Opinions Libres - Le Blog d'Olivier Ezratty

Alerte : Oséo asphyxie les startups !

Post de Olivier Ezratty du 7 février 2009 - Tags : Economie,Entrepreneuriat,France,Innovation,Politique,Technologie | 94 Comments

Depuis début 2008, et de manière plus appuyée depuis octobre, le gouvernement français a réorienté les priorités d’Oséo sur les gazelles, ces PME qui sortent du stade de la startup et doivent grandir pour atteindre la taille critique.

Dans le même temps, poussé par des restrictions budgétaires, Oséo et sa branche Innovation semblent complètement chambouler la donne dans les aides aux entreprises en création : réduction des aides et avances, changement des règles en cours de route et absence de transparence pour les startups.

image 

Mon propos est de relayer quelques retours de startups rencontrées ces dernières semaines. Retours qui sont loin d’être anecdotiques et qui justifient un véritable cri d’alarme : les changements de priorité du gouvernement sont en train de déstabiliser la chaîne du financement de l’innovation au point de mettre en danger de nombreuses startups, alors même que le rôle de l’Etat devrait être de les aider à traverser la crise quand le financement privé se fait défaillant.

Comprendre les évolutions du budget d’Oséo innovation

Les aides à l’innovation concernant les startups (avances remboursables, financement de la R&D) sont couvertes par le budget d’Oseo Innovation. Ce budget aurait été divisé par deux à 320 millions d’euros en 2009 par rapport à 2008 selon Le Monde qui indique “la dotation d’Oseo Innovation, qui est un acteur clé du financement des PME de biotechnologie, a été divisée par deux, à 320 millions d’euros en 2009” ‘(dans cet article, ci-dessous).

 LeMonde Financement Biotech

Mais cette information n’est pas vérifiable. Le budget 2007 d’Oséo Innovation était de 365m€. Oséo ne communique pas sur son budget pour l’année en cours et il faut attendre encore quelques mois pour disposer de son rapport d’activité de l’année précédente, 2008. Le budget d’Oséo est intégré à la Loi de Finances 2009 dans celui de l’économie, mais sans que l’on puisse clairement y identifier ce qui alimente Oséo, d’autant plus que l’Etat n’est probablement pas sa seule source de financement (il y a aussi la CDC, etc). On en est donc réduit à interpréter ce que l’on entend de toutes parts : le budget d’Oséo Innovation aurait diminué sur 2008 et sur 2009, entrainant un ralentissement du traitement des dossiers des startups, une diminution des avances remboursables et un durcissement des conditions d’obtention de ces avances ou aides.

En 2008, Oséo Innovation aurait même épuisé son budget dans certaines régions comme l’Ile de France dès le mois de juillet. Ces budgets sont en effet saucissonnés par région. Certaines régions à fort potentiel technologique (Ile de France, Grenoble, etc) consomment leur budget bien plus rapidement que des régions avec des économies plus traditionnelles. Et il n’y a pas de transvasements possibles entre régions. Pour certaines startups, un financement est parfois bien plus facile dans certaines régions que dans les régions dites encombrées.

L’impact sur les startups

Principal symptôme : les conditions d’obtention des avances remboursables.

Les avances remboursables d’Oséo sont conditionnées par un montant équivalent en fonds propres. Le ration était couramment de 1 pour 1. Deux startups m’ont indiqué la semaine dernière qu’Oséo avait conditionné son avance remboursable de financement de la R&D du projet par un équivalent de cinq fois le montant en fonds propres pour l’une, et six fois pour l’autre ! En changeant brutalement les règles du jeu alors que ces startups suivaient le processus de due diligence comme il se devait. Pourtant, le taux d’aide sur le cofinancement de la R&D est pourtant affiché comme allant de 25% à 60% – donc au pire, un ratio de 1 pour 4 entre l’avance Oséo et apport de fonds propres autres.

Une startup qui attendait 100K€ pour financer sa R&D se voit imposée du jour au lendemain de faire une levée de fonds de 600K€ en phase d’amorçage, alors qu’elle tablait sur une levée de 100K€ et quelques ! Sans compter que son dossier était parfois bloqué depuis 2008 car les budgets 2008 étaient consommés. Ce multiple de taux de financement en fonds propres est quasiment un arrêt de mort vu qu’une telle levée est assez difficile à réaliser en ce moment et surtout en très peu de temps. Est-ce que Oséo et l’Etat ont conscience de cette conséquence ?

Ces avances remboursables ne sont bien entendu qu’un dispositif d’Oséo Innovation. Il y a aussi notamment la garantie des prêts bancaires. Mais ces prêts sont aussi de plus en plus difficiles à obtenir auprès des banques !

Oseo

Les startups se voient souvent répondre par Oséo que “les gazelles ont la priorité”. C’est parfois une excuse bidon permettant d’éviter de dire ouvertement à l’entrepreneur que son projet ne tient pas la route ou que les budgets sont à sec, comme ce fut le cas pendant l’été 2008 dans certaines régions.

