Conférence Annuelle des Entrepreneurs
Post de Olivier Ezratty du 17 novembre 2010 - Tags : Communication,Economie,Innovation,Management,Obama et la Présidentielle 2008,Politique,Startups | 9 Comments
Ce lundi 15 novembre 2010, j’assistai à la “Conférence Annuelle des Entrepreneurs” à Bercy, organisée dans le cadre de la semaine de l’entreprenariat qui comprend plus de 500 événements dans toute la France. Avec pour thème : « Les entrepreneurs, moteurs de la compétitivité française dans l’économie du 21e siècle ».
Les panels associaient des représentants de l’Etat, de grandes entreprises, des financiers, des entrepreneurs et des journalistes. Cela rappelait que la notion d’entrepreneur va au delà de celle d’entrepreneurs du web et de startups. La conférence d’une journée enfilait des tables rondes qui n’en étaient pas (faute de véritable débat entre les intervenants) et il n’y avait pas d’interaction avec la salle. L’audience de 100 et 150 personnes était très “costard cravate” et avec peu d’entrepreneurs du numérique. Les sponsors de cette conférence étaient Amundi, Oséo et – c’est moins habituel – la Direction du Trésor. Certains intervenants faisaient un peu penser à l’alignement de VIPs des Universités d’Eté du MEDEF !
Etait-ce nul pour autant ? Et bien non ! Le contenu valait tout de même le détour. Trois thématiques étaient couvertes qui sont clés sur l’évolution de l’écosystème de l’innovation en France, je vais les détailler plus loin :
La conférence a démarré par une intervention de Ramon Fernandez (ci-contre), le Directeur du Trésor, qui lisait le discours que Christine Lagarde devait prononcer ce matin. Elle était occupée par la passation de pouvoir des ministres et secrétaires d’Etat lui reportant, ceux-ci ayant tous changé après le remaniement gouvernemental de la veille. Le discours déroulait le catalogue des mesures prises ces dernières années pour aider les entreprises dans les différentes étapes de leur vie, de l’amorçage à la maturité. Tout y passait :
Ouf. Respiration ! Enfin, était citée l’approche intégrée des filières industrielles : les gros aident les petits, l’évolution du Pacte PME sous la forme d’association, sans compter les pôles de compétitivité. Vu de haut, tout ce catalogue est impressionnant. Mais le diable est souvent dans les détails comme d’habitude !
Le sujet des coupes sombres sur les exonérations de charges des JEI n’a pas été évoqué par le Directeur du Trésor. Un autre intervenant des débats a certes réclamé une plus grande stabilité fiscale en soulignant qu’il est déloyal pour les PME innovantes concernées de changer les règles du jeu en cours de route (les futurs retraités pourraient dire la même chose…) ! Mais il n’y avait personne de l’Etat pour répondre ! Et l’objet de ce compte rendu, une fois n’est pas coutume, n’est pas trop de commenter la fiscalité et les aides relatives aux entreprises innovantes. Cette question est donc suspendue au travail de courageux parlementaires qui s’escriment à déposer des amendements systématiquement rejetés par leurs collègues qui suivent docilement le gouvernement.
Venons-en donc aux faits…
L’image des entrepreneurs
On est ici en plein dans le subjectif. Pourquoi donc les entrepreneurs sont-ils mal vus en France ? A vrai dire, l’entrepreneur est une variante d’une espère plus large qui intègre les patrons du CAC 40, les patrons dits “voyous”, les héritiers sauce Bettencourt, sans compter les gloutons fonds de pension et autres hedge-funds. Par amalgame entre ces catégories hétéroclites, l’entrepreneur n’est pas ou plus valorisé.
C’est Laurence Parisot du MEDEF qui lançait le sujet en posant le problème en creux, regrettant que les entrepreneurs soient plus reconnus à titre posthume que de leur vivant, prenant l’exemple de l’émotion générée par le décès accidentel d’Edouard Michelin en 2006. Le tout, expliqué par la lecture marxiste de la société par les élites, de nombreux enseignants et par la classe politique, les dérives populistes existant à gauche comme à droite. Ces difficultés sont anciennes et aggravées par la crise. Et on ne mesure pas assez ce qu’est la vie d’un patron de TPE/PME : c’est un chemin de croix, les week-ends avec l’URSAFF (ils bossent vraiment les week-ends les contrôleurs de l’URSAFF?), les entraves administratives et le bizutage permanent par l’administration. Elle met cela en contraste avec la manière dont les entrepreneurs sont traités partout ailleurs dans le monde. Et de réclamer pour les entrepreneurs une “compétitivité équitable”, une égalité des chances pour les entreprises françaises face à leur concurrence mondiale. Pas plus mais pas moins. C’est lourd de sens car elle ne précise pas de quoi il s’agit. Les mauvaises langue diront : la fin des charges sociales et du SMIC, la fin du modèle social français, etc. L’absence de précision est regrettable.
