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Decode Quantum avec Takis Kontos et Audrey Cottet de l’ENS

Post de Olivier Ezratty du 14 décembre 2023 - Tags : Quantique | No Comments

Dans ce 65e épisode des entretiens Decode Quantum toujours également diffusés par Frenchweb, Fanny Bouton et moi-même recevons Audrey Cottet et Takis Kontos qui sont tous deux directeurs de recherche au CNRS, officiant au LPENS de l’École Normale Supérieure de Paris. Nous évoquons avec eux l’histoire des qubits supraconducteurs, les qubits à base de nanotubes de carbone ainsi que la détection de la matière noire qui devrait normalement titiller votre curiosité scientifique.

Audrey Cottet est Directrice de Recherche au CNRS et chercheuse en physique quantique au Laboratoire de Physique de l’ENS Paris ainsi qu’au LPEM à l’Ecole Supérieure de Physique Chimie Industrielle de Paris. Elle a obtenu un doctorat dans l’équipe Quantronics de Daniel Esteve, Michel Devoret et Christian Urbina au CEA de Saclay en 2002, donc comme il se doit dans le domaine des qubits supraconducteurs, au moment où le CEA produisait les premières puces avec ces qubits. Elle s’est ensuite spécialisée comme théoricienne dans les circuits mésoscopiques et dans les quantum dots. Elle a contribué à la découverte d’effet transistor de spin dans les nanotubes de carbone, sur des effets de couplage spin-photon, et sur les émissions de photons par des quantum dots et des jonctions supraconductrices. Et cerise sur le gâteau, elle travaille aussi sur la détection quantique de matière noire. Et dans l’extra-scolaire, elle est aussi passionnée d’archéomusicologie. Elle est ingénieur Supelec.

Takis Kontos est aussi Directeur de Recherche du CNRS et chercheur au LPENS de l’ENS Paris où il pilote l’équipe travaillant sur les circuits quantiques hybrides ainsi qu’au LPEM de l’ESPCI. Il est aussi cofondateur et membre du conseil scientifique de C12 Quantum Electronics. Ses domaines de recherche couvrent l’électrodynamique quantique, les nanocircuits hybrides, la nanospintronique dans des nanotubes de carbone, ainsi que les capteurs quantiques. Parmi ses doctorants il a eu un certain Mathieu Desjardins qui est le CTO et cofondateur de C12. Il a aussi été codirecteur avec Zaki Leghtas de la thèse de Raphael Lescanne le CTO et cofondateur d’Alice&Bob. À l’origine, Takis est ingénieur Supelec suivi d’un doctorat en physique du solide à l’Université Paris-Sud en 2002.

Voici les points clés de la discussion et liens utiles :

Comment nos invités ont-ils atterri dans le quantique ? Pour Audrey, c’est venu pendant ses études à Supelec avec l’enseignement en physique quantique en tronc commun. Elle était fascinée par le côté contre-intuitif du domaine, et aussi la question de la mesure quantique. Pour Takis, cela a démarré à la fin du lycée, notamment par la lecture du livre “Conversation avec le Sphinx – Paradoxes en physique” d’Etienne Klein (1991). Intrigué par le domaine, il avait aussi lu un livre de Richard Feynman qui était compliqué à lire. Audrey et Takis ont tout deux fait un DEA en troisième année de Supelec, ce qui leur a permis de s’orienter vers la physique. Takis a aussi travaillé dans l’électronique analogique, ce qui est devenu utile par la suite pour le contrôle expérimental des qubits.

Le sujet de thèse d’Audrey Cottet était Implémentation d’un bit quantique dans un circuit supraconducteur, sous la direction de Daniel Esteve. Elle avait été embauchée pour un stage sur les boites à paires de Cooper de Vincent Bouchiat, qu’elle a connectées à un réservoir supraconducteur via une jonction Josephson, donnant un couplage cohérent. L’objectif était de transformer cela en un qubit avec un système de mesure. Il exploite des oscillations de Rabi et Ramsey que l’on voit habituellement en physique atomique. Cela a impliqué de faire de la nanolithographie pour dessiner le circuit. A l’été 1999, les travaux de Yasonobu Nakamura ont été publiés alors qu’elle démarrait sa thèse. Le procédé de mesure des Japonais était “destructif” de l’état du qubit. Elle a travaillé sur la création d’une mesure non destructive (QND), avec plein de tests de combinaisons différentes. Daniel Esteve avait trouvé la solution en dessinant au tableau une boite à deux jonctions Josephson en parallèle. Elle était sans résonateur à cette époque (en 2002). Il a fallu attendre les travaux d’Andreas Wallraff et Alexandre Blais avec Michel Devoret entre 2003 et 2004 à Yale pour voir apparaître les résonateurs de lecture de l’état des qubits supraconducteurs. A noter que John Martinis et Isaac Chuang étaient dans le jury de thèse d’Audrey. C’est le Chuang du fameux bouquin “Nielsen et Chuang” qui est une référence dans le calcul quantique.