La difficulté d’obtention des avances remboursables serait anecdotique si elle n’était pas un point clé du financement de la R&D de tant de startups technologiques. En fait, Oséo semble faire tout à l’envers d’après les startups que j’ai rencontrées : ils garantissent un investissement d’amorçage de FCPI mais alourdissent la délivrance des avances remboursables qui permettent justement de créer de la valeur dans la R&D pour faciliter l’obtention d’investissements de FCPI. Comme si Oséo se focalisait surtout sur l’aval et pas sur l’amont de la chaine de l’innovation. Ils mettent même en veilleuse des startups qu’ils ont en portefeuille et qui comptaient sur Oséo pour avancer dans leur croissance.

La logique voudrait certainement que les aides à la création d’Oséo soient peu plus sélectives. Le nombre de projets farfelus financés par Oséo est significatif (mais je n’ai pas d’indicateur…). Un filtrage un peu plus sérieux serait de bon aloi. Mais les startups aidées après ce filtrage devraient l’être avec les mêmes conditions qu’avant. Or cela ne semble pas être le cas. On ne comprend pas dans le mode opératoire d’Oséo si le tri est plus sévère ou les conditions de financement sont plus restreintes, ou les deux à la fois !

En enlevant le tapis sous les startups en phase d’amorçage, Oséo risque fort d’accélérer un détournement des investissements privés vers ces startups. Car les fonds privés, notamment les fonds dits “TEPA” pourraient s’orienter vers des investissements moins risqués, donc vers les gazelles en forte croissance.

La focalisation sur les gazelles

Depuis 2006, le gouvernement a donc décidé de privilégier les aides aux PME dites ETI, “entreprises de taille intermédiaires”, appelées communément les “gazelles”, ces PME en forte croissances à même de créer un maximum d’emplois et aussi, à générer des exportations. D’où le Programme Gazelle qui labellise les gazelles (2000 sociétés labellisées en 2006) et structure diverses aides, les principales relevant de financement de trésorerie et de mise en réseau.

Oseo Gazelles

Ce plan à destination des gazelles a été renforcé avec le lancement en décembre 2008 d’un plan de relance lié à la crise économique. Le plan de relance en est une prolongation naturelle : il contient des mesures de financement diverses de la trésorerie des entreprises qui fournissent de grands donneurs d’ordre publics et privés. Avec notamment, Avance+ qui est une avance sur créances, sorte d’affacturage. Il y a aussi un fond de garantie spécifique pour le renforcement de la trésorerie des PME. Il prend la forme de prêts de 2 à 7 ans pouvant aller jusqu’à 1,5m€. Prêts qui ont tendance à se substituer au rôle des banques, qui malgré leur recapitalisation et les prêts de l’Etat, ne jouent plus véritablement leur rôle.

L’Etat se contente de prendre en compte que quelques uns des facteurs pour lesquelles nos PMEs ne grandissent pas assez vite comme chez nos voisins allemands avec leurs Mittelstands. Il compense les difficultés de paiement par les grands donneurs d’ordre au lieu de modifier par la loi ces conditions de paiement qui sont en décalage complet avec ce qui se passe chez nos collègues européens. Il alimente les BFR (besoins en fonds de roulement).

Il reste cependant à traiter d’autres points qui ralentissent nos gazelles : les charges sociales, la flexibilité du marché du travail rendant dans l’ensemble les patrons plus prudents dans les embauches, la structure patrimoniale des PME, le manque d’ambition, ou les ambitions vite ratiboisées par l’écosystème qui décourage et enfin, surtout, le manque d’orientation à l’export. On pourrait aussi ajouter que les PME n’attirent pas assez les jeunes diplômés, plus friands des entreprises du CAC40, surtout à la sortie des grandes écoles. Et aussi des pratiques managériales parfois d’un autre âge, qui limitent la capacité d’innovation des équipes.

Bref, s’il est censé d’aider les gazelles, il serait bon de traiter l’ensemble des problèmes qui les affectent, pas juste une partie.

Déshabiller Pierre pour habiller Paul…

Même si la lisibilité financière des dispositifs d’Oséo n’est pas évidente, le message est clair : moins d’aide pour les startups en création et plus d’aides aux PME, tous secteurs d’activité confondus. En quelques sortes, un moyen de soutenir l’emploi existant au détriment de la création d’emplois dans un futur plus lointain. Quand on se remémore les lacunes du plan France Numérique 2012 concernant l’entreprenariat, cela ne fait que renforcer une impression de malaise.

Ce changement d’équilibre mérite réflexion ! En France, les aides publiques sont à la fois le résultat d’un interventionnisme public fort et d’une faiblesse structurelle du financement privé de l’innovation, que ce soit au niveau de l’amorçage avec les business angels ou du développement avec le venture capital (VCs). Avec un phénomène d’oeuf et de poule, relié en grande partie à la fiscalité du pays (cf cette comparaison entre les cercles vertueux de la Silicon Valley et le grippage équivalent en France).

