Quelques pépites de la RGPP
Post de Olivier Ezratty du 20 avril 2008 - Tags : Economie,Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,France,Innovation,Politique,Startups | 3 Comments
La “Réforme Générale des Politiques Publiques” qui doit rationnaliser le fonctionnement de l’Etat est bien contestée. Surtout au sujet des économies qu’elle devait générer au niveau des dépenses publiques. Economies jugées bien décevantes par les commentateurs de tout poil (voir cette revue de presse). Ou alors, au contraire, économies et réorganisation destinées à détruire le service public pour certains, ou annonçant un “plan de rigueur”.
Nous allons creuser un peu dans cette réforme pour comprendre ce qu’elle contient et son impact potentiel, notamment sur les startups. Il faut commencer par consulter la liste des mesures de la dernière vague du RGPP qui a déclenché ces polémiques, sachant que la source est le Rapport détaillé d’Eric Woerth.
La politique de la réforme de l’Etat
A droite, il y a ceux qui trouvent qu’il n’y a pas assez de réformes et que l’on ne supprime pas assez d’activités dans le périmètre de l’Etat. A gauche, comme au PS, la RGPP est présentée comme une politique de rigueur déguisée. Et pour d’autres comme Versac, non. Ah, la rigueur. Les variations sémantiques autour de ce terme méritent bien une thèse de philosophie…
Mais les propositions ne sont pas légion, à part de reporter le problème sur les collectivités locales dont les dépenses sont effectivement en augmentation plus rapide que celle de l’Etat ! L’analyse factuelle du haut niveau de prélèvements et de dépenses publiques en France reste toujours difficile. La France prélève environ 44,3% du PIB chaque année pour ce qui relève du secteur public (Etat, collectivités sociales, protection sociale), mais en dépense environ 47% du fait de l’endettement (dépenses supérieures aux recettes).
Se pose la capacité à “réformer” l’Etat. Tous les gouvernements avancent par tâtonnements pour ne pas générer (trop) de blocages chez les fonctionnaires, leurs syndicats et aussi chez les hauts fonctionnaires. Sans compter ensuite les élus locaux affectés par des décisions au niveau de l’Etat. Dans le cas de la RGPP, il semble que cette méthode ait été employée, notamment par l’implication des hauts fonctionnaires. D’où la relative prudence des réformes proposées, leur côté technique et semble-t-il superficiel. Aucune réforme lourde de structure n’a encore été proposée et très peu de suppressions d’activités. Le périmètre du secteur public n’est pas affecté, même si le Ministère de la Défense et quelques autres vont faire un peu plus appel à de la sous-traitance pour ce qui ne relève pas directement de leur métier.
Dans un monde idéal, la réforme serait copilotée avec la “société civile“, avec plus d’input provenant de l’extérieur de l’Etat. L’impact serait plus fort. Chaque fonctionnaire défend sa position existante, l’existence de sa mission même si elle est redondante avec celle d’autres qui évidemment la font moins bien. Demander aux fonctionnaires de réformer par eux mêmes ne peut pas aller très loin. Je crains que c’est ce qu’a fait le gouvernement : la méthode employée a été plus technocratique que politique, expliquant d’ailleurs certains couacs comme sur la carte Familles Nombreuses de la SNCF. Cette carte n’était pas supprimée, mais son financement transféré à la SNCF. Par une pirouette comptable suggérée par l’Elysée, le gouvernement a finalement réussi à appliquer la même mesure tout en donnant dans le politiquement correct : l’Etat finance la carte, et la SNCF rétrocède ce financement sous forme d’une augmentation de dividendes (cette affaire est bien documentée par Jean-David Chamboredon et les commentaires de son post).
Se pose aussi la question de l’implication des élus. Les députés UMP ont une fois de plus trouvé un moyen de se plaindre : ils n’ont pas été assez impliqués dans la RGPP ! Probablement vrai, mais la manière dont elle a été pour l’instant conduite a généré des mesures techniques de bas niveau qui, sauf exceptions, ne relèvent pas du pouvoir législatif. Dans d’autres cas, elles ont des impacts sur les collectivités locales, comme cette concentration des garnisons de l’armée, qui va certainement fragiliser certains territoires. Mais comme pour la réforme des tribunaux de l’automne dernier, l’irruption des députés risque de relever plus du “lobbying local” – pour déplacer la défragmentation vers les voisins – que pour traiter de l’ensemble des problèmes.
