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Faut-il se méfier des FCPI ?

Post de Olivier Ezratty du 6 mars 2009 - Tags : Economie,Entrepreneuriat,France,Innovation,Internet,Startups | 83 Comments

Un auteur anonyme vient de publier un petit essai pamphlétaire sur le fonctionnement des FCPI qui commence à faire parler de lui (dans le site du mensuel Capital ainsi que dans Agoravox).

" FCPI : Financiers Complaisants, Pratiques Inavouables "

 

Il est édité au format papier à compte d’auteur à quelques milliers d’exemplaires et est également téléchargeable à partir du lien ci-dessus.

L’essai dénonce des pratiques de certains FCPI qui sont assez connues du Landerneau et qui dans certaines circonstances peuvent être douteuses, et dans d’autres, ne sont qu’une gestion saine et justifiée de leur business. En gros : la prise de contrôle de la société financée, l’éviction des dirigeants, et le pillage de la propriété intellectuelle par divers experts ou membres de comité de sélection qui travaillent dans des groupes industriels concurrents (ceci étant d’ailleurs un side effect du fonctionnement des FCPI qui ne leur profite pas forcément). Tout y passe. Les sociétés et fonds ne sont cependant pas citées dans le livre.

L’auteur qui souhaite conserver l’anonymat m’a contacté et m’a exposé ses motivations. C’est un retraité qui a une longue expérience dans l’industrie informatique et à des postes de responsabilité très élevés. Il a été marqué par le récit de quelques uns de ses amis entrepreneurs à qui sont arrivées des mésaventures avec leurs investisseurs. Il a alors souhaité mobiliser l’opinion pour faire pression sur les FCPI à l’origine des pratiques douteuses qu’il dénonce.

Le manque d’éthique dans la conduite des affaires est certainement courant en France relativement à d’autres pays occidentaux. Mais l’auteur lance un signal d’alarme qui pourrait effrayer outre mesure les entrepreneurs en herbe en train de mener leur levée de fonds. Je nuancerai donc les propos de l’auteur pour au moins trois raisons :

  • Parce que ce qu’il dénonce ne concerne pas que les FCPI, mais les relations entre investisseurs et startups en général. Le FCPI est un véhicule d’investissement particulier à la France (avec les FCPR), surtout dans les avantages fiscaux qu’il procure aux investisseurs. Les déboires racontés dans l’essai sont peu liés aux spécificités des FCPI. On trouve de telles pratiques dans tous les pays du monde. On peut aussi en trouver dans la relations entre business angels et entrepreneurs.
  • Les cas décrits sont extrêmes et il ne faut pas en faire des généralités. Ils semblent très liés aux situations courantes en France de créateurs d’entreprises qui sont surtout des inventeurs, avec une idée intéressante, mais peu aptes à l’exécuter dans la création d’une entreprise. A la fin, ils se sentent dépossédés de leur idée. A mon sens, dans le monde de l’innovation, une idée a beaucoup moins de valeur que la capacité opérationnelle à la transformer en succès commercial.
  • Un entrepreneur qui fait appel à du financement de capital risque doit savoir que l’investisseur va vouloir “réaliser” son investissement dans un délai de quelques années (3 à 7 selon les business) du fait de la durée de vie de son fond. C’est structurel, inévitable. La réalisation est soit une introduction en bourse (très rare), soit une revente à un autre fond (passe), et le plus souvent, une sortie industrielle (revente à une plus grosse entreprise). L’auteur dénonce l’appât du gain des investisseurs. C’est leur métier que de générer un retour sur investissement. Mais on trouve aussi pas mal d’entrepreneurs attirés par le gain et une sortie rapide. La mésentente peut intervenir si l’entrepreneur veut conserver à la fois l’autonomie et la direction de son entreprise alors que l’investisseur souhaite la revendre et/ou en changer la direction pour la préparer aux phases suivantes de sa croissance.

Le cri de l’auteur pourrait aussi exacerber cette attitude courante chez certains entrepreneurs un peu frileux qui se disent : je préfère ne pas chercher de financement privé pour éviter de perdre le contrôle de mon entreprise. Attitude qui en général aboutit à créer des nanostructures qui ne peuvent pas croitre. La plupart des gazelles (dans l‘industrie du numérique) ont bénéficié de l’accélérateur d’investissements privés – en plus des aides publiques au démarrage. L’accélérateur du financement est inévitable dans les industries qui bougent vite car il permet d’acheter du temps. Sans temps, on est dépassé par ceux qui vont plus vite. Dans l’Internet, notamment, la plus grande barrière à l’entrée est la rapidité d’exécution !

On entend beaucoup parler d’initiatives visant à transformer les chercheurs en entrepreneurs. Les entrepreneurs en herbe en France (dans la hightech) issus du monde scientifique et technique ont trop souvent un déficit énorme d’aptitudes et de compétences pour se lancer dans un projet d’entreprise. Il leur manque un sens du marché, du business et de la communication, à défaut de compréhension de la compta et de la finance. C’est en partie lié à notre système d’enseignement et même aux valeurs culturelles et à l’histoire de notre pays (bien survolées dans “Une histoire de France” d’Alain Minc qui fait remonter nos retards économiques à la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 )! Ces manques de réflexes “business” amplifient les décalages entre entrepreneurs et investisseurs.

L’intérêt de l’ouvrage est finalement de rappeler en creu les précautions d’usage à prendre lorsque l’on fait appel au financement privé de fonds d’investissement en capital risque comme : blinder son pacte d’actionnaire, protéger sa propriété intellectuelle et éviter une trop grande dilution de son capital. J’évoque certains de ces points dans le Guide sur l’accompagnement des startups hightech que je pourrai d’ailleurs mettre à jour de ce point de vue là.

Mais gardons la tête froide : les entrepreneurs ont besoin des business angels, des VCs, des FCPI, pour financer leurs projets. Sans compter les aides publiques évidemment ! Aides qui compensent notamment la faiblesse et la lenteur de notre marché intérieur. Je m’explique : quand il fait appel à des investisseurs privés, l’entrepreneur souhaite éviter une trop grande dilution de son capital. Pour ce faire, il doit pouvoir valider sa société à au moins le double (en pre-money) des financements recherchés (c’est expliqué en détail dans mon guide). Sans financements publics et en s’en tenant au marché français, la valorisation de la société avec juste un proto d’un produit serait bien trop faible. Le financement public d’amorçage permet de créer le produit et de commencer à le vendre. Cela permet d’augmenter la valeur de la société et de limiter la perte de contrôle au premier investissement dilutif privé. Aux USA, la taille du marché intérieur et sa réactivité permettent de créer plus rapidement de la valeur, même avec peu de capital, et ensuite de faire plus rapidement appel à du financement privé. L’intérêt des aides publiques à l’innovation n’est donc pas seulement de compenser les lacunes du financement privé, notamment des business angels, mais aussi de compenser la faiblesse de notre marché intérieur. Même des pays comme Israël qui sont connus pour le dynamisme de leurs startups, proposent des financements publics d’amorçage significatifs à leurs startups !

Quant au fonctionnement même des FCPI et plus généralement des VCs, reste à imaginer quelles régulations éventuelles mettre en place pour limiter les abus qui sont décrits par l’auteur du pamphlet…

A vous de réagir, histoire de passer à autre chose qu’Oséo… :).

RRR

 
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