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Emails datamining

Post de Olivier Ezratty du 20 février 2008 - Tags : Communication,Logiciels,Sociologie | 6 Comments

Lors d’un voyage d’étude dans la Silicon Valley en novembre 2007, j’avais eu l’occasion de rencontrer, Xobni, une petite startup intéressante. J’avais décrit dans mon compte rendu le potentiel intéressant de leur outil qui se manifeste sous la forme d’un plug-in d’Outlook (avant le support à venir d’autres logiciels clients de messagerie).

xobni-logo

Ce plug-in est une sorte de mini outil de datamining dans votre base de contacts et d’emails qui vous fournit un tas d’informations utiles sur vos contacts et ajoute plein d’astuces pour rendre votre activité plus rapide. Vous avez en gros : une carte de visite de vos contacts en cliquant sur leur email avec leurs coordonnées, les derniers mails échangés, le “mail ranking” de votre contact, à savoir une position de votre interlocuteur dans le classement des échanges par email de votre boite aux lettres. Mais l’outil découvre automatiquement tous les attachements aux emails concernés, il indique à quelle vitesse votre contact répond aux emails, il vous aide à trouver des plages horaires dans votre agenda pour les indiquer par email à vos correspondants, etc.

XobniCapture

Bref, beaucoup d’astuces qui auraient très bien pu faire partie d’une nouvelle version d’Outlook, mais qui sortent d’une startup plutôt que des labos de Microsoft. Ce qui explique peut-être pourquoi Bill Gates s’est fendu d’une démonstration de Xobni lors de la dernière Office Developer Conference.

Mais Xobni (qui veut dire Inbox à l’envers) n’est qu’un début ou ne représente que les prémisses de ce qu’il est possible de faire à partir d’une base de contacts et d’emails.

Il y a quelques temps, je m’étais dit que ce que Xobni pouvait faire à l’échelle d’une “inbox” d’un utilisateur, un autre logiciel pourrait très bien le faire à l’échelle de toute la messagerie d’une entreprise, couplée à son organigramme et à la gestion d’agendas et à son annuaire d’utilisateurs.

La masse d’informations qui s’accumule dans les entreprises est là, prête à être exploitée. Elle est riche d’enseignements sur le fonctionnement des organisations et permettrait de comparer les comportements des unités d’organisation des entreprises (pas au niveau des individus mais seulement de groupes d’individus). Elle permettrait aussi d’aider les entreprises à améliorer leur fonctionnement interne. Car tous ces merveilleux outils de communication sont souvent utilisés un peu à tors et à travers. Le foisonnement des outils de communication numérique et les interruptions permanentes qu’ils génèrent créent de véritables pathologies comportementales, dans les relations interpersonnelles et dans la gestion du temps. Pathologies qui peuvent parfois aboutir à des catastrophes si il s’agit d’organisations qui relèvent de la sécurité (des transports, de l’énergie) ou de la santé.

Mon “délire” relève du lien qu’un tel outil pourrait avoir avec le métier de conseil en organisation ou en relations humaines, voire pour les inspections du travail ou des sociologues des organisations. Cela pourrait être un outil d’accélération du diagnostic de dysfonctionnements dans les organisation, permettant d’ajouter des données factuelles à des observations des uns et des autres, ou à des pistes identifiées par des visites sur le terrain.

Je ne sais donc pas si cet outil existe. Une petite recherche sur le web montre que si cela existe, c’est plutôt bien caché. Voici le périmètre fonctionnel auquel je pensais :

