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Cartoreso deuxième

Post de Olivier Ezratty du 29 mars 2008 - Tags : Enseignement supérieur,Logiciels,Logiciels libres | 8 Comments

Pendant l’année scolaire 2006/2007, le projet CartoReso avait été lancé par Jean-Sébastien Hächler, Pierre Pattard et Jérémy Fain – sur l’idée de ce dernier.

Ces trois élèves de l’option Technologies de l’Information de l’Ecole Centrale Paris avaient ainsi créé un logiciel de cartographie de réseau identifiant les ordinateurs et autres machines sous TCP/IP, en particulier celles qui ne sont pas entièrement sécurisées. L’outil permettant notamment de réaliser des audits de sécurité d’un réseau local d’entreprise. J’avais à l’époque recommandé à l’équipe de mettre le logiciel en open source et sur SourceForge. Histoire de permettre son évolution au delà du projet de l’année scolaire et sa prise en main par d’autres.

Pendant cette année scolaire, une équipe d’étudiants du même sérail a pris le relai du projet initial : Julien Elie et Nicolas Nordmann (ci-dessous à gauche et à droite). C’est une expérience intéressante qui n’est pas si fréquente que cela pour des logiciels réalisés dans des projets d’élèves. On la retrouve plus souvent avec les étudiants qui travaillent sur de l’expérimentation ou de l’algorithmie, comme dans la robotique.

 Julien Elie 2008 2 Nicolas Nordmann 2008 2

Je vais ici faire le point sur le projet et en profiter pour faire quelques digressions sur la praticité du modèle open source employé sur ce projet.

Un projet pluriannuel 

L’intérêt d’avoir un projet pluriannuel pour les étudiants est multiple :

  • On dispose de plus de ressources. En effet, l’emploi du temps alloué au projet est d’environ une vingtaine de journées. C’est court pour livrer du logiciel bien fignolé, même à plusieurs !
  • Il permet l’apprentissage des étapes d‘industrialisation du logiciel. En effet, le chemin est long entre le code qui semble fonctionner sur une machine et le véritable produit logiciel. Il faut une procédure d’installation, supporter plusieurs systèmes d’exploitation, débugger le code et prévoir l’extensibilité du logiciel.
  • Il facilite l’apprentissage du travail en équipe dans le temps et dans l’espace. Il pousse notamment les élèves à bien penser l’architecture de leur logiciel.
  • Il garantit une certaine pérennité aux travaux réalisés, ce qui est rarement le cas pour un projet logiciel réalisé “one shot” et sans suite. D’autant plus que ce genre de logiciel n’a pas forcément de business model qui tienne la route pour une startup, particulièrement pour des utilitaires. Comme il est difficile de créer une entreprise avec, la structure pérénnisant le projet est le projet pluriannuel. C’est aussi la raison du choix d’un modèle open source, très courant dans l’enseignement supérieur. Pour des raisons pratiques plus qu’idéologiques.
  • Il permet au projet d’avoir un réel impact. Ne constate-t-on pas régulièrement ce gâchis avec tous ces projets d’étudiants qui n’aboutissent à rien, à aucun produit, à aucun usage, à aucune création de valeur pour les autres !

Dans le cas de CartoReso, le code source – développé sous Linux – avait été publié sur SourceForge en 2007. Il faisait lui-même appel à une grosse demi-douzaine de bibliothèques open-source.

L’équipe projet 2007/2008 a réalisé un gros travail de documentation du code, qui n’avait pas été réalisé par la première équipe (à éviter…). Elle a de plus enrichi le site web du projet qui documente à la fois le code, l’installation et l’usage du logiciel.

Cartoreso 

Ensuite, l’équipe s’est consacrée à la création d’une architecture d’extensibilité de CartoReso, basée sur l’accès aux données générées dans un premier temps, et puis sur des extensions Java dans un second temps.

Au final, elle a adapté le logiciel à Windows, ce qui ne fut pas sans peine (et n’est pas véritablement achevé) car les bibliothèques tierces-parties ne s’y comportent pas de la même manière que sous Linux. L’ancienne équipe – toujours joignable, a même contribué à l’adaptation du code et à la compilation.

Enfin, l’équipe a rédigé un rapport de projet en anglais. Autre manière de déclencher à terme, au même titre que le site du projet, de générer un effet communautaire à l’échelle de l’Internet.