Le sujet de thèse de Takis Kontos était Cohérence et interférences quantiques dans les nanostructures Supraconducteur / Ferromagnétique. C’était de la physique de la matière condensée portant sur les états ordonnés et les propriétés quantiques avec des fonctions d’onde macroscopiques, avec des électrons avec des spins parallèles. Il y avait des questions sur la supraconductivité à haute température. Vitaly Ginzburg (Nobel de physique en 2003) s’était posé ce genre de question autour de la création du modèle BCS de 1957 expliquant la supraconductivité avec les paires de Cooper (d’électrons de spin opposés). La thèse de Takis portait sur cet état dans des hétérostructures ferromagnétiques et supraconductrices. Il a démontré que l’on pouvait fabriquer un état inhomogène.

Audrey a arrêté de travailler sur les supraconducteurs et a travaillé sur des nanotubes de carbone et des états ferromagnétiques, à Bâle. Elle y a découvert un effet d’échange d’interface avec des champs magnétiques dans des supraconducteurs. Au même moment, Takis avait conservé l’ingrédient (palladium-nickel) et les a combinés avec des nanotubes de carbone. Ils ont compris la magnétorésistance des nanotubes de carbone et l’injection de spin dans un système de basse dimensionalité (1D).

Il se trouve que je les avais croisés tous les deux lors de l’inauguration des nouveaux locaux de C12 à Paris. Pour mémoire, nous avions reçu Mathieu et Pierre Desjardins, respectivement CTO et CEO de C12 en janvier 2021 dans le 16e épisode des entretiens Decode Quantum ! Audrey et Takis reviennent sur les caractéristiques et spécificités de ces nanotubes et pourquoi ils sont intéressants pour gérer des qubits. Ils étaient inspirés par les travaux d’Andreas Wallraff (ETH Zurich) sur les cavités. Ils se sont dit que les nanotubes pouvaient être intégrés dans une cavité (ligne supraconductrice sur silicium, couplage capacitif, confine les photons microondes de contrôle du spin des électrons piégés dans les nanotubes). Puis, exploiter un couplage électrique spin-photon dans le régime des microondes de 5 à 6 GHz. Dans le nanotube, ils créent un état de charge qui comprend un électron en excès, le tout étant contrôlé par une grille électrostatique de contrôle. Cela fait appel au phénomène du blocage de Coulomb. À basse température, l’état de charge est bien défini dans les nanotubes de carbone et un champ magnétique contrôlé définit la direction du spin. Le spin est le degré de liberté du qubit. Ce degré de liberté est alors hybridé avec deux points quantiques reliés par une jonction tunnel et un degré de liberté de charge. Il utilise deux électrodes colinéaires et des axes de quantification de spin un peu différent des deux points quantiques. Pour relier deux qubits, on les fait échanger un photon virtuel. Cela fait appel à l’électrodynamique quantique en cavité. La lecture des qubits consiste à lire la fréquence de résonance du résonateur avec une projection sur l’axe de quantification. C’est une lecture dispersive. À ce stade, ils n’ont pas encore de fidélité éprouvée.

Le multiplexage du contrôle peut se faire en fréquences avec plusieurs unités binaires quantiques associées au même résonateur. C’est favorable pour le passage à l’échelle et donne de bons temps de cohérence largement au-dessus de la milliseconde.

Ces nanotubes sont fabriqués à Paris dans la nouvelle usine de C12. Le processus chimique a l’air plutôt simple. Il est complété par un procédé facile à automatiser de sélection et d’agrafage des nanotubes sur un circuit en silicium, exploitant des manipulateurs piézoélectriques.

Audrey et Takis nous décrivent leur travail sur la détection de la matière noire. Ils recherchent la présence d’axions, des particules élémentaires qui interagiraient la matière normale. Il s’agit de champ électromagnétique en dehors du modèle standard. Il modifierait les équations de Maxwell et serait détectable avec des cavités microondes. Leur dispositif expérimental (ci-dessous) comporte une boite de cuivre avec un cristal et un circuit supraconducteur qui amplifie le signal. Le tout est placé dans un cryostat à 10 mK. Ils ont travaillé dessus avec Zaki Leghtas sur les effets non linéaires. C’est de la science qui ne sert à rien au début mais peut devenir utile après par sérendipité.

Enfin, nous abordons rapidement le lien entre tout cela et la passion d’Audrey pour l’archéo-musicologie. Elle travaille sur l’histoire des cymbales de l’antiquité qui étaient utilisées dans les cultures moyen-orientales. Elle a accès à des ressources dans le cadre de l’ENS, notamment pour la recherche iconographique. Utilisant des méthodologies voisines de recherche en physique quantique, elle collabore avec le C2RMF pour la restauration de ces pièces, en liaison avec le Musée du Louvre. C’est une forme de recherche à la fois “amateure” et “professionnelle” !

Et voilà !

Dans l’épisode suivant de Decode Quantum, nous serons outre-Rhin avec Tommaso Calarco de Forschungszentrum Jülich et qui joue aussi un rôle clé dans la coordination scientifique de l’European Quantum Flagship.

RRR

 
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