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Decode Quantum avec Maud Vinet, Tristan Meunier et François Perruchot de Siquance

Post de Olivier Ezratty du 3 février 2023 - Tags : Actualités,Quantique | No Comments

Pour ce 55e entretien de Decode Quantum toujours publié en partenariat avec Frenchweb, Fanny Bouton et moi-même accueillons pour la seconde fois Maud Vinet. En effet, Maud était la troisième de nos invitées de ces entretiens lancés en mars 2020. Trois ans après, nous l’accueillons à nouveau car elle vient de lancer une startup, Siquance, qui sera l’objet de cette discussion. CEO de la startup, elle est accompagnée de ses deux cofondateurs, Tristan Meunier et François Perruchot.

Crédit photo : Franck Ardito

Jusqu’à la création de Siquance annoncée fin novembre 2022, Maud Vinet pilotait au CEA-Leti à Grenoble la filière quantique semi-conducteurs à base de qubits en silicium. Elle était auparavant responsable de l’équipe d’intégration des transistors avancés au sein du CEA-Leti. Avant, chez IBM dans l’état de New-York, elle était responsable technique de l’équipe multi-entreprises qui a développé la technologie française des transistors FD-SOI de STMicroelectronics. Elle a donc déjà trempé dans l’industrialisation des technologies ! De formation double ingénieure/chercheuse, elle est ingénieure de l’Ecole Nationale Supérieure de Physique de Grenoble suivie d’une thèse de Physique de l’Université de Grenoble.

Tristan Meunier est le CTO de Siquance. Physicien expérimentaliste de formation et d’expérience, il a fait sa thèse de doctorat dans l’équipe de Serge Haroche au LKB de l’ENS Paris sur les oscillations de Rabi avec des atomes froids. Puis un post-doc à TU Delft dans l’équipe de Lieven Vandersypen où il a commencé à explorer les spins d’électrons dans des quantum dots. Il est chercheur attitré et directeur de recherche au CNRS à l’Institut Néel à Grenoble depuis 2008 où il expérimente depuis pas mal d’année les qubits de spin de différentes sortes.

François Perruchot est le COO de Siquance. Il nous vient du CEA-Leti où il a passé 17 ans avec divers rôles plutôt dans la gestion de programme, le business développement et le marketing. Après avoir sévi dans quelques startups deeptechs dans les medtechs et les capteurs. Accessoirement, il est Polytechnicien. Il en faut toujours au moins un dans une équipe quantique ! Et il a aussi une thèse à son actif dans la physique quantique dans les semi-conducteurs. Ceci explique cela.

Et voici comme d’habitude les notes que j’ai pu prendre pendant l’enregistrement de ce podcast.