En temps de croissance, l’Etat peut diminuer son intervention en dynamisant le financement privé, en particulier par une politique fiscale adaptée. C’est ce qui a été réalisé avec la bien contestée loi TEPA de 2007 et la fameuse exonération d’ISF pour les investissements dans les PME (peut-être l’une des rares dispositions de cette loi qui avait du sens, mais qui n’a pas donné lieu à une communication grand public car elle aurait été assimilée à un “cadeau pour les riches”). Les garanties de prêts bancaires d’Oséo relèvent d’une démarche similaire. Elles créent un effet de levier pour déclencher des financements privés.

Mais en temps de crise, le financement privé se délite. C’est dans un tel cas que le financement public est particulièrement justifié. D’où l’interventionnisme à gogo des états pour relancer les économies, que ce soit en soutenant les banques de diverses manières, ou en soutenant l’investissement par de grands travaux. Et enfin, malgré des résultats incertains, une relance de la consommation (qui consiste à financer du pouvoir d’achat aujourd’hui par une augmentation de la dette sur les générations futures, dette qui présente la caractéristique d’enrichir ses détenteurs).

Or, en ce moment, le gouvernement a fait des choix budgétaires qui vont indirectement assécher le “pipe” des startups en amont. On privera ainsi le pays de startups qui pourraient devenir des gazelles avec la reprise économique. Et ces choix budgétaires sont vraiment curieux car l’emphase mise sur les gazelles représente des milliards d’Euro – surtout lorsque l’on intègre le plan de relance, alors que l’effort qui était consenti pour les startups ne dépassait pas 350m€ chez Oséo. On a donc déshabillé un petit Pierre pour habiller un grand Paul qui était déjà bien mieux habillé !

Améliorer la méthode

Comme toute réduction de budget, celle qui semble concerner Oséo Innovation sur les startups a été faite en catimini. Pas de communication claire et ouverte. Pas de coordination avec l’écosystème du financement de l’innovation. Pas de mise en perspective de l’impact de ces changements sur la chaîne complexe du financement de l’innovation. 

On ne sait même pas vraiment qui a décidé quoi dans l’histoire. Est-ce Luc Chatel (en charge de l’Industrie), est-ce Christine Lagarde, sa Ministre de tutelle à Bercy ? Est-ce que cette décision a été documentée, communiquée explicitement ? Est-ce que ces réallocations sont aussi le résultat de luttes internes à Oséo dont j’ai eu vent, entre la branche innovation et les autres branches, à vocation très financière (anciennement BDPME). Où ont-elles été simplement imposées à Oséo par le gouvernement ? Très souvent, les décisions les plus importantes sont prises de la manière la plus légère – sans véritable concertation ni réflexion – et il semble que ce fut le cas pour ces réallocations budgétaires.

Voilà en tout cas une opportunité d’amélioration de sa communication pour le gouvernement et pour Oséo : indiquer comment évoluent ses moyens financiers et l’impact que cela a sur les demandeurs d’aides, garanties et autres avances.

Si vous avez des informations sur les évolutions réelles du budget d’Oséo Innovation, n’hésitez pas à les partager. Tout comme si vous avez vécu comme entrepreneur les déboires racontés plus haut. Ou au contraire, si tout s’est bien passé avec Oséo Innovation pour vous.

Et la relance par le numérique ?

Tout ce qui vient d’être évoqué concernait les startups de tous secteurs confondus. Mais sur le numérique, on n’est pas plus avancé. C’est même plutôt le désert des Tartares : le numérique est absent des plans de relance de l’Etat par l’investissement, même dans la rhétorique. Nos plans de relance industriels font très “20 ième siècle”, focalisés qu’ils sont sur les infrastructures. Sur des projets forts utiles, mais qui ne positionnent pas forcément la France dans la modernité, les nouveaux marchés et l’immatériel.

Nathalie Kosciusko-Morizet pourra peut-être faire ici la différence par rapport à son prédécesseur qui avait quelque peu négligé la “relance par l’offre” dans son plan France Numérique 2012. Au vu de ce qui se passe en ce moment, la Secrétaire d’Etat en charge du numérique et son équipe devront se pencher sur la vraie vie des startups et sur l’impact de décisions budgétaires comme celle qui a affecté Oséo. Il est encore temps d’agir…

Et si en lançant cette alerte, je n’ai fait que crier au loup et me tromper, alors… tant mieux !

RRR

 
S
S
S
S
S
S
S
img
img
img


Lien du blog Opinions Libres : https://www.oezratty.net/wordpress

Lien de l'article : https://www.oezratty.net/wordpress/2009/alerte-oso-asphyxie-les-startups/

(cc) Olivier Ezratty - http://www.oezratty.net