Grandes Ecoles et Innovations
Post de Olivier Ezratty du 24 septembre 2007 - Tags : Economie,Enseignement supérieur,Entrepreneuriat,France,Innovation,Politique,Silicon Valley,Startups | 5 Comments
La semaine dernière, quelqu’un m’a recommandé la lecture d’un livre récemment publié par Pierre Veltz: “Faut-il sauver les grandes écoles” qui vallait le détour.
On parle souvent – à juste titre – de sauver les universités françaises du déclin, mais le sujet des grandes écoles est rarement abordé. Là où l’auteur m’a interpellé, c’est lorsqu’il fait le lien entre le système des grandes écoles françaises et les lacunes en matière d’innovation dans le pays et qu’il milite pour une défragmentation des grandes écoles. Cela justifie bien quelques approfondissements et commentaires. D’autant plus que je milite pour une même cause comme j’ai pu m’en expliquer dans quelques uns de mes posts sur ce blog ici par exemple, vers la fin). Alors, je vais enfoncer le clou!
Pierre Veltz a été Directeur de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et du groupe Paritech qui rassemble les écoles d’application de l’Ecole Polytechnique. Il parle donc en connaissance de cause car il a connu, si ce n’est piloté, le système de l’intérieur. De plus, il présente l’originalité d’être à la fois ingénieur de formation et chercheur en sciences humaines.
Son site web fait la promotion de ses nombreux ouvrages, avec près d’une heure de vidéos d’entretiens qui résument très bien le propos de l’auteur (pour l’instant, sur sa home page: http://www.veltz.fr). Dans différents articles publiés antérieurement à son livre, Pierre Veltz avait déjà mis l’accent sur à la fois les qualité des grandes écoles scientifiques et sur leur émiettement (cf “Grandes Ecoles, un modèle à réinventer“, de 2004 qui résume bien le propos du livre “Faut-il sauver…”).
Que dit Pierre Veltz? Essentiellement, trois choses clés, très bien argumentées (voir ses interviews), et que je vais compléter et enrichir à chaque fois:
La sélection est effectivement nécessaire, mais elle a besoin d’équité, de sens et de continuité.
Equité. Il existe probablement un tas de raisons qui expliquent le recul des étudiants d’origine modeste dans les grandes écoles. Ce n’est pas nécessairement le coût des études car il n’y est pas plus élevé qu’à l’université, surtout pour les boursiers. Il l’est par contre dans les grandes écoles de commerce dont la scolarité est payante. L’équité semble paradoxalement meilleure aux USA. Le malthusianisme y prédomine également, mais avec un meilleur creuset international et une ouverture plus grande aux classes sociales diverses et aussi aux minorités. Enfin, l’acceptation du risque pousse les étudiants à emprunter pour financer leurs études, et les bourses d’origine privées sont très nombreuses, toutes choses plus rares en France. Donner leur chance aux meilleurs, quelle que soit leur origine, reste un grand chantier pour la France.
Sens. J’ai en effet souvent rencontré des Centraliens qui découvent qu’ils ne sont pas fait pour la technologie et le métier d’ingénieur. C’est curieux quand on est passé par les classes préparatoires (avec leur cortège de matières abstraites et techniques) et de ne s’en rendre compte qu’à cette étape de sa vie! Les erreurs d’aiguillage sont-elles des écueils normaux ou inhérentes aux tares du système? Le sens de la sélection serait en tout cas meilleur si les parcours étaient plus souples, et pouvaient s’adapter au gré du temps et au sein de campus où les choix de cursus seraient plus grands. Le sens manque aussi avec la désaffection pour les filières d’ingénieur et scientifiques en France et dans une bonne part des pays “occidentaux”. Des projets visibles et de grande envergure peuvent relancer la mécanique.
Continuité. L’absurdité de la sélection en France provient aussi de ce que les élèves cravachent dur en général dans les prépas pour réussir les concours, mais que la pression se relâche généralement ensuite une fois intégré dans l’école. Cela dépend des écoles (on bosse d’ailleurs plus dur dans les écoles moins bien “classées”) et aussi des périodes (qui alternent laxisme et contrôle). Dans les grandes universités internationales, la pression ne se relâche pas. Les examens, les projets et autres études de cas crééent une pression permanente. Et le niveau moyen est très bon, alimenté par le monde entier. L’émulation y est plus grande car les campus sont eux-mêmes plus grands et diversifiés. L’écosystème de startups et d’entreprises innovantes environnants et la culture qui va avec s’additionne à cela. Par certains côtés, le relâchement de la pression dans les grandes écoles en France a du bon car il permet aux élèves de découvrir la vie en société (entre eux… pour commencer), de mener des activités extra-scolaires moins formelles que l’enseignement, et parfois toutes aussi formatrices et sources d’innovations.
