Back from the Silicon Valley 3
Post de Olivier Ezratty du 9 décembre 2007 - Tags : Economie,Entrepreneuriat,France,Innovation,Marketing,Politique,Startups,Technologie | 17 Comments
La fascination qu’exerce la Silicon Valley est grande. Le nombre de voyages organisés là-bas pour des comités de direction d’entreprises et autres groupements professionnels, par des indépendants tels que Jean-Michel Billaut et récemment par l’Institut d’Entreprise en atteste. On ne revient pas indemne de ce genre de voyage. Le succès éclatant de la Silicon Valley génère quelque envie de reproduire le système en France. Comparativement à la Silicon Valley, la situation en France va de “pas bonne” à “catastrophique” selon les uns et les autres. Egaler la Silicon Valley est probablement hors de portée car on ne reconstitue pas comme cela 150 années d’histoire. Mais on peut tenter de s’en rapprocher tout en respectant nos spécificités nationales.
Il en va de notre capacité à innover et à améliorer la compétitivité de la France dans le monde. Tentons donc un état des lieux de la situation. Puis proposons des pistes pour aller de l’avant et redonner un fouet d’innovations à la France.
C’est l’objet de ce troisième et dernier post sur ce voyage.
Les autres pays
Beaucoup de pays ont lancé cette bataille depuis longtemps. A commencer par la Chine et l’Inde qui ont repris certains éléments de succès de la Silicon Valley, notamment un très fort investissement dans l’enseignement supérieur et la concentration de ressources dans des pôles à taille critique. Le marché du travail y est évidemment très flexible en plus d’être à bas coûts. La légendaire culture entrepreneuriale des chinois fait le reste. La Chine est en fait l’un des pays les plus capitalistes du monde, malgré son régime communiste. Un grand paradoxe vite levé car le pays n’a de communisme que le régime politique, pas du tout le modèle social. La fiscalité y est bien plus légère qu’en Europe et évidemment en France. Dans les TIC, l’Inde est plus traditionnellement orientée vers les services informatiques, et moins dans les produits manufacturés grand public. Mais elle pourrait rapidement acquérir un savoir faire dans ce dernier domaine.
Dans les pays dits occidentaux, le plus à l’Est, Israël, est probablement le plus proche de la Silicon Valley. Avec une surface utile équivalente et une culture locale très voisine de la culture de l’ouest. Le sens du risque est lié à l’expérience militaire ou dans le renseignement de nombreux créateurs de startups cumulé au fait que même les femmes font leur service militaire. L’excellence de l’enseignement supérieur, une population traditionnellement tournée vers les sciences et la technologie, l’absence de ressources naturelles locales à part le soleil et un marché intérieur poussent le pays à exporter des technologies de pointe. De nombreuses startups Internet et logicielles ont été introduites en bourse ou revendues, ce qui a généré du cash et permis aux investisseurs locaux de boucler la boucle en investissant dans d’autres startups. Le cercle vertueux est ainsi né, relativement récemment: moins d’une vingtaine d’années. Le tout est concentré sur deux zones, l’une près de Tel Aviv et l’autre près de Haifa. Avec moins de 100 km entre les deux. Là encore, l’état d’esprit des élite compte plus que le reste. C’est toujours une affaire de culture.
Encore plus à l’est, Singapour rappelle Israël: petit pays, pas de ressources naturelles, et un volontarisme économique et politique certains. Le pays a l’une des économies les plus libres au monde.
En Europe, il n’y a pas d’équivalent de la Silicon Valley. Ce qui s’en rapproche le plus est Cambridge au Royaume Uni et Grenoble en France. Cambridge du fait de son université qui est l’une des meilleures du monde et des entreprises et laboratoires de recherche qui gravitent autour. C’est une ville entièrement tournée vers le savoir et les technologies. Grenoble car on y produit du silicium, qu’il y a une masse critique de laboratoires (INRIA, CEA-LETI), d’universités et grandes écoles scientifiques, de startups (pôle Minatec) et grandes entreprises (STM, Soitec). Mais l’ensemble n’a évidemment pas la dimension de la Silicon Valley et est fragile: le désinvestissement de Philips/Freescale à Crolles en est un exemple récent. On peut aussi citer les petits pays baltes qui sont très dynamiques, des sortes de “Hollande” au nord.