  • Rituelle question de la marmite quantique posée à Tristan et François car Maud y était déjà passée en 2020. Tristan a découvert la physique quantique pendant ses études à l’Université et il a attrapé le virus quantique à une époque où c’était confidentiel, en 1998. Il était attiré par le côté mathématique en lien avec sa licence. François a découvert la physique quantique sur les bancs de l’Ecole Polytechnique avec des enseignants comme Jean-Louis Basdevant. Ce dernier leur faisait découvrir les inégalités de Bell en ménageant le suspens (étaient-elles violées ou pas…). François a ensuite réalisé une thèse en liaison avec la physique quantique. Puis, il a traversé son propre hiver quantique pendant des années avant de croiser Maud au moment des débuts du programme quantique au CEA-Leti. Il se posait la question du moment où les algorithmes auraient un impact sur la manière de créer un ordinateur quantique, et est venu travailler dessus !
  • Siquance est la sixième startup qui veut commercialiser un ordinateur quantique en France et la première dans l’Union Européenne qui se lance dans les qubits silicium. Quelles sont ses ambitions ? Cela concerne d’emblée la possibilité de créer un ordinateur quantique à grande échelle et d’utiliser la puissance de l’industrie microélectronique. L’objectif est de construire “cette” machine sachant qu’il y en aura plusieurs de plusieurs générations en pratique, de faire en sorte qu’elle soit accessible et qu’elle puisse être exploitée dans tous les domaines de l’industrie, aussi bien dans le cloud que “on-premise” (chez le client), le tout avec une assise commerciale aussi large que possible.
  • Chercheur à entrepreneur. Comment gérer cette transformation ? Les compétences, devoirs et missions sont différents. Ils sont motivés par la volonté de créer quelque chose d’utile à impact, de construire “la” machine et de lever les verrous technologiques associés, chose qui est difficile à faire dans un laboratoire de recherche. Ils réfléchissent à la création de la startup depuis… 2017 ! Et là, il y a besoin de se financer car les besoins en “capex” sont importants, et il faut aussi créer les partenariats associés. Les trois cofondateurs sont aussi passés par le Deep Founder Institute en 2021/2022, ce qui leur a bien mis le pied à l’étrier, dans la même promotion que Tom Darras, Julien Laurat et Eleni Diamanti de WeLinQ (Decode Quantum 46) et Luca Planat et Nicolas Roch de Silent Waves (Decode Quantum 47).
  • Branding: Siquance, c’est avec un Q majuscule ou minuscule ? Que signifie le nom ? Réponse : c’est bien avec un q minuscule ! Cela signifie Silicon Qubit Computing Enabled (ou Experience). Cela pourrait aussi signifier Silicon Qubit France… !