Je pousserai bien plus loin le raisonnement sur la structure de l’industrie française, profondément marquée par cet état de fait. Elle explique les faiblesses industrielles dans les TIC, et en particulier dans les produits tournées vers le grand public. Les grands projets industriels français ont marqué durablement l’écosystème du pays. Dans les TIC, cela commence par le poids des grandes SSII (qui recrutent d’ailleurs beaucoup dans les grandes écoles) qui ont des approches “projet” mais pas “produit” et une culture du risque très particulière, cantonnée au projet et au forfait, mais pas à des risques industriels sur le long terme. Qui dit approche “projet” dit aussi peu de marketing. Cette spécialisation a réduit la capacité d’intégration des technogies et du marketing, la recette incontournable du succès à l’échelle planétaire. Le marketing pour vendre des centrales nucléaires ou des Airbus n’est pas le même que pour diffuser des iPod à grande échelle! Il n’est pas étrange d’assister ainsi au recentrage vers l’équipement professionnel de sociétés comme Thomson ou Alcatel qui avaient pourtant une activité grand public non négligeable.
Pour ce qui est de la culture du risque, les grandes écoles ne font que se situer dans un continuum culturel et éducatif qui démarre bien avant. Dès la petite enfance, le système éducatif français est répressif, n’encourage pas à réussir là où l’ont est fort et motivé, et filtre tout par le tamis des mathématiques. Si la culture de l’innovation est insuffisante en France, il ne faut pas seulement blâmer les grandes écoles!
Ce que déplore Pierre Veltz est particulièrement vrai dans les écoles d’application de l’X car elles préparent pour les Polytechniciens l’entrée dans les Corps de l’Etat. Corps qui perpétuent la culture des grands projets et une vision centralisée de l’économie. Quand ce n’est pas pire (bureaucratie, contrôle, corporatismes, etc).
C’est par contre moins vrai dans les autres écoles d’ingénieur qui alimentent plus en proportion les entreprises privées. Au crédit des grandes écoles, on peut tout de même citer les Junior-Entreprises qui n’ont pas vraiment d’équivalent dans les universités et qui amènent les élèves à se confronter aux entreprises très tôt. Ainsi que les filières “entrepreneurs” qui sont courantes dans les écoles de commerce et ont fait leur apparition dans les écoles d’ingénieur comme à Centrale où dans les INSA. Nombreuses sont celles qui ont également un incubateur, comme SupTélécom et l’INT. Au final, beaucoup – mais quelle proportion? – des startups TIC sont issues d’anciens élèves de grandes écoles. Mais trop souvent, avec des équipes trop monolithiques, qui n’associent pas assez, par exemple, des ingénieurs et des élèves d’écoles de commerce.
Augmenter la capacité des jeunes des grandes écoles à prendre des risques et à entreprendre n’est évidemment qu’un bout de la solution. Derrière, il faut faire maturer tout l’écosystème de l’innovation, notamment au niveau du financement et surtout de l’amorçage et rapprocher les jeunes et les écosystèmes de startups. En matière d’innovation, le colmatage d’une brèche est souvent très insuffisant. Il faut adopter une vision globale tout en jouant sur les symboles qui ont parfois autant de poids que les systèmes.
Il faut commencer par accepter le fait que le rayonnement de notre enseignement supérieur passe par la capacité à attirer les meilleurs en France et dans le monde. Malgré les risques de vampirisation des compétences des pays en voie de développement. C’est le jeu de la compétition internationale.
Si les écoles d’application de l’X n’ont pas excellé dans le domaine international, d’autres se sont lancées plus tôt. On peut citer Centrale Paris qui a ouvert une école en Chine à Pékin et participe activement au réseau TIME avec Supelec, tout comme l’école privée d’ingénieurs en informatique Supinfo qui a aussi un établissement en Chine et est présente dans d’autres pays, notamment du Maghreb.
Côté regroupements, Paritech n’a pas bien avancé. Et les Ecoles Centrale sont bien regroupées dans un “intergroupe” mais elles ont bien du mal à fédérer quoi que ce soit. La dispersion géographique n’y est pas pour rien. Dispersion que Pierre Veiltz ne dénonce pas outre mesure alors qu’elle est probablement un frein à lever absolument.