Ce qui manque par rapport à la Silicon Valley
Reprenant le schéma des cercles vertueux et facteurs de succès de la Silicon Valley, j’ai créé son équivalent pour la France, en forçant le trait (il est téléchargeable en PDF):
Pour changer les choses, il faut en effet exagérer la situation. C’est l’un des aspects ou le pessimisme peut être utile: lorsqu’il conduit à se remettre en cause et à réformer profondément un système.
La machine de l’innovation semble donc bien grippée en France :
On pourrait également gloser sur les élites, sur l’incurie politique dans la politique industrielle, sur l’éloignement des politiques avec les TIC et les jeunes, sur le manque de confiance vis à vis des jeunes, sur le capitalisme familial pas assez tourné vers l’innovation, sur les modes de management.
Marchés professionnels et grand public
Dans le marché des TIC, la France présente une autre caractéristique particulière: l’abandon des marchés de volume et du grand public par les grands industriels. J’essaye de l’expliquer dans le schéma ci-dessous (également téléchargeable en PDF).
En gros, dans la high-tech, la France est forte dans sa capacité à créer des produits très complexes vendus à faible volume. Centrales nucléaires, TGV, Airbus, Rafale, Ariane, satellites, armement. Cela a déteint historiquement sur l’écosystème informatique avec de grandes SSII et cabinets d’ingénierie comme Altran, agissant en sous-traitance de ces grands projets, en plus des projets informatiques classiques des grands groupes. Ceci a conduit à une polarisation des compétences en France, attire les jeunes ingénieurs, et se fait au détriment des marchés grand public des TIC. Cette spécialisation permet aussi de ne pas trop investir en marketing car la vente de ces systèmes complexes passe plus par des relations politiques à haut niveau et par des dessous de table que par du marketing grand public!
A part les logiciels de jeux et quelques rares constructeurs (LaCie, Archos), la France a progressivement abandonné le terrain des TIC pour le grand public et les marchés de volume. Thomson, Alcatel et Safran (Sagem) revendent par appartements toutes leurs activités grand public pour se focaliser sur le professionnel. Thomson commercialisait des télévisions et des baladeurs MP3; ils se spécialisent sur la vidéo professionnelle (caméras, postproduction, etc). Alcatel et Safran ont de leur côté abandonné les mobiles. Les trois conçoivent encore des set-top-box mais pour le compte d’opérateurs (Canal+, France Telecom) et sans briller à l’international. Cette tendance s’explique par les difficultés propres à ces business grand public et aussi à l’incapacité marketing des grands groupes français. Pourtant, les compétences marketing existent en France, mais elles s’orientent plus facilement vers les activités de volume hors des TIC: cosmétique, distribution, finance, agro-alimentaire. Il y a une exception notable à ce tableau noir: l’industrie automobile. Avec Renault, PSA, Michelin et Valeo, la France n’est pas à plaindre. D’autant plus que les véhicules contiennent de plus en plus de haute technologie (jusqu’à 45 processeurs par voiture). Nous avons aussi Legrand et Schneider, mais ils peinent à entrer dans les marchés naissants de la domotique.
La structure industrielle de la France est restée très traditionnelle: les grands groupes sont les mêmes qu’il y a 20 ans alors qu’aux USA, nombreux ont été balayés par une nouvelle vague d’entreprises innovantes. Et l’Etat accompagne ces entreprises avec un jacobinisme inadapté à la révolution de la connaissance. La création de l’Agence de l’Innovation Industrielle en 2005 en était un parfait exemple, focalisée qu’elle était sur le lancement de grands projets aux chances de succès plus que faibles (Quaero, etc).
La situation est également contrastée dans les usages des TICs. Si le grand public s’est bien mis au diapason, les entreprises, notamment les PME, accusent toujours un retard par rapport aux pays occidentaux.
Du point de vue des industries hightech, la sur spécialisation de la France est dangereuse. En effet, le marché des consommateurs est non seulement très porteur, mais il structure également les grandes innovations du secteur. Les innovations vont du grand public vers l’entreprise et moins dans l’autre sens. Notre structure industrielle de l’innovation va donc à rebrousse poil du sens d’adoption des innovations par le marché.
