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Acquisition d’ILOG par IBM

Post de Olivier Ezratty du 25 août 2008 - Tags : Actualités,Economie,Entrepreneuriat,Logiciels,Politique,Startups | 1 Comment

Il s’est évidemment passé pas mal de choses dans la hightech pendant cet été. L’une d’entre elles m’a particulièrement marqué : l’annonce de l’acquisition par une OPA amicale d’ILOG par IBM. C’est un autre gros éditeur de logiciel français qui se voit ainsi gobé par un acteur étranger, après le rachat marquant de Business Objects par SAP en 2007. Un arrière goût de “mince, c’est dommage, mais c’est ainsi”.

Créé en 1987, ILOG faisait partie du “Top 10” des éditeurs français, et souvent mis en avant comme l’une des trop rares réussites, notamment à l’étranger. Editeur connu, mais sur un domaine pas évident à vulgariser : les moteurs de règles (BRMS: Business Rules Management Systems), les outils d’optimisation (ODMS: Optimization Decision Management System), les composants de visualisation de données et des solutions de Supply Chain.

ILOG logo

Un timing bien choisi 

Le montant de l’acquisition est de $340m avec une prime de 37% par rapport au cours de clôture le jour de l’annonce (fin juillet 2008). C’est à peu près deux fois le chiffre d’affaire, de $181m dans leur année fiscale échue en juin dernier. Cette année fiscale avait vu le chiffre d’affaire croitre de 12% (pas mal avec la baisse du dollar) mais la profitabilité déjà moyenne pour un éditeur de cette taille chutait de $4,9m à $0,5m. En fait, l’année était déficitaire, mais le résultat net était resté positif grâce aux intérêts financiers générés par le cash de la société ($73m).

La société avait même entamé une réduction d’effectifs, suite à des difficultés dans le secteur de la finance mis à mal par la crise actuelle. Sa croissance étant plus forte dans les services, cela avait aussi affecté la marge opérationnelle de la société. On voit qu’IBM est tombé sur sa proie, un partenaire de longue date, plutôt au bon moment pour les deux parties.

ILOG est un éditeur qui avait plutôt bien réussi son développement à l’international. Avec une filiale en Californie et des équipes de développement en partie là bas et de gros clients comme SAP, qui représentait 3% de son chiffre d’affaire (SAP avait investi 5% du capital d’ILOG en 1998). L’international représente près des deux tiers du CA d’ILOG (41% dans les “amériques”).

Mais leur marché est dur : les composants logiciels et les outils de développement sont difficiles à marketer, les cycles de vente peuvent être longs, les économies d’échelle pas toujours aussi bonnes que dans les logiciels métiers.

En tout cas, cette acquisition est “late stage”. ILOG avait été introduit au Nasdaq en 1997 puis au Nouveau Marché en 1998 (maintenant Euronext). Cela aura permis de financer INRIA Transfert et de créer I-Source Gestion, et par là même d’aider plus de 90 startups issues d’INRIA.

Rôle d’IBM dans les plates-formes d’entreprise

Le middleware est maintenant le coeur de métier de la grosse activité d’édition de logiciels d’IBM (environ $19m ce qui les place en second derrière Microsoft mais devant eux si l’on n’intègre que l’activité serveur de ce dernier).

L’acquisition d’ILOG complète une panoplie riche de logiciels serveurs et d’outils de développement, notamment les familles WebSphere, Rational et Tivoli (voir la richesse de l’offre logicielle d’IBM). Cela renforce le rôle pivot d’IBM pour proposer des solutions d’orchestration de la chaine logicielle métiers de ses grands clients, dans le cadre plus général des logiciels de “Business Process Management”.

Cela consolide aussi rôle pilote d’IBM autour de Java (surtout J2EE), qu’ILOG maitrise bien (tout autant que la plateforme .NET de Microsoft d’ailleurs). Et cela donne au passage un atout de plus à IBM dans son rôle de fournisseur de plate-forme pour éditeurs de logiciels (ILOG fournissant plus de 450 d’entre eux!).

La consolidation se poursuit dans les logiciels d’entreprise

La consolidation de l’industrie du logiciel d’entreprise se poursuit donc inexorablement. Elle rappelle qu’il est difficile de rester longtemps indépendant dans ce secteur d’activité et que la taille critique compte énormément. Même un éditeur qui fait un ou deux milliards de dollars de CA est sous-critique aujourd’hui, car il peut être absorbé par Oracle, IBM, voire Microsoft. C’est ce qui est arrivé avec Business Objects, racheté par SAP.

