement diluées – en application du bon vieux principe d’Heisenberg. En tout cas, on est en droit de douter sérieusement.

Le procédé Pantone

Des contributeurs du forum Econologie dénoncent ce qui est selon eux une foutaise, tout en indiquant sa filiation technologique, le moteur Pantone (qui s’appuie sur le procédé “processeur multi-carburant Geet”), et son dérivé, le moteur Gillier-Pantone.

On y apprend surtout que les affirmations de Bruno Robert dans sa littérature sont complètement fallacieuses, quand bien même son procédé fonctionnerait, ne serait-ce que marginalement. En effet, le procédé qu’il emploie ne transforme pas du tout l’eau en carburant, mais plutôt en dopant de la combustion du moteur à explosion, ce qui n’est pas la même chose. Sachant que le principe scientifique sous-jacent à ce procédé n’a pas été vraiment éclairci. Amélioration du cycle thermodynamique du moteur, ionisation de l’eau, électrolyse de l’eau, tout y passe.

Dans tous les cas de figure, l’eau ne sert pas de carburant mais permet au moteur de restituer en énergie “mécanique” une plus grande partie de l’énergie de combustion du carburant fossile. Et s’il est possible que de l’oxygène sorte du moteur, il doit y avoir aussi de l’eau, de l’azote et du CO2, résultat de la combustion des hydrocarbures de l’essence, même si le procédé conduit à cracker aussi l’essence en molécules plus petites et plus performantes pour la combustion. En gros, le procédé est censé améliorer le rendement du moteur, sachant que les moteurs à explosion ont en général un rendement de 20%, le reste étant dégagé en chaleur autour du moteur et dans les gaz d’échappement. On ne sait pas encore créer des explosions froides qui génèrent un effet mécanique par augmentation de pression sans créer de chaleur. Les deux vont de pair dans l’explosion des hydrocarbures.

Enfin, voici d’autres explications sur le principe général d’une forme de “moteur dopé à eau” : “le moteur à eau” utilisant le principe du “bulleur”. Avec une mise en application sur une tondeuse à gazon (plan ci-dessous).

Moteur Eau Bulleur Naudin

L’électrolyse de l’eau

S’il ne s’agit pas du procédé Pantone, le crackage de l’eau en hydrogène et oxygène évoqué par Miraclean requiert de l’énergie. Cette énergie est peut-être apportée par l’explosion du carburant dans la chambre à combustion du moteur. Elle est ensuite restituée par recombinaison de l’hydrogène avec les hydrocarbures. Le bilan énergétique est au mieux le fait d’un meilleur rendement du moteur, mais pas une augmentation de l’énergie fournie en amont.

La séparation de l’eau en hydrogène et oxygène peut se faire également par électrolyse. Il faut pour cela de l’électricité. Par exemple, celle qui est fournie par la batterie du véhicule (électricité produite par… le moteur et sa dynamo !) ou par la dynamo du groupe électrogène de Miraclean. Sorte de mouvement perpétuel qui n’aurait se sens si l’hydrogène ainsi créée permettait au rendement du moteur d’augmenter plus que la déperdition générée par cette boucle énergétique fermée.

Ce procédé de dopage à l’eau par électrolyse est disponible aux USA sous l’appellation “HHO”. On trouve l’information sur ce blog, qui fait la promotion du kit “Advanced HHO Complete DC450 Dry Cell System”, à $300 et quelques, soi-disant largement utilisé aux USA. Le site du constructeur Advanced HHO est un simple site de vente par correspondance, sans explication technique aucune. En fait, on vous vend un dispositif d’électrolyse pour $300 (schéma ici) ce qui est assez cher payé.

Advanced HHO Site Web

Le procédé US est positionné comme un substitut aux moteurs à hydrogène, un gaz explosif et dangereux, et couteux à fabriquer. On trouve d’autres explications sur ce site. Certains forums américains font état d’une économie d’énergie de 15% à 30% pour un trajet donné. Je regarderai bien du côté de la batterie pour vérifier cette assertion. En effet, soit elle s’est déchargée pendant le test et expliquerait l’économie d’énergie. Soit au contraire, du point de vue du bilan énergétique, le procédé présente l’avantage de réutiliser toute l’électricité produite par la dynamo. Alors qu’en temps normal et sur de longs trajets, elle doit se perdre en chaleur une fois la batterie entièrement rechargée (ce sont surtout les démarrages fréquents qui la vident).

Des articles indiquent que le procédé n’est pas un scam, … comme l’entête de certains scams qui vous annoncent que vous avez gagné à la loterie. Si Miraclean est basé là dessus, alors effectivement, ce n’est pas du Pantone. Mais le bilan énergétique de l’hydrolyse de l’eau avec l’électricité de la batterie générée elle-même par le moteur ne doit pas être loin du … neutre.

