L’écosystème des logiciels photo – 7 et fin
Post de Olivier Ezratty du 16 septembre 2008 - Tags : Internet,Logiciels,Photo numérique | 4 Comments
Nous allons terminer cette longue série d’articles en faisant un état rapide de la recherche et en concluant avec les tendances du marché et en revenant sur les modèles économiques de ce secteur.
Le rôle de la recherche
Le traitement numérique de la photographie fait partie d’un champs de la recherche particulièrement vaste : la “computational photography” (voir ce papier qui en explique bien la portée et les différentes catégories). Il donne lieu à différents travaux visant à améliorer les photos, à les combiner entre elles et à les organiser et à les rechercher. Les travaux proviennent de tous les continents, mais surtout des USA et de l’Asie. L’Europe est plus fragmentée et moins visible.
Le moyen de se faire une idée des travaux en cours est de consulter les publications du SIGGRAPH 2008 (et années précédentes). Cette conférence qui traite de l’image réelle et de synthèse est très courue par les spécialistes de la computational photography. On peut y trouver quelques travaux de recheche qui pourraient bien se retrouver un jour dans votre logiciel d’édition de photos. Voici quelques exemples :
La suppression de l’effet de brouillard de Raanan Fattal dont les démonstrations sont très marquantes et correspondent à des situations que l’on rencontre très fréquemment. C’est plus sioux que la simple modification d’une courbe de niveaux. Les nombreux effets de ce genre reposent sur des formules mathématiques que les chercheurs simulent généralement avec l’outil MatLab (ou son équivalent open source SciLab). Reste ensuite à les coder en dur pour des raisons d’efficacité et à les intégrer dans nos logiciels, le plus souvent sous forme de plug-ins.
La suppression du flou de bougé de trois chercheurs de l’université de Hong Kong améliore nettement les résultats par rapport à l’état de l’art actuel. Et qui fonctionne si le sujet à photographier ne bouge pas. Les exemples présentés sont plus que bluffants. Il serait intéressant que cela fonctionne également lorsque l’on est en basse lumière et avec du “bruit” de capteur lié à une sensibilité élevée.
Le détourage automatique reste une grande préoccupation. On trouve cette fonctionnalité dans pas mal de logiciels et en particulier dans Photoshop CS3 et dans GIMP. Mais le résultat n’est pas toujours extraordinaire et il faut l’affiner à la main, sans compter l’épaisseur de pixel en trop qu’il faut supprimer à la main dans l’image détourée car elle comprend la luminance du fond. Dans ce domaine, trois chercheurs des Universités de Washington, Berkeley et de Microsoft Research ont publié “Soft Scissors” en 2007, un algorithme visiblement capable de traiter le difficile cas des cheveux. Là aussi, on est prêt à l’adopter !
Dans le plus exotique, nous avons le remplacement de visages par d’autres dans une photo, qui correspond à des usages moins courants, l’usage d’un ou de plusieurs flash pour supprimer les brillances d’objets ou pour reconstituer une texture 3D des objets et aussi le “seam carving”, présenté au SIGGRAPH 2007 et intégré notamment dans le plug-in Liquid Rescale pour GIMP (qui existe aussi pour Photoshop). Il permet (ci-dessous) des élargissements ou rétrécissements intelligents des photographies qui préservent les proportions des éléments qui la composent.
Sinon, les travaux sur le contrôle de la profondeur de champ sont le plus souvent basés sur des capteurs ou accessoires de caméras capables d’ajouter à la couleur RGB une troisième grandeur, la distance. Et à partir de cette information, de reconstituer des images dont ont peut contrôler la profondeur de champs (totale ou réduite à un ou plusieurs éléments de la photo selon leur distance). Le futur des capteurs est en effet plein de surprises. Ils pourraient un jour capter non seulement la lumière incidente en RGB, mais aussi la distance d’origine, la polarisation, et l’incidence des rayons de lumière reçus. La “photo 3D pour tous” pourrait bien arriver un jour !