Oracle a montré la voie ces cinq dernières années avec une voracité d’acquisitions en alignant à son tableau de chasse: Peoplesoft, Siebel, Retek, Hyperion et BEA. IBM s’est contenté dans le même temps de Cognos et de plein de petites éditeurs de middleware. On manque cependant de recul pour qualifier les résultats de ces acquisitions. La presse spécialisée est relativement silencieuse sur ce qu’il est advenu des activités des grands éditeurs acquis par Oracle.

On se plaignait de ne pas avoir assez d’ILOG en France. On en a un de moins maintenant. Peut-on éviter de voir ainsi ses acteurs absorbés ? C’est une question de masse critique. Tout comme il faut des centaines voire des milliers de startups Internet pour espérer voir un grand acteur émerger dans son pays, il faudrait plusieurs ILOG en France pour espérer en voir un ou deux atteindre une taille critique et ne pas se faire absorber. Un peu comme un CheckPoint en Israël qui, dans les logiciels de sécurité, est encore indépendant. Tout ceci ne fait que nous rappeler que dans la grande chaine alimentaire des entreprises innovantes, il est stratégique de les aider à croître et à atteindre la taille critique, en particulier en les encourageant à se développer rapidement à l’international. Il faut donc juste persévérer, tout en choisissant les secteurs porteurs, les logiciels d’entreprise n’étant pas nécessairement dans le lot au milieu de toutes les opportunités qui existent aujourd’hui dans la hightech.

Quelle intégration ?

Se pose maintenant donc la question des conditions d’intégration d’ILOG dans IBM. Vont-ils rester une filiale ? Etre intégrés dans une division existante ? Quid des équipes de R&D basées en France ?

D’un point de vue humain, c’est en tout cas une très belle aventure de plus de 20 qui pourrait se terminer pour Pierre Harren, l’actuel CEO d’ILOG et cofondateur de la société. Va-t-il continuer chez IBM ? Probablement s’il doit y rester un certain temps du fait du deal de l’acquisition. Mais après, il pourra certainement mettre son expérience au profit de l’écosystème français, coacher des startups, en créer même une, que sais-je ! Les portes lui seront en tout cas grandes ouvertes car il est apprécié dans l’industrie.

Quid également de Jean-François Abramatic, ancien chairman du W3C et Chief Product Officer (en fait, CTO) de ILOG depuis 2000 ? Va-t-il se dissoudre dans la culture IBM ou trouver lui aussi un autre cheval de bataille ? Son expertise et son passé franco-américains sont de grande valeur !

Et les Assises du Numérique ?

Les Assises du Numérique avaient donné lieu à moulte réflexions. Notamment sur l’industrie du logiciel, promue par l’AFDEL. Celle-ci a remis des propositions à Eric Besson le 30 juillet 2008. Propositions qui ne seront publiées en détail qu’en septembre.

Bien entendu, elles visent à valoriser la filière du logiciel. Avec quatre pistes :

  • Faire de l’industrie du logiciel une priorité d’action publique.

C’est le genre de proposition qui ne veut malheureusement rien dire car tout est prioritaire pour un gouvernement… Attendons donc le détail.

  • Soutenir le développement à l’international.

100% d’accord ! Reste à voir comment l’action publique peut y contribuer. Il me semble que les propositions de l’AFDEL dans ce domaine ne devraient pas être spécifiques à l’industrie du logiciel (cf celles que j’avais consolidées dans les 29 propositions pour les Assises).

  • Renforcer les moyens de protection de la propriété intellectuelle du logiciel.

C’est un cheval de bataille connu de l’AFDEL alors que cette propriété intellectuelle est sous le coup d’incertitudes et de flou juridique, notamment autour des brevets logiciels. C’est un mic-mac à l’échelle européenne. Bon courage !

  • Faciliter l’accès des éditeurs de logiciels aux marchés publics.

Ce qui ne concerne pas que les éditeurs de logiciels mais les PME en général. Nous avons un mini-Small Business Act dans la Loi de Modernisation de l’Economie. Mais il n’aboutira à pas grand chose car s’il permet une discrimination positive de la commande publique à hauteur de 15% en faveur des PME, il ne la rend pas obligatoire. Ce qui ne changera donc pas les habitudes. Il est possible que l’AFDEL propose des amménagements à ce SBA.

Dans les nouvelles des vacances, la présentation du Plan Numérique par Eric Besson a été repoussée à septembre. Une bonne décision pour prendre un peu de recul et éviter une annonce invisible en plein été. Eric Besson visite la Silicon Valley la semaine prochaine. Cela changera peut-être sa vue des choses. On peut espérer en tout cas que cela créera un choc chez lui, lui faisant prendre conscience de l’étendue des choses à faire évoluer en France pour réussir dans la high-tech, et de la dimension économique et sociétale du sujet dont il a la responsabilité.

RRR

 
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