Il nous nous faut reconnaître et traiter ce mal français du morcellement des initiatives que l’on retrouve pas exemple avec les 67 pôles de compétitivité, avec l’usine à gaz des aides à l’innovation tout comme les surcouches d’échelons administratifs qui s’empilent (état, régions, départements, cantons, communautés de communes, communes). Ce pays doit être dé-frag-men-té!
Il faudrait certainement pousser l’idée de défragmentation de Pierre Veltz au delà des écoles d’ingénieur. Même si cela compliquerait la donne. Quitte à faire “la révolution”, autant la faire complètement. Sachant qu’il n’y a ni têtes à couper ni sang à verser tout de même.
Pierre Veltz ne se penche pas assez sur le cas des écoles de commerce qu’il juge d’ailleurs en meilleure forme que les écoles d’ingénieur. Le récent classement européen du Financial Times est là pour en témoigner puisque nous avons six écoles dans le top 10, HEC en tête. Pourquoi donc l’industrie française n’en profite pas plus? Pour ce qui est des TIC et des startups, l’isolation des écoles d’ingénieur vis à vis des écoles de commerce malgré quelques rapprochements ponctuels nous pénalise. Comme de plus, la production de “TIC” en France est plutôt faible au regard du PIB, le besoin en compétences marketing et vente s’oriente sur les filiales d’entreprises étrangères comme IBM, Microsoft ou Oracle, et se concentre naturellement dans d’autres secteurs où le pays excelle (distribution, luxe, agro-alimentaire, etc). Dans les TIC, nous avons tout intérêt à rapprocher le plus en amont possible les compétences d’ingénieur et de “business development”.
Les campus américains qui servent de référence rassemblent en un même lieu l’équivalent de plusieurs universités scientifiques, écoles d’ingénieurs, laboratoires de recherche, business schools quand ce n’est pas de facultés de droit et de médecine. Cela créé des creusets formidables d’où sortent des équipes pluridisciplinaires et complémentaires à même de créer des startups. L’exemple de Harvard est édifiant. On trouve sur ce campus: une fac Arts&Sciences, une fac de médecine, la fameuse Harvard Business School, une fac de droit, une école de design et entre autres, un équivalent américain (et privé!) de l’ENA, la JFK School of Government.
En région parisienne, l’établissement qui se rapproche le plus de ce concept n’est pas une grande école mais la Faculté d’Orsay qui avec ses 15000 étudiants est de taille comparable à Stanford. Elle est la seconde française du classement de Shanghai, en 66eme position après Paris VI qui est 45eme. On ne peut donc l’écarter de la dynamique de consolidation à opérer en région parisienne.
Donc, défragmentons le système des grandes écoles français, mais en allant au delà des écoles d’ingénieurs. Il faut créer de véritables pôles alliant toutes – ou en masse critique – les disciplines nécessaires à la génération d’innovations. C’est aussi une opportunité de rapprocher grandes écoles de toutes disciplines, universités, laboratoires de recherche publics et privés et pépinières de startups.
Des regroupement sont nécessaires. Mais quelle est la recette?
L’expérience de Pierre Veltz est intéressante : il a été président de Paritech qui avait plus ou moins comme mission de fusionner les écoles d’application de l’X. Sans résultat à ce jour. Les baronnies ont jetté un sort à cette ambition. Cela veut donc dire qu’une telle initiative ne pourra provenir que d’un pouvoir politique capable de déclencher une véritable rupture quitte à être un peu à contre courant de certains groupes de pression. Hum hum… Sachant que ce pouvoir est déjà très occupé par la réforme des universités et qu’il n’a pas vraiment de marge de manoeuvre budgétaire.
Se posent quelques questions pratiques: à partir de quelle souches existantes? Où? Quand? Quel budget et quel financement? Faut-il que ce soit une initiative européenne? Quelle gouvernance?
Essayons d’y répondre à la serpe :
Plus facile à dire qu’à faire, certainement! D’autant plus qu’il existe surement des contre-arguments à une telle initiative. Dans l’ordre:
Il y aura toujours des objections à de tels projets ambitieux. Cela ne fait qu’ajouter au mérite d’arriver à les faire avancer! Comme il parait que tout est maintenant possible! La vraie rupture, c’est ça! Même s’il faut évidemment un peu réfléchir avant de se lancer tête baissée!
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