Dans leur ensemble, les collectivités locales sont évidemment assez silencieuses. Ce sont elles qui ont le plus augmenté les dépenses publiques et le nombre de fonctionnaires ces 20 dernières années. Bien au delà de l’impact du transfert de missions provenant de l’Etat ! L’articulation d’ensemble entre Etat et Collectivités Locales reste un casse-tête à résoudre tellement le mille feuille est complexe et notre système avec sa pléthore d’élus locaux qui sont juges et parties. Résultat, l’Etat se contente de réorganiser ses services en région en regroupant diverses directions régionales.
Vue d’ensemble de la RGPP
Quelques points saillants ressortent du document récemment publié qui rassemble les 166 propositions de la seconde vague de la RGPP.
Le liant n’est pas trop mal foutu mais l’ensemble est loin d’être comestible pour le commun des mortels. On y trouve un langage d’énarque policé mélangé à un dialecte sarkozien qui tranche. Le sens politique (tropisme droite ou gauche) est relativement absent malgré les cris de certains dénoncant une “casse du secteur public”. L’opinion cherche du sens, une orientation, alors qu’il ne s’agit que d’améliorations à la marge. Nous sommes dans l’innovation incrémentale, pas l’innovation de rupture dans cette réforme de l’Etat !
En tout cas, la RGPP n’a encore réellement touché du doigt ce qu’il faudrait enlever à la puissance publique entièrement. Pas simplement en délégant des tâches au privé comme dans l’armée. Car cette délégation ne supprime pas le coût et son poids sur les prélèvements. Elle ne fait que le réduire à la marge. La difficulté pour “enlever” nécessiterait une véritable démarche de benchmarking complètement absente de la méthodologie de la RGPP (schéma ci-dessous), sauf dans le cadre de certaines mesures très spécifiques comme les services achat ou l’organisation de nos missions diplomatiques à l’étranger.
Il faudrait pouvoir comparer ce que l’on a dans l’Etat, dans les collectivités locales et que les autres pays (occidentaux) n’ont pas. Cela permettrait de dépassionner certains débats trop politisés. Un bon benchmark comparerait les périmètres du secteur public par mission : qui l’assume, avec quelles ressources, à quel coût, et quel niveau de qualité, et dans le public ou dans le privé. C’est notamment critique pour comparer les systèmes de retraite et de santé. L’OCDE le fait dans quelques domaines comment nous l’avons vu dans d’autres posts. On peut constater dans leur dernier “Factbook” que les dépenses de santé (ci-dessous) sont effectivement élevées en France en intégrant public et privé et que seuls la Suisse et les USA nous dépassent. Le cas des USA est intéressant car le pays dépense près de 4 points de PNB de plus que la France pour la santé !
Un tel benchmarking pourrait éviter l’aspect uniforme du non remplacement de la moitié des fonctionnaires qui partent à la retraite. Une véritable politique afficherait des réductions et aussi des transferts, pas des réductions uniformes
Quid sinon du nombre de hauts fonctionnaires ? On entend dire qu’ils sont les premiers visés par les réorganisations. Mais leur statut protégé les préserve de l’adversité, notamment lorsqu’ils font partie des grands Corps de l’Etat. Or la réforme devrait aussi passer par des actes symboliquement forts montrant un réel changement à tous les niveaux. Seule l’armée fait allusion à une réduction de la hiérarchie, tout en restant d’ailleurs très vague.
Les économies réalisables
Le document de la RGPP ne fournit pas de synthèse chiffrée par Ministère et mission sur la répartition de la baisse du nombre de fonctionnaires liée à la RGPP. Et aussi de l’impact budgétaire dans le temps des mesures. Et mal d’entre elles n’ont pas forcément d’impact budgétaire direct. Ce manque de présentation analytique est incroyable, mais malheureusement courant dans l’Etat. Il conduit à mélanger l’accessoire et le stratégique sans que l’on puisse hiérarchiser les mesures. Cela aboutit aussi à des crises comme celle de la carte famille nombreuse de la SNCF, qui n’était au départ qu’un jeu de passe-passe de mode de financement.