Laurent Joffrin (Libération) exprime ensuite son désaccord complet avec Laurence Parisot, en fournissant une explication historique à ce désamour. Et de rappeler ce que l’on sait tous : la France est un pays à dominante catholique (révocation de l’Edit de Nantes, blablabla), qui se méfie de la richesse et du commerce (les marchands du temple chassés par Jésus…), les préjugés contre l’argent, le rôle de l’égalité dans la culture politique depuis la révolution française et l’existence durable de partis révolutionnaires en France (PCF, PS, moins maintenant). La gauche s’est certes ralliée au capitalisme dans les années 1980 mais l’image de l’entrepreneuriat s’est dégradée à nouveau avec la financiarisation de l’économie. L’entreprise est devenue instrument de profit et plus en plus abstraite. Et l’on ne peut pas être populaire en gagnant de l’argent et en licenciant ! Les différences de revenus de gens qui ne risquent pas leur patrimoine n’est pas comprise non plus. Contrairement aux patrons de PME, le patron salarié ne risque pas son patrimoine. Il y a une trop grande coupure entre le patronat et les salariés. L’analyse rapide est bien vue. On pourrait l’étendre aux véritables lacunes dans les pratiques managériales “à la française”, encore trop hiérarchiques et trop basées sur la peur. Inspiré par les biais culturels de notre éducation, le management à la française s’appuie peu sur la mise en confiance et sur le renforcement positif. L’amélioration de l’image de l’entrepreneur et des managers passera aussi par de véritables évolutions des pratiques managériales et par une valorisation des meilleures d’entre elles.
Pour Nicolas Beytout (Les Echos), la question de la rémunération des patrons pose aussi problème aux USA. Le traitement de ce sujet dans la presse français n’est pas très différent. Aux USA, c’est un sujet pour les médias mais moins dans l’action politique tandis qu’en France, le sujet est très politisé. C’est le pays des conflits sociaux et la culture économique y est médiocre. Il faut cependant distinguer les entreprises et les marques : les Français aiment les marques. Et ils apprécient les patrons lorsqu’ils sont proches et les médias en manquent. Les entreprises redoutent les médias et les journalistes ne connaissent pas bien les entreprises. Les journalistes français considèrent même que les entreprises de presse ne doivent pas se comporter comme des entreprises et n’ont donc pas besoin d’être profitables ! Bref, il y a du boulot pour changer la donne. Une piste : les entreprises pourraient aller de l’avant en s’exposant avec plus de transparence dans les médias. Que ce soit en temps normal ou en temps de gestion de crise.
Se pose aussi la question de la présence des entreprises à la télévision. Aux USA, CNBC emploie 250 journalistes, plus qu’à TF1 ! L’économie ne passionne pas les français. Il y a bien quelques émissions mais elles ne sont pas en prime time. D’où l’intérêt du lancement de BFM Business qu’évoque Alain Weil de NextRadioTV. C’est une nouvelle chaine TV qui prend la place abandonnée par Bloomberg. On évacue toujours un peu vite la programmation de M6 avec son émission Capital qui traite aussi bien en plein qu’en creux la vie des entreprises.
Alain Weil trouve que l’on a du mal à accepter les nouveaux entrants en France. Il cite les bâtons mis dans les roues de Free (il est administrateur d’Iliad), alors que c’est un modèle d’entreprenariat et d’innovations. Il faut faire évoluer les lois sociales mais pas pour donner des avantages aux entreprises au détriment des salariés. Pour lui, la croissance peut redonner du contrôle aux salariés comme on le constate dans les pays où la flexibilité du travail est plus grande. La fameuse flexicurité, qui ne fonctionne bien pour le salarié qu’en phase de croissance…
On pouvait enfin apprécier l’enthousiasme de Olivier Laouchez, le fondateur et dirigeant de TRACE TV. Il y a un réservoir d’énergie à revendre dans les banlieues, mais il faut donner des moyens et de la confiance. Son exemple est édifiant : son entreprise est présente dans 150 pays et notamment en Afrique et dans les Caraïbes, avec 40 collaborateurs en France et 10 à l’étranger. Elle fait 14m€ de CA, 2,5 d’EBITDA et 1,5m€ de résultat net. Petit hic, tandis qu’il a obtenu un refus des VC français pour son financement, c’est Goldman Sachs à New York qui avait un fond dédié aux minorités qui a financé sa croissance ! La discrimination positive peut avoir du bon !
En conclusion, il y a une forte interdépendance entre l’image des entrepreneurs et celle des grandes entreprises et de leurs patrons. La communication institutionnelle des grandes boites gagnerait à s’ouvrir et à être plus transparente. Le “pas de commentaire” pendant des crises ne devrait plus exister ! Les patrons doivent prendre le risque de s’exposer, d’accepter leurs erreurs, s’engager socialement, etc. On peut rêver un peu ?
L’entreprenariat dans l’enseignement et la recherche
Ce thème est complémentaire du précédent : comment encourager les jeunes à entreprendre dans un pays où l’on est plus préparé à être salarié que créateur d’entreprise ?