Miraclean prétend proposer un procédé 100% français. Ce ne serait donc ni du Pantone, ni de l’électrolyse. Pourtant, il parle de “crackage de l’eau”. Tout porte à croire que c’est au mieux un dérivé ou une combinaison de l’un de ces deux procédés.

Ce qu’il est possible de faire

Il n’y a pas de miracle : l’eau n’est pas un carburant. Et son crackage nécessite de l’énergie.

Au mieux, peut-on dans un moteur à combustion :

  • Réutiliser la chaleur des gaz d’échappement pour réchauffer le carburant avant son introduction dans la chambre à combustion. Cela peut améliorer de quelques % le rendement du moteur.
  • Utiliser également cette chaleur pour vaporiser de l’eau avant son mélange avec l’essence, aboutissant à un cycle thermodynamique plus efficace dans la chambre à combustion. Si cela aboutit réellement à moins de dégagements de CO2, pourquoi pas, mais je demande à voir. Il faut bien que les atomes de carbone des hydrocarbures aillent quelque part !
  • Réutiliser intelligemment l’électricité produite par la dynamo alors que la batterie est en pleine charge, sur de longs trajets.

Dans tous les cas de figure, le seul carburant est l’essence (ou le gasoil) et le reste ne sont que des moyens d’en augmenter le rendement.

Le marketing de Miraclean

Pourquoi Miraclean ne commercialise-t-il qu’un groupe électrogène ? Parce que c’est probablement le seul moyen de vendre directement le moteur à des consommateurs. Cela permet aussi d’entretenir l’illusion avec la coupure de l’essence pendant quelques temps. Dans ce cas, le générateur continue à produire de l’hydrogène par électrolyse jusqu’à ce que la déperdition dans le processus étouffe le moteur.

Le groupe électrogène de Miraclean est assez cher : 1500€ HT alors qu’un moteur de ce genre se trouve pour moins de 300€ dans le commerce. La différence dans les composants et l’ajout d’un éventuel hydrolyseur ne justifiant pas du tout cette différence.

Il faudrait autrement vendre la technologie en OEM à des constructeurs automobiles ou autres. Ce qui serait assez difficile en l’état. La fiche société indique que General Electric serait un client. En langage “startup”, cela veut dire qu’un rendez-vous est planifié pour les rencontrer ! Si le procédé était vraiment sérieux, Miraclean serait plus ambitieux et aurait des prévisions plus élevées que faire 50m€ de CA et lever 150K€.

Notons que la société Miraclean n’a pas de site web (le .fr et le .eu ne fonctionnent pas). Elle n’a été créée qu’en mai 2009.

Après une présentation “à la presse” à Paris le 5 juin 2009, il n’y a toujours pas de couverture presse visible sur Google sur cette société malgré une démo “fantastique”. Curieux non ?

Enfin, il n’y a pas de trace du brevet déposé par Bruno Robert sur son moteur à eau. Soit qu’il est déposé sous un autre nom, soit qu’il est dans la période où on ne peut pas encore le consulter, soit qu’il n’a pas été encore déposé.

Leçons pour les startups

Au final, on ne peut qu’être dubitatif sur Miraclean.

Cette petite anecdote rappelle quelques éléments de bonne conduite aux créateurs d’entreprise :

  • Ne pas exagérer les faits dans une présentation marketing d’un procédé innovant, même pour les besoins de la vulgarisation. Cela détruit la crédibilité de l’équipe et du projet auprès des experts, influenceurs et investisseurs.
  • Il vaut mieux obtenir des cautions scientifiques sérieuses pour tout procédé technique très innovant et intriguant. La dénonciation de l’establishment scientifique qui résiste aux innovations a des limites !
  • Il faut créer un site web opérationnel pour faire connaitre sa société, choisir un nom de domaine qui n’est pas déjà utilisé (y compris dans une variante .com), et y intégrer une FAQ. Ici, nous avons un inventeur qui ne s’explique pas. Le mystère est souvent utilisé dans les supercheries…
  • Expliquer la genèse du projet. Surtout lorsque l’on vient d’un autre secteur d’activité comme c’est le cas avec Bruno Robert.
  • Ne pas oublier que l’on trouve beaucoup d’informations sur Internet pour se renseigner.

En tout cas, le projet de Miraclean ne fait pas partie du pôle de compétitivité DERBI de Perpignan. Sinon, cela aurait été le pompon !

Article édité avec quelques précisions et compléments le 22 juin 2009

RRR

 
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