  • Comparaison des modes de communication entre groupes d’entreprises. Communiquent-ils plus en interne ou en externe, au sein de l’entreprise, ou à l’extérieur de l’entreprise ? Quels sont les groupes qui collaborent le mieux entre eux ?
  • Quel est le temps de réponse aux mails selon les groupes ? Pour les mails internes aux groupes, internes à l’entreprise, ou externes à l’entreprise.
  • Nombre de “ping-pongs” dans la communication par emails. Est-ce que certains groupes en sont plus friands que d’autres ? Cela dénote souvent une difficulté à dialoguer, et aussi la propension à ne pas employer le bon outil, le téléphone étant souvent plus efficace que l’enchainement de malentendus par emails.
  • Quelle est l’organisation du temps dans la journée par groupes? Est-ce que le mail est utilisé toute la journée en micro-interruptions, ou plutôt de manière concentrée dans le temps ?
  • Quel est le comportement des managers ? Sont-ils diffuseurs ou récepteurs d’informations ? Est-ce courant de dépasser la hiérarchie directe dans la communication dans l’entreprise ? Et dans les deux sens (montant et descendant).
  • Quels sont les réseaux de pouvoir et noeuds de réseaux dans l’entreprise ? Est-ce qu’ils correspondent à l’organigramme ou pas ?
  • Quel est le comportement des cadres dans le travail pendant le week-end, pendant leurs vacances, le soir, la nuit ?
  • Qui produit de l’information dans l’entreprise, en fonction de la longueur des mails ? Qui en consomme ?
  • Identification des “chaines” et de leurs émetteurs et diffuseurs.
  • Et puis, après, on peut passer à des études sémantiques sur le contenu des mails pour identifier la tonalité (agressive, serviable, etc) mais cela devient assez compliqué !
  • Et enfin, classifier ces différents résultats par type d’activité (R&D, marketing, vente, finance, etc) et benchmarker les entreprises entre elles. Cela permettrait par exemple d’identifier qu’un service marketing n’est pas assez tourné vers l’extérieur de l’entreprise, qu’une entreprise est trop tournée sur elle-même et pas assez sur ses clients ou partenaires, etc. Vous direz sûrement à juste titre qu’on s’en apperçoit rapidement par d’autres moyens…

Tant qu’on est dans le “big brother”, on pourrait alors creuser le lien entre la messagerie avec d’autres outils eux aussi passés au numérique :

  • Lien avec les agendas et meetings. Est-ce que les meetings donnent lieu à des échanges de communication après coup qui dénotent un suivi des actions, … ou pas ?
  • Lien avec la messagerie instantanée. Est-elle plus utilisée que la messagerie dans certains groupes ?
  • Statistiques sur les mails provenant de Facebook et LinkedIn ? Ces derniers peuvent être un indicateur d’un malaise et du besoin de collaborateurs de se recréer un réseau externe à l’entreprise en vue d’une recherche d’emploi (je dis cela comme ça… c’est une observation).
  • Liens entre la messagerie et la consultation de sites Internet et Intranet.
  • Et puis, après, pour les entreprises les plus modernes, faire le lien avec la téléphonie sous IP (VOIP) et le comportement des utilisateurs sur leurs mobiles.

La présentation des données s’appuierait sur l’analyse de gros volumes de données, sur du datamining, sur des statistiques, sur des analyses de déviation par rapport à la moyenne, etc. Avec force graphiques et outils de navigation dans l’organisation. Mais sans descendre au niveau des individus.

Tout ceci ne fait que rappeler qu’au sein de l’entreprise, au même titre que sur Internet, le pouvoir de l’information est immense. L’usage des technologies numériques conduit à créer des masses d’informations qui peuvent être exploitées pour le meilleur comme pour le pire. Et des informations qui ont un sens dans le pouvoir des organisations. Pouvoir d’amélioration d’efficacité, mais aussi potentiellement, pouvoir d’enquête, de contrôles et de répression. On peut parier que tout ce que je vous décris a été fait à la mano dans l’enquête sur l’affaire récente de la Société Générale. Toutes les interactions numériques de Jérôme Kerviel ont ainsi été dépiautées une par une, et toutes les bizarreries ont été recherchées dans ces communications.

Pourquoi ces outils d’analyse ne semblent pas exister ? Voici quelques pistes…

  • Peu d’entreprises ont normalisé leurs emails, calendriers et surtout organigrammes. Sans parler de la VOIP.
  • Les éditeurs de logiciels se préoccupent d’abord de réduire les nuisances des mails provenant d’Internet comme les spams.
  • Le coût de leur développement serait assez élevé, pour un bénéfice “business” relativement marginal au regard des préoccupations classiques des entreprises.
  • Et surtout, cela pose des problèmes juridiques, notamment au regard des lois qui protègent la vie privée.

Dormez donc tranquilles pour quelques temps… :).

RRR

 
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