A tout seigneur tout honneur, c’est Valérie Pécresse qui inaugurait ce thème. Toute guillerette d’avoir été reconduite après le remaniement, elle a délivré une bonne intervention sans trop lire ses notes, une performance pour un Ministre ! Il faut dire qu’elle commence à maitriser son sujet avec plus de trois ans d’ancienneté à son poste !
Son objectif est double : rapprocher les universités des entreprises et y développer l’entreprenariat, qui est trop l’apanage des grandes écoles, et abattre les murs entre chercheurs et entreprises.
Pour le premier point, elle a encouragé la création de Junior Entreprises dans les universités et il y en a même dans les universités de sciences humaines et sociales. Elle a aussi lancé le plan Etudiant Entrepreneur, et remercie au passage Hervé Novelli (qui a quitté le gouvernement).
Côté chercheurs, elle rappelle que la France n’est pas en tête des pays en termes d’innovation. Les grands pays savent mieux valoriser leur recherche, à deux grandes exceptions : la France et la Russie. Elle souhaite développer la figure du “chercheur entrepreneur”. Alors qu’elle était accueillie par des slogans “Etudiants, pas chair à patrons” lors des manifestations contre la réforme des universités en 2007, elle pense être en passe de gagner ce combat avec un tableau de bord éloquent : 38% de hausse des dépôts de brevets issus des laboratoires publics dont 40% issus de partenariats industriels préalables au dépôt (au CNRS), 214 laboratoires publics/privés, dont 104 ont été créés il y a moins de 5 ans, et le CIR qui fait de la France le lieu d’investissement en R&D le plus favorable, avec 51 projets issus de l’étranger cette année. Elle cite aussi la simplification du paysage administratif avec la création d’un vade mecum sur site du ministère de la recherche. Et évidemment, le plan d’investissement d’avenir de 35Md€ dont 22Md€ sont consacrés à la recherche et à l’enseignement supérieur. Elle cite l’exemple d’Alain Carpentier, président de l’Académie des Sciences, qui a lancé un cœur artificiel. Alors que FSI n’a pas investi dans son projet, il a réussi une introduction en bourse. Et puis le cas de Mathias Finck, de Supersonic Imagin, qui contribue à relancer la filière de l’imagerie médicale, laissée un peu en friche en France. On peut évidement regretter l’adoption d’une vision un peu trop linéaire de l’innovation au sein de l’Etat : du chercheur à l’entreprise. La réalité est plus sinueuse !
Mais l’incitation à l’entreprenariat commence avant l’enseignement supérieur et une table ronde mettait en valeur quelques initiatives connues dans ce domaine :
Pour d’autres intervenants, il s’agit essentiellement d’augmenter la confiance en soi des jeunes, de les orienter vers l’action, qui rend optimiste. Il faut croiser la réflexion à l’action. L’enjeu est de transformer la société française en société entrepreneuriale. C’est un antidote à la déprime et à la lamentation. Il faut aussi développer le sens de l’intérêt général tout comme cultiver l’ouverture et le partage.
Les Entreprises de Taille Intermédiaires
C’est un sujet tarte à la crème mais rarement approfondi dans les conférences sur l’entrepreneuriat. Une table ronde portant sur le financement des PME évoquait les raisons de ce manque d’ETI en France. Il y avait aussi des témoignages intéressants de chefs d’entreprise de type ETI.
S’ensuivaient (ou précédaient) des témoignages d’entrepreneurs qui ont transformé leur PME en ETI, voire bien au delà (et je ne cite pas tous les intervenants de cette journée) en s’appuyant surtout sur le développement international :
Xavier Fontanet d’Essilor (ci-dessus à droite) est un autre as du développement international qui concluait cette journée. Il est passé chez Bénéteau, une entreprise passé de 4m€ à 1Md€ de chiffre d’affaire et dont la part des exportations est passée de 15% à 65%. De même, Essilor est passé en quelques décennies de 6000 à 40000 personnes. Pour lui, la source de la réussite, c’est la volonté. La mondialisation est une chance. Il ne faut pas en avoir peur et exporter. Nos limites sont plus psychologiques que financières. On souffre certainement de la mauvaise des images des patrons. Mais la réalité est que les clients sont bien plus puissants que les patrons. Bref, il faut développer la confiance en soi, la confiance dans les autres, et aussi dans le système. Tout un programme, qu’il expose dans un livre qu’il vient de publier “Si on faisait confiance aux entrepreneurs” !
Ces belles histoires montrent qu’il n’y a pas de fatalité à rester “petits”. Que la réussite est possible dans plein de secteurs d’activité. Que l’ouverture internationale est indispensable. Qu’il faut recréer un mental d’ambition chez tous les entrepreneurs et l’écosystème qui les accompagne. Beau programme qui concluait très bien cette journée !
PS : mes photos de la conférence sont .
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