Cartoreso n’est évidemment pas seul dans son domaine. Les élèves de l’Ecole Centrale sont à l’origine du projet pluriannuel open source ayant probablement eu l’un des impacts utilisateurs les plus forts : le player multimédia Videolan (VLC media player), téléchargé plus de 70 millions de fois depuis sa création. Il était géré par des élèves de seconde année au départ. Il continue de vivre sa vie depuis maintenant et attire environ une centaine de contributeurs, au delà de Centrale. Cela donne envie de reproduire ce succès sur d’autres catégories de logiciels !

Impact de l’open source

Voyons un peu l’impact de la mise en open source du projet. A ce stade de la vie du projet, l’open source n’a servi à rien. C’est plutôt un freeware, téléchargé grâce à SourceForge où il a été placé.

Il y a eu 1614 téléchargements depuis le placement du projet dans SourceForge. Cela s’est accéléré récemment, comme pour  de nombreux projets open source, avec l’arrivée récente de la version Windows (ci-dessous).

Cartoreso downloads

Le projet est au rang 1884 en termes d’activité sachant qu’il y a 173000 projets open source sur SourceForge. Cinq personnes sont enregistrées dans le projet : ce sont les deux équipes projets qui se sont succédé l’une à l’autre. Cela montre, comme pour les projets commerciaux, qu’il y a une grande fragmentation des logiciels, avec une activité – commerciale ou non – concentrée sur le 1% des projets les plus populaires.

SourceForge Cartoreso Rank

L’expérience de Cartoreso montre que le déclenchement du fameux phénomène communautaire de l’open source ne se décrète pas. La grande majorité des projets open source (sur SourceForge) n’ont ainsi pas du tout de communauté. Juste des utilisateurs qui testent de temps en temps. Le modèle “communautaire open source” (pour les contributions et les corrections apportées au code) est souvent utilisé comme argument marketing d’éditeurs de logiciels libre, mais sans réalité derrière. Pour ce faire, il faut d’abord que le logiciel intéresse un grand nombre d’utilisateurs. Cela passe par un peu de communication, souvent virale (sites spécialisés, blogs). Ensuite, il faut que parmi ces utilisateurs, il y ait une masse critique de développeurs qui pourraient être motivés à contribuer, et en auraient le temps et disposeraient des compétences. Cela fait un sacré filtrage au bout du compte. Ce filtrage est encore plus fin si le projet est complexe. Il ne faut ainsi pas s’étonner que largement plus de la moitié des contributeurs à la suite bureautique OpenOffice soient toujours des développeurs de Sun.

Dans Cartoreso, le défi provient aussi du caractère mouvant du leadership du projet. Dans l’open source comme ailleurs, la stabilité du leadership est fort utile. Linus Torvalds n’est-il toujours pas en charge des évolutions du kernel de Linux ? Nous avons donc ici un handicap à relever. Les projets open source fonctionnent rarement en autogestion. Il y a toujours une équipe au coeur du projet qui le fait vivre, et des contributeurs qui gravitent autour.

La suite de Cartoreso

L’aventure de ce projet doit continuer. De nombreuses extensions au logiciels sont prévues, et attendues par les utilisateurs, notamment la société Ercom qui a suivi de près le projet.

A la rentrée 2008, si tout va bien, une troisième équipe de Centraliens devrait prendre le relai. Les étudiants sont en effet libres de choisir leur projet. La nouvelle équipe aura au moins trois missions clés :

  • Peaufiner l’architecture de plug-ins
  • Créer quelques extensions clés (comme l’analyse des évolutions temporelles et spatiales des machines détectées)
  • Faire naitre une communauté autour du logiciel. Un exercice de style qui mélange développement logiciel, marketing, communication et gestion de projet.

En parallèle, j’ai lancé le même schéma avec un autre projet initialisé cette année scolaire par une équipe de quatre élèves : un lecteur RSS nouvelle génération, synthèse de ce qui se fait de mieux aujourd’hui, avec quelques plus “inédits”. J’aurai l’occasion d’en reparler à la rentrée scolaire.

Et vous, avez-vous eu vent de projets pluriannuels comme Cartoreso dans des universités ou grandes écoles en France ? Quelle en a été l’expérience retirée ?

RRR

 
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