Dans les entreprises privées, notons que Microsoft Research investit pas mal dans le domaine, avec la publication de 14 des 108 papiers du SIGGGRAPH en 2007. Nous avons déjà évoqué le cas de Photosynth, lancé en août dernier. Ils ont aussi commis Photo Collage, un logiciel de collage de photos payant à $30, mais pas bien extraordinaire). Et aussi, HD View, qui rappelle ce que fait Zoomorama pour créer des images zoomables. Ils ont aussi un logiciel permettant de séparer automatiquement les photos d’une page scannée. Et aussi Photo Clip Art, un projet conjoint avec Carnegie Mellon, pour l’ajout d’objets et personnages pris dans une bibliothèque dans une scène avec effets d’ombres et perspective. Voir aussi ces différents progrès de Microsoft Research des dernières années intégrés notamment dans feu Microsoft Digital Image Pro (que Microsoft a malheureusement abandonné !).
De leur côté, les Adobe Technology Labs investissent aussi dans la recherche, mais communiquent et publient moins dans ce domaine, malgré le leadership de l’éditeur dans les logiciels graphiques.
De son côté, notre nationale INRIA est focalisée sur les techniques d’indexation par le contenu, permettant d’améliorer les solutions de recherches de similaires que nous avons vu dans le précédent post. C’est l’objet de son laboratoire IMEDIA. Avec pas mal de projets associés dans le cadre de Quaero.
Le scénario classique d’ajout de fonctionnalités est en tout cas le suivant : la recherche mène à la création d’un utilitaire ou d’une startup “feature company” et puis ensuite, à une acquisition de la technologie par un grand éditeur (soit l’entreprise soit des licences de logiciels ou de brevets). Autre option : la recherche n’aboutit pas à une fonctionnalité utile pour tout un chacun et finit dans les tiroirs ou alimente les travaux de recherche suivants.
Dynamiques de marché
Voici en vrac cinq tendances dans les usages qui me semblent marquer la photographie numérique et ses logiciels :
Du point de vue des modèles économiques, la distribution des solutions logicielles passe soit par Internet soit par le bundling avec du matériel, ce qui en fait un marché très international. Les français y sont d’ailleurs nombreux, tant comme sociétés que comme développeurs indépendants. Nous avons ainsi évoqué les cas de DXO, XNView, Oloneo, Fotonauts sans compter Photoways, l’un des leaders du tirage photos en Europe. Les français sont bons dans l’imagerie en général (2D et 3D), ils peuvent continuer à innover dans ces domaines et à l’échelle mondiale.
Adobe domine toujours le marché avec un CA d’environ $1B dans la photo (la moitié de la catégorie “creative solutions”). Quid des suivants ? Ils ne font au mieux que quelques dizaines de millions de $. Et la barrière à l’entrée est faible pour le développement. Nous avons l’exemple d’IrfanView qui est développé par une seule personne. Le modèle de revenu est assez aisé pour une personne grâce à l’effet de masse. Prenons l’hypothèse de 0,2% de versions vendues à $30 pour 1 millions de téléchargements d’un shareware. Cela fait $60K de revenus annuels, de quoi alimenter un développeur dans pas mal de pays. Et en particulier dans les pays où le PNB par habitant est plus faible que dans le top 10. Et de l’autre côté du spectre, le tout gratuit est possible, chacun étant libre de composer sa bibliothèque logicielle avec Picasa, GIMP, Raw Therapy, Photo Mechanic, Digikam et consorts. Sachant nous l’avons vu que le choix n’est tout de même pas évident !
Enfin, si les services Internet pullulent, leur rentabilité n’est pas évidente. La contextualité de la publication de photos est moyenne pour le placement publicitaire, et en même temps, le coût de stockage et de traitement est supérieur à celui du texte dans les réseaux sociaux. Nous n’avons pas encore de fleuron dont on peut mesurer la rentabilité économique. Flickr est dans Yahoo!, donc il n’est pas possible de savoir ce que cela leur coute ou rapporte (et on sait que Google perd de l’argent avec Youtube, et n’en gagne probablement pas avec Picasa). Attendons nous en conséquence à quelque éclatement de bulle dans le secteur de la photo sur Internet, et à une consolidation des offres !
C’est en tout cas un domaine passionnant où l’on ne s’ennuie pas, ce que j’ai essayé de vous montrer dans cette longue série d’articles qui s’achève ici.
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