  • Défis. Quels sont les défis scientifiques et technologiques à relever par la startup ? Il s’agit surtout de transférer ce qui a été fait du côté académique sur une technologie en production. L’industrie de la microélectronique doit s’emparer du sujet. Habituellement, cela prend beaucoup de temps. Dans la microélectronique classique, le délai entre la création de nouveaux concepts (comme des oxydes de grilles) et leur industrialisation prend beaucoup de temps, de 12 à 15 ans. Il en est allé de même pour la réaction chimique du procédé Haber-Bosch de production de l’ammoniaque à partir de l’azote. Il a fallu 15 ans pour la mettre en place l’échelle industrielle et déterminer les pressions et flux de gaz à toutes les étapes du processus. L’approche de Siquance consiste à raccourcir ces délais avec une stratégie de modifications à la marge de processus existants.  Pour créer de bons qubits, il faut par exemple enlever les charges de l’environnement qui les perturbent, il faut trouver des solutions qui passent à l’échelle, garantir la reproductibilité et aussi travailler sur les indicateurs permettant de quantifier la qualité de la production.
  • Jumeaux numériques pour la création de qubits ? C’est l’un des fondamentaux de l’industrie de la microélectronique. Yann-Michel Niquet travaille dessus au CEA-IRIG en modélisant la description microscopique du qubit. Cela s’intègre dans une approche de modélisation numérique multi-échelle qui utilise des outils de Technology Computer-Aided Design (TCAD) comme ceux de Synopsis. Une chaîne de simulation numérique complète est en cours de création.
  • Différentiation. Comment Siquance va se différentier par rapport à ses concurrents directs que sont Intel, Quantum Motion (UK), equal1 (USA et Irlande), SQC et Diraq (Australie) ? Ils séparent clairement Intel et les autres. Leur philosophie est voisine de celle d’Intel en cherchant à s’appuyer sur un cœur technologique existant, la différence étant que ce dernier fait le pari de la technologie FinFET qu’ils utilisent dans leurs microprocesseurs et Siquance, du FD-SOI qui a des propriétés intéressantes coté analogique, or un ordinateur quantique est en pratique un objet très analogique. Vis à vis des autres startups, l’ADN d’origine est assez différent. Diraq est encore organisé en laboratoire et très concentré sur la physique. Quantum Motion travaille beaucoup au niveau algorithme et architecture et cherche encore la technologie côté physique. Equal1 est sur l’électronique de contrôle des qubits. Et SQC a une approche très différente côté qubits avec la technologie du “spin donor” qui utilise l’implantation d’atomes de phosphore individuels dans du silicium.
  • Roadmap de Siquance. La startup travaille sur différents aspects en parallèle : l’augmentation du nombre et de la qualité des qubits gérés (pour se rapproche des 99,6% de fidélité sur toutes les portes quantiques), la cointégration avec la microélectronique et l’informatique de contrôle des qubits et l’amélioration des rendements de fabrication. D’ici 5 ans, ils veulent approcher les dizaines et centaines de qubits.
  • Energétique du calcul quantique. Les ordinateurs quantiques à base de qubits silicium seront-ils sobres énergétiquement ? Oui, c’est l’ambition du projet. Elle remonte à une rencontre en 2016 entre Alexia Auffèves (cofondatrice avec moi-même et Robert Whitney + Janine Spettstoesser de la Quantum Energy Initiative en août 2022, dont Siquance est partenaire). A l’époque, elles évoquaient toutes les deux “murs” de la loi de Moore : celui de l’accès à la mémoire (memory wall, qui mène la création de technologies rapprochant la mémoire du calcul comme le “in memory computing” et les memristors) et le mur de l’énergie (“energy wall”, fin de la règle de Dennard et de la loi de Koomey). Maud indique que oui, les ordinateurs quantiques devront respecter des critères de sobriété énergétique et qu’il faudra y penser à toutes les échelles et de bout en bout dans leur architecture. Tristan évoque l’un des intérêts des qubits silicium qui est de fonctionner à une température un peu supérieure aux qubits supraconducteurs (100 mK à 1K vs 15 mK) ce qui permet de monter en gamme côté qubits avec une cryogénie moins puissante.
  • Ecosystème de Siquance, notamment à Grenoble et en France ? Il hérite notamment de l’histoire du CEA et du CNRS à Grenoble ainsi que de son tissu industriel (STMicroelectronics, Soitec, Radiall, Air Liquide, Absolut Systems, …). Cela permet de concevoir des roadmaps cospécifiées avec les acteurs industriels, surtout en cryogénie et connectique. Côté recherche, il y a aussi l’acquis du projet du Flagship Européen QLSI que Maud coordonne depuis 2020 avec ses nombreuses ramifications internationales dans les laboratoires de recherche européens. Cela amène aussi des liens avec les partenaires comme Atos (via QLSI) et les futurs clients.
  • Equipe. La startup a déjà recruté ses premiers collaborateurs grâce au grand prix du concours iLab qu’ils ont gagné en juillet 2022.
  • Recherche. Comment vont se répartir les rôles entre la startup et ses laboratoires d’origine (CEA, Néel). Ils ont établi des contrats de laboratoires communs. La startup a même organisé le 13 janvier 2023 une réunion de kick-off avec les laboratoires associés à Siquance.
  • Financement. Une levée de fonds est en cours et on n’en parle évidemment pas tant qu’elle n’est pas closée.
  • Usages. Nous discutons du positionnement “tech for good” des startups et de Siquance en particulier et aussi des velléités de certaines startups de création d’ordinateurs quantiques sur mesure pour des cas applicatifs.
  • Revenu. La problématique à court terme n’est pas de faire du chiffre d’affaire mais de créer la machine ! Avec une offre de valeur progressive qui intègre bien le retour des utilisateurs.
  • Stratégie quantique nationale. Comment celle-ci a aidé Siquance et son montage. Dans un premier temps, via les financements qui sont allés sur la recherche via le CNRS, CEA et Inria (“le PEPR”, programmes et équipements prioritaires de recherche), puis les divers projets de technologies habilitantes (Orano, Air Liquide, QRYOLink), ainsi que les efforts lancés dans l’enseignement supérieur, notamment le consortium QuantEDU national qui est piloté par UGA (Franck Balestro à Grenoble).

Dans le prochain épisode, nous recevrons Hélène Perrin, du laboratoire LPL et qui dirige aussi le DIM (domaine d’intérêt majeur) QuanTIP, le réseau francilien du quantique financé par la région IDF.

RRR

 
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