Eric Woerth a évoqué des économies comprises entre 7 à 12 milliards d’Euro. Economies jugées dérisoires au regard des fameux 15 milliards du paquet fiscal de la loi TEPA de juillet 2007. Coïncidence, dans mon essai “Trop d’Etat, oui mais où ça” de mars 2007, j’avais identifié 9md€ d’économies potentielles liées à une amélioration de l’efficacité de l’Etat, à sa défragmentation et à quelques révisions (difficiles) dans l’éducation (revenir sur certaines baisses d’effectifs dans les classes). Et au moins 3md€ de besoins criants: dans l’enseignement supérieur et la recherche et dans la justice. La loi LRU (dite Pécresse) a augmenté les crédits de la recherche, mais essentiellement par l’augmentation des Crédits Impôt Recherche et par l’allocation de la vente d’une part d’EDF. Mon calcul donnait un résultat net d’environ 6md€ qui était suffisant pour amener à une réduction progressive de la dette, mais ne tenait pas compte du coût de certaines réformes. Et aussi du paquet fiscal.
Ce paquet fiscal (dit “Loi TEPA”) est la mesure clé qui a plombé le déficit budgétaire cette année, d’autant plus que la croissance n’est pas au rendez-vous. Sans ce paquet fiscal, ou en tout cas, on le limitant à environ 4-5 milliards et couplé aux mesures d’économies de la RGPP, le gouvernement aurait été véritablement vertueux budgétairement et aurait pu commencer à réduire le déficit – à défaut de la dette. Le déficit aurait ainsi été réduit d’environ 15 milliards sur 2008. Mais les promesses électorales ont tenu bon ! La plus inutile d’entre elle étant probablement la réduction des droits de succession (plancher d’imposition passé de 50K€ à 150K€ par bénéficiaire). En matière d’équilibre du budget, la politique a donc eu largement le dessus sur la bonne gestion.
Et la défragmentation ?
La défragmentation est un objectif clé pour réduire la complexité de la machine publique en France, améliorer son efficacité et réduire son coût. C’est un domaine où l’actuel gouvernement a été volontariste et a réussi à lancer des transformations difficiles. Si réforme de l’Etat il y a en ce moment, c’est bien là.
Voici une petite “scorecard de la défragmentation” qui montre ces progrès :
Avec la réforme des tribunaux, de la gendarmerie, la fusion DST/RG, DGCP/DGI (impôts) et de l’ANPE et des Assedic, de véritables prouesses ont été réalisées. Mais il reste fort à faire, notamment dans l’enseignement supérieur qui est bien trop fragmenté, et bien évidemment, dans les collectivités locales, comme l’avait suggéré la commission Attali.
On pourrait regrouper également les mesures de défragmentation saupoudrées dans la RGPP :
Prise en compte des spécificités propres de certains départements
pour définir un schéma départemental resserré, pouvant donner
lieu à une modularité
On sent la culture du compromis et les révisions multiples du document !
Quelques pépites concernant les startups
En mettant de côté ce qui relève de la défragmentation, la RGPP comprend quelques mesures qui pourraient impacter les entrepreneurs :
Bon, pas de quoi grimper au rideau ! Ce sont des mesures techniques marginales qui ne simplifieront pas tant que cela la vie des entrepreneurs. La trop grande dispersion des prêts et subventions n’est donc pas prête de disparaître dans l’immédiat. D’autant plus qu’elle dépend de la clarification des rôles entre Etat et Régions.
Autres pépites de la RGPP
J’ai aussi noté quelques autres thèmes dans les 166 propositions qui n’ont pas encore fait couler d’encre, mais qui pourraient à terme générer de l’audimat chez les médias :
Conclusion
Comme pour le rapport Attali, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il y a plein de choses intéressantes et nécessaires dans la RGPP. La défragmentation de l’Etat est très bien entamée. Elle portera à terme ses fruits et pourra être généralisée ensuite à d’autres domaines. Mais l’absence de benchmarking sérieux et la difficulté à intégrer le mille feuille des collectivités locales limitent la portée de la réforme. Et cette RGPP n’est pas un plan de rigueur même si certaines mesures qui rognent quelques éléments de la redistribution mériteraient d’être analysées en détail.
Donc, même si on est plus dans la tactique que dans le stratégique, les évolutions de la RGPP vont dans le bon sens et il faut persévérer. Et si les politiques de droite comme de gauche veulent s’impliquer, qu’ils fassent des propositions concrètes au delà de réallouer le paquet fiscal à d’autres dépenses plus ou moins redistributrices ! Et puis, au passage, ce gouvernement pourrait apprendre à mieux communiquer et les journalistes à creuser un peu plus les dossiers !
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