Autre impact: les marchés de volume permettent de dégager des marges importantes pour financer la R&D. Les quatre secteurs d’activité les plus profitables au monde sont les logiciels, l’Internet, les semi-conducteurs et la pharmacie! Quelle est notre position dans les trois premiers?
Ce qui se fait, ce qui va et ce qui s’améliore
La prise de conscience du besoin d’innover en France est là. Tous les grands groupes mettent l’innovation en avant dans leur communication. Les gouvernements successifs se sont mobilisés sur la question. Que ce soit en créant d’innombrables subventions, prêts et aides fiscales pour les PME innovantes ou avec les pôles de compétitivité. La croyance dans l’omniscience et la nécessite de l’intervention publique prédominent. On se tourne facilement vers l’Etat, vers les régions, pour obtenir aides et subsides. Il faudra probablement continuer à en passer par là pour changer les choses dans la décennie qui vient.
Dans ce qui va, il y a dans l’ensemble la qualité de notre enseignement supérieur scientifique. Les grandes écoles se remettent en cause régulièrement. Centrale, HEC, les Télécoms intègrent des filières entrepreneurs dans leurs cursus. Elles poussent à internationaliser les études, elles ouvrent les ingénieurs sur les disciplines non techniques. Reste à l’université de faire pareil pour ses scientifiques.
Quelques autres éléments encourageants méritent d’être cités :
Autres pistes de changements
Peut-on changer la culture et les états d’esprit? J’ai posé la question à Marylène Delbourg-Delphis à San Francisco. Sa réponse: elle parle à qui elle peut un par un. probablement efficace mais pas très “scalable”. Les relais principaux sont les associations, les enseignants et les médias. Les médias qui savent se mobiliser pour un oui ou pour un non sur une thématique montre que c’est possible. Rappelons-nous la réhabilitation de l’entrepreneuriat dans les années 1980 sous le premier septennat de François Mitterrand.
La Commission Attali sur la croissance pourrait servir d’aiguillon à la prise de conscience d’un nécessaire changement. Au départ, Jacques Attali expliquait que les difficultés de la France provenaient de spécificités culturelles. Depuis, il semble avoir abandonné la piste. On verra ce que cela donnera lors de la remise de son rapport final en janvier 2008. Espérons qu’il ira plus loin que la suppression de la Loi Galland sur les grandes surfaces. Améliorer la fluidité du commerce ne changera pas grand chose à la capacité du pays à produire plus d’innovations. Tout au plus s’agira-t-il d’une amélioration à la marge de l’efficacité interne du marché.
L’un des gros pans de réformes concerne l’enseignement supérieur et la recherche, suffisamment décrié en ce moment :
Sinon, voici quelques autres pistes économiques :
Dans l’ensemble, il nous faut apprendre à aller plus vite et à faire de la qualité en même temps. Les simplifications administratives, l’accélération des paiements, la flexibilité du droit du travail, tout ceci peut converger pour permettre aux entreprises d’être plus réactives dans un marché mondial qui évolue toujours plus vite.
Quand aux élites et aux politiques, je suis circonspect par rapport aux propositions de suppression de l’ENA (avancée par François Bayrou pendant la dernière présidentielle). On peut faire évoluer les programmes de cette école, mais la supprimer pour la remplacer par une autre institution ne serait que de la cosmétique. Un décloisonnement entre politiques, hauts fonctionnaires et cadres du privé serait le bienvenu pour faire circuler les idées et bonnes pratiques. Cela peut nécessiter de revoir le fonctionnement des corps de l’Etat qui cloisonnent l’accès aux postes à responsabilités publiques. Quand on voit le lynchage des Ministres issus de la “société civile” (Ferry, Mer, Largarde), on se dit qu’il faut changer les moeurs pour habituer les gouvernants à cotoyer des responsables qui ne sont pas des professionnels de la politique. Cela doit évidemment s’accompagner de règles déontologiques pour éviter les abus de pouvoirs. En passant notamment par la validation des nominations par le parlement comme proposé par la Commission Balladur.
En tout état de cause, il me semble possible de profondément réformer la France pour lui permettre d’augmenter sa puissance d’innovation industrielle, et sans pour autant abandonner ses principes fondateurs, son modèle social et sa richesse culturelle.
J’en oublie sûrement. Donc à